Champignol malgré lui
Personnages
modifierPièce en trois actes
Représentée pour la première fois au théâtre des Nouveautés, le 5 novembre 1892,
écrite en collaboration avec Maurice Desvallières
Personnages
- Champignol : MM. Germain
- Saint-Florimond. : Guy
- Chamel : Polin
- Singleton, son gendre : Samson
- Camaret, capitaine : Tarride
- Célestin : Clerget
- Fourrageot, commandant : Lauret
- Ledoux, adjudant : Poudrier
- Bélouette, sergent : Sarborg
- Grosbon, caporal. : Calvin Fils
- Bloquet, caporal : Hippolyte
- Le prince de Valence, territorial : Rablet
- Badin, territorial : Boniface
- Lafauchette, territorial : Cave
- Pinçon, territorial : Aunoble
- Lavalanche, territorial : Girault
- Jérôme : Prosper
- Joseph : Leroy
- Le brigadier de gendarmerie : Petitbon
- Rouche, territorial : Destrem
- Un perruquier : Ragot
- Un caporal : Barbot
- Angèle, femme de Champignol : Mmes Jane Pierny
- Mauricette, fille de Chamel : Narlet
- Adrienne, fille de Camaret : Aumont
- Charlotte : Netty
Le 1er acte à Paris, dans l’hôtel de Champignol.
Le 2e acte à Clermont.
Le 3e acte chez Mme Rivolet, dans les environs de Clermont
Acte I
modifierÀ droite la chambre de madame Champignol. — À gauche, premier plan, porte donnant sur les appartements. — Au deuxième plan, grande fenêtre, porte au fond, donnant sur l’antichambre. — Au fond de l’antichambre, porte donnant sur l’escalier. — Tableaux sur des chevalets. — Etudes sur les murs, etc. — À droite, premier plan, une table flanquée de deux chaises, sur la table une tasse de chocolat servie ; à gauche, un canapé, et, à côté du canapé et à droite, deux chaises volantes. — Au fond contre le mur, une toile placée sur une chaise et retournée.
Scène première
modifierSaint-Florimond, puis Angèle
Au lever du rideau, la scène est vide ; Un coucou sonne huit heures, puis on entend une clef tourner dans la serrure de la porte d’entrée, au fond de l’antichambre, qui s’ouvre et Saint-Florimond paraît.
Saint-Florimond, descendant au milieu. — Ouf ! j’y suis ! Oh ! que c’est bête ! Tenez, mon cœur fait flac ! flac ! on l’entend battre ! Oh ! un homme qui à un commencement d’hypertrophie ne devrait jamais se lancer dans les escapades amoureuses. (Il remonte.) Enfin, je serais le mari ! Je serais venu jusqu’ici, calme, tranquille ! Eh ! bien, je suis l’autre !… En avant mon cœur !
Il passe derrière la table de droite, va à la porte de droite et frappe.
Voix d’Angèle. — C’est vous Victoire ?
Saint-Florimond, voix de femme. — Oui !… (À part.) Elle va me faire une scène !
Voix d’Angèle. — Eh bien, entrez !
Saint-Florimond, id. — Oui !
Il ouvre la porte.
Voix d’Angèle, poussant un cri. — Ah ! vous !… Voulez-vous sortir !
Saint-Florimond. — Ah ! elle sort du bain !
Voix d’Angèle. — Mais fermez donc ! Mais fermez donc !
Saint-Florimond. — Oui, non,… mais… (La porte se ferme brusquement sur son nez.) Oh ! qu’est-ce que je vous avais dit ! qu’elle me ferait une scène ! Qu’est-ce que je vous avais dit ! Les femmes sont drôles ! (Il s’assied.) Je serais le mari… Je serais entré là… calme, tranquille… je suis l’autre… on me flanque à la porte ; voilà la vie ! Et dire que voilà deux heures que je fais le pied de grue devant l’hôtel de madame Champignol, attendant l’heure propice pour entrer. (Il s’assied à la table de droite, le dos à la porte de madame Champignol.) Oh ! non, mais mon cœur !… Il y a deux choses qui me tiraillent : mon cœur par l’émotion et mon estomac par l’appétit ! Je n’ai rien pris, moi, ce matin ! (Avisant la tasse de chocolat sur la table et la buvant tout en parlant)… et je ne sais pas quand je pourrai prendre quelque chose ! Mais, bah ! les amoureux, ça ne mange pas !
Il avale le reste de la tasse.
Angèle, sortant de la chambre de droite et se plaçant au bout de la table à laquelle est installé Saint-Florimond, face au public. — Ah çà ! Monsieur ! que signifie cette conduite ?
Saint-Florimond. — Angèle, je ne vous dirai qu’un mot ! (Se fourrant une rôtie dans la bouche, et parlant la bouche pleine,) C’est l’amour !
Angèle, descendant. — Ah ! mais, Dieu me pardonne ! Vous me mangez mon chocolat !
Saint-Florimond. — C’est votre chocolat ? Il est bon
Angèle. — Comment ! Il est bon !
Saint-Florimond. — Euh ! il était bon !
Angèle. — Enfin, monsieur, c’est insensé ! Quand je vous avais interdit de mettre les pieds ici, venir comme cela à huit heures du matin !
Saint-Florimond. — C’est pour ne pas vous compromettre !
Angèle. — Elle est jolie votre raison !… Enfin, on a dû vous voir !
Saint-Florimond, se levant, allant jusqu’à la porte du fond pour s’assurer s’il ne vient personne, puis redescendant à côté d’Angèle. — Mais non !… Je me suis dit au contraire : c’est l’heure !… l’heure où, tous les matins, les domestiques sont en courses… J’ai attendu qu’ils soient sortis !… Et comme, d’autre part, je savais que votre mari était en voyage depuis un mois, je me suis dit : elle est seule !
Angèle. — Je vous avais défendu de venir ! Je vous l’ai écrit, n’est-ce pas ? "J’entends que tout soit fini entre nous ! Renvoyez-moi ma clef, cette clef que j’ai eu l’imprudence de vous donner."
Saint-Florimond. — Si je suis là, c’est justement à propos de la clef !… Elle m’a même servi pour entrer, la clef !
Angèle, gagnant la gauche et se trouvant à la hauteur du canapé. — Vous n’aviez pas besoin de venir, vous pouviez l’envoyer par colis postal.
Saint-Florimond, la suivant. — J’y ai pensé ! Seulement, on m’a dit qu’il fallait déclarer l’objet !… Vous comprenez que je n’ai pu mettre sur la boîte : "Clef de la porte d’entrée de l’hôtel de madame Champignol." Qu’est-ce qu’il aurait pensé, l’employé ?
Angèle, s’asseyant sur le canapé. — Il n’y avait pas besoin de dire toutes ces choses.
Saint-Florimond, debout à côté d’elle. — Et puis… et puis, s’il faut vous l’avouer, j’avais une autre idée en venant moi-même ! Je me disais : non ! le dernier mot n’est pas encore dit ! Cette lettre de congé ne peut être définitive ! et je n’en veux pour preuve que cette parole pleine d’espoir qu’elle contenait.
Angèle. — Quelle parole ? quelle parole pleine d’espoir ?
Saint-Florimond. — "J’entends que tout soit fini entre nous !"
Angèle. — Vous avez trouvé de l’espoir là-dedans ?
Saint-Florimond. — Dame !… Il n’est pas possible que tout soit fini entre nous, me suis-je dit, puisque rien n’a été commencé !… Donc, si elle commence par la fin, elle finira peut-être par le commencement !
Il s’asseoit sur le canapé au n° 2, à côté d’Angèle.
Angèle, railleuse. — Ah ! Ah !
Saint-Florimond. — Angèle !
Il veut lui prendre la taille.
Angèle, se dégageant, se levant et passant au n° 2. — Non ! non !… Il n’y a plus d’Angèle, mon ami ! Merci !… Assez de ces petites fêtes !
Saint-Florimond, se levant et la suivant. — Quelles petites fêtes ?
Angèle. — Eh ! celle de Fontainebleau !
Saint-Florimond,. — Cela a été une veste !
Angèle. — Cela a été le triomphe de ma vertu !
Saint-Florimond. — Cela n’est pas de votre faute !
Angèle, elle s’asseoit sur la chaise qui est à gauche de la table de droite. — Vous croyez, monsieur ?
Saint-Florimond, passant derrière la table, puis redescendant de l’autre côté. — Je suppose que vous n’aviez pas consenti à aller passer deux jours avec moi à Fontainebleau pour voir les carpes. (S’asseyant sur la chaise qui est de l’autre côté de la table, en face d’Angèle.) Si vous n’aviez pas rencontré là ces parents de la province… votre oncle… Comment s’appelle-t-il déjà ?
Angèle. — Chamel.
Saint-Florimond. — Il y a des gens qui ont des noms prédestinés !
Angèle. — Quoi, c’est un nom suisse ! Il est Suisse…
Saint-Florimond. — Si vous n’aviez pas rencontré votre oncle Chamel, avec sa fille et son gendre, le petit Singleton…
Angèle, se levant et passant à gauche n° 1. — Ah ! bien ! oui !… parlons-en de cette rencontre, ça vous ressemble bien ! (Saint-Florimond se lève et descend vers Angèle.) Il y a tant d’autres villes en France que Fontainebleau… tant d’autres hôtels que le "Cadran Bleu", à Fontainebleau !… Et vous allez juste choisir la ville et l’hôtel où ils sont descendus pour leur voyage de noces !…
Saint-Florimond. — Est-ce que je pouvais le savoir ?
Angèle. — Eh bien ! on s’informe !
Saint-Florimond. — Soyez tranquille ! La prochaine fois, quand je descendrai dans un hôtel, je demanderai : "Vous n’avez pas de Chamel dans la maison ?"
Angèle. — Enfin, regardez les conséquences ! Voilà des gens qui sont persuadés que vous êtes mon mari !
Saint-Florimond. — Aussi, pourquoi leur avoir dit ?
Angèle. — Est-ce que je leur ai dit ?… Mais enfin, ne connaissant pas mon mari et vous trouvant seul avec moi à Fontainebleau, naturellement ils en ont conclu…
Saint-Florimond. — Que j’étais Champignol ! Et même, comme votre mari est peintre, votre oncle n’a pas eu de cesse qu’il ne m’eût fait faire un croquis : je lui ai fait la "Roche qui tremble", faite par moi ! Ah ! Je m’en souviendrai, de ce voyage à Fontainebleau !…
Angèle, passant au n° 2. — Oh ! moi aussi !… Heureusement que ces gens ne quittent jamais la province ! Enfin ! pour le moment, je suis décidée à en rester là ! Rendez-moi ma clef !
Saint-Florimond. — Rendez-moi ma clef !… Ainsi, vous voulez sérieusement que nous en restions là !… et que ça finisse comme ça,… en queue de poisson ?
Angèle. — Oui !…
Saint-Florimond. — Mais savez-vous bien que ce n’est pas honnête !… Car enfin, vous m’avez fait croire que vous m’aimiez !
Angèle. — Que voulez-vous, mon ami ! Vous êtes arrivé au moment psychologique. Mon mari était absent, j’ai fait votre connaissance dans le monde, vous m’avez fait la cour.
Saint-Florimond. — Je vous ai plu.
Angèle. — Non, je m’ennuyais… J’ai pu le croire moi-même que je vous aimais ! Mais puisque le ciel a voulu que je sorte intacte de cette équipée, je veux dorénavant rester fidèle à mon mari ! Le tromper, lui, un des premiers peintres de l’époque ! Non, je ne veux pas qu’on puisse dire de lui comme de tant d’autres maris, qu’il est… (À ce moment, la pendule sonne la demie : "Coucou.") Vous dites ?
Saint-Florimond, au milieu. — Ce n’est pas moi !… C’est la pendule !
Angèle, tout à fait à droite. — Ah ! je l’espère
Saint-Florimond, s’approchant d’Angèle. — Eh bien ! ma foi, vous avez raison, le replâtrage en amour, ça ne vaut jamais rien, l’affaire est manquée, à une autre !
Angèle. — Voilà comment il faut raisonner ! Moi, si j’avais un conseil à vous donner, ce serait de renoncer à toutes vos intrigues qui ne peuvent vous mener à rien, et d’épouser une brave petite femme : vous avez l’âge !
Saint-Florimond, indigné. — Me marier ! (Changeant de ton.) Mais je m’en occupe !
Angèle. — Vous vous en occupez ?… Et que ne le disiez-vous !
Saint-Florimond. — J’avais peur de vous vexer !
Angèle, remontant jusqu’à la table. — Ah ! c’est trop de délicatesse ! Et qui comptez-vous épouser ?
S’asseyant sur la chaise qui est à gauche de la table.
Saint-Florimond, debout à côté d’Angèle. — Je ne sais pas ! C’est une jeune fille qu’on doit me présenter demain soir dans un bal que donne sa tante, une Madame Rivolet, que je connais très peu, d’ailleurs !
Angèle. — Et où ça, ce bal ?
Saint-Florimond. — À Clermont, près de Creil…
Angèle. — Oh ! c’est un peu loin ! La jeune fille est jolie ?
Saint-Florimond. — Si elle est jolie ! Soixante-mille francs de rentes !
Angèle, elle se lève et passe au n° 1. — Ah ! mais, il n’y a pas à hésiter ! Faites donc ça, mon ami.
Saint-Florimond. — C’était bien mon intention !
Angèle. — Je ne l’aurais pas cru !… D’après les propositions que vous venez de me faire !…
Saint-Florimond. — Tiens ! ça !… c’était pour avant !… Mais après tout, vous avez raison ! Puisqu’il faut rompre, rompons !
Angèle. — C’est ça, mon ami ! Et maintenant, partez ! les domestiques n’auraient qu’à rentrer !… (Ils remontent jusqu’à la porte du fond, on entend des voix au dehors.) Ah ! mon Dieu, ce sont eux !…
Saint-Florimond. — Par où filer ?
Il se précipite vers la chambre de droite en passant derrière la table.
Angèle. — Non, pas par là !… c’est ma chambre !
Saint-Florimond. — Ma foi, tant pis !
Il entre dans la chambre de droite.
Scène II
modifierAngèle, Joseph, Charlotte
Angèle, à Joseph, qui entre du fond. — Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a, Joseph ?
Joseph, au fond, à gauche de la porte d’entrée. — Madame, c’est moi… Je reviens de faire les courses.
Angèle, derrière la table. — Ça m’est égal que vous veniez de faire les courses. Qu’est-ce que vous voulez ?
Joseph. — Je voulais dire à Madame. Madame n’a pas trouvé mon mot, hier soir ?
Angèle, descendant en scène, ainsi que Joseph. — Votre mot ?
Joseph. — Oui, je me suis permis de laisser un mot sur la table de nuit de madame, comme elle ne rentrait pas… alors pour aller me coucher… (Brusquement.) Je vais le chercher, madame.
Il se dirige vers la chambre en passant derrière la table.
Angèle, vivement, passant devant la table et allant se placer devant la porte de droite. — Non ! Non ! c’est inutile ! Quoi ! qu’est-ce que vous me disiez dans ce mot ?
Joseph. — Je disais respectueusement à Madame… qu’il est venu hier soir un gendarme pour monsieur !
Angèle, passant derrière la table et allant à Joseph qui se trouve au milieu de la scène à hauteur de la table. — Un gendarme ! Qu’est-ce qu’il voulait, ce gendarme ?
Joseph. — Mais, c’est à cause des treize jours de Monsieur ! Il paraît que Monsieur est convoqué pour les faire !
Angèle. — Mon mari, un des premiers peintres de l’époque ! Allons donc ! il ne les a jamais faits, ses treize jours !
Elle descend en scène toujours au n° 2.
Joseph. — C’est peut-être pour ça ! Enfin, le gendarme a dit qu’il y a trois jours que Monsieur devrait être au corps, que c’est le dernier avis.
Angèle. — Ah ! c’est trop fort ! Alors ils s’imaginent qu’on n’a que ça à faire ! Vous allez courir à la place tout de suite, et vous direz que nous regrettons beaucoup, mais que mon mari est en ce moment-ci en voyage. Vous direz qu’il fait le portrait de M. Vanderbilt !… Vous vous rappellerez le nom… Par conséquent, il ne peut pas faire trente-six choses en même temps. Il fera ses treize jours quand il reviendra.
Joseph. — Bien, madame, j’y vais.
Angèle. — A-t-on jamais vu ! Ah ! Joseph !… ma malle est prête, vous allez la faire descendre, car je prends le train de quatre heures pour Paramé !
Joseph. — Bien, madame.
Angèle, indiquant la tasse de chocolat sur la table de droite. — Emportez ceci !
Joseph prend la tasse et sort par le fond,
Saint-Florimond, paraissant à la porte de la chambre de droite. — Il est parti ?
Angèle. — Oui, et maintenant, vous, prenez votre chapeau et filez !
Saint-Florimond, faisant quelques pas vers la porte du fond. — Oh ! ça, je veux bien !
Voix de Joseph, dans l’antichambre. — Ah ! madame !
Angèle. — Oh ! rentrez ! (Elle le pousse dans la chambre de droite. À Joseph qui paraît.) Qu’est-ce qu’il y a encore ?
Joseph. — C’est cette bonne que Madame attendait de la province.
Angèle. — Eh bien, oui, plus tard !
Joseph. — Oh ! Madame, elle est là ! (À Charlotte qui paraît au fond.) Entrez, ma fille, entrez !
Angèle, descendant en scène. — Ce qu’il est assommant, ce garçon !
Joseph sort.
Scène III
modifierAngèle, Charlotte
Charlotte, saluant, accent normand. — Madame…
Angèle, s’asseyant sur la chaise qui est à gauche de la table de droite. — C’est bien ! Approchez, ma fille ! Vous m’êtes recommandée par le curé de Châtellerault, un vieil ami de la famille.
Charlotte, au milieu. — Un bien brave homme.
Angèle. — Il m’a dit que vous étiez une fille très recommandable.
Charlotte. — Ah ! ça, Madame, je peux le dire, je suis dans une position intéressante.
Angèle. — Vous dites ?
Charlotte. — C’est ma mère qui m’a mise dans cet état-là.
Angèle. — Votre mère ?… Ah çà ! voyons… Qu’est-ce que vous chantez ? Qu’est-ce que vous chantez ?
Charlotte. — Oui, ma mère, elle a fauté, ma mère ! Vous ne devez pas savoir ce que c’est que ça à Paris ? Eh bien, c’est quand on s’est laissé contourner par un homme… Elle a fauté, quoi !
Angèle. — Et avec qui !
Charlotte. — Avec le 5e cuirassiers ! Et même qu’elle l’a suivi, le 5e cuirassiers et qu’elle m’a abandonnée là, toute petite. Alors, ce brave curé, il dit comme ça : "Voilà un bébé qui est dans une position intéressante !"
Angèle. — Ah ! bien ! très bien ! j’aime mieux ça !
Charlotte. — Et c’est lui qui m’a élevée.
Angèle. — Lui ?
Charlotte, — Oui, Madame !… Ainsi que ma tante Pichu. Vous devez connaître son fils, il est à Paris, commissionnaire.
Angèle. — Non, connais pas !… mais, voyons, vous ne devez pas savoir faire grand’chose, vous ?
Charlotte. — Si, Madame ! je savons garder les vaches. Vous avez-t-il de ça à Paris ?
Angèle. — Non ! savez-vous coudre ?
Charlotte. — Oui, Madame ! Je savons coudre, je savons laver, je savons danser !
Angèle. — Ça, danser, ça m’est égal ! Enfin, avec tout ça, vous n’avez jamais servi ?
Charlotte. — Oh ! Madame, je sommes rosière.
Angèle, se levant et allant à Charlotte. — Ça n’a pas de rapport, ma fille ! Enfin vous avez de la bonne volonté, nous essayerons de faire quelque chose de vous, Je veux que mon mari, à son retour, vous trouve une domestique accomplie.
Charlotte. — Ah ! Madame a un hômme !
Angèle. — Comme vous dites… Il est en voyage, mais il doit revenir d’un moment à l’autre.
Charlotte. — Ah ! bien, je serai contente de le voir, ce brave homme.
Angèle. — Allons, c’est bien. Je vous prends, et pour commencer, vous aurez quarante francs par mois.
Charlotte : — Quarante francs ! en or ?
Angèle. — En or !
Charlotte. — Oh ! que Madame est bonne !
Angèle. — Blanchie et nourrie.
Charlotte. — Blanchite et nourrite ?
Angèle. — Oui… maintenant, allez !
Charlotte. — Oui, Madame.
Elle remonte. Angèle passe en courant au n° 2, se dirigeant vers la chambre de droite où est caché Saint-Florimond.
Charlotte, revenant. — Madame !
Angèle, se retournant. — Quoi ?
Charlotte. — Si c’était un effet de votre bonté d’accepter ce panier ?
Angèle. — Ce panier ?
Charlotte. — Oui, C’est des œufs !… Je me suis dit comme ça : ça fera peut-être plaisir à la bourgeoise, des beaux œufs de la campagne… Alors, je les ai bien choisis… les moins frais.
