Chansons populaires de la Basse-Bretagne/L’ivrogne (deuxième version)


L’IVROGNE
(deuxième Version)
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Le plus joli métier qu’il y ait sur terre, c’est chanter et siffler,
S’attabler pour manger et boire, dans quelque bonne auberge ;
S’attabler pour manger et boire, dans une auberge royale,
(Avec) une fillette gentille pour vous servir et des sonneurs
________________________________________ pour sonner le bal.

Grandement fâchée est ma maîtresse, de ce que je fume,
De ce que je vais, la nuit, jouer, et, le jour, boire,
De ce que je n’aime pas à rester près d’elle travailler, nuit et jour ;
Ni dimanches ni fêtes elle ne me lâcherait, sur ma foi !

Autrefois, quand j’étais petiot, sur les genoux de ma mère, près du feu,
Nul ne savait ce qui m’arriva, si ce n’est moi seul.
(Un jour) qu’elle me tenait dans son giron, j’avalai une braise,
Depuis, je m’efforce de l’éteindre, en l’arrosant de vin rouge
________________________________________et de vin blanc.

Lors même que j’y dépenserais tout mon avoir, je ne pourrais
________________________________________en venir à bout:
C’est un tison de l’Enfer,sans nul doute, que j’ai dans le gosier.
Quand la mer grande passerait sur lui, avec tous ses poissons,
Toujours brûlerait le tison, et toujours j’aurais soif !

Au nom de Dieu ! camarades, lorsque je serai enseveli,
Mettez neuf ou dix réaux, dans la queue de ma chemise,
Afin que je paie mes écots, partout où je passerai,
Et que je paie bouteille aux ivrognes, le long de ma route !

Au nom de Dieu ! camarades, quand je serai mis en bière,
Mettez-moi une croûte de pain, dans le coin de mon cercueil,
Une croûte de pain de seigle, un bon morceau de lard ;
Le bétail, à ce que j’entends dire, est rare en l’autre monde.

Au nom de Dieu ! camarades, enterrez-moi dans la cave au vin,
Mes pieds sous la barrique, ma bouche sous la chantepleure,
Les gouttes qui s’égoutteront le cœur me soulageront,
Et si la barrique défonce, plein mon corps je boirai !

Au nom de Dieu ! camarades, ne me faites pas sonner le glas,
Car les tiges des verres que j’ai cassés,voilà ce qui pour moi sonnera
Car les tiges des verres que j’ai cassés,voilà ce qui pour moi sonnera ;
L’hôtelier et l’hôtelière, voilà ceux qui porteront mon deuil.


« Mange-boutique, mange-tout, tu as mangé tes picaillons ! »
Voilà comme les oiseaux m’interpelleront, quand je passerai ;
Encore diront-ils, hélas !, — c’est ce qui me fera le plus de peine, —
« Là-bas tu ne boiras, ni cidre, ni vin, ni de l’eau pas davantage,
________________________________(tu ne boiras) que du feu ! »


Chanté par Joseph Genveur. — Plouaret, 1840.
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