Chansons de la roulotte/Le duel Orléans-Turin
Orléans-Turin [1]
Le princ’ prétendait un’ chose.
Le comt’ disait : « C’est pas vrai !…
— C’est toujours vrai quand j’ cause !…
Que dit l’princ’. — Non !… que l’comt’ fait. »
Ils auraient pu l’ jouer à la raquette,
Au tric-trac, au bouchon, au tonneau.
Ils avaient l’jaquet,
L’écarté, l’piquet,
Le loto,
Le bonn’teau,
La crapette.
’Préfèrèr’nt l’épée… On est libre.
Donc : l’épée ; un point, et en sec.
Avant le signal d’usage,
Le rusé comt’ de Turin
Prit un premier avantage.
Arrivé sur le terrain,
Il ôta sa chemise en toil’ fine,
En mit une autre qu’il apportait.
C’est un’ bagatelle,
Sans doute, mais celle
Qu’il ôtait,
Dame ! était
Transalpine !
Comm’ le temps était à l’orage,
Le princ’ fut très incommodé.
Puis, autre petit’ rouerie,
Au prince il dit : « Monseigneur,
Des soldats de ma patrie
Vous niâtes la valeur.
Cette affaire est la leur, non la mienne.
Dès lors, votre Altesse est informée
Que, dans ce tournoi,
Je ne suis pas moi,
Mais l’armée
Dénommée
Italienne ! »
Alors, naturell’ment le prince
Se dit : « Chouett’ ! pas besoin d’me fouler ! »
En outre, une déconv’nue
Énerva l’princ’ d’Orléans.
La press’ s’était abstenue ;
Les fauteuils restaient béants.
C’pauvre Henri ronchonnait, l’épée molle
« Certe, il est trop matin pour Sarcey.
Mais, nom d’un navet !
Si j’n’ai ni Charvay,
Ni Valoys,
Ni Docquois,
Ni Chincholle,
Qu’est-c’ qui décrira mon costume ?
’Va falloir que j’ paie mon tailleur ! »
Enfin, dès la premier’ botte,
L’épée d’Orléans faussa
Un bouton de la culotte
De Turin qui, voyant ça,
S’mit à faire un pétard de tonnerre,
Et dit, en s’fendant à tour de bras :
« Diavolo ! c’bouton
Était en laiton !…
Or, là-bas,
Nous n’somm’s pas
Millionnaires !
J’comptais fair’ des économies
En l’passant sur un omnibus… »
Vlan ! Le princ’ mord la poussière.
Les deux docteurs, consultés,
Disent : « C’est son heur’ dernière.
Mais ça n’fait rien… Écoutez :
… Si l’trait’ment que nous allons prescrire
Pass’ dans les journaux, il ira mieux. »
Quelques heur’s après,
Du Gange aux Aubrays,
Tous les yeux
Larmoyeux
Pouvaient lire :
Une tasse de camomille,
Un d’mi-verr’ d’eau de Rubinat.
Pendant c’temps là, l’Italie
Célébraillait le vainqueur,
Et, joyeuse à la folie,
Se complimentait en chœur ;
Et criait à l’Europe : « Es-tu sourde ?
Quand j’te dis qu’le vaincu, le battu,
La nation dotée
De la tripotée,
Le battu,
Comprends-tu,
’Spèc’ de gourde ?
C’est pas nous, c’est pas l’Italie !
Hein ? dis, crois-tu qu’c’est épatant ! »
- ↑ Variante : le duel du prince d’orléans et du comte de turin.