Angèle. — Comment, les moins frais !
Charlotte. — Oui ! on m’a dit qu’à Paris on ne mangeait jamais des œufs frais.
Angèle. — Elle est d’un primitif adorable… C’est bien, allez ma fille… Vous vous appelez ?
Charlotte. — Charlotte, Madame ! (À part.) Allons, je crois que je suis tombée dans une bonne maison.
Elle sort par le fond.
Scène IV
modifierAngèle, puis Saint-Florimond, puis Charlotte
Angèle. — Ouf ! maintenant lâchons l’autre ! (Allant à la porte de sa chambre et appelant.) Venez !
Saint-Florimond, paraissant. — On peut filer ?
Angèle. — Oui, dépêchez-vous !
Ils se dirigent tous deux vers la porte du fond.
Saint-Florimond. — Allons ! (S’arrêtant au milieu du théâtre et au fond, n° 2) Et voilà pourtant comment finit un roman où il ne s’est rien passé ! Adieu, Angèle, adieu ! (Un temps.) Angèle !
Angèle. — Quoi ?
Saint-Florimond. — Puisque nous sommes peut-être appelés à ne plus nous revoir sur cette terre, laissez-moi vous donner le baiser d’adieu !
Angèle. — Hein !
Saint-Florimond. — Oh ! mais non plus un baiser d’amant ! un baiser de frère.
Angèle. — Allons soit ! puisque c’est le dernier ! Mais dépêchez-vous !
Saint-Florimond l’embrasse.
Charlotte, reparaissant au fond et les voyant embrassés. — Oh !
Angèle et Saint-Florimond. — Oh !
Charlotte, bien naïve. — Monsieur !
Angèle et Saint-Florimond. — Monsieur !
Charlotte, descendant au n° 3. Monsieur qui est revenu de son voyage.
Saint-Florimond, à part. — Allons, bon ! elle, maintenant !
Charlotte. — Madame avait bien dit qu’elle l’attendait d’un instant à l’autre, seulement je ne croyais pas que c’était un instant si instant que ça.
Angèle. — C’est bien, ma fille, allez ! On ne vous a pas appelée.
Charlotte. — Madame, c’est égal, je suis bien contente d’être venue. (À Saint-Florimond) Monsieur a-t-il fait un bon voyage ? Est-il pas fatigué ?
Saint-Florimond. — Oui… non… oui…
Charlotte. — J’sommes Charlotte, la nouvelle bonne.
Angèle, se montant, — Oh ! oh ! oh !…
Charlotte. — Allez, Monsieur… vous devez avoir besoin de vous délasser. Donnez-moi votre cotte.
Saint-Florimond. — Mais non.
Charlotte. — Si ! si ! après le voyage, il y a plein de poussière, tenez ! c’est plein d’houille !
Elle lui tape dans le dos à tour de bras.
Saint-Florimond. — Oh ! là là ! Eh ! bien, en voilà des manières !
Angèle, — Et puis, en voilà assez ! qui est-ce qui vous demande quelque chose ? Qu’est-ce que vous êtes venue faire ici ?
Charlotte. — Madame, j’étais venue pour vous dire que je ne trouvais pas ma chambre.
Angèle. — Eh bien ! allez attendre à la cuisine.
Charlotte : — Je m’en vais, Madame je m’en vais ! (À part.) Je vas lui chercher sa robe de chambre à ce brave homme !
Elle sort par le fond.
Scène V
modifierAngèle, Saint-Florimond
Angèle, — Oh ! non ! c’est trop fort ! Vous avez entendu ! Encore une qui vous prend pour mon mari !…
Saint-Florimond. — C’est un sort !
Angèle. — C’est mon sort !… Aussi, vous aviez bien besoin de m’embrasser !
Saint-Florimond. — Est-ce que je pouvais savoir qu’elle allait entrer ?
Angèle — Ah ! "Est-ce que je pouvais savoir ?", vous ne savez répondre que ça !
Saint-Florimond. — Ah ! Dame !
Angèle. — Vous voyez le résultat ! Allons, voyons ! Est-ce pour cette fois ? Allez-vous partir ?
Saint-Florimond. — Oui, oui, je pars, Angèle. Adieu ! Adieu ! pour toujours !
Angèle. — C’est ça ! c’est ça ! (Saint-Florimond sort par le fond.) Ouf ! m’en voilà débarrassée ! (Descendant à l’avant-scène.) C’est égal, me voilà dans une drôle de situation avec cette fille qui le prend pour mon mari ! Je n’ai qu’un parti à prendre, je vais la mettre à la porte aujourd’hui même. Tant pis pour sa position intéressante. Mais ma sécurité avant tout ! (Le coucou sonne neuf heures.) Neuf heures ! et je suis encore en peignoir… Moi qui ai des courses à faire… je vais m’habiller.
Elle rentre à droite en passant devant la table. Le coucou achève de sonner neuf heures ; puis on entend du bruit au fond et la porte d’entrée s’ouvre précipitamment.
Scène VI
modifierSaint-Florimond, puis Chamel, puis Singleton et Mauricette
Saint-Florimond, se précipitant en scène. — Les Chamel ! voilà les Chamel ! Ils montent l’escalier !… où me cacher ?
Il se cache derrière le canapé en laissant passer sa tête par-dessus le dossier.
Chamel, accent suisse, avec Singleton et Mauricette, paraissant à la porte d’entrée du fond. — Eh ! bien, voyons, Champignol !
Tous, apercevant Saint-Florimond. — Ah !… le voilà.
Saint-Florimond, à part. — Ça y est ! pincé ! (Haut, allant aux Chamel.) Vous ! Ah ! la bonne surprise !
Chamel, descendant au n° 3. — Fus ne nus entendiez donc pas ? Nus fus abbelions.
Saint-Florimond, descendant au n° 4. — Comment ! c’était vous ? Ah ! c’est curieux, je croyais que ça venait d’en haut. Aussi, je courais…
Chamel, bien réjoui. — C’était nous ! foui ! foui !
Pendant les répliques précédentes, Mauricette est descendue au n° 1 et Singleton au n° 2.
Mauricette. — Bonjour, M. Champignol.
Singleton, — Bonjour, M. Champignol.
Saint-Florimond, avec une joie affectée. — Bonjour ! Ah ! là ! là ! la bonne surprise ! (À part, au public, en passant au n° 4.) Non ! et vous croyez que c’est facile de sortir d’une maison ?
Chamel. — Ah ! ah ! Vous ne nous attendiez pas, hein ?
Saint-Florimond. — S’il faut vous dire franchement le fond de ma pensée… non !
Chamel. — Là ! Tu fois, Mauricette, je te l’avais dit ! Il ne nus attendra pas, ton cusin !
Singleton. — Il faut vous dire que je vais faire mes vingt-huit jours.
Mauricette. — Comme c’est amusant pour de nouveaux mariés !
Chamel. — Tais-toi, petite ! un peu de séparation, c’est pon pour les nouveaux mariés. Fus n’imaginez pas. Champignol ! Ils sont tégoûtants, ces petits !… C’est des moineaux !
Singleton. — Oh ! bien, des jeunes mariés ! C’est bien permis.
Il embrasse Mauricette.
Saint-Florimond. — Mais oui… ! mais oui ! Et puis, ça passera !… Dites donc, vous ne voulez pas venir faire un tour ?
Chamel. — Mais non ! Pas di tout ! Pas di tout !
Il s’asseoit sur la chaise qui est à gauche de la table de droite.
Singleton. — Nous aimons mieux nous reposer.
Il s’asseoit au n° 2 sur le canapé de gauche, Mauricette à côté de lui, au n° 1.
Saint-Florimond, à part. — Oh ! là ! là ! Qu’est-ce qu’elle va dire, Angèle, quand elle va me retrouver là ! Et avec la famille !
Chamel. — Fus comprenez ! Nous avons déjà voyagé, et encore tout à l’heure, il faut que nous prenions le train de dix heures pour le pétit, qui va faire ses vingt-huit jours à Clermont, alors, nous afons dit : nous afons une heure à rester à Paris, nous allons aller la passer chez les cusins.
Saint-Florimond. — Ah ! c’est une bonne idée ! Je disais justement à madame Champignol : on ne verra donc jamais les Chamel ?
Chamel, se levant et descendant en scène n° 3. — Eh ! bien les foilà, les Chamel ! les foilà ! (À Singleton et à Mauricette qui s’embrassent.) Allons, tenez-vous, les pétits.
Mauricette. — Mais ne vous occupez donc pas de nous !
Chamel. — Mais, à propos, et Anchèle ?
Saint-Florimond. — Anchèle ?
Chamel. — Eh ! bien foui, Anchèle, votre femme !
Saint-Florimond. — Ah ! oui, Anchèle, ma femme !
Chamel. — Est-ce qu’on ne va pas la foir ?
Saint-Florimond. — Eh ! bien, non ! je ne crois pas ! Elle est souffrante !
Mauricette, se levant et descendant, — Souffrante ?
Singleton, même jeu. — Qu’est-ce qu’elle a ?
Saint-Florimond. — Je ne sais pas… Depuis quelque temps, elle éprouve des vertiges, des nausées… des douleurs dans les reins.
Chamel, lui portant des bottes, en riant. — Je comprends ! Mes compliments, mon cher !
Saint-Florimond. — Qu’est-ce qui lui prend ?
Chamel. — Oui ! oui ! je comprends !
Saint-Florimond. — Oui ! Eh bien ! il a de la chance !
Scène VII
modifierLes Mêmes, Angèle
Elle sort de sa chambre, habillée.
Angèle. — Ah çà !… qui est donc dans l’atelier ? (Les reconnaissant.) Eux !
Chamel. — Ah ! la foilà, Anchèle !
Angèle, apercevant Saint-Florimond. — Et lui ! avec eux !
Mauricette. — Bonjour, cousine.
Angèle, descendant au n° 3, entre Singleton et Chamel. — Ah ! quel plaisir de vous voir ! (À part.) Eh ! bien, il ne manquait plus que ça !
Saint-Florimond. — J’ai rencontré votre oncle dans l’escalier, c’est lui qui m’a ramené ici.
Singleton. — Ma chère Angèle !
Chamel. — À propos ! il paraît qu’il y a du noufeau, ici ?
Angèle. — Quoi donc ?
Chamel. — Champignol nous a dit tout. (À Saint-Florimond.) N’est-ce pas ?
Saint-Florimond. — Hein ! moi ! quoi donc !
Chamel. — Il paraît qu’il va bientôt vous rendre mère ?
Angèle. — Comment, il vous a dit ?…
Saint-Florimond. — Moi ?… Mais pas du tout !
Angèle, furieuse, levant les bras au ciel. — Vous avez dit ça ! vous ?
Chamel, lui faisant baisser les bras. — Ne levez pas les bras ! ne levez pas les bras !
Angèle. — Eh ! laissez donc, mon oncle ! C’est faux, entendez-vous ?
Chamel. — Allons, voyons ! Pourquoi le cacher ? Entre mari et femme, c’est bien naturel.
Angèle. — Mais pas du tout !… C’est que ça n’est pas (Elle passe au n° 5 ; à Saint-Florimond.) Est-ce que vous n’êtes pas fou de raconter des choses semblables ?
Saint-Florimond. — Mais, je vous assure, Angèle…
Scène VIII
modifierLes Mêmes, Charlotte
Charlotte, entrant du fond, tenant un veston de velours violet. — Ah ! v’là la jaquette !
Saint-Florimond, il gagne la droite à côté d’Angèle. — Allons ! bon ! La bonne !
Angèle. — Qu’est-ce que vous voulez-vous, vous ?
Charlotte, descendant au n° 4. — Pardon, excuse la compagnie ! je ne savions pas qu’il y avait tant de monde, j’apporte la jaquette à M. Champignol.
Saint-Florimond et Angèle. — Oh ! oh !
Chamel. — Et bien, on vous apporte votre veston.
Charlotte. — Oui, allez ! monsieur Champignol, donnez-moi votre cotte.
Saint-Florimond, se débattant et passant au ; n° 4. — Mais non ! mais non !
Charlotte. — Mais si ! C’est qu’il est fatigué, ce pauvre monsieur, il vient de voyage.
Tous. — De voyage ?
Chamel. — Vous fenez de foyage ?
Saint-Florimond. — Hein ! oui ! oh ! petit voyage ! petit voyage !
Chamel. — Mais alors, ne vous gênez pas ! mettez votre feston.
Mauricette, et Singleton. — Oui, oui,… mettez votre veston !
Saint-Florimond, se laissant déshabiller par Chamel et par Charlotte. — Non ! non ! Mais ils m’installent ! ils m’installent !
Angèle, à part. — Oh ! cet homme-là !… il me rendra folle !
Charlotte, à Saint-Florimond qui a mis le veston qui lui est beaucoup trop large. — Là ! voyez ! vous êtes beaucoup mieux comme ça !
Chamel. — Sapristi ! vous avez maigri !
Saint-Florimond. — Maigri ?
Chamel, lui retroussant son veston. — Regardez comme il est devenu large !
Saint-Florimond. — Oh ! c’est exprès ! les vêtements d’intérieur, je les fais toujours faire comme ça !
Charlotte, prenant la redingote. — Maintenant, je vais aller brosser votre cotte !
Saint-Florimond. — Mais non… Mais pas du tout !
Charlotte, remontant. — Mais si ! mais si ! Je vais la brosser ! je la mettrai près du lit de madame, Monsieur la retrouvera en se couchant.
Elle sort par le fond et emporte la redingote.
Scène IX
modifierLes Mêmes, moins Charlotte
Saint-Florimond, à part, agacé. — Oh ! cette bonne !
Angèle, bas. — Vous voyez ce dont vous êtes cause, vous voyez !
Saint-Florimond, bas. — Chère amie, si j’avais pu prévoir…
Angèle, bas. — Oh ! toujours la même chose !
Chamel. — Et où avez-vous été en voyage ?
Saint-Florimond. — Moi ?… Je n’ai pas été… (Se reprenant.) Ah ! oui, oui, j’ai été… Oh ! j’ai été faire un portrait à l’étranger… à Tours
Chamel. — Un portrait ? Ah ! au fait, ça me fait penser que j’ai quelque chose à vous dire. (À Singleton et Mauricette qui sont assis sur le canapé et s’embrassent.) Allons bon ! ils s’embrassent encore ! quels moineaux ! quels moineaux !
Mauricette. — Oh ! voyons, papa !
Chamel. — Mais ça ne se fait pas devant le monde ! Tiens, regarde monsieur et madame Champignol, ils s’aiment bien et ils ne s’embrassent pas ! Ils n’ont pas l’air de deux amants ! Mais dame ! allons… donnez le croquis, Singleton !
Saint-Florimond. — Le croquis ?
Singleton, donnant le croquis collé sur un bristol qu’il a apporté en entrant et déposé sur le canapé. — Voilà, beau-père !
Chamel, le tendant à Saint-Florimond. — Tenez !
Saint-Florimond, (À part.). — Sapristi ! "ma Roche qui tremble" ! (Riant.) Ah ! Ah ! c’est… c’est mon croquis… oui… ! il est joli !
Chamel. — Eh ! bien, non… il paraît que non !… Che l’ai montré à un marchand de tableaux. Il m’a dit "Ça, un Champignol ! chamais de la vie !…"Chai eu beau dire que j’étais là quand fus l’avez fait… il m’a dit : "Eh bien ! si c’est un Champignol, je fus engagé à le faire signer… il y gagnera… Alors, che l’ai apporté.
Saint-Florimond. — Le signer, moi ? (À part.) Faire un faux ! oh non ! (Haut.) Non ! non ! Les croquis, je ne les signe jamais !
Chamel. — Cependant…
Saint-Florimond. — Mais non ! on sait que je ne les signe pas ; alors, si je le signais, ça suffirait pour faire dire qu’il est faux !
Chamel. — Fus croyez ?… Ah ! alors, je ferai mettre une étiquette avec "Champignol" dessus.
Il remonte et va s’asseoir sur le canapé à côté de Singleton et de Mauricette avec lesquels il examine le croquis.
Saint-Florimond. — C’est ça !… c’est ça !… (À part.) Eh ! bien, il pourra se vanter d’avoir un fameux Champignol !
il rit.
Angèle. — Il n’y a pas de quoi rire !
Saint-Florimond. — C’est vrai !
Angèle — Mais ils ne s’en vont pas, (Allant à Chamel en passant devant Saint-Florimond) Eh ! bien, maintenant, mon oncle, je vois que vous êtes pressé, je ne veux pas vous retenir.
Chamel, assis sur le canapé, regardant le croquis. — Hein ! Moi ?
Saint-Florimond. — Non, non ! ne vous gênez pas ! Je vous accompagnerai…
Chamel, se levant et descendant en scène ainsi que tous les autres personnages. — Mais pas di tout ! Qui est-ce qui dit ça, que je étais pressé ! Qui est-ce qui dit ça ? Nous devons prendre le train de dix heures et demie pour Clermont. (Le coucou sonne la demie.) Neuf heures et demie, nous avons bien le temps.
Angèle. — C’est que, cependant, si vous aviez à faire… Il y a si longtemps que vous n’êtes venu à Paris ! Vous n’avez peut-être pas vu la Tour Eiffel ?
Chamel. — Oh ! si, je l’ai en épingle de cravate. (Passant devant Angèle et allant à Saint-Florimond.) En province, on ne voit que ça ! Elle me dégoûte la tour Eiffel, elle me dégoûte !
Saint-Florimond. — Oh ! alors…
Chamel. — Non, je vais rester ici. Chai dit aux pétits ; nous avons une heure à passer à Paris, nous allons voir votre cusine. Les pétits, ils voulaient aller à l’hôtel… parce que, vous comprenez, eux,… mais je leur ai dit : "Chamais de la vie !… Aller à l’hôtel dans le jour, ce n’est pas prôper."
Angèle. — Ah ! que c’est donc aimable à vous !… (À part.) Ils ne s’en iront pas !…
Chamel, passant devant Angèle et allant au n° 3. — Mais dites donc, cousine, si nous pouvions nous donner un coup de brosse… parce que le chemin de fer…
Angèle. — Mais rien de si simple. (Bas à Saint-Florimond.) Vous en profiterez pour partir ! (Haut.) Je vais vous accompagner !
Chamel. — Fous, mais pas du tout. Champignol est là, il va nous accompagner, Champignol.
Saint-Florimond, passant au n° 4. — Moi ! mais puisqu’Angèle…
Chamel. — Angèle va rester ici, elle ne doit pas se fatiguer, parce que dans son état…
Pendant toute cette scène, Mauricette et Singleton sont au fond, à gauche.
Angèle. — Encore ! mais puisque je vous dis que je ne suis pas…
Chamel. — Laissez donc, allons, fenez, Champignol !
Il prend Saint-Florimond par le bras et sort avec lui par la gauche, à la suite de Mauricette et de Singleton.
Saint-Florimond. — Oh ! là ! là ! Je suis de la famille !
Scène X
modifierAngèle, puis Joseph
Angèle, qui a été jusqu’à la porte de gauche, regagnant le milieu de la scène, — Oh ! la famille ! la famille ! Mais c’est donc une gageure ! Tout le monde se mettra donc contre moi pour m’empêcher de sortir de ce pétrin ! Quelle leçon, mon Dieu ! quelle leçon !
Joseph entre du fond.
Joseph. — Ah ! Madame… Je reviens de la place !
Angèle. — Eh bien, c’est bien, ça suffit
Joseph. — Non, Madame, ça ne suffit pas !
Angèle. — Comment, ça ne suffit pas !… Quoi ! Qu’est-ce qu’il y a ? qu’est-ce qu’on vous a dit ?
Joseph. — J’ai dit ce que Madame m’avait dit : que monsieur n’était pas là… qu’il était en voyage !… Ils m’ont répondu que ça ne les regardait pas !… qu’il n’avait qu’à être là !
Angèle. — Comment, ils ont répondu ?… Je les ferai attraper, moi, quand mon mari sera de retour… Vous ne leur avez donc pas dit que monsieur était en train de faire le portrait de M. Vanderbilt ?
Joseph. — Si, Madame !
Angèle. — Qu’est-ce qu’ils ont répondu ?
Joseph. — Ils ont répondu : "Qu’ça nous fiche !"
Angèle. — Oh !
Joseph. — Voilà la vérité, Madame ! Aussi, il serait peut-être bon que Madame télégraphie à Monsieur…
Angèle, passant au n° 2, devant la table de droite. — Eh ! où voulez-vous que je lui télégraphie ? Il est sur le yacht de M. Vanderbilt. Sur sa dernière lettre, il me mettait "en mer". Je ne peux pas lui télégraphier en mer !…
Joseph. — C’est que c’est grave !
Angèle. — Eh bien, quoi ! qu’est-ce qu’ils feront ?
Joseph. — Je ne sais pas, Madame !… Ils m’ont répondu : c’est bien, nous savons ce qu’il nous reste à faire !
Angèle. — Ah ! bien alors, il fallait donc me dire ça tout de suite ! Ils arrangeront ça !
