Chansons populaires de la Basse-Bretagne/La petite Margot



LA PETITE MARGOT
________


I

En revenant de Saint-Jean-du-Doigt,
A vous, Margodic, je promis

Que jamais, au grand jamais, femme,
Si ce n’est vous, Margot, je n’épouserais.

Sauf votre grâce, monsieur, merci !
Je ne mérite pas cet honneur.

Vous êtes le fils d’un conseiller,
Je suis la fille d’un jardinier.


— Pour être fils de grande maison,
Margodic, je ne fais aucun cas,

Pourvu que je puisse me trouver mieux
De votre affection, avant de mourir.

— Mon affection, tant que je vivrai,
Pour cela, monsieur, je puis vous en assurer.

Pour cela, monsieur, je vous en assurerai,
Mais non en vue du mariage.

— Margodic, dites-moi,
Qu’est-ce qui est cause que vous ne m’aimez point ?

Qu’est-ce qui est cause que vous ne m’aimez point ?
J’ai des biens, vous n’en avez pas.

— Et quand même vous auriez des biens, monsieur,
Moi, j’ai de la beauté, qui les vaut bien !

Et elle vaut plus, ma beauté,
Que tous les biens que vous avez au monde !

Bien que je ne sois qu’une femme de peu,
Bien que je ne sois que la fille d’un jardinier,

Je sais lire, écrire sur papier,
Tout aussi bien qu’un fils de conseiller.

— Margot, Margot, ma douce jolie,
Viendriez-vous avec moi dans ma chambre

Viendriez-vous avec moi dans ma chambre ?
Je vous ferai heureuse et riche de cinq cents écus.

— Gardez, monsieur, vos cinq cents écus,
Ou donnez-les à qui il vous plaira ;

Ou donnez-les à qui il vous plaira !
Pour moi, je n’en veux point.

Margodic, dites-moi,
Viendriez-vous avec moi à ma maison !

Viendriez-vous avec moi à ma maison ?
Je vous ferais une existence sans souci.

Je vous habillerai de goege
Et de pourpre et de cadrinè[1]

— Le goeg, monsieur, ne sied qu’aux gens d’église,
Et la pourpre appartient aux bourgeois,


Aux gentilshommes le cadriné ;
Moi je ne veux aucune de ces étoffes.

Du diable, si nul de ma race
A eu dix écus de rente,

A eu dix écus de rente !
Je ne connais pas ces comptes-là.

Quand j’irai vous demander, Margot, à votre maison,
Ne me faites pas une réponse fâcheuse,

Mais faites-moi une réponse favorable,
Comme celle que fit votre mère à votre père.

Oh ! suivant la demande que vous ferez,
Monsieur, vous serez répondu.

Car si vous demandez agréablement,
On vous répondra favorablement.

Mais si vous faites demande malhonnête,
On coupera court à votre compliment

II

— Marguerite, dites-moi,
Maintenant que vous êtes devenue ma femme,

Maintenant que vous êtes devenue ma femme,
Si vous m’aimez par-dessus chacun ?

Oh ! oui bien sûr, je vous aime,
Comme si j’avais beauté et rentes.

Si vous étiez mis en prison,
Enfermé sous trois clefs,

J’engagerais toutes mes rentes,
Pour vous tirer de là.


Marguerite Philippe, 1872.
__________


  1. Goeg et cadrinè, tissus anciennement usités et dont je ne connais pas les noms en Français.