Chansons populaires de la Basse-Bretagne/Le clerc du bord de l’étang




LE JEUNE CLOAREC DU BORD DE
L’ÉTANG
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________Je suis un jeune clerc,
______Qui ai ma maison sur le bord de l’étang.
________Drin, drin, ma mère,
________De l’argent pour boire !

   Qui ai ma maison au bord de la rivière,
Tout comme celle d’un tanneur.

   Jamais je n’ai pris la peine
D’aimer fille, si ce n’est une ;

   D’aimer une fille de dix-huit ans ;
Ce n’est qu’en la voyant que je me sens en joie.

   Je ne peux ni lire, ni étudier,
Avec (le bruit que font) les rouets des filles, en filant ;

   Surtout (celui de) Jeanne Le Roux,
Avec ses deux yeux amoureux.

   Et, quand je vais à la grand’messe,
Je ne dis aucune prière ;


   (Je ne fais) que regarder pardessus le bout de mon épaule,
Du côté de la maîtresse jolie que j’ai...

   Ma mère, mon père, quand ils ont su,
A l’étude, à Paris, m’ont envoyé...

   Comme j’étais à Paris, à l’étude,
Ma maîtresse me fit tenir une lettre,

   (Pour me dire) de m’en revenir à la maison,
Si je désirais la revoir en vie ;

   De revenir à la maison, bien vite,
Pour revoir encore vivante ma maîtresse jolie.

   Et moi de faire un paquet de mes livres,
Et de m’en aller vers mon pays.

   Comme je venais par la grand’route,
J’entendis les cloches sonner le glas ;

   J’entendis les cloches sonner le glas,
A petit coups et à grands coups ;

   J’entendis les cloches sonner le deuil,
Pour ma maîtresse jolie, qui était morte.

   Lorsque j’entrai dans la maison,
Le prêtre lui administrait l’extrême-onction.

   A deux genoux je me suis prosterné,
De tout mon cœur j’ai pleuré.

   Quand l’assistance fut sortie de la chambre,
(Je m’approchai) du lit de ma douce jolie ;

   Et ma maîtresse de me dire :
— « Ne pleurez pas à cause de moi !

   « Jeune clerc, si vous m’aimez,
« à cause de moi ne pleurez pas !

   « Pleurez (plutôt) sur le Messie,
« Qui a expire pour nous, sur la croix. »

   Elle n’avait pas fini de parler,
Que ma maîtresse jolie est morte.

   Les prêtres, de blanc vêtus,
Conduisent ma douce au cimetière ;

   Les prêtres, vêtus de blanc,
S’en vont en chantant par la route ;

   S’en vont le long de la route, en chantant,
Moi, je vais à travers champs, en pleurant.


   Les prêtres chantaient allègrement,
Moi, je pleurais, j’en avais sujet.

   Dans l’église quand je suis entré,
Derrière un pilier je me suis agenouillé.

   Quand tout le monde se fut retiré,
J’allai aussi (m’agenouiller) sur la tombe.

   Et, comme à la maison je m’en revenais,
Une fille jeune j’ai rencontré ;

   Une fille jeune, vêtue de blanc,
Avec une coiffe de toile de Quintin sur la tête ;

   Oh ! Dieu ! la belle créature !
Seulement, elle était nu-pieds !

   — « Jeune clerc, dites-moi,
« Où allez-vous ou bien où avez-vous été ?

   — « C’est de ma noce que je viens,
« Et maintenant c’est à la maison que je vais.

   — « Jeune clerc, vous mentez,
« C’est de mon enterrement que vous venez :

   « Et je suis venue, moi, de la part de Dieu,
« Te dire de changer de vie ;

   « De laisser de côté le vin et les filles,
« D’étudier pour devenir prêtre ;

   « Et quand tu te seras fait prêtre,
« Quatre messes tu auras à dire :

   « Une pour ton père, une pour ta mère,
« Une pour toi-même ;

   « Une autre, devant l’Esprit-pur, (le Saint-Esprit),
« Pour qu’il me délivre de ma peine !

   « Et dans le paradis, ou aux alentours,
« Si tu te conduis bien, nous nous reverrons[1] ! »


Femme Mao, 1883.
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  1. Var. :
    « Durant votre première messe, vous mourrez,
    « Alors, moi, je serai délivrée ! »