Joseph. — Vous croyez, Madame !
Angèle. — Mais dame !… Je me disais aussi, ce n’est pas possible ! mon mari ! un des premiers peintres de l’époque !… Ils arrangeront ça !… C’est bien !… Allez, Joseph !
Joseph. — Je vais faire mes autres courses. Madame n’a pas d’autres commissions à me donner ?
Angèle. — Non !
Joseph. — Bien, Madame !
Il sort par le fond.
Scène XI
modifierAngèle, Saint-Florimond, puis Chamel, Singleton, Mauricette
Saint-Florimond, sortant de gauche. — Je les ai lâchés !… Je file !
Angèle. — C’est ça, dépêchez-vous !
Saint-Florimond. — Mon chapeau !
Il le prend, le met et se dirige vers la porte du fond, en chapeau, avec son veston de velours.
Chamel, paraissant à gauche avec Singleton et Mauricette. — Eh bien, qu’est-ce que vous faites, Champignol ?
Saint-Florimond (À part.). — Oh ! les crampons !… pincé ! (Haut.) J’ai une course à faire. Je sors.
Chamel. — Dans ce costume ! Ah ! bien, vous êtes rigolo !
Saint-Florimond, descendant au n° 4 pendant qu’Angèle descend au n° 5. — Sapristi ! C’est vrai, et mon veston… Où est mon veston ?… (Coup de sonnette.) Allons bon ! Qu’est-ce que c’est que ça ?
Angèle. — Une visite !
Saint-Florimond. — C’est peut-être un modèle !
Chamel. — Une femme nue !
Scène XII
modifierLes Mêmes, Charlotte, puis Camaret, Adrienne, puis Célestin
Charlotte, entrant du fond avec Camaret en civil et Adrienne. — Oui, Monsieur, il est là !… Tenez, M. Champignol, c’est celui-là !
Elle indique Saint-Florimond et sort par le fond.
Angèle. — Allons bon ! Qu’est-ce qu’elle dit ?
Saint-Florimond. — Quelle dinde !
Camaret, à Charlotte. — Je vous remercie !
Saint-Florimond, à part. — Mais alors, c’est la tache d’huile ! c’est la tache d’huile !
Camaret, descendant au n° 4, pendant qu’Adrienne descend au n° 5 ; à Saint-Florimond. — C’est à monsieur Champignol que j’ai l’honneur de parler ? !
Saint-Florimond, passant devant Angèle et se trouvant au n° 6. — Hein ? non ! non ! Euh ! oui ! oui.
Camaret. — Enchanté de faire votre connaissance, Monsieur. (Montrant Angèle.) Madame votre épouse, peut-être ?
Saint-Florimond. — Peut-être, oui !
Camaret, saluant. — Madame ! (Après avoir salué la société par un coup de tête circulaire, présentant Adrienne.)' — Je vous présente ma grande fille !
Adrienne, à Saint-Florimond. — Enchantée, Monsieur, j’aime beaucoup les peintres !…
Elle lui donne un shake-hand et remonte vers le canapé.
Saint-Florimond. — Aïe !
Camaret. — Et maintenant que les présentations sont faites…
Il s’asseoit sur une des chaises volantes qui se trouvent près du canapé, Adrienne s’asseoit sur l’autre.
Saint-Florimond, à part. — Comment, les présentations sont faites ! Mais qu’est-ce qu’il est, lui ?
Angèle, à part. — Eh bien, il s’installe… (Haut.) Pardon, Monsieur…
Camaret. — Ah ! C’est juste ! (Se levant et se présentant.) Capitaine Camaret, du 175e de ligne.
Singleton, qui est assis sur le canapé avec Mauricette et Chamel, bondissant. — En garnison à Clermont ?
Camaret. — Oui, Monsieur, je dois même y retourner tout à l’heure, car je suis chargé des réservistes !
Singleton. — Mais alors, mon capitaine, vous êtes mon capitaine !
Camaret. — Votre capitaine ?
Chamel. — Son capitaine ! vous êtes son capitaine ?
Singleton. — Oui ! J’entre justement dans votre régiment !
Adrienne. — Ah ! vous êtes bleu ?
Singleton. — Bleu !
Adrienne. — Conscrit, enfin !
Singleton. — Non, mademoiselle ! réserviste !
Camaret. — En vérité !
Ils s’asseyent tous dans l’ordre suivant : Mauricette, Singleton, Chamel (tous trois sur le canapé) ; Adrienne, Camaret, tous les deux à droite du canapé sur les chaises volantes et tournant le dos à Saint-Florimond et Angèle qui sont sur le devant de la scène près de la table : Angèle au n° 6, Saint-Florimond au n° 7.
Saint-Florimond, à part. — Ah çà ! est-ce qu’ils vont causer longtemps comme ça de leurs petites affaires ? Qu’est-ce qu’il nous veut, le capitaine ?
Mauricette. — Ah ! bien, monsieur son capitaine, je vous le recommande, alors, parce que c’est mon petit mari !
Camaret. — Vraiment, madame !
Mauricette. Oui, monsieur, depuis quinze jours.
Adrienne. — Comment, madame, vous êtes mariée depuis quinze jours ?
Mauricette. — Oui, mademoiselle ! (Tapotant sur les joues de Singleton.) N’est-ce pas que tu es mon petit mari ?
Chamel, — Foyons !… Mauricette (À Camaret.) Ce sont des moineaux !…
Saint-Florimond, qui est resté debout à droite pendant ce qui précède, avec Angèle, s’approchant timidement. — Pardon, mais…
Chamel. — Chut !… Attendez (À Camaret.) Permettez-moi, mon capitaine, puisque vous êtes si aimable… de m’associer à la demande de ma fille, je ne suis pas connu de vous…
Camaret. — Monsieur… ?
Chamel. — Chamel !
Camaret. — Mes compliments, monsieur !
Chamel. — Si vous pouviez être chentil pour le petit… che vous le recommande !
Camaret. — Mais comment donc ! (À Singleton.) — Vous pouvez compter sur moi, monsieur !
Singleton. — Ah ! mon capitaine, vous êtes trop aimable.
Camaret. — Mais c’est bien le moins !
Mauricette. — Et puis, n’est-ce pas, mon capitaine, vous ferez bien attention qu’il mette ses gilets de flanelle.
Camaret, souriant. — Ah ! ça, mademoiselle…
Mauricette. — Ah ! si ! C’est qu’il n’est pas sérieux !… C’est un enfant !
Angèle, à Camaret, s’approchant. — Pardon, monsieur, mais tout ça ne nous dit pas ce qui nous vaut le plaisir de votre visite.
Camaret. — C’est juste, madame !… (Il se lève ainsi que tous les autres personnages. Chamel et Singleton remontent au fond et regardent les tableaux. Adrienne s’approche de Mauricette qui est toujours au n° 1) Voici la chose en deux mots : je fais le plus grand cas du talent de M. Champignol !
Angèle. — Ah ! monsieur ! Vous êtes trop aimable pour mon mari !
Camaret. — Je ne suis pas le seul… Tout le monde lui trouve beaucoup de talent !
Saint-Florimond. — Ah ! oui, beaucoup de talent, beaucoup de talent !
Camaret. — Hein ?
Angèle, bas à Saint-Florimond. — Taisez-vous donc, vous !
Camaret, à Part. — Il n’est pas modeste ! (Haut.) Alors, voilà, monsieur !… Il m’est venu l’idée de vous demander de faire le portrait de ma fille.
Saint-Florimond. — Hein ! moi !
Camaret. — Oui !… parce qu’étant menacé de m’en séparer d’un jour à l’autre… vous comprenez, il faut bien que je songe à la marier, cette enfant !
Mauricette. — Comment, mademoiselle, vous pensez à vous marier ?
Adrienne. — Mon Dieu, oui, madame, il est question de me faire permuter.
Camaret. — On s’occupe même déjà de lui présenter des prétendants !… ou des prétendus !…
Adrienne, bas à Mauricette. — Oui, mais c’est bien peine perdue, allez ! parce que moi, j’ai ma petite idée !
Mauricette. — Ah !
Adrienne. — Oui ! chut !
Charlotte, paraissant au fond et introduisant Célestin, — Tenez ! Voyez dans le tas, monsieur.
Célestin, descendant au n° 3. — Ah ! mon oncle.
Camaret, à Angèle. — Je vous demande pardon, madame, c’est mon neuveu Célestin, le fils de ma sœur.
Saint-Florimond, à part. — Qu’est-ce qu’il veut que ça nous fasse ?
Célestin. — Monsieur… madame… vous m’excuserez… mais j’étais si heureux de connaître l’atelier de M. Champignol…
Camaret. — Que j’ai pris sur moi de lui dire de venir !
Angèle. — Vous avez bien fait, monsieur !
Célestin, se retournant et remontant. — Oh ! c’est superbe ; c’est superbe ! (Se cognant contre Mauricette qui est remontée avec Adrienne.) Oh ! pardon, madame !
Adrienne, le présentant à Mauricette. — Mon cousin Célestin, madame…
Mauricette. — Monsieur…
Adrienne, bas. — Vous le trouvez beau ?
Mauricette. — Mais… pas mal, certainement !… (À part.) Ah ! la voilà son idée !…
Elle va rejoindre Singleton et Chamel au fond à gauche.
Camaret, à droite, à Saint-Florimond. — Je vous disais donc qu’au moment de marier ma fille, je voudrais en conserver un souvenir.
Adrienne, à Célestin. — Vous entendez ! on veut me marier !
Célestin. — Oui ! oui ! J’entends.
Adrienne, à part, avec un soupir mélodramatique, remontant vers le fond avec Célestin. — Rien !
À ce moment, tous les personnages sont placés de la façon suivante : Camaret, Saint-Florimond, Angèle. Tous les trois à l’avant-scène devant la porte de droite. Tous les autres personnages groupés diversement au fond à gauche, causant à voix basse ou regardant les tableaux.
Camaret, à droite, continuant, à Saint-Florimond. — … Un souvenir qui serait signé de votre main.
Saint-Florimond. — Certainement, capitaine… je… (À part.) Mais sapristi ! Je ne peux pourtant pas faire le portrait de sa fille.
Angèle. — C’est que mon mari a beaucoup de travaux pour le moment.
Camaret. — Ah ! un portrait est vite fait… et puis je ne demande pas une chose énorme. (Remontant et prenant la toile qui est placée à l’envers sur la chaise à gauche de la porte du fond. Redescendant.) Tenez ! vous ferez ma fille comme ça !
Il retourne la toile qui représente une Vénus sortant de l’onde.
Saint-Florimond, riant en montrant la toile. — Comme ça ?
Camaret, la regardant, éclatant de rire. — Ah ! non ! de cette grandeur !
Saint-Florimond. — Ah ! bien !
Camaret, regardant la toile. — Ah ! tiens, c’est amusant, ça ! Est-ce que c’est beau ?
Saint-Florimond. — Dame !… vous voyez !
Camaret. — Oh ! vous savez, moi, je n’y connais rien… un tableau, un chromo, pour moi, c’est quif-quif.
Angèle. — Mais je croyais que vous faisiez le plus grand cas des tableaux de M. Champignol !
Camaret. — J’en fais le plus grand cas pour le cas qu’on en fait !… Vous savez, au fond… on n’achète pas les tableaux parce qu’on les aime, on les aime parce qu’on les achète…
Il va porter la toile sur la chaise du fond.
Saint-Florimond. — Ah ! bien !
Camaret, redescendant au n° 2. — pourvu que vous fassiez ma fille ressemblante…
Chamel, redescendant. — Oh ! il la fera… il a tant de talent !… Voulez-vous que je vous montre un petit groquis…
Saint-Florimond. — Ah ! non ! Eh ! là !
Chamel. — Mais si, regardez !
Il va chercher le croquis sur le canapé : tous les personnages redescendent en scène dans l’ordre suivant : Mauricette, Singleton, Chamel, Camaret, Saint-Florimond, Angèle. Adrienne et Célestin restent au fond.
Camaret, examinant le croquis. — Oh ! oui, c’est curieux, la grosse dame surtout.
Saint-Florimond. — Hein ! quoi !… Quelle grosse dame ?
Chamel, froissé, lui reprenant le croquis et le reportant sur le canapé, en passant derrière Singleton et Mauricette. — C’est la "Roche qui tremble"
Camaret. — Ah ! c’est la "Roche qui tremble" ! Charmant ! charmant ! Eh bien, puisque tout est entendu, mon cher monsieur Champignol, nous viendrons poser vendredi.
Saint-Florimond. — Vendredi, c’est que…
Camaret. — Vous ne pouvez pas ?… Eh bien, jeudi.
Saint-Florimond. — Mais non, mais non !
Camaret — Mais si, mais si… enchanté, monsieur Champignol d’avoir fait votre connaissance et celle de madame également… désolé de vous quitter, mais je suis obligé d’aller prendre mon train pour Clermont.
Saint-Florimond. — Faites donc !… Faites donc !
Camaret, à Adrienne. — Allons, fillette ! Viens, Célestin !
Adrienne et Célestin. — Monsieur… Madame…
Singleton. — Mon capitaine, alors je peux compter…
Camaret. — Mais oui ! mais oui ! C’est entendu !
Il remonte vers le fond, à la suite d’Adrienne et de Célestin.
Chamel, remontant, — Ah ! mais, nous vous accompagnons.
Mauricette, remontant. — Et n’est-ce pas, mon capitaine, soignez-le bien !
Camaret. — Oui, oui !…
Adrienne, à Mauricette. — Au revoir, madame. (Ils sortent par le fond dans l’ordre suivant : ler, Célestin et Adrienne, 2e, Camaret, 3e, Chamel, 4e, Singleton et Mauricette.) Au revoir, madame, monsieur… et…
Le reste je perd à la cantonnade.
Scène XIII
modifierSaint-Florimond, Angèle, puis Chamel, Singleton, Mauricette
Saint-Florimond, à droite de la porte du fond, — Eh bien ! nous voilà bien… un portrait ! un portrait à faire !
Angèle, à gauche de la porte. — Comment vous tirerez-vous de tout ça quand il reviendra ?
Saint-Florimond, descendant. — Mais je ne sais pas… J’irai le trouver… je lui dirai qu’au lieu qu’il vienne chez moi, j’irai chez lui !
Angèle, descendant. — Mais le portrait ?…
Saint-Florimond. — Eh bien, je le ferai ! J’apprendrai à dessiner !
Angèle. — Ce sera du joli !… Oh ! là ! là !
Chamel, rentrant avec Singleton et Mauricette et descendant entre Angèle et Saint-Florimond pendant que Mauricette et Singleton descendent aux nos 1 et 2. — Oh ! quel charmant capitaine ! Vous savez, Singleton, vous avez de la chance d’être tombé sur un capitaine comme ça… ce qu’il va vous gâter !
Le coucou sonne dix heures.
Singleton. — Ah ! mon Dieu ! déjà dix heures !… Beau-père, nous allons dire adieu au cousin et à la cousine ! Nous n’avons que le temps d’aller prendre le train pour Clermont.
Chamel. — C’est chuste !… Je vous demande pardon, mes amis, de ne pas rester plus longtemps. (Allant au n° 3 en passant derrière Angèle. À Mauricette.) Allons, viens, Mauricette !… Allons chercher nos manteaux, nos chapeaux !
Mauricette, se dirigeant vers la porte de gauche en passant derrière le canapé, — Voilà, papa !
Chamel, à Saint-Florimond et à Angèle devant le canapé. — Croyez que je suis désolé !…
Saint-Florimond. — Et nous donc !… (Le poussant vers la porte de gauche en passant devant le canapé.) Mais restez donc !… restez donc !…
Chamel sort par la porte de gauche à la suite de Mauricette et Singleton.
Scène XIV
modifierSaint-Florimond, Angèle, puis Charlotte et les gendarmes
Angèle. — Ouf !… Ils s’en vont !… Maintenant, à votre tour d’en faire autant ; allez mettre votre veston !… Il est là, tenez, dans ma chambre.
Saint-Florimond. — Oui, J’y cours.
Il entre dans la chambre de droite.
Angèle, redescendant à droite devant la table. — Ah ! quelle journée ! Ah ! quelle journée ! Ah ! quelle journée !
Charlotte, entrant du fond, suivie de deux gendarmes. — Entrez !…
Angèle. — Des gendarmes !
Le Brigadier, s’avançant. — M. Champignol, s’il vous plaît ?
Le deuxième gendarme reste sur le pas de la porte.
Angèle. M. Champignol !… Qu’est-ce que vous lui voulez ?
Le Brigadier, gagnant le milieu de la scène au fond. — Je suis chargé de venir opérer l’arrestation du territorial Champignol.
Angèle. — Mon mari !… Arrêter M. Champignol ?…
Le Brigadier. — Oui, madame, comme insoumis !
Angèle. — Ah ! c’est trop fort !
Le Brigadier. — Où est-il, madame ?
Angèle. — Eh ! monsieur, il n’est pas ici, il est en voyage.
Charlotte, qui est restée au fond à droite, descendant au n° 3. — Comment, en voyage !
Angèle. — Ah ! taisez-vous ! taisez-vous !
Charlotte remonte et sort par le fond.
Le Brigadier. — Désolé, madame, mais dans ce cas, je vais fouiller l’appartement.
Angèle. — Fouiller l’appartement !
Chamel, entrant de gauche suivi de Singleton et de Mauricette, leurs paquets à la main et descendant devant le canapé au n° 3, pendant que Mauricette descend au n° 1 et Singleton au n° 2. — Allons ! venez…. Des chendarmes !
Angèle. — Allons ! bon, mon oncle !
Le Brigadier. — C’est sans doute vous, qui êtes monsieur Champignol ?
Chamel. — Moi ! chamais de la vie !
Le Brigadier. — Vous en êtes sûr ?
Chamel. — Tiens !… parbleu !… (Montrant Saint-Florimond qui entre de droite, habillé.) Le. voilà, Champignol.
Saint-Florimond passe devant la table et va au n° 4.
Le Brigadier, — Lui ! (Au gendarme qui l’accompagne.) Gendarme, emparez-vous de ce monsieur.
Tous. — De lui !
Saint-Florimond. — Moi !
Le Brigadier. — Allons ! allons ! un peu vite et ne répliquons pas !
Angèle. — Mais non, messieurs, c’est impossible !
Le Brigadier, — Désolé, madame, mais c’est la consigne !… Je dois amener à son corps, où il devrait être depuis trois jours, le territorial Champignol.
Singleton. — Comment, vous faites vos treize jours ?
Saint-Florimond. — Mais non ! Mais pas du tout !
Le Brigadier. — Allons ! voyons !… voulez-vous venir !
Saint-Florimond. — Jamais de la vie !
Il gagne la gauche devant Singleton et Chamel.
Le Brigadier, au gendarme. — Eh bien ! allons ! Empoignez-moi cet homme !
Le gendarme descend en scène et empoigne Saint-Florimond.
Saint-Florimond, — Mais, gendarme…
Le Brigadier. — En route pour Clermont !
Tous. — Pour Clermont !
Ils entraînent Saint-Florimond qui se débat.
Chamel. — Au revoir, ma nièce ! Oh ! ce pauvre Champignol !
Singleton, — Allons, beau-père, nous sommes en retard !
Mauricette. — Au revoir, cousine !
Ils sortent par le fond dans l’ordre suivant : 1er, Singleton, 2e, Mauricette, 3e, Chamel.
Scène XV
modifierAngèle, Charlotte, puis Joseph
Angèle, descendant à l’avant-scène à gauche. — Ah ! non, ça, c’est le coup de la fin ! Arrêté, lui, à la place de mon mari !
Charlotte, entrant du fond et descendant au n° 2. — Dites donc, madame, qu’est-ce que ça veut dire tout ça ?
Angèle. — Ça ne vous regarde pas ! Allez me chercher mon chapeau, mon manteau !
Charlotte. — Bien, madame. Elle sort.
Angèle. — Oui, c’est le seul parti à prendre ! Courir à Clermont ! mon mari n’est pas là. J’éviterai peut-être un scandale.
Charlotte, rentrant avec le chapeau et le manteau. — Voilà le chapeau, madame.
Angèle, mettant son chapeau. — Bien ! Et maintenant, je vous donne vos huit jours, vous partirez ce soir.
Charlotte. — Madame me chasse !… mais pourquoi ? Qu’est-ce que j’ai fait ?
Angèle, elle remonte vers la porte du fond. — Ce qui m’a plu.
Charlotte, pleurant, gagnant la gauche. — Ce qui y a plu ! C’est parce que j’ai fait ce qu’y a plu qu’elle me met à la porte ?
Joseph, entrant du fond avec sa casquette sur la tête et voyant Angèle habillée pour sortir, il se place à droite de la porte du fond pour laisser passer Angèle. — Madame sort ?
Angèle. — Oui, ma malle est en bas ? (Geste affirmatif de Joseph,) C’est bien ! Je pars pour Paramé. Ne m’attendez pas ce soir… (À part) Ah ! quelle aventure !
Elle sort par le fond.
Scène XVI
modifierJoseph, Charlotte, puis Champignol
Joseph, à Charlotte. — Dites donc, la petite, est-ce vrai ce qu’on m’a dit en bas, qu’il est venu deux gendarmes pour arrêter monsieur ?
Charlotte, pleurant à l’avant-scène de gauche. — Est-ce que je sais, moi ! Je m’en moque pas mal !
Joseph, s’approchant de Charlotte. — Qu’est-ce que vous avez ?
Charlotte, éclatant en sanglots. J’ai qu’on m’a fichue à la porte.
Joseph. — Allons ! allons ! Voyons la belle enfant !
Il veut lui prendre la taille.
Charlotte, lui donnant une tape et passant au n° 2 — Ah ! bas les pattes !… Vous n’êtes pas banquier, n’est-ce pas ? Eh bien ! Je ne vous céderai pas !… Je vas faire mes paquets et remporter mes œufs !
Elle sort par le fond en pleurant.
Joseph. — Pauvre petite !… Ah ! c’est égal ; en voilà une affaire, les gendarmes qui sont venus chercher Monsieur !… Ils ont dû partir bredouille ! C’est ça qui va lui faire une histoire…
Voix de Champignol, au fond. — Joseph ! Joseph !
Joseph. — Hein ! Monsieur Champignol !
Champignol, entrant du fond en costume de voyage, un sac de nuit dans une main et dans l’autre une boîte à couleurs, un chevalet et un pinchard. — Ouf ! me voilà de retour ! Venez vite, Joseph ! Débarrassez-moi !
Joseph, au fond, à gauche de la porte. — Ce n’est pas la peine, Monsieur. Il faut que Monsieur parte tout de suite, tout de suite…
Champignol. — Partir !… Pourquoi faire ?…
Joseph. — Pour faire ses treize jours… les gendarmes sortent d’ici… Monsieur est déserteur !
Champignol. — Hein ?
Joseph, lui prenant son sac de nuit et lui donnant à. la place qui est au fond à gauche. — Voici votre valise !
Champignol. — Ma femme, où est-elle ?
Joseph. — Madame ? Elle n’est pas là ! Partez, Monsieur, partez !
Champignol. — Mais où est mon corps ? Où est-ce ?
Joseph. — À Clermont, Monsieur… 175e de ligne.
Champignol. — Je me sauve… Mais donnez-moi une toile, si je veux peindre là-bas…
Joseph, prenant une toile au fond et la lui glissant sous le bras. — Voilà, Monsieur.
Champignol. — Merci ! — Oh ! là ! là ! Et moi qui croyais que j’allais être tranquille ! Ah ! quelle aventure !
Il sort en courant.
RIDEAU
Acte II
modifierL’entrée du baraquement. Au premier plan,'à droite, une première baraque avec une porte vitrée. — Le deuxième plan est libre et figure l’entrée du baraquement. — Au troisième plan, autre baraque placée obliquement et parallèlement à la première, avec une porte surmontée des mots suivants : "corps de garde". — Au fond, face au public, une dernière baraque partant de la droite et allant jusqu’au milieu de la scène. — La partie gauche de cette baraque forme comme un hangar sous lequel des tables et des chaises sont disposées. — Dans la partie droite, une porte face au public, et au-dessus de cette porte, les mots suivants : "cantine du 175e de ligne" — Entre la cantine et le corps de garde, un passage libre. — À gauche, premier plan, la façade de l’Hôtel du Cheval Blanc, avec une grande porte d’entrée au milieu, — Au dessus, une fenêtre avec balcon et, fixée à ce balcon, l’enseigne de l’hôtel. — Au deuxième et au troisième plan, du même côté, deux entrées séparées par un bouquet d’arbres. — Au fond, entre l’hôtel et la cantine, fond de paysage boisé et montagneux, où serpente la rivière "La Brèche". — Un banc devant la cantine. — Autre banc à droite entre la porte de la première baraque et l’entrée du baraquement.
Scène première
modifierLedoux, adjudant ; Grosbon, caporal ; Bélouette, sergent ; Pinçon, fort de la Halle ; Badin, marchand de billets ; Bloquet, Lavalanche, Lafauchette, banquier ; Prince de Valence, Benoît.
Au lever du rideau, les réservistes sont placés sur deux rangs, face au public, dans des costumes divers, les uns en civil, les autres en costumes panachés, redingotes, pantalons de civil, avec un képi comme coiffure ; en blouse et pantalon rouge, ou bien encore pantalon de civil et capote militaire. Ils sont placés dans l’ordre suivant : un territorial, Pinçon, Lafauchette, Lavalanche, le Prince, Badin, quatre réservistes.
Ledoux, sur le devant de la scène, sa liste d’appel à la main. — Dubois !
Dubois. — Présent !
Ledoux. — Planchet !
Planchet. — …sent !
Ledoux. — Champignol ! (Silence.) Eh bien ! Champignol !
Bélouette. — Puni de prison, mon lieutenant.
Ledoux. — Ah ! oui ! C’est l’insoumis ! ce territorial qui a été amené hier par la gendarmerie. Et maintenant, les réservistes ! (Appelant.) Benoît !
Benoît. — Présent !
Ledoux. — Pinçon !
Pinçon. — Présent !
Ledoux. — Lafauchette !
Lafauchette, très poli, tenue d’homme du monde, chapeau melon, très élégant, sortant d’un pas hors du rang et saluant. — Me voici ?
Ledoux. — "Me voici" ! Qu’est-ce que ça veut dire "Me voici" ?
Lafauchette. — Mais ça veut dire que je suis ici !
Ledoux. — Ne faites donc pas le malin, vous, l’homme au melon ! vous n’entendez pas vos camarades qui répondent : "présent" !
Lafauchette. — Je croyais…
Ledoux. — On ne croit pas !… on répond "présent !" (Lafauchette regagne sa place dans le rang. Appelant.) Singleton ! (Silence.) Singleton ! Eh bien ! il n’est pas là, Singleton ?
Bélouette, appelant. — Singleton ! Singleton !
Scène II
modifierLes Mêmes, Mauricette, Singleton, Chamel
Mauricette, sortant précipitamment de l’Hôtel du Cheval-Blanc, suivie de Singleton en civil, puis de Chamel, — Ah ! mon Dieu ! voilà l’appel ! Dépêche-toi, tu vas te faire punir !
Elle fait passer Singleton devant elle.
Singleton, passant au numéro 3. — Voilà ! Voilà !
Ledoux. — Eh bien ! vous, arrivez-vous ?
Chamel, passant au numéro 3. — Pardon, Monsieur ! Permettez-moi d’intercéder pour lui… je suis son beau-père.
Ledoux, passant derrière Chamel et allant au numéro 3. — Fichez-moi la paix, vous !
Chamel. — Bien, Monsieur.
Mauricette, embrassant Singleton. — Au revoir, mon chéri !
Singleton. — Adieu, ma mignonne !
Ledoux. — Eh bien ! dites-donc, là-bas, vous n’avez pas fini ?
Singleton se place dans le rang, entre Pinçon et Lafauchette.
Chamel, à Ledoux, indiquant Mauricette et Singleton. — C’est des moineaux !… c’est des moineaux !
Ledoux. — Qu’est-ce que vous dites ?
Chamel, interloqué. — Rien ! (Passant devant Ledoux, Singleton et Mauricette, et se dirigeant vers l’hôtel. À Mauricette.) Viens ! Mauricette ! il n’est pas poli, le commandant !
Il entre à l’hôtel suivi de Mauricette, Mauricette en sortant, envoie à Singleton un baiser que Ledoux, qui est en face d’elle, croit adressé à lui. Flatté, il salue Mauricette, puis se retourne et se trouve en face de Singleton qui envoie aussi un baiser à sa femme et qu’il reçoit dans le nez.
Ledoux, à Singleton. — Tâchez donc de vous tenir un peu. (Temps.) Mon garçon, il faudra vous habituer à être plus exact.
Singleton. — Mais, j’étais avec ma femme, mon lieutenant !
Ledoux, toujours au numéro 1, à l’extrémité gauche de la scène. — Bélouette, à l’extrémité droite. — Quand on est militaire, on n’a plus de femme. On la laisse aux civils. Allons ! Voyons ! placez-vous dans le rang : vous avez de la chance que le capitaine ne soit pas là.
Singleton. — Oh ! le capitaine, il ne me dira rien ! nous sommes très bien ensemble.
Ledoux. — C’est bien, silence.
Singleton. — Ainsi, j’ai passé avec lui la journée d’hier.
Ledoux. — Assez ! silence, je vous dis ! Qu’est-ce qui m’a fichu des cosaques comme ça ? (Traversant la scène et allant à Bélouette.) Il y a trois jours, c’était l’arrivée des territoriaux ; aujourd’hui, voilà les réservistes qui viennent s’ajouter… Nous n’en sortirons pas !
Singleton, à Lafauchette, son voisin dans le rang. — Je le ferai attraper par le capitaine.
Lafauchette. — Et vous ferez bien !
Voix de Camaret, au fond. — L’adjudant !… où est l’adjudant ?
Ledoux. — Oh ! le capitaine !
Scène III
modifierLes Mêmes, Camaret
Camaret, venant de droite, second plan, entrée du baraquement et passant au n° 2 à Ledoux. — Ah ! vous voilà, vous ! je viens de visiter le baraquement : les chambres ne sont pas balayées ; les lits sont mal faits, les planches à pain ne sont pas essuyées.
Ledoux, aux réservistes. — Vous entendez, vous autres ?
Camaret, — Il n’y a pas de "vous autres", c’est à vous que je m’adresse, adjudant !
Lafauchette, à part, dans le rang. — C’est bien fait, on l’attrape à son tour.
Camaret, à Lafauchette. — Et puis, ne riez pas, vous, le numéro 5. (À l’adjudant.) Que je n’aie plus à le dire, n’est-ce pas ?
Lafauchette, bas à Singleton dans le rang. — Dites donc, il n’a pas l’air commode, le capitaine.
Singleton. — Si. Très brave homme, je vous recommanderai.
Lafauchette. — Ah ! s’il vous plaît !
Camaret, à Ledoux. — Ah ! voilà les réservistes.
Ledoux. — Oui, mon capitaine ; à partir d’ici ; (Il indique le côté droit du rang.) les autres sont des territoriaux.
Camaret. — Ah ! oui ! je les connais.
Singleton, qui a fait des signes d’intelligence avec le capitaine, à part. — C’est drôle, il me regarde et il n’a pas l’air de me remettre.
Il fait de nouveau bonjour de la main en toussant un peu pour se faire reconnaître.
Camaret. — Qu’est-ce que vous avez, le petit maigre, là-bas ! Vous avez des tics ?
Singleton. — Non, mon Capitaine, je vous dis bonjour.
Camaret. — Ah ! Vous me dites bonjour ! (À Ledoux.) Vous marquerez deux jours à cet homme-là pour dire bonjour à son capitaine.
Singleton, à part. — Il ne me reconnaît donc pas ! (À Camaret.) Singleton !
Camaret. — Parfaitement ! Singleton… Adjudant ! Monsieur a l’obligeance de vous dire son nom : Singleton ! vous lui marquerez quatre jours.
Singleton. — Ah ! bien, elle est raide !
Lafauchette, bas à Singleton. — Dites donc, vous ne me recommanderez pas.
Camaret, à Ledoux. — Qu’est-ce que vous faisiez ?
Ledoux. — J’étais en train de faire l’appel des réservistes, mon Capitaine !
Camaret. — Recommencez, à partir des réservistes.
Ledoux, reprenant l’appel. — Benoît !
Benoît. — Présent !
Ledoux. — Pinçon !
Pinçon, costume de fort de la-halle. — Présent !
Ledoux. — Lafauchette !
Lafauchette. — Présent !
Il fait un pas hors du rang, en saluant.
Camaret. — Rentrez dans le rang. (Allant à Lafauchette.) Il marque mieux que les autres, celui-là. Votre profession ?
Lafauchette. — Coulissier.
Camaret, avec mépris. — Ah ! Cabotin ! pfut !
Il descend à gauche, près de Ledoux, toujours au numéro 2.
Lafauchette, à part. — Comment cabotin !
Camaret, à Ledoux. — Allons, continuez !
Ledoux, appelant. — Singleton !
Singleton. — Présent !
Ledoux. — Bloquet !
Bloquet. — Présent !
Ledoux. — Valence !
Le Prince, ôtant son chapeau. — Pardon, Prince.
Camaret. — Quoi, prince ! prince de quoi ? prince de qui ?
Le Prince. — Prince de Valence !
Camaret. — Ah ! vous êtes prince ! Et qu’est-ce que vous faites en dehors de ça ?
Le Prince. — Rien !
Camaret. — Ah ! vous êtes un prince qui ne faites rien ! (À Ledoux.) Eh bien ! il faudra apprendre à ce prince-là à faire quelque chose !
Il descend au milieu.
Ledoux, appelant. — Badin !
Badin, gros homme, en paletot, chapeau haut-de-forme. — Présent !
Camaret, se retournant, apercevant Badin et allant à lui. — Pristi ! vous vous portez bien, vous ?
Badin. — Pas mal ! je vous remercie ; mon Capitaine aussi ?…
Camaret. — Je vous ferai voir à la salle de police si je me porte bien. Votre métier ?
Badin. — Marchand de billets.
Camaret. — Quoi, marchand de billets — billets de quoi ?
Badin. — Billets de spectacles.
Camaret. — Ah ! c’est vous qui embêtez le public comme ça à la porte des théâtres ! Adjudant, si cet homme-là ne va pas droit, vous le fourrerez dedans !
Ledoux. — Bien, mon Capitaine ! (Appelant.) Lavalanche !
Lavalanche. — Présent !
Camaret, à Lavalanche. — Eh bien ! jeune homme, vous me ferez le plaisir de faire couper vos papillottes. (il montre ses accroche-cœur.) D’ailleurs, adjudant, il faudra me passer tous ces hommes-là à la tondeuse. Allons, faites former le cercle !
Ledoux. — À droite, à gauche, formez le cercle !
Les réservistes exécutent le mouvement et forment un arc. Ledoux est à l’extrémité gauche. Bélouette à l’extrémité droite. Camaret se trouve au milieu.
Camaret, — Réservistes, nous sommes appelés à passer vingt-huit jours ensemble : beaucoup d’entre vous, j’en suis sûr, arrivent avec des idées préconçues, franchissent avec terreur le seuil de la chambrée. Je tiens à vous dire que rien ne justifie cette terreur. Vous ne devez pas perdre de vue, au contraire, que le régiment n’est qu’une grande famille. Vous ne devez voir dans vos chefs qu’autant de pères hiérarchiques. Le colonel est le père de son régiment, le capitaine, le père de sa compagnie : c’est donc vous dire que je serai pour vous… un père !
Lafauchette, à part. — Brave homme !…
Camaret, sans transition. — Le premier qui se tiendra mal à l’exercice aura deux jours de salle de police ; le premier qui répondra à une observation, trois jours ; le premier qui aura un brosseur, deux jours de prison ; le premier qui sera surpris en état d’ébriété, huit jours de prison, ainsi de suite… (Tout le monde est atterré.) Et maintenant, je compte sur vous pour me donner toutes les satisfactions, comme vous pouvez compter sur moi pour vous rendre cette période d’instruction aussi douce que possible…
Lafauchette. — Très bien !
Camaret, sur le même ton, à Ledoux, montrant Lafauchette. — … Adjudant, vous marquerez deux jours de salle de police à cet homme-là pour ne pas écouter quand je parle.
Ledoux — Bien, mon Capitaine !
Camaret. — J’ai dit ! Rompez.
Ledoux, commandant. — Sur le centre, alignement !
Les réservistes exécutent le mouvement et se trouvent alignés dans le fond, comme précédemment.
Camaret, à Ledoux. — Allez voir si on peut mener les hommes au magasin pour les habiller !
Ledoux, sortant par la droite, troisième plan entre la cantine et le corps de garde, en passant derrière Camaret. — Bien, mon Capitaine !
Camaret. — Allez ! Repos !
Il fait signe à Bélouette de s’approcher et lui parle à voix basse pendant ce qui suit.
Singleton. — Ouf ! !
Lafauchette. — Dites donc ! Il n’est pas commode, votre capitaine !
Singleton. — Non ! Eh bien, dans le monde, ce n’est pas du tour le même homme.
Badin, regardant à droite. — Ah ! qu’est-ce que c’est que ce gradé qui vient-là ?
Bloquet. — C’est un commandant.
Bélouette fait le salut militaire à Camaret et remonte au fond, à droite, devant les réservistes.
Scène IV
modifierLes Mêmes, Fourrageot
Fourrageot, venant de droite, deuxième plan, entrée du baraquement. — Le capitaine Camaret n’est pas là ?
Camaret. — Voilà, mon Commandant !
Fourrageot, allant à Camaret, n° 2. — Eh bien ! Capitaine, vous avez tous vos réservistes ?
Camaret. — Oui, mon Commandant !
Fourrageot. — Ils ne sont pas encore habillés ?
Camaret. — Je viens justement d’envoyer au magasin d’habillement, mon Commandant !
Fourrageot, passe devant Camaret et va au n° 1. — Bien, bien, bien !
Camaret, à Ledoux qui vient du troisième plan et descend en scène. — Eh bien ?
Ledoux. — On attend les hommes, mon Capitaine.
Camaret. — C’est bien, emmenez-les !
Fourrageot. — C’est ça, je passerai la revue dans une heure, Capitaine.
Camaret, saluant. — Bien, mon Commandant !
Fourrageot sort par la gauche, deuxième plan, derrière l’hôtel.
Ledoux, aux réservistes. Commandant. — Garde à vous ! Par le flanc gauche, gauche ! En avant ! marche !
Sortie des réservistes par la droite, troisième plan. Bélouette et Ledoux marchent en serre-file.
Camaret. — Une deux, une deux. Au pas, là, le numéro quatre… C’est Singueuleton, parbleu… Voulez-vous aller au pas !
Il suit les réservistes jusqu’à l’extrême droite.
Scène V
modifierCamaret, Angèle, puis Grosbon
Angèle, sortant de l’hôtel. — Ah ! mon Dieu ! je n’ai pas fermé l’œil de la nuit !… Toutes ces émotions… il faut absolument que je voie Saint-Florimond… avec ces maudits gendarmes, je n’ai pas pu lui dire un mot !… (Apercevant Camaret qui redescend.) Ah ! le Capitaine !
Camaret. — Madame Champignol !… Ah ! Madame ! Si je m’attendais, en vous voyant hier à Paris, à avoir le plaisir de vous retrouver aujourd’hui !
Angèle. — Ah ! ne m’en parlez pas… Capitaine !… Je veux vous demander un grand service !
Camaret. — Je vous vois venir, Madame, vous voulez me demander à voir M. Champignol, votre mari.
Angèle. — Comme vous dites : mon mari.
Camaret. — C’est qu’il est puni de prison. Enfin, comment n’a-t-il pas pensé qu’il avait ses treize jours à faire ?
Angèle. — Vous savez, Capitaine, les artistes sont si distraits !
Camaret. — Ah ! voilà… voilà !… mon Dieu, Madame, ce que vous me demandez-là est bien interdit par le règlement ! Enfin, pour vous, je veux bien faire cette petite infraction à la règle.
Angèle. — Oh ! merci, Capitaine !
Camaret, regardant à droite. — Voici justement les hommes punis de prison qui font la corvée de quartier… je vais le demander. (Appelant et remontant jusqu’au troisième plan droite.) Caporal Grosbon !
Voix de Grosbon, au fond, à droite. — Voilà mon Capitaine !
Scène VI
modifierLes Mêmes, puis Saint-Florimond
Grosbon, venant de droite, troisième plan. — Mon Capitaine ?
Camaret. — Madame désire parler à son mari, le soldat Champignol, puni de prison… faites-le venir !…
Grosbon. — Bien, mon Capitaine…
Il disparaît à droite.
Angèle. — Ah ! Capitaine ! vous êtes trop aimable !
Camaret, passant devant Angèle et se dirigeant vers l’hôtel. — Madame, mille pardons, mais mon service me réclame…
Angèle. — Faites donc, Capitaine !
Camaret, salue et entre à l’hôtel. — Servez-moi un vermouth !
Grosbon, venant de droite, troisième plan. — Allons ! Avancez ! et plus vite que ça ! qui est-ce qui m’a flanqué un empoté pareil !
Saint-Florimond, entrant, tenue de corvée. Bourgeron et pantalon de treillis sales, képi déchiré. Il traîne péniblement une brouette. — Voilà, Caporal ! voilà ! (Reconnaissant Angèle.) Angèle !
Angèle. — Vous !
Saint-Florimond. — Ah ! Caporal, vous auriez bien pu me dire de laisser ma brouette.
Grosbon. — C’est bien ! Madame vous a fait demander, je vous laisse ; je viendrai vous reprendre tout à l’heure.
Saint-Florimond, à Grosbon qui sort par la droite, troisième plan. — Oui ! oui !
Il dépose sa brouette au milieu de la scène.
Angèle. — Vous ! dans ce costume !
Saint-Florimond, descendant au n° 2. — Oui ! (À part.) Ah ! c’est embêtant d’être vu comme ça par la femme que l’on aime ! (Haut.) Oui… c’est… c’est la tenue de corvée ! Vous savez, ce n’est pas drôle ce qui se passe depuis hier.
Angèle. — Et pour moi, vous croyez peut-être que c’est drôle. Enfin, heureusement, jusqu’à présent, tout s’est bien passé.
Saint-Florimond. — Comment ! Tout s’est bien passé ! vous trouverez que ça n’est rien, toutes ces épreuves que je subis depuis hier ? Emmené entre deux gendarmes comme un filou ! Traverser comme ça Paris, à pied, avec des gamins qui me suivaient en me huant ! J’ai rencontré des amis, des amis du cercle qui faisaient : "Oh !" en me voyant, et puis qui me tournaient la tête. Si vous croyez que c’est agréable ; et impossible de leur expliquer ! Et avec ça la foule qui s’amassait à mesure ! Il y avait surtout un petit pâtissier qui voulait faire le renseigné et qui disait à tout le monde : "On vient de l’arrêter, c’est le vampire de Bois-Colombes". Vous voyez d’ici l’effet ! J’ai vu le moment où on allait me ficher à l’eau !
Angèle. — Mon pauvre ami !
Saint-Florimond. — Et depuis mon arrivée au Corps, ici, si vous croyez que cela a été plus rose ! On m’a vacciné, ma chère amie ! On m’a vacciné !… moi qui ai horreur qu’on me pique ! Ça m’a démangé toute la nuit ! Alors, pour me remettre, ils m’ont fait coucher sur la planche, en prison avec un choix de gens mal élevés. J’ai été dévoré par un tas de vermine. (Il frotte sa manche du côté d’Angèle qui se recule.) Oh ! il n’y en a plus, je suis propre maintenant ! Et, enfin, ce matin les corvées les plus répugnantes !… En ce moment-ci, je brouette, mais ce n’est rien !… On m’a fait pincer l’oreille à Jules. Vous ne savez pas ce que c’est ? Eh bien ! ne le sachez jamais ! Oh ! non ! J’en ai assez ! J’en ai assez !…
Il remonte et s’assied dans sa brouette.
Angèle, allant à lui. — Voyons, du courage, mon ami ! Après tout, treize jours sont bien vite passés.
Saint-Florimond, se levant, ahuri. — Treize jours ici ? Vous voulez que je reste treize jours ici ?
Angèle. — Dame ! vous avez pris le rôle de mon mari, il faut le tenir jusqu’au bout !
Saint-Florimond. — Mais, voyons, ma chère amie, je ne peux pas. J’ai autre-chose à faire !
Il descend au n° 2.
Angèle, le suivant n° 1. — En voilà une raison ! Il n’y a pas d’affaires qui tiennent !
Saint-Florimond. — Enfin, ce soir, j’ai ce bal chez madame Rivolet. Ce bal où l’on doit me présenter ce parti superbe !
Angèle. — Mais, mon ami, je ne vous empêche pas d’aller à votre bal. Justement, c’est à Clermont, cela va tout seul, et si l’on veut vous donner la permission… Mais ce que je vous demande, ce que j’exige, c’est que vous fassiez le temps de mon mari jusqu’au bout.
Saint-Florimond. — Oh ! là ! là ! là ! Quand on m’y reprendra !
Angèle. — Oh ! et moi donc ! (On entend des rires et des cris au fond.) Chut ! du monde !
Elle remonte avec Saint-Florimond devant la porte de. l’hôtel et lui parle à voix basse pendant ce qui suit.
Scène VII
modifierLes Mêmes, Lavalanche, Lafauchette, Bloquet, Le Prince, Badin, les autres réservistes, puis Singleton
Les réservistes sont en uniforme, sauf Badin qui. est toujours en civil avec son chapeau haut-de-forme. — Ils entrent de droite, troisième plan.
Lavalanche, entrant le premier et montrant Lafauchette qui le suit. — Oh ! pige-moi c’te balle ! (Montrant le Prince qui paraît.) Et le Prince, ce qu’il dégote !
Le Prince, descendant à droite. — C’est dégoûtant, ces vêtements, c’est dégoûtant !
Lafauchette, apercevant Angèle qui cause au fond avec Saint-Florimond. — Tiens ! une jolie femme. (Au Prince.) Prince ?
Le Prince. — Plaît-il ?
Lafauchette. — Est-ce que vous la connaissez ?
Le Prince. — Qui ? Non, pas du tout ! ça m’étonne. (À Badin.) Savez-vous qui est cette dame ?
Badin. — Non ! (À Bloquet,) Et vous ?
Bloquet. — Non !
Singleton, entrant de droite, troisième plan, avec un uniforme trop large, et descendant en scène en traversant le groupe des réservistes. — Ah ! me voilà en tenue !
Lafauchette. — Ah ! bien ! vous, vous allez peut-être pouvoir nous renseigner ! Quelle est cette jolie dame ?
Singleton. — Où ça ?
Tous, indiquant Angèle. — Là ! Là !
Singleton. — Qui cause avec Champignol ? Mais c’est madame Champignol ; C’est sa femme !
Tous. — Madame Champignol !
Singleton. — Et même ma cousine par alliance, messieurs !…
Le Prince. — Présentez-moi !
Tous. — Présentez-nous !
Singleton, allant à Angèle. — Bonjour, cousine !
Saint-Florimond et Angèle, à part. — Singleton !
Singleton, à Saint-Florimond. — Bonjour, cousin ! Ma chère cousine… mes camarades ! (Aux soldats.) Messieurs, ma cousine, madame Champignol et son mari.
Les réservistes, à droite, groupés, saluent. — Monsieur… Madame…
Saint-Florimond, à part. — Oh ! là ! là ! là ! est-il bête !… est-il bête !…
Sonnerie de clairon au fond.
Bélouette, venant de droite et descendant au milieu de la scène. — Allons ! les réservistes ! Retournez dans vos chambrées ! (Les réservistes rentrent dans la première baraque de droite en saluant Angèle, à Singleton.) Eh bien ! et vous le petit maigre !…
Singleton, il se cogne dans la brouette. — Voilà ! sergent ! voilà ! (À Saint-Florimond et à Angèle.) À tout à l’heure, vous autres !
Il entre dans la baraque de droite, suivi de Bélouette.
Angèle, à Saint-Florimond devant l’hôtel. — Alors, c’est entendu ! je retourne ce soir à Paris, afin d’être là quand mon mari reviendra. Je lui laisse ignorer qu’il a été convoqué pour faire ses treize jours, vous les faites à sa place et vous êtes sauvé !
Saint-Florimond. — Allons, vous faites de moi ce que vous voulez !
Angèle. — Monsieur Saint-Florimond, vous êtes un galant homme !
Elle entre à l’hôtel.
Scène VIII
modifierSaint-Florimond, puis Grosbon, puis Champignol, puis Ledoux
Saint-Florimond, descendant en scène. — Je suis un galant homme ! je suis un galant homme ! mais je suis bien embêté ! Oh ! je m’en souviendrai de mon aventure avec madame Champignol !
Il tombe assis sur sa brouette.
Grosbon, venant de droite, troisième plan. — Eh bien ! dites donc ! Qu’est-ce que vous faites-là ? On vous a permis de causer avec votre dame, mais maintenant que c’est fini, allez, ouste !
Saint-Florimond. — Caporal ?
Grosbon. — Je vous dis, allez ! ouste ! il me semble que c’est français. Prenez-moi votre brouette et marche !
Saint-Florimond. — Voilà, Caporal ! (Remontant et traînant la brouette.) Ah ! quel métier, mon Dieu !
Champignol, en uniforme, tenant d’une main sa valise, et de l’autre son attirail de peintre, une toile, une boîte à couleurs, un chevalet, un pinchard, venant précipitamment de gauche, deuxième plan, derrière l’hôtel. — Enfin ! m’y voilà mon Dieu ! je dois être porté déserteur ! (Il se heurte contre Saint-Florimond qui remonte, poussant sa brouette.) Oh !
Saint-Florimond. — Faites donc attention, vous !
Champignol, à part. — Un militaire ! (Haut.) Je vous demande pardon !
Grosbon, à Saint-Florimond. — Allons ! avancez ! vous !
Saint-Florimond. — Oui ! Caporal !
Il sort par la droite, troisième plan, en passant derrière Grosbon.
Champignol, à part. — Un Caporal ! (Haut.) Pardon ! Caporal !…
Grosbon. — Qu’est-ce que vous demandez, vous ?
Champignol, faisant le salut militaire. — Champignol, caporal, Champignol !
Grosbon. — Champignol, puni de prison !
Grosbon sort par la droite, troisième plan.
Champignol, descendant en scène. — Puni de prison ! Voilà ! je suis puni de prison, c’était prévu. Ah ! ce qui m’arrive est inouï ! Mon Dieu, il y a un peu de ma faute pour les trois premiers jours : j’étais en voyage. Je veux bien que ça ne les regarde pas ! Mais pour le reste, j’aurais pu être là hier ! C’est la faute de leur convocation. On me convoque à Clermont ! Je ne connais pas Clermont (Oise), je ne connais que Clermont-Ferrand ! j’arrive de Clermont-Ferrand pour le moment… Comme s’ils ne pouvaient pas spécifier ! Vous me voyez à Clermont-Ferrand, cherchant partout le 175e de ligne. Eh bien ! je leur raconterais ça, ici, ils ne me croiraient pas ; ils se moqueraient de moi. Pendant ce temps-là, mon temps a couru ! et je suis puni de prison !… Voilà… Je suis puni de prison. Ah ! c’est fini ! bien fini !
Ledoux, venant de la première baraque de droite. — Qu’est-ce que vous faites-là, vous ?
Champignol, à part. — Ah ! un officier ! (Haut.) Je suis Champignol, mon Lieutenant !
Ledoux. — Ah ! c’est vous Champignol ? L’insoumis ! Eh bien ! et votre prison ?
Champignol. — Ma prison ? Ah ! c’est fini, mon Dieu, c’est fini !
Ledoux. — C’est fini ? Eh bien ! alors, rentrez dans votre chambrée !…
Il passe derrière Champignol et remonte au fond à gauche.
Champignol. — Hein !… Ah ! bien, mon Lieutenant ! (À part.) Eh bien ! alors, qu’est-ce que me disait l’autre ?… (À part, entrant dans la baraque de droite, premier plan.) C’est égal, je ne pensais pas que cela s’arrangerait aussi facilement.
Scène IX
modifierLedoux, Camaret, puis Singleton, les Réservistes
Ledoux, à gauche. — Pas dégourdi, cet homme-là ! Ça doit venir de la campagne, ça…
Camaret, sur le pas de la porte de l’hôtel. — Adjudant Ledoux !
Ledoux. — Mon capitaine ?
Camaret. — Vos hommes sont en tenue ?
Ledoux. — Oui, mon Capitaine !
Camaret. — Faites sonner pour l’exercice ; en même temps, je les verrai.
Ledoux, sortant par le fond, à droite. — Bien, mon capitaine…
Camaret rentre à l’hôtel. — Ledoux sort par la droite, troisième plan. Sonnerie dans la coulisse. — Le caporal Grosbon, le sergent Bélouette, Singleton, Lafauchette, Lavalanche, le Prince, Badin et tous les réservistes sortent précipitamment de la baraque de droite. Ils sont tous en tenue, sauf Badin, toujours en civil, avec son chapeau haut-de-forme.
Bélouette, aux réservistes. — Allons, plaçons-nous rapidement !…
Les réservistes se placent sur deux rangs, face au public, formant trois escouades. — Les escouades de droite, et de gauche, chacune avec un caporal à leur droite, sont composées de réservistes sans importance. Celle du milieu est disposée de la façon suivante : 1°, à gauche, Grosbon, caporal ; 2°, Singleton ; 3°, Lafauchette ; 4°, Lavalanche ; 5°, Badin ; 6°, le Prince. — Derrière Singleton, une place vide pour Champignol. — Les réservistes une fois placés, Camaret sort de l’hôtel.
Camaret, voyant Badin en civil. — Comment se fait-il que vous soyez en civil, vous ?
Badin. — Mon Capitaine, on n’a pas trouvé de vêtements à ma taille.
Camaret. — Des vêtements ! on ne dit pas des vêtements.
Badin. — Euh ! des costumes !
Camaret. — On ne dit pas costumes ! Comment ça s’appelle quand tout le monde est habillé pareil, hein ? Quand on a un uniforme, comment ça s’appelle ?
Badin. — Euh !… livrée !…
Camaret. — Livrée ! (À Bélouette qui est à droite n° 2.) Vous marquerez deux jours à cet homme-là ! C’est le marchand de billets, parbleu ; il veut faire le poseur ! Quand on a un uniforme, ça s’appelle un uniforme… Crétin !
Badin. — Eh bien ! je crois que je vais être heureux, ici !…
Bélouette, aux réservistes. — Garde à vous !
Champignol, sortant de la première baraque de droite. — Ah ! mon Dieu ! l’appel ! déjà ! (à Bélouette.) Où faut-il me mettre, sergent ?… Où faut-il me mettre ?
Bélouette. — Comment ! il faut vous mettre à votre place habituelle.
Champignol. — À ma place habituelle !… Sapristi !…
Il se précipite à une place dans le rang et marche sur les pieds du Prince qui pousse un cri ; il veut prendre alors la place de Lavalanche.
Lavalanche. — Mais non, tu n’es pas là !
Champignol. — Ah ! C’est juste ! (Voulant prendre la place de Singleton.) Pardon !
Singleton. — C’est pas ta place !
Bélouette. — Ah çà ! est-ce que vous avez bientôt fini de papillonner comme ça ?
Champignol, entrant dans le rang entre Singleton et Lafauchette ; il se place au deuxième rang, derrière Singleton, — Voilà, voilà ! sergent ! Vous pouvez commencer.
Bélouette, commandant. — Numérotez-vous !
Les réservistes se numérotant. : 1, 2, 3, 4.
Champignol. — 4 bis !
Bélouette. — À droite, alignement ! Fixe !
Camaret, s’avançant. — Tout le monde est là ?
Bélouette — Oui, mon capitaine.
Camaret. — Voyons un peu ! (Il leur passe l’inspection, en commençant par la gauche. À un territorial.) Vous n’avez qu’un tour à votre cravate… Il faut deux tours à la cravate !… (Il relève la veste du suivant qui n’a qu’une bretelle, même jeu à Singleton, qui n’en a pas.) Vous n’avez pas de bretelles, vous ! On ne vous a pas dit de mettre des bretelles ?
Singleton. — Si, mon capitaine, mais ça me gêne !
Camaret. — Ah ! ça vous gêne ! (À Bélouette qui est au n° 1.) Vous changerez les quatre jours de consigne en deux jours de salle de police pour faire à son capitaine des réponses subversives.
Singleton. — Mais je croyais…
Camaret. — On ne croit pas, et puis, taisez-vous !
Singleton, à part. — Oh ! mais il m’a dans le nez.
Champignol, passant la tête entre Singleton et Lafauchette. — Ce qu’il a l’air sévère, ce capitaine-là !
Camaret, à Bloquet. — Allons ! C’est bien ! maintenant, caporaux, prenez vos escouades et commencez l’exercice !
Bloquet, caporal de l’escouade de gauche, commandant : Par le flanc gauche, marche !
Il sort par la gauche, deuxième plan, derrière l’hôtel, avec son escouade.
Rouche, caporal de l’escouade de droite, commandant : Par le flanc droit, marche !
Il sort par la droite, troisième plan avec son escouade.
Camaret, aux soldats qui sortent : — Allons ! au pas ! au pas ! (À Bélouette.) Ah ! pendant que j’y pense, sergent Bélouette, faites venir le territorial Champignol.
Champignol, qui est resté en scène avec l’escouade commandée par Bélouette. — Moi ! (Sortant du rang en passant entre Singleton et Lafauchette qu’il bouscule,) Mon capitaine ?
Camaret. — Qui est-ce qui vous demande quelque chose, à vous ?
Champignol. — Mais…
Camaret. — Est-ce que vous vous appelez sergent Bélouette ? Eh bien ! retournez donc à votre place !
Champignol. — Ah ! bien, mon Capitaine (Il regagne sa place au deuxième rang en passant par la gauche de l’escouade.) C’est une girouette !
Camaret, à Bélouette. — Allez ! Sergent ! (Bélouette sort par la droite, troisième plan. Camaret, à part, sur le devant de la scène.) C’est vrai, j’ai pensé à autre chose : puisque je tiens Champignol, je vais lui faire faire mon portrait. (À Grosbon.) Allons, commencez l’exercice, je vais voir dans les chambres, si c’est un peu mieux rangé.
Il entre dans la première baraque de droite. Grosbon reste en scène avec son escouade composée de Champignol, Badin, Singleton, Lafauchette, le Prince, Lavalanche.
Grosbon, commandant, le dos au public. — Garde à vous ! à droite et à gauche, sur un rang, marche ! — (Les réservistes exécutent le mouvement et se trouvent sur un rang dans l’ordre suivant ; 1° à gauche, un territorial ; 2°, Champignol ; 3°, Singleton ; 4°, Lafauchette ; 5°, Badin ; 6°, Lavalanche ; 7°, le Prince.) À droite, alignement ! — (Les hommes s’alignent, en ayant soin de laisser un peu d’espace entre eux pour avoir la liberté de leurs mouvements.) Fixe ! Et maintenant, les vingt-huit jours, il ne s’agit plus de rigoler !… Tâchez moyen d’ouvrir l’œil et de bien manœuvrer ou sans ça je vous fourre dedans comme des tambours. (Commandant.) Garde à vous ! Mouvement horizontal des bras sans flexion, en deux temps ! Voici votre mouvement : Un ! deux ! Un ! deux ! commencez !
Les réservistes, exécutant le mouvement. — Un ! deux ! Un ! deux !
Grosbon. — Ensemble !… C’est mou, ça !… c’est mou !… Allons !… (À Champignol.) Vous, là-bas, c’est mou !
Champignol. — Si le jury de peinture me voyait !…
Grosbon, commandant. — Cessez !… (Courant à Champignol.) Vous n’entendez pas ce que je vous parle !
Champignol. — Ah ! Pardon, caporal ! Je ne comprenais pas !
Grosbon. — Comment, vous ne comprenez pas !… Il me semble que je parle français ! Qui qui m’a fichu un cosaque pareil ?
Champignol, à part. — Qui ! qui ! il appelle ça parler français !
Grosbon, à Badin. — Et puis, vous, là-bas, le civil… on ne manœuvre pas en gibus !… retirez votre gibus !…
Badin. — Bien ; Caporal….
Il retire son chapeau, et, ne sachant où le poser, le garde dans la main droite et manœuvre ainsi.
Grosbon. — Garde à vous ! Mouvement horizontal et latéral des bras sans flexion, avec flexion sur les extrémités inférieures ! Voici votre mouvement : un ! deux ! Commencez !
Champignol, tout en manœuvrant. — Dieu ! que c’est bête ! mon Dieu ! que c’est bête !
Les réservistes, manœuvrant. — Un ! deux !
Scène X
modifierLes Mêmes, Chamel, Mauricette
Chamel, sortant de l’hôtel, suivi de Mauricette ; il a une ligne sur l’épaule, un panier de pêcheur en bandoulière. — Allons ! viens ! Mauricette !
Mauricette, descendant au n° 1. — Ah ! Papa !… Ils font l’exercice.
Singleton, apercevant Mauricette. — Ma femme !
Mauricette fait des signes à Singleton.
Mauricette. — Oh ! Papa ! comme il manœuvre mieux que les autres !…
Singleton, dans le rang, à part. — C’est embêtant de faire le singe devant sa femme !
Grosbon. — Cessez ! (Apercevant Mauricette.) Oh ! du beau sexe ! (Aux réservistes.) Allons ! tâchez moyen de bien manœuvrer ; il y a de la galerie.
Badin pose son chapeau à terre.
Mauricette, à Chamel. — Oh ! Papa ! j’ai envie de l’embrasser !
Chamel. — Ne fais pas ça, petite ! ce n’est pas le moment.
Grosbon, commandant. — Attention, là !… par le flanc gauche… gauche !… (Les réservistes font par le flanc gauche, à l’exception de Singleton qui fait par le flanc droit.) Front ! (Les réservistes se remettent de front ; face au public. Singleton fait front dans l’autre sens, et se trouve dos au public.) Tenez ! regardez-moi cet idiot, là-bas !
Mauricette et Chamel. — Hein !
Singleton se retourne et se replace, face au public.
Grosbon. — Vous ne savez donc pas où ce qu’elle est, votre gauche… hein ?… espèce de gourde !
Singleton, à part. — Il m’appelle gourde devant ma femme !
Mauricette. — Ah ! mais je ne veux pas qu’on parle comme ça à mon mari !
Chamel. — Laisse faire, petite, ne te mêle pas de la discipline !
Singleton. — Je vais vous dire, Caporal…
Grosbon. — " Je vais vous dire, Caporal ". Regardez-moi cet air bête ! Je vous engage à ne pas vous marier, vous, ou, sans ça, vous êtes sûr de votre affaire !
Singleton, dans le rang. — Oh !
Mauricette et Chamel. — Oh !
Grosbon, à Chamel qui est près de lui. — Non ! mais regardez-le moi ! En a-t-il une pochetée !….
Chamel, s’avançant. — C’est mon chendre !
Grosbon. — Ah ! c’est… hum !… par le flanc droit… droite !… (Les réservistes exécutent le mouvement.) En avant ! pas gymnastique, marche !
Badin reprend son chapeau à terre et le met sur sa tête ; puis ils sortent tous au pas de gymnastique par la gauche deuxième plan, derrière l’hôtel.
Scène XI
modifierMauricette, Chamel, puis Camaret, puis Angèle, puis Belouette et Saint-Florimond
Mauricette. — Oh ! Papa !… As-tu vu comme ce butor a traité mon mari ?
Chamel. -. Laisse donc ! dans le militaire, ça ne compte pas ! c’est la façon de causer. Alors, comme ça, ça ne te tente pas de venir pêcher avec moi !
Mauricette. — Non ! je t’abandonne ! pendant ce temps-là, je vais aller jusque chez cette madame Rivolet pour qui le préfet de chez nous nous a donné une lettre d’introduction. Si nous devons rester vingt-huit jours ici, autant que nous nous fassions des relations.
Chamel. — C’est ça, fa, petite !
Mauricette. — Au revoir, Papa !
Elle sort par la gauche, deuxième plan, derrière l’hôtel.
Chamel. — Moi, che vais profiter de ce que la Brèche passe là, devant l’hôtel, pour aller jeter un coup de ligne. Chai remarqué ce matin en me promenant certain petit fond… où je crois que je prendrai du poisson.
Camaret, sortant de la première baraque de droite. — Les chambrées sont mal tenues ! Où est le sergent ?
Chamel. — Oh ! le capitaine !
Camaret, descendant au n° 2. — Monsieur Chamel !… Et où allez-vous comme ça ?
Chamel. — Je vais pêcher, mon Capitaine ; je vais pêcher des petits cochons !…
Camaret. — Comment, vous allez pêcher des petits cochons ?
Chamel. — Non ! des petits cochons ! les petits poissons !
Camaret. — Ah ! des petits goujons !
Chamel. — Eh bien ! qu’est-ce que je dis "des petits cochons" !
Camaret. — Ah ! oui ! oui ! et dites-moi ! Vous n’avez pas vu votre neveu Champignol ?
Chamel. — Non !
Camaret, remontant vers le fond à droite. — Qu’est-ce qu’il fait donc ? Je l’ai fait demander !
Saint-Florimond, il a quitté sa tenue de corvée et est en veste. Bélouette entre de droite, deuxième plan, avec lui. — Mais qu’est-ce qu’il me veut, le capitaine ?
Bélouette. — Je ne sais pas, il vous le dira !
Il indique Camaret.
Camaret. — Ah ! vous voilà ! Bien !
Chamel, à Saint-Florimond. — Bonjour, prisonnier !
Saint-Florimond, à part, passant au 2. — Prisonnier ! (Haut.) Bonjour ! bonjour !
Camaret, à Bélouette qui se trouve au n° 4, — Dites-donc, Sergent, je viens de voir les chambrées ; elles sont à peu près dans le même état que tout à l’heure ; c’est mal balayé, et puis il y a des paquets sur les lits ; j’ai dit que je ne voulais pas de paquets ! Faites-moi ranger tout ça !
Bélouette. — Bien, mon Capitaine !
Il entre dans la première baraque. Pendant tout ce qui précède, Chamel cause avec Saint-Florimond.
Camaret. — Approchez, Champignol !
Saint-Florimond. — Mon Capitaine…
Camaret. — Comme vous n’êtes pas le premier venu, je vais vous faire une grande faveur.
Saint-Florimond. — À moi, mon Capitaine !
Camaret — Je vous dispense de toutes les corvées de quartier.
Saint-Florimond. — Ah ! mon Capitaine !
Camaret. — Seulement, vous allez prendre vos pinceaux et votre palette et me faire mon portrait.
Saint-Florimond. — Comment ?
Camaret. — Je dis : vous allez prendre vos pinceaux et votre palette et me faire mon portrait.
Saint-Florimond. — J’avais bien entendu ! (À part.) Ah ! bien il ne manquait plus que ça !
Camaret. — Eh bien ! qu’est-ce que vous attendez ?
Saint-Florimond. — Mon Capitaine, certainement, je suis très honoré mais je ne peux pas ! je ne peux pas !
Camaret. — Pourquoi cela, vous ne pouvez pas ?
Saint-Florimond, sèchement, — Parce que…
Camaret. — Alors vous refusez ?
Saint-Florimond. — Mais non, mon Capitaine, seulement, je n’ai rien de ce qu’il me faut pour ça. Je n’ai pas de pinceaux. Tout est à Paris.
Camaret. — Ah ! là ! là ! Que c’est embêtant !
Saint-Florimond. — Oh ! oui, mon Capitaine, j’en suis le premier ennuyé ; vous pensez, mon Capitaine que si j’avais eu ce qu’il fallait pour peindre… j’aurais été enchanté… j’aurais fait ça séance tenante !
Camaret. — Ah ! là ! là ! là ! là !
Chamel. Oui… c’est bien empêtant… C’est bien empêtant.
Ils gagnent la gauche lentement, en ligne et toujours dans le même ordre.
Bélouette, sortant de la première baraque de droite. — Mon capitaine, tout est rangé dans les chambres, il ne reste que ce paquet-là. C’est tout un fourniment de peintre… une toile, avec une boîte à couleurs.
Bélouette tient en outre à la main un chevalet et un pinchart.
Tous. — Hein !…
Camaret. — Une boîte à couleurs !
Bélouette. — Oui, c’est à Champignol, mon Capitaine. Son nom est écrit dessus.
Camaret, à Saint-Florimond. — Ah ! çà ! qu’est-ce que vous me disiez donc ? (À Bélouette.) C’est bien ! posez ça là ! (Bélouette pose à terre l’attirail de peintre.) Bien ! vous allez appeler un homme pour balayer la chambrée.
Bélouette. — Ils sont tous à l’exercice, mon Capitaine.
Camaret. — Eh bien ! prenez un de ceux-là. Allez. (Bélouette sort par la gauche, derrière l’hôtel, en passant derrière Camaret.) Ah çà ! voyons, qu’est-ce que vous me chantiez, vous, que vous n’aviez pas… ?
Saint-Florimond. — Mais je ne savais pas, mon Capitaine. Ah çà ! qui est-ce qui a apporté cette boîte-là ? Je n’avais rien pris ; c’est peut-être ma femme qui m’a fait la surprise ; enfin, la boîte est là, il n’y a pas à le nier, la boîte est là !
Camaret. — Oui, c’est le principal ! vous allez pouvoir commencer mon portrait tout de suite.
Chamel, à Saint-Florimond. — Ah ! bien, c’est de la chance, ça, c’est vrai, c’est de la chance !… Champignol qui se désolait déjà !…
Il passe devant Saint-Florimond et prend à terre l’attirail de peintre qu’il emporte à gauche, en repassant devant Saint-Florimond.
Saint-Florimond. — Mais taisez-vous donc !
Scène XII
modifierCamaret, Chamel, Saint-Florimond, puis Champignol
Camaret, à Saint-Florimond. — Allons ! installez tout votre fourniment !
Il remonte au fond.
Saint-Florimond, débouclant son sac. — Ah ! là ! là ! Quelle situation !
Chamel, installant le chevalet et plaçant le pinchard. — Attendez ! che vais vous aider !
Saint-Florimond. — Mais non, ce n’est pas si pressé que cela !
Camaret, redescendant au n° 3. — Comment, ce n’est pas pressé ! Allons, voyons, comment allez-vous me faire ?
Saint-Florimond, à part. — Ah ! je me le demande, mon Dieu ! je me le demande !
Camaret. — Voyons, indiquez-moi la pose… tenez, comme ça, cela vous va-t-il ?
Il prend une pose.
Saint-Florimond. — Ouh ! Ouh ! Je vous aimerais mieux assis !
Camaret. — Ah ! bien, c’est une idée ! moi aussi, j’aime mieux ça, pour poser !.. Allez me chercher une chaise !
Saint-Florimond. — Tout de suite, mon Capitaine…
Il entre à l’hôtel. Camaret et Chamel sont sur les marches de l’hôtel, attendant.
Bélouette, entrant de gauche, derrière l’hôtel, avec Champignol. — Allons, venez !
Champignol. — Voilà, sergent ! qu’est-ce qu’on me veut ? (Bélouette entre dans la première baraque de droite. Apercevant le chevalet installé à gauche.) Un chevalet ! hein ! mais c’est le mien ! Ce sont mes affaires ; on ne se gêne pas ici !
Il s’empare de la boîte de couleurs, du chevalet, du pinchard, met tout cela sous son bras et se dirige vers la première baraque de droite.
Camaret, toujours sur les marches de l’hôtel, apercevant Champignol. — Eh bien ! dites donc là-bas… Qu’est-ce qui vous prend ? Vous êtes fou ?
Champignol, revenant sur ses pas. — Mais, mon Capitaine…
Camaret. — Ah ! c’est le loustic ! Vous voulez vous faire remarquer… Voulez-vous bien laisser ça !
Champignol. — Cependant…
Camaret. — Je vous dis de laisser ça. (Champignol replace à gauche, premier plan, en maugréant, le chevalet, la toile, le pinchard et la boîte à couleurs.) Et puis, fichez-moi le camp de là !…
Champignol, il se dirige vers la droite. — Mais c’est de l’arbitraire, c’est de l’arbitraire !
Camaret. — Qu’est-ce qui m’a donné des polichinelles pareils ?
Bélouette, ressortant de la première baraque. — Dites-donc, le réserviste !
Champignol. — Sergent !
Bélouette, l’air bonhomme. — Vous n’avez encore rien pris, ce matin ?
Champignol. — Ah ! non sergent, non, justement, je n’ai rien pris.
Bélouette, prenant dans l’intérieur de la baraque, un balai qu’il donne à Champignol. — Eh bien ! prenez ce balai, et venez balayer la chambrée.
Champignol. — Moi ?
Bélouette. — Oui, et plus vite que ça !
Champignol. — Ah ! mon Dieu ! Si le jury de peinture me voyait !
Il entre dans la baraque, en passant devant Bélouette qui entre à sa suite.
Scène XIII
modifierCamaret, Chamel, Saint-Florimond
Pendant ce qui précède, Camaret et Chamel ont ouvert la boîte à couleurs, préparé les pinceaux, etc.
Saint-Florimond, sortant de l’hôtel avec une chaise. — Voici la chaise !
Camaret. — Ah ! merci !
Saint-Florimond, à part. — Ah ! mon Dieu ! mon Dieu ! Inspirez-moi !
Ils se placent dans l’ordre suivant : Camaret, assis au deuxième plan à l’entrée de la porte de l’hôtel. Saint-Florimond, assis sur son pinchard, son chevalet placé de trois quarts, de façon que la toile qui est dessus soit bien en vue du public. Cette toile doit être blanche et l’acteur doit dessiner lui-même comme il peut. Chamel, debout derrière Saint-Florimond, sa ligne toujours à la main.
Camaret, qui s’est assis, prenant une pose. — Comme ça ! De face ?
Saint-Florimond. — Euh ! non… de profil !… (À part.) J’y gagne moitié.
Chamel. — Ah ! j’aimerais mieux de face !
Saint-Florimond. — Je ne vous demande pas ce que vous aimez le mieux ; moi, j’aime mieux le profil.
Camaret, se mettant de profil. — Celui-là ?
Saint-Florimond. — Non ! le gauche !… C’est le meilleur ! (À part.) Et puis, c’est encore celui-là que je réussis le mieux !
Camaret. — Allons !… Vous y êtes ?… (Sur le ton du commandement à l’exercice.) Commencez !
Saint-Florimond, s’installant au chevalet. — Qu’est-ce que je vais faire, mon Dieu ! (Il commence une esquisse, à part.) Mon Dieu ! quelquefois, avec le courage du désespoir…
Chamel, derrière lui. — C’est pien !… qu’est-ce que c’est que ça ?…
Saint-Florimond. — C’est le nez !
Chamel. — Je croyais que c’était la visière du képi.
Saint-Florimond. — Eh bien ! croyez !… mais ne me dérangez pas. (Il dessine. À part.) Mon Dieu !… il ne croira jamais que c’est un Champignol.
Champignol, sortant de la baraque, tout en balayant. — Mais ils me font faire le ménage ! (Apercevant Saint-Florimond qui dessine.) Tiens, un confrère ! (Descendant au n° 4.) Hum ! il n’est pas fort !
Chamel, toujours derrière Saint-Florimond. — Dites donc !… qu’est-ce que c’est que ça ?
Saint-Florimond, impatienté. — C’est l’œil ! zut !
Chamel. — Ah ! C’est l’œil ! (À Champignol.) Ah ! c’est pien intéressant de voir dessiner, c’est pas mal, hein ?…
Champignol, avec une moue. — Oui ! ça a l’air d’un primitif…
Chamel. — Un peu !… un peu !…
Champignol, s’approchant timidement de Saint-Florimond, en passant devant Chamel. — Dites donc, un peu trop d’écart, là… l’œil par rapport à l’oreille !…
Saint-Florimond. — Qu’est-ce que vous dites ?
Champignol, répétant timidement. — Un peu trop d’écart… l’œil par rapport à l’oreille !…
Camaret, posant. — Quoi !… qu’est-ce qu’il y a encore ?… (Tournant la tête.) Hein ! encore celui-là ! Vous direz au sergent de vous marquer deux jours de salle de police.
Champignol, à part. — Moi !… (Passant devant Chamel et se dirigeant vers la première baraque de droite.) Eh bien ! plus souvent que j’irai lui dire… il est bon !… il veut que ce soit moi qui…
Camaret. — Vous n’avez pas entendu ?
Champignol. — Si, mon Capitaine !… (Entrant dans la baraque.) Seulement, je ne dirai rien du tout !
Chamel. — C’est drôle, tout de même !… à voir ses esquisses, on ne dirait jamais qu’il fait de si jolis tableaux !
Camaret. — Pristi !… Je commence à avoir le torticolis… Est-ce bientôt fini ?
Saint-Florimond. — Mais, si vous voulez, mon Capitaine, c’est fini !
Camaret, se levant, passant derrière le chevalet et descendant au n° 2. — C’est ça, en voilà assez pour aujourd’hui ! Voyons !
Saint-Florimond. — Qu’est-ce qu’il va dire, mon Dieu !…
Camaret, regardant la toile sur le chevalet. — C’est moi, ça ?
Saint-Florimond. — Oui !… oui !… C’est…
Camaret, prenant la toile qu’il examine. — Par exemple, si ça me ressemble !…
Saint-Florimond. — C’est… c’est… l’esquisse !… vous savez, pour nous autres, l’esquisse, ce ne sont que des points de repère… Il n’y a que nous qui nous y reconnaissions…
Camaret. — Ah ! c’est ça !… parce que… moi, en effet, je ne m’y reconnais pas.
Saint-Florimond. — C’est jeté !… c’est jeté !…
Camaret. — Allons, vous pouvez ranger votre fourniment.
Saint-Florimond range son attirail pendant les répliques suivantes.
Chamel. — Je crois qu’il fera quelque chose de pien !
Camaret. — Je l’espère, car, quant à présent…
Chamel. Allons !… je vais à la pêche… (À Camaret.) Fous ne venez pas, Capitaine ?…
Camaret. — Non… merci !…
Chamel. — À bientôt, alors…
Il sort par la gauche, derrière l’hôtel, troisième plan. — Camaret l’accompagne et disparaît un instant avec lui. — Saint-Florimond range son attirail, le prend d’une main, et, de l’autre, prend la chaise qu’il a été chercher précédemment pour Camaret et la reporte à l’hôtel.
Les réservistes, rentrant de gauche, deuxième plan. — Ah ! la pause ! enfin !
Ils se dirigent vers la baraque.
Grosbon. — Eh ! là ! pas si vite ! qu’est-ce qui vient avec moi chercher les pommes de terre ?
Pinçon. — Moi, caporal, si vous voulez…
Grosbon. — Vous ! qu’est-ce que vous êtes ?
Pinçon. — Fort de la halle !
Grosbon. — Restez ici ! (Au Prince.) Et vous ?
Le Prince. — Prince de Valence.
Grosbon. — Prince !… Allez chercher les pommes de terre !
Sortie du Prince par la gauche, deuxième plan. Tout le monde reste groupé au fond.
Saint-Florimond, sortant de l’hôtel avec son attirail sous le bras. À Camaret qui rentre de gauche, troisième plan. — Alors, je m’en vais, mon Capitaine !
Camaret, à Saint-Florimond qui se dirige vers la droite. — Oui ! ah ! dites-moi, vous avez les cheveux trop longs ; il faudra les faire couper à l’ordonnance !
Saint-Florimond, à part, — Comme c’est gai ! (Haut.) Bien, mon Capitaine !
Il sort par la droite premier plan. Entrée du baraquement.
Camaret, à Ledoux qui sort de la première baraque. — Adjudant Ledoux ! Le soldat Champignol a les cheveux trop longs ; il faudra les lui faire couper.
Ledoux. — Ah ! bien, mon Capitaine.
Camaret. — Et tout de suite, hein !
Il entre à l’hôtel.
Scène XIV
modifierLedoux, Champignol, puis les Réservistes, puis Mauricette, puis Angèle, puis le Prince et Grosbon
Ledoux. — Ah ! où est-il, ce Champignol ? (Apercevant Champignol qui sort de la baraque.) Ah ! le voilà ! (À Bélouette.) Sergent !… Vous allez faire faire couper les cheveux à cet homme-là.
Champignol. — À moi ?
Bélouette. — Bien, mon Lieutenant.
Ledoux remonte au fond à gauche.
Champignol. — Mais, sergent ! ça m’est défendu par mon médecin.
Bélouette. — Je ne vous demande pas votre avis ! (À Grosbon qui vient de la première baraque.) Caporal, vous allez faire couper les cheveux à cet homme-là.
Il sort par la droite premier plan.
Grosbon. — Bien, sergent ! (Appelant.) Perruquier !
Champignol. — Mais, caporal…
Grosbon. — Taisez-vous !
Le Perruquier, sortant de la première baraque. — Vous m’avez appelé, caporal ?
Grosbon. — Vous allez couper les cheveux à cet homme-là !
Il remonte au fond, à gauche.
Le Perruquier. — Bien, caporal ! (À Champignol.) Allons ! venez !
Champignol. — En voilà une idée ; en voilà une idée !
Il entre dans la première baraque, suivi du perruquier.
Grosbon, voyant le Prince qui entre de gauche, deuxième plan, portant sur son dos un énorme sac de pommes de terre. — Allons, avancez, vous, le Prince, et plus vite que ça !
Le Prince, traversant la scène. — Oh ! là ! là ! là ! Oh ! mon Dieu, il me semble que tout l’Épatant me regarde !
Grosbon. — Déposez ça là !… (Le Prince dépose le sac à l’avant-scène droite.) Et maintenant, tout le monde aux pommes de terre.
Les réservistes entourent le sac et épluchent les pommes de terre.
Ledoux, à gauche. — Moi, je vais aller fumer une cigarette par là ! (Il remonte vers le fond à gauche.) Tiens un pêcheur ! Il ne doit rien prendre ! Je vais aller le voir faire !
Il disparaît par la gauche, troisième plan. Brouhaha des réservistes, puis dominant, la voix de Lavalanche chantant en épluchant les pommes de terre.
"Ah ! Mesdames,
Voilà du bon fromage,
Il est du pays de celui qui l’a fait."
Tous les réservistes, reprennent en chœur.
"Celui qui l’a fait était de son village,
Ah ! Mesdames,
Voilà du bon fromage,
Voilà du bon fromage au lait,
Il est du pays de celui qui l’a fait."
On entend un cri à gauche.
Ledoux, accourant de gauche, troisième plan, et redescendant en scène. — Ah ! mon Dieu !… des hommes… des hommes… des nageurs !
Tous les réservistes. — Qu’est-ce qu’il y a ?
Ledoux. — Le pêcheur, là-bas, qui vient de tomber à l’eau !… Courez !… Courez !…
Tous. — Un homme à l’eau !
Singleton. — Je parie que c’est mon beau-père !
Lavalanche. — Un homme à l’eau ! chouette !… on coupe aux pommes de terre.
Tous, se précipitant. — Courons ! Courons !
Le Prince, sur le devant de la scène, sans bouger. — Courons ! Courons !
Scène XV
modifierLes Mêmes, Camaret, puis Chamel, Ledoux et les Réservistes, puis Saint-Florimond, accourant du fond à droite
Camaret, sortant de l’hôtel. — Qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi ces cris ?
Le Prince, toujours sur le devant de la scène, très tranquillement. — C’est un pêcheur qui est tombé à l’eau.
Camaret. — Un pêcheur ! et vous êtes là ! Voulez-vous bien courir !… Où est-il ce pêcheur ? Où est-il ?
Chamel entre de gauche, troisième plan, soutenu par Singleton et entouré de Ledoux et de tous les réservistes ; il est trempé, il éternue comme un homme qui a avalé de l’eau.
Ledoux. — Venez ! par là ! par là !
Singleton. — Venez, beau-père !
Camaret. — Monsieur Chamel !
Chamel, éternuant. — Atchim !… Atchim !… je suis noyé ! je suis noyé !
Camaret. — Comment, c’est vous, monsieur Chamel !
Chamel. — Capitaine !… ah ! Capitaine ! quel plongeon ! Laissez-moi vous raconter.
Camaret. — Mais non ! vous me raconterez ça plus tard ! vous ne pouvez pas rester dans cet état-là… vous êtes trempé… (Aux réservistes.) Emmenez-le par là ! bonchonnez-le ! (À Chamel :) Voulez-vous prendre quelque chose ?
Chamel. — Oui, un krog !
Ledoux. — Je vais vous chercher ça.
Il entre à la cantine.
Singleton, à Chamel. — Allons, venez !
Chamel, sortant par la droite, deuxième plan. — Ah ! quel plongeon ! quel plongeon !
Il sort en éternuant.
Camaret. — Eh bien ! il est dans un joli état ! (Apercevant Saint-Florimond qui vient de droite, troisième plan.) Ah ! vous voilà, vous ! vous arrivez bien ! votre oncle vient de tomber à l’eau…
Saint-Florimond, descendant au n° 2. — Mon oncle !… mais je n’ai pas d’oncle !
Camaret. — Comment, vous n’avez pas d’oncle !… M. Chamel !
Saint-Florimond. — Ah ! Chamel !… c’est… c’est l’oncle de ma femme. C’est pour ça que… Ah ! il est tombé à l’eau. Tiens !… Tiens !… Tiens !… (Après un temps, d’un air indifférent.) Il est mort ?
Camaret. — Comment, il est mort ! en voilà un neveu ! Non, il n’est pas mort, seulement, il est trempé !… voulez-vous bien courir !
Saint-Florimond. — Oui ! oui ! oui !
Camaret. — Et bien ! dites donc ! Et vos cheveux, c’est comme ça qu’on les a coupés ?
Saint-Florimond, ôtant son képi. — Non, pas encore !
Camaret. — Comment, "pas encore" !
Saint-Florimond, entrant dans la première baraque. — Ah ! ce pauvre oncle ! il est tombé à l’eau ! Tiens, tiens, tiens !
Camaret. — Comment ! on ne lui a pas coupé les cheveux ! Ah ! c’est par trop fort ! je vais attraper l’adjudant !
Ledoux, sortant de la cantine et descend au n° 2. — Voilà le grog !
Camaret. — Adjudant Ledoux, il me semble que je vous avais dit de faire couper les cheveux au soldat Champignol !
Ledoux. — Oui, mon Capitaine !… on est en train !
Camaret. — Pas vrai !… Vous me ferez deux jours de consigne pour n’avoir pas exécuté mes ordres !
Ledoux. — Mais, mon Capitaine !…
Camaret. — Silence !… En voilà assez !…
Il entre à l’hôtel.
Scène XVI
modifierLedoux, puis Champignol, puis Bélouette, puis Grosbon, puis le Perruquier
Ledoux. — Animal de Champignol ! Ah ! Tu me fais attraper, toi ! Eh bien ! attends !…
Champignol, sortant de la baraque de droite et descendant au n° 2, les cheveux un peu plus courts. — Ah ! on vient de me couper les cheveux !
Ledoux. — Ah ! vous voilà, vous ! je vous avais dit de vous faire couper les cheveux !
Champignol, ôtant son képi. — Mais, j’en viens, mon lieutenant !
Ledoux. — Ce n’est pas vrai ! Et pour commencer, vous m’avez fait attraper : je vous donne deux jours de consigne. (Passant au deuxième plan, et appelant.) Sergent Bélouette !
Bélouette, sortant de la baraque. — Mon lieutenant !
Ledoux. — Il me semble que je vous avais dit de faire couper les cheveux de cet homme-là !
Bélouette. — On vient de les lui couper, mon lieutenant !
Ledoux. — C’est pas vrai ! Vous me ferez trois jours de consigne pour n’avoir pas exécuté mes ordres.
Il passe derrière Champignol et sort par la gauche, premier plan.
Bélouette, après la sortie de Ledoux. — Ah ! C’est vous qui me faites attraper, vous, Champignol… Vous me ferez trois jours de consigne ! attendez un peu. (Appelant.) Caporal Grosbon !
Grosbon, sortant de la baraque, et descendant au n° 3. — Sergent !
Bélouette. — Il me semble que je vous avais dit de faire couper les cheveux de cet homme-là !
Grosbon. — On vient de les lui couper, sergent !
Bélouette. — Ce n’est pas vrai !… Vous me ferez quatre jours de consigne pour n’avoir pas exécuté mes ordres.
Il sort par la droite troisième plan.
Grosbon, à Champignol passant au n° 2. — Ah ! c’est vous qui me faites attraper ! Vous me ferez quatre jours de consigne.
Champignol, à part. — Ça fait neuf !…
Grosbon. — Attendez un peu ! (Appelant.) Perruquier !
Le Perruquier, sortant de la baraque. — Caporal !
Il descend au n° 3.
Grosbon. — Il me semble que je vous avais dit de couper les cheveux à cet homme-là !
Le Perruquier. — Mais je les ai coupés, Caporal !
Grosbon. — Ce n’est pas vrai ! Vous me ferez quatre jours de consigne pour n’avoir pas exécuté mes ordres.
Le Perruquier. — Oh ! (À part.) Eh bien ! elle est raide !…
Grosbon. — Vous allez me tondre cet homme-là, immédiatement.
Il sort.
Le Perruquier, à Champignol. — Eh bien ! tu sais, toi, tu n’es pas un chic type. Faire attraper un camarade !
Champignol. — C’est dommage qu’il ne puisse pas me consigner, je commençais à m’y habituer.
Le Perruquier. — Allons, viens !…
Il entre dans la première baraque, suivi de Champignol.
Scène XVII
modifierLes Mêmes, Chamel, Singleton, le Prince, Lafauchette, tous les Réservistes
Singleton, entrant de droite, deuxième plan, — entrée du baraquement — avec Chamel, Lafauchette et le Prince. À Chamel, qui est en uniforme. — Eh bien ! beau-père, ça va-t-il mieux ?
Chamel, descendant au n° 2. Ah ! maintenant, ça va pien !… C’est égal, messieurs, fous avez été pien aimables de me prêter ces vêtements !
Tous. — Ah ! comment donc !
Singleton. — J’ai porté les vôtres à la cuisine ; ils sont en train de sécher.
Chamel. — Ils ne doivent pas m’aller très bien ?
Singleton. — C’est-à-dire que vous avez l’air d’un engagé conditionnel !
Chamel. — Est-ce pête à moi d’avoir été me jeter à l’eau comme ça !
Singleton. — Mais comment ça vous est-il arrivé ?
Chamel, s’asseyant sur le banc. Tout le monde l’entoure. — Eh pien ; voilà ! J’étais sur le pord de la Brèche ; seulement du pord, on ne peut pas pêcher bien loin ; alors, je fois un large tronc d’arbre qui émerge de l’eau ! je saute dessus et flac ! je tombe dans l’eau.
Tout le monde de rire.
Grosbon, accourant de gauche, deuxième plan. — Le Commandant !… Voilà le Commandant ! vite, vous autres ! tout le monde dans la chambrée !
Tous. — Le Commandant ! Oh !
Ils se précipitent dans la baraque de droite, en bousculant Chamel.
Grosbon, entrant le dernier dans la baraque. — Voilà le Commandant !… Voilà le commandant !
On entend un brouhaha dans la chambrée.
Chamel, au milieu de la scène. — Eh pien ! qu’est-ce qu’ils ont dit ? C’est écal, on est pien, ici !… Il y a un petit soleil !… C’est pon, après le pain !…
Il s’étend de tout son long sur le banc qui se trouve devant le hangar de la cantine.
Scène XVIII
modifierChamel, Fourrageot
Fourrageot, entrant de gauche, deuxième plan, un cigare à la bouche, et descendant à droite, à l’avant-scène. — Eh bien ! il n’y a personne, ici ? sacré cigare ! il s’éteint tout le temps, c’est étonnant ! Pourtant, il est de contrebande !
Il tire une boîte d’allumettes de sa poche et rallume son cigare.
Chamel, étalé sur le banc, chantant le "Ranz des vaches" — La ! la ! la ! la !
Fourrageot, se retournant. — Qu’est-ce que c’est que ça ?
Chamel, même jeu. — La ! la ! la ! la !
Fourrageot, apercevant Chamel, allant lentement à lui, ce qui n’interrompt pas le chant de Chamel, et se campant devant lui. — Mais, c’est un réserviste ! Eh bien ! dites donc ! Qu’est-ce que vous faites-là ?
Chamel, sur le banc. — Moussié !
Fourrageot. — Monsieur ! Il m’appelle monsieur ! Qu’est-ce que vous dites ? À qui croyez-vous parler, hein ? à qui croyez-vous parler ?
Chamel. — Moussié !
Fourrageot. — Dites donc ! est-ce que vous êtes sourd ? c’est à moi que vous dites : "Moussié" ?
Chamel. — Oui, Moussié.
Fourrageot. — Ah çà ! espèce de lourdaud, est-ce que vous allez continuer sur ce ton-là ?
Chamel. — Qu’est-ce que c’est que cet hôme-là ?
Fourrageot. — Eh puis debout ! Où avez-vous vu un homme rester couché devant son commandant ? Allons, debout et avancez ! (Chamel hausse les épaules, se recouche et reprend son chant. Fourrageot, furieux, le prenant au collet et le faisant descendre à droite au n° 2.)' — Ah ! mais ! debout donc !
Chamel. — Dites donc !… vous n’allez pas me laisser tranquille ?
Fourrageot. — Qu’est-ce que vous dites ? Vous savez que je vais vous fourrer en prison, moi !
Chamel. — Tites donc pas de bêtises.
Fourrageot. — Vous n’êtes plus à la campagne, espèce de paysan ! Vous voulez faire la forte tête, ici ? Vous ne me connaissez pas, je vous materai, moi !
Chamel. — Non, écoutez donc ! Che vais vous dire.
Tout en parlant, il lui enlève une peluche de son dolman.
Fourrageot. — Mains dans le rang !
Il lui donne une tape sur la main.
Chamel, passant au n° 1. — Ah ! mais dites donc ! Est-il brutal ! il n’y a pas moyen de causer avec vous ! vous ragez tout le temps !
Fourrageot, appelant, — Sergent ! Qu’est-ce que c’est que cet homme-là ?
Bélouette, qui est arrivé aussitôt de droite, deuxième plan et descendant au n° 3. — Je ne sais pas, mon Commandant !… Ça doit être un réserviste arrivé de ce matin.
Fourrageot. — Ah ! c’est ça !… Il n’a jamais dû être militaire cet homme-là ! Vous n’avez jamais été militaire ?
Chamel. — Non, chamais. Je suis Suisse.
Fourrageot. — Portier ! ça ne m’étonne pas ! Comment vous appelez-vous ?
Chamel. — Chamel !
Fourrageot. — Vous marquerez quatre jours de salle de police à Chamel.
Chamel. — À moi !
Fourrageot. — Vous allez dire à un caporal de prendre cet homme-là et de lui lire pendant une heure la théorie sur les marques extérieures de respect.
Bélouette. — Oui, mon Commandant !
Le Commandant se dirige vers la baraque.
Fourrageot. — Vous ne me connaissez pas, mon gaillard, je vous materai.
Le Commandant entre en grommelant dans la chambrée.
Une voix, dans la chambrée. — À vos rangs… fixe !
Chamel, à Bélouette après le départ du Commandant. — Dites donc, il n’est pas aimable, le cradé.
Bélouette. — Silence ! (À Chamel, apercevant Ledoux qui entre de gauche, deuxième plan.) Ah ! un instant ; il faut d’abord que je parle à l’adjudant.
Il passe derrière Chamel et va à Ledoux.
Scène XIX
modifierLes Mêmes, Ledoux, puis Champignol
Ledoux, une lettre à la main, descendant au n° 1. — Voilà ma chance ! ma petite mercière qui me donne rendez-vous ce soir, et ce Champignol qui me fait attraper deux jours de consigne !
Bélouette, descendant au n° 2. — Mon Lieutenant… je voulais vous dire… il y a un homme de garde qui est malade… il faudrait le remplacer.
Ledoux, passant au n° 2. — Le remplacer ? Mettez Champignol…
Bélouette, repassant derrière Ledoux et allant à Chamel. — Champignol ? Bien, mon Lieutenant.
Ledoux. — Je lui ferai payer ma consigne, à celui-là !
Bélouette, à Chamel. — Allons ! venez, vous !
Chamel. — Où ça ?
Bélouette. — On vous le dira.
Ils sortent par la droite, deuxième plan, entrée du baraquement.
Ledoux, s’avance sur le devant de la scène. — Après tout, la nuit, les adjudants sont maîtres du quartier… J’irai la faire chez ma mercière, ma consigne !
Champignol, venant de la première baraque de droite, les cheveux ras, et redescendant au n° 2. — Pristi ! On peut dire qu’il m’a tondu !
Ledoux. — Ah ! vous voilà, vous !… On vous a coupé les cheveux ?
Champignol. — Ah ! oui, mon Lieutenant. (Otant son képi.) C’est suffisant comme ça ?
Ledoux. — C’est bien ! Eh bien ! maintenant, allez vous mettre en tenue, vous êtes de garde.
Champignol. — Moi ?
Ledoux, passant derrière lui, et se dirigeant vers la première baraque de droite. — Oui, vous ! Allons, venez !
Champignol. — Tous les plaisirs à la fois !…
Il entre dans la première baraque, à la suite de Ledoux.
Scène XX
modifierLedoux, puis Chamel et Grosbon, puis Mauricette, puis Singleton.
Chamel, entrant de droite, deuxième plan (entrée du baraquement) suivi de Grosbon. — Non, mais je vous en prie… Qu’est-ce que ça me fait tout ça ! Laissez-moi tranquille !
Grosbon, lisant la théorie qu’il tient à la main. — "Tout sous-officier… caporal ou soldat…
Chamel, descendant à droite, à l’avant-scène n° 2. — Oh !
Grosbon, n° 1. — … armé du fusil, qui parle à un officier, porte ou présente l’arme".
Chamel, en désespoir de cause, lève les épaules, et se met à chantonner, les yeux au ciel. — Là ! là ! là !
Grosbon. — Vous n’avez pas l’air d’écouter ce que je vous lis…
Chamel. — Si ! si !
Grosbon. — Vous avez votre fusil, un officier passe… Qu’est-ce que vous faites ?
Chamel. — Euh ! Hein ?… Je tire…
Grosbon. — Comment, vous tirez… c’est comme ça que vous écoutez ?
Chamel. — Hein non ! est-ce que je sais ? (Passant au n° 1.) Vous êtes là, à me raconter un tas de choses qui me sont égales ; laissez-moi tranquille !
Mauricette, entrant du côté gauche, deuxième plan. — Où est donc papa ?
Chamel. — Ma fille !
Mauricette, descendant au n° 1. — Papa ! toi en soldat ?…
Chamel. — Je vais t’expliquer. C’est parce que je suis tombé à l’eau.
Mauricette. — Tu es tombé à l’eau !
Chamel. — Oui, mais il n’y a pas eu de mal !
Grosbon, lisant la théorie sans se soucier de la conversation. — "Un inférieur parlant à son supérieur…"
Chamel, à Mauricette. — J’étais sur le bord de la Brèche.
Ensemble.
Grosbon, lisant la théorie. — … Il l’appelle par son grade…
Chamel. — Je fois un large tronc d’arbre qui émergeait de l’eau.
Grosbon, id. — … précédé du mot : "mon"…
Chamel. — Ah ! non, je vous en prie ! hein ! je vous en prie, il n’y a pas moyen de causer.
Grosbon. — On m’a dit de vous lire la théorie, je vous la lis.
Singleton, sortant de la première baraque de droite, avec les vêtements de civil de Chamel, et descendant au n° 4. — Beau-père, voilà vos vêtements… ils sont secs.
Chamel. — Là, voilà mes vêtements ! vous voyez bien que je ne suis pas militaire !
Grosbon. — Je ne connais que l’ordre du sergent.
Singleton. — Eh bien ! l’ordre de l’adjudant est qu’il aille se mettre en civil.
Grosbon. — Du moment que c’est l’ordre de l’adjudant…
Il sort par la droite, troisième plan.
Chamel. — Ah ! dis donc ! tu as été chez madame Rivolet ?
Mauricette. — J’ai déposé la lettre avec nos cartes.
Chamel. — Pien ! pien ! allons, venez, les enfants !
Ils entrent à l’hôtel. Un peu avant leur sortie, Bélouette arrive de droite, deuxième plan, (entrée du baraquement), suivi de Saint-Florimond. Ils sont en tenue de garde.
Scène XXI
modifierSaint-Florimond et Bélouette puis Champignol, Ledoux
Saint-Florimond, en tenue de garde, la jugulaire de son képi au menton, Bélouette qui le suit : — Comment, sergent, c’est moi qui dois monter la garde ?
Bélouette. — Dame ! c’est bien vous, Champignol ? Eh bien ! l’adjudant m’a dit : "Mettez Champignol de garde !"
Saint-Florimond. — En voilà une scie ! (Appelant Bélouette.) Sergent !
Bélouette. — Quoi ! Qu’est-ce qu’il y a ?
Saint-Florimond. — Est-ce que je dois rester là !
Bélouette. — Naturellement, vous devez rester là !
Saint-Florimond. — Non ! Je veux dire : jusqu’où puis-je aller ?
Bélouette. — De là, à là (Il lui indique toute la profondeur de la scène, depuis la chambrée jusqu’à la cantine.) Et de là, à là !
Il lui indique l’espace de la cantine à la coulisse de droite.
Saint-Florimond. — Bien, sergent !
Bélouette rentre au Corps de garde. Scène muette, dans laquelle Saint-Florimond monte la garde, d’abord dans le sens de la largeur de la scène, puis disparaît dans le passage du troisième plan, entre la cantine et le Corps de garde. Champignol, sortant de la première baraque de droite, en tenue de garde, précédé de Ledoux.
Ledoux. — Vous êtes prêt ?… Eh bien ! vous allez prendre la garde.
Champignol. — Où ça, mon Lieutenant ?
Ledoux. — Eh bien ! là parbleu !… vous vous informerez.
Il sort par la gauche, deuxième plan.
Champignol. — Comme c’est amusant !… à peine arrivé !… déjà de garde ! (Il monte la garde, de la chambrée à la cantine ; au moment où il remonte la deuxième fois, il se trouve en face de Saint-Florimond qui redescend.) Un autre homme de garde !
Saint-Florimond. — Un second factionnaire !
Champignol. — Qu’est-ce que vous faites-là ?
Saint-Florimond. — On m’a mis de garde.
Champignol. — Moi aussi.
Saint-Florimond. — Ah !… c’est drôle !
Champignol. — C’est drôle !
Ils continuent leur garde dans le sens de la profondeur de la scène, en se croisant.
Saint-Florimond. — Vous êtes réservistes ?
Champignol. — Non !… territorial… et vous ?
Saint-Florimond. — Moi aussi.
Champignol. — Monsieur, enchanté !
Saint-Florimond. — Enchanté !
Ils se serrent la main et reprennent leur garde.
Champignol. — Dites donc !… Est-ce que ce n’est pas vous qui faisiez tout à l’heure le portrait du capitaine ?
Saint-Florimond. — Parfaitement ! c’était moi.
Champignol. — Vous êtes donc peintre ?
Saint-Florimond. — Pas du tout. Je n’ai jamais tenu un crayon de ma vie ; c’est là ce qu’il y a de plus terrible.
Champignol. — Comment ça ?
Saint-Florimond. — C’est tout un roman !
Champignol. — Un roman ? (Lui prenant le bras.) Mais contez-moi donc ça !
Pendant ce qui suit, ils continuent à monter la garde, bras dessus, bras dessous, leurs fusils sur l’épaule.
Saint-Florimond. — Eh bien ! voilà… c’est que c’est grave… Il s’agit d’une intrigue avec une femme mariée, et la discrétion professionnelle…
Champignol. — Mais, allez donc ! allez donc ; il n’y a que moi qui le saurai.
Saint-Florimond. — D’ailleurs, je ne vous nommerai pas la personne… Eh bien !… Voilà !… (Remontant, en montant la garde, toujours bras dessus, bras dessous, avec Champignol)… Je faisais la cour depuis quelque temps à une femme mariée.
Champignol. — Jolie ?
Saint-Florimond. — Charmante !… Je commence par vous dire qu’il ne s’est absolument rien passé entre nous.
Champignol. — Oui, on dit toujours ça !
Saint-Florimond. — Mais non, je vous assure.
Champignol, redescendant avec Saint-Florimond. — Oui, oui, allez donc ! Nous disons donc que vous n’êtes arrivé à rien.
Saint-Florimond. — Ah ! si !
Champignol. — Ah ! Ah ! vous voyez bien !
Ils s’arrêtent tous les deux, bras dessus, bras dessous, et face au public, toujours dans le même ordre : Saint-Florimond, Champignol.
Saint-Florimond. — Mais non, vous ne me comprenez pas ! je suis arrivé à être pris pour le mari, et à faire ici ses treize jours à sa place !
Champignol. — Non ! Ah ! que c’est drôle ! Il y a des maris qui ont de la chance ! Voilà une chose qui ne m’arriverait jamais à moi ! Mais, dites-moi, ça ne m’explique pas pourquoi vous faisiez le portrait du capitaine, n’ayant jamais tenu un crayon de votre vie.
Saint-Florimond. — Ah ! voilà, c’est que je ne vous ai pas dit : le mari de la dame…
Champignol. — Eh bien ?
Saint-Florimond. — Il est peintre.
Champignol. — Un confrère ! Ah ! que c’est amusant !
Saint-Florimond. — Comment, un confrère ?
Champignol. — C’est vrai, au fait, vous ne me connaissez pas ! je suis M. Champignol.
Saint-Florimond, bondissant en croisant la baïonnette. — Qui vive ! alerte ! avance au ralliement ! (Tombant affolé sur le banc du fond, devant la cantine.) Le mari ! mari ! mari !
Champignol. — Marie !… il pense à sa mère ! (Allant à Saint-Florimond et essayant de le consoler.) Tu la reverras. (Il s’asseoit sur le banc, à côté de Saint-Florimond n° 1.) Allons, voyons !… Eh bien ! et vous ?
Saint-Florimond. — Moi !… Quoi ?
Champignol. — Comment t’appelles-tu ?
Saint-Florimond. — Euh… Auguste.
Champignol. — Auguste… quoi ?
Saint-Florimond. — Auguste… Rien ! Enfant naturel !
Champignol. — Ah ! crois que je compatis… Note que ça n’empêche pas d’être quelque chose… Vois, le grand empereur romain : il ne s’appelait qu’Auguste, comme toi… Ça l’a-t-il gêné dans sa carrière ?
Saint-Florimond. — C’est juste.
Champignol, se levant. — Auguste ! Et alors… dis-moi ! ce peintre… hein !… à moi… comment s’appelle-t-il ?
Saint-Florimond, se levant. — Ah ! non ! non ! je ne peux pas !
Champignol, lui donnant le bras. — Allons ! Allons ! voyons… ça me fera plaisir.
Ils reprennent tous les deux leur faction, et descendent bras dessus bras dessous, comme précédemment.
Saint-Florimond. — Oh ! on dit ça…
Champignol. — Voyons, Auguste, ce n’est pas par curiosité, c’est pour savoir si je le connais.
Ils s’arrêtent à l’avant-scène.
Saint-Florimond. — Eh bien ! c’est… c’est Raphaël.
Champignol. — Blagueur ! Il y a plus de trois cents ans qu’il est mort !
Saint-Florimond. — Attendez donc ! vous ne me laissez pas achever : Raphaël Potard.
Champignol. — Raphaël Potard ! c’est drôle ! parmi les peintres… Potard ! non, connais pas !
Saint-Florimond. — Oh ! c’est un tout petit peintre ! tout petit peintre… (Il remonte avec Champignol.) Il avait épousé une mulâtresse… une mulâtresse… qui avait eu des nègres dans sa famille !
Champignol, redescendant. — Naturellement.
Saint-Florimond. — Et alors cette mulâtresse…
Scène XXII
modifierLes Mêmes, Fourrageot
Fourrageot, sortant de la première baraque de droite, au moment où Champignol et Saint-Florimond redescendent en scène en montant leur garde, bras dessus, bras dessous. — Ah çà ! qu’est-ce que c’est que ça ! Qu’est-ce que vous faites-là, vous autres ?
Champignol, Saint-Florimond, s’arrêtant. — Mon Commandant !
Fourrageot. — Où avez-vous vu monter la garde comme ça ? Et puis, présentez donc les armes quand je passe, hein ! Fourrageot passe à gauche, n° 1. Champignol et Saint-Florimond se placent face à face et se présentent les armes.) Pas comme ça ! (Champignol fait demi-tour. Champignol et Saint-Florimond se trouvent alors l’un derrière l’autre, et présentent les armes au commandant dans cette position.) Qui est-ce qui m’a fichu des soldats pareils ? Et puis, pourquoi êtes-vous deux ?
Saint-Florimond. — je ne sais pas, mon Connandant… on nous a dit…
Champignol. — Oui, à Auguste et à moi…
Fourrageot. — Quoi, Auguste… (Appelant.) Sergent ! (Bélouette sort du Corps de garde et descend au n° 4) Qu’est-ce que ces hommes-là ? Pourquoi sont-ils deux ?
Bélouette, ahuri. — Je ne sais pas, mon Commandant… Je n’en ai commandé qu’un, celui-là…
Il montre Saint-Florimond.
Fourrageot, à Champignol. — Alors ! qu’est-ce que vous faites-là, vous ?
Bélouette remonte au fond devant les cantines.
Champignol. — je ne sais pas, mon Commandant, c’est l’adjudant…
Fourrageot. — Ouat !… l’adjudant !… Allons ! rentrez dans votre chambrée.
Champignol. — Ah ! çà, je veux bien.
Fourrageot. — Et tâchez que je ne vous y reprenne plus !
Champignol. — Non, vrai, c’est qu’il a l’air de croire que j’ai fait ça pour mon plaisir ! (À Saint-Florimond.) Au revoir, Auguste ! Il rentre dans la baraque.
Fourrageot, à Saint-Florimond. — Quant à vous, vous pourriez vous tenir un peu mieux quand vous êtes de faction. Comment vous appelez-vous ?
Saint-Florimond. — Euh ! moi ? je ne sais plus.
Bélouette, descendant entre Fourrageot et Saint-Florimond. — C’est le soldat Champignol, mon commandant.
Fourrageot. — Champignol ! (À Bélouette.) Vous ferez bien de surveiller cet homme-là, quand il montera la garde… allez, rompez. (Bélouette salue et rentre dans le Corps de garde. À Saint-Florimond.) Enlevez donc votre képi ! (Saint-Florimond enlève son képi.) Vous avez les cheveux trop longs, Champignol !
Saint-Florimond. — On me l’a déjà dit, mon Commandant.
Fourrageot. — Eh bien ! mon ami, il faudra les faire couper.
Saint-Florimond, remontant et reprenant sa garde. — Bien, mon Commandant. (À part.) Mon Dieu, le mari ici, le mari !
Il disparaît en montant la garde par la droite, troisième plan.
Fourrageot, à Ledoux, qui entre de gauche, deuxième plan. — Adjudant !
Ledoux, descendant au n° 1. — Mon Commandant !
Fourrageot. — Vous ferez couper les cheveux de Champignol.
Ledoux, ahuri. — Plus courts ?
Fourrageot. — Naturellement ! Pas plus longs ! Vous faites des réflexions bêtes !
Passe n° 1.
Ledoux. — Oui, mon Commandant !
Fourrageot. — Vous avez compris, hein ?
Il sort par la gauche, deuxième plan.
Scène XXIII
modifierLedoux, puis Champignol
Ledoux. — Mais qu’est-ce qu’on a donc tout le temps après les cheveux de Champignol ? Enfin, je m’en fiche, après tout !
Champignol, sortant de la première baraque de droite avec le perruquier ; il a déposé son sac et son fusil, et est en veste. — Allons, venez, perruquier. Je vais vous offrir un verre pour tout le mal que je vous ai donné.
Ledoux. — Ah ! Champignol ! arrivez ici !
Champignol. — Mon Lieutenant ! (À part.) Qu’est-ce qu’il y a ?
Ledoux. — Montrez un peu votre tête. (Champignol se découvre.) Bon ! Perruquier, vous allez couper les cheveux à Champignol.
Champignol. — Encore !
Le Perruquier. — Mais mon Lieutenant, je l’ai déjà passé à la tondeuse.
Ledoux. — Eh bien ! rasez-le ! On ne m’embêtera plus avec lui ! Allons, emmenez-le !
Il sort par la gauche, deuxième plan.
Champignol, navré. — Oh !
Le Perruquier. — Allons, venez, vous !
Champignol. — Ah ! mais c’est de la mutilation ! C’est de la mutilation ! Qu’est-ce qui va me rester, alors ?…
Il entre dans la première baraque de droite avec le perruquier.
Scène XXIV
modifierLedoux, Saint-Florimond, puis Célestin, puis Camaret, puis Bélouette
Saint-Florimond, montant sa garde, venant de droite, troisième plan, et descendant à droite. — Non ! le mari ! c’est le couronnement !
Ledoux, remontant, à Saint-Florimond qui continue à monter la garde, sans faire attention à lui. — Eh bien ! dites donc ! factionnaire ! rectifiez donc la position, quand je passe !
Saint-Florimond présentant les armes. — Rectifier la position, c’est ça ?
Ledoux. — Non, ça, c’est présenter les armes. Mais il n’y a pas de mal.
Il passe devant Saint-Florimond et entre dans la première baraque de droite.
Saint-Florimond. — Qu’est-ce qui va se passer, mon Dieu ? Ah ! je le sais ce qui va se passer ! Un esclandre ! Un esclandre terrible !… Ma foi ! entre deux maux, il faut choisir le moindre… Il n’y a qu’une chose à faire : Champignol est ici… Eh bien ! qu’ils se débrouillent ! Moi, j’ai mon bal ce soir ; sitôt ma garde finie, je file.
Célestin, entrant de gauche. À Saint-Florimond, deuxième plan. — Pardon, factionnaire ! le capitaine Camaret ?
Saint-Florimond. — je ne l’ai pas vu, Monsieur.
Célestin, descendant au n° 1. — Tiens, mais je ne me trompe pas… monsieur Champignol ?
Saint-Florimond. — Monsieur le neveu du capitaine !
Célestin. — Ah ! quelle surprise ! quelle surprise !
Ils se serrent la main.
Camaret, sortant de l’hôtel. — Eh bien ! dites donc, factionnaire, ne vous gênez pas !
Célestin. — Mon oncle !
Camaret, descendant au n° 1. — Ah ! c’est toi !
Célestin. — Oui, justement, je demandais à M. Champignol…
Camaret. — Comment, c’est Champignol qui est en faction ! Comment se fait-il qu’on vous ait mis de garde ? Vous êtes puni de prison !
Saint-Florimond. — je ne sais pas, mon Capitaine !
Camaret, appelant. — Sergent de garde !
Bélouette, venant du Corps de garde. — Mon Capitaine ?
Il descend au n° 4.
Camaret. — Ah çà ! sergent, qu’est-ce que cela veut dire ? Les hommes punis de prison ne montent pas la garde ! je l’ai dispensé de corvées, mais je ne lui ai pas levé sa punition. Allons, relevez-moi ce factionnaire et mettez-le sous clé !
Bélouette. — Bien, mon Capitaine ! (À Saint-Florimond.) Venez, vous !
Saint-Florimond, remontant. — En prison ! (À part.) Mais comment vais-je faire pour filer ?… (À Bélouette.) Alors, je vais en prison, c’est ma spécialité.
Il entre au Corps de garde avec Bélouette.
Scène XXV
modifierCamaret, Célestin, puis Angèle
Célestin. — Ce pauvre M. Champignol !
Camaret. — Ah çà ! qu’est-ce qui t’amène, toi ?
Célestin. — Mon oncle, je venais vous demander, de la part de maman, d’arriver de bonne heure ce soir, avec Adrienne.
Camaret. — Pourquoi donc ?
Célestin. — À cause de son bal… C’est Adrienne qui fera l’office de maîtresse de maison… Maman est malade.
Camaret. — Allons, bon ! qu’est-ce qu’elle a ?
Célestin. — Oh ! rien de grave ! un rhumatisme…
Camaret. — Un rhumatisme !…
Célestin. — Oui, qui la tient là !
Il indique le côté droit.
Camaret. — Par le flanc… droit !
Célestin. — Vous dites ?
Camaret. — je dis : par le flanc droit !
Célestin. — Ah ! oui !… Je vous demande pardon… Je ne comprenais pas…
Camaret. — Ah ! ce n’est pas de chance, pour un jour où elle reçoit… Enfin, c’est bien !
Il remonte au fond, à gauche, avec Célestin.
Champignol. — Oh ! s’il est permis de détériorer un homme à ce point-là !
Il retire son képi, et tout honteux, s’enveloppe la tête de son mouchoir et met son képi par dessus.
Camaret, au fond, à gauche. — Ah çà ! qu’est-ce que c’est que ce soldat chauve ?
Champignol, à droite, à l’avant-scène. — Apollon, Apollon lui-même n’y résisterait pas.
Camaret. — Eh ! dites donc, là-bas !
Champignol, gagnant le milieu de la scène. — Mon Capitaine !
Camaret, descendant au n° 2, pendant que Célestin descend au n° 1. — Montrez donc votre tête, vous !
Champignol, ôtant son képi. — Hein ! Croyez-vous.
Camaret. — Quoi ! "Croyez-vous", qu’est-ce que ça veut dire : "croyez-vous" ? Ah ! c’est le loustic !
Champignol, avec fierté et satisfaction. — Ah ! il m’a reconnu !
Camaret. — Qui est-ce qui vous a permis de vous couper les cheveux comme ça, hein ? Est-ce que vous supposez qu’un soldat a le droit de disposer de sa tête pour en faire des boules d’escalier ?
Champignol. — Mais, Capitaine…
Camaret. — Vous me ferez deux jours de salle de police pour vous apprendre à vous rendre grotesque.
Champignol. — Ah ! non ! ça, c’est le bouquet !
Camaret. — Allez, rompez !… Retournez à la chambrée ; vous y resterez, jusqu’à ce que vos cheveux soient repoussés !
Champignol. — Oui, mon Capitaine !… (À part.) Eh bien ! j’en ai pour quelque temps ! Oh ! ils me rendront fou ! ils me rendront fou !… On me fait passer au papier de verre et encore on me colle au bloc !
Il entre dans la première baraque de droite.
Camaret. — Les voilà bien, quand on les laisse à leur initiative, ils ne savent qu’inventer pour se rendre ridicules ! Il passe devant Célestin et va au n° 1.
Angèle, sortant de l’hôtel et parlant à la cantonade. — Oui ! s’il vous plaît, n’est-ce pas ?
Célestin. — Tiens ! madame Champignol !
Angèle, descendant au n° 1. — Pardon, Capitaine, vous ne pourriez pas me dire où je pourrais avoir l’heure des trains ?
Célestin, saluant. — Madame !
Angèle. — Oh ! excusez-moi, monsieur, je ne vous remettais pas…
Camaret. — Mais, Madame, les heures des trains, ils doivent les avoir à l’hôtel !… Vous songez donc à nous quitter ?
Angèle. — Oui, Capitaine,… je rentre ce soir à Paris…
Célestin. — Oh ! Madame ! vous ne pouvez pas retarder votre départ d’un jour… ? Vous nous auriez fait grand plaisir, à ma mère et à nous tous, de venir ce soir à notre bal.
Angèle. — Madame votre mère ?
Camaret. — Eh bien, oui ! madame Rivolet… ma sœur !
Angèle, à part. — C’est sa sœur !
Camaret. — … Qui donne une petite sauterie… justement pour ma fille Adrienne… On doit lui présenter un prétendu… un M. Saint-Florimond !
Angèle, à part. — Saint-Florimond ! Et la fille du capitaine ! Ah ! le malheureux !
Célestin. — Alors, Madame, décidément, vous ne pouvez pas ?
Angèle. — Oh ! non ! impossible ! absolument impossible !
Célestin. — Mille regrets, Madame !
Camaret. — Mille regrets et bon voyage !
Il salue et remonte à gauche, au fond, avec Célestin.
Angèle, à part. — Oh ! il faut absolument que je voie Saint-Florimond ; s’il va à ce bal, tout est perdu. (Haut.) Capitaine !…
Camaret. — Madame !
Angèle. — je vais encore abuser de votre complaisance… mais avant de partir, je voudrais dire adieu à mon mari !
Camaret, au fond. — C’est trop juste, Madame ! (À Ledoux qui vient à droite, troisième plan.) Adjudant Ledoux !
Ledoux. — Mon Capitaine !
Camaret. — Allez chercher Champignol, et dites-lui que madame le demande…
Ledoux, sortant par la droite. — Bien, mon Capitaine.
Camaret, saluant militairement. — Maintenant, Madame…
Célestin, saluant. — Madame !
Angèle. — Monsieur !… Au revoir, Capitaine, et merci…
Camaret sort par la gauche, deuxième plan, avec Célestin.
Scène XXVI
modifierAngèle, puis Les Réservistes, puis Ledoux, Champignol, Lavalanche et Badin
Angèle. — Ah ! mon Dieu ! C’est encore une grâce du ciel que j’aie pu être prévenue à temps !
On entend la sonnerie de la soupe. Les réservistes sortent en courant de la première baraque de droite, et disparaissent, troisième plan, par le passage entre la cantine et le corps de garde.
Les Réservistes. — À la soupe, au rata, la classe !
Ledoux, entrant de droite, deuxième plan, entrée du baraquement, et bousculé par les réservistes. — Faites donc attention, vous ! (À Angèle.) Voici le soldat Champignol, Madame.
Angèle. — Merci, Monsieur.
Ledoux, à Champignol qui est hors de vue. — Allons, venez !
Champignol entre de droite, deuxième plan, Ledoux sort après son entrée.
Champignol. — Comment, une dame me demande ?…
Angèle. — Mon mari !
Champignol, descendant au n° 2. — Ma femme ! Toi, ici. Ah ! cette chère Angèle ! Ah ! que c’est gentil à toi d’être venue !
Angèle. — Oui ! j’avais pensé… On m’avait dit (À part.) Ah ! mon Dieu ! je sens que je défaille !…
Champignol. — justement, j’allais t’écrire… mais qu’est-ce que tu as à me regarder comme ça !… Ah ! c’est pour mes cheveux… (Enlevant son képi.) Crois-tu qu’ils m’ont mis dans un état ! je suis chauve… ma chère amie, je suis chauve !…
Angèle, avec un rire forcé. — Ah ! Ah ! c’est drôle !… (À part.) Mon Dieu, il va connaître la vérité.
Pendant ce qui précède, les soldats sont revenus peu à peu avec leurs gamelles et se sont installés sur les bancs du fond, tandis que les autres entrent dans la chambrée.
Champignol. — Ah ! cette chère Angèle !… Tiens, laisse-moi t’embrasser.
Lavalanche, au fond, assis sur le banc de la cantine, aux réservistes. — Ah ! mais, regardez donc ! regardez donc ! Ce territorial qui embrasse madame Champignol ! Ah ! chouette !
Tous, au fond, groupés. — Oh !
Badin. — Eh bien ! et le mari !
Scène XXVII
modifierLes Mêmes, Saint-Florimond
Saint-Florimond, entrant de droite, deuxième plan, entrée du baraquement. — Ça y est ! la prison était en planches, les barreaux ne tenaient pas. Je me suis évadé.
Les Réservistes. — C’est lui !
Angèle, apercevant Saint-Florimond, à part. — Saint-Florimond !
Lavalanche, allant à Saint-Florimond. — Eh ! dis donc ! qu’est-ce que c’est que ce bonhomme qui cause avec ta femme ?
Saint-Florimond. — Je ne le connais pas.
Lavalanche. — Tu ne le connais pas… et il embrasse ta femme !
Saint-Florimond. — Ah ! il… tiens ! tiens ! tiens ! tiens ! C’est… c’est sans doute… un de ses parents…
Lavalanche, aux réservistes. — C’est un de ses parents, messieurs !
Les réservistes, railleurs. — Ah !
Champignol, à Angèle. — Eh ! dis-moi… où es-tu logée ?… À l’hôtel ?
Angèle. — Oui… Là-haut !…
Champignol. — Ah ! parfait !… (Aux réservistes.) Dites donc les camarades, les territoriaux ne sont pas obligés de coucher au baraquement ?
Tous. — Non… mais non !
Champignol. — Ah ! tant mieux, parce que vous comprenez, moi, j’aime mieux passer la nuit avec madame Champignol.
Tous. — Ah !
Saint-Florimond, avec désespoir, tombant sur le banc de droite. — Oh !
Angèle. — Mon Dieu !
Champignol, à Angèle. — Allons, viens, ma chérie… conduis-moi dans ta chambre.
Tous les réservistes pouffent.
Angèle. — Viens par là ! (À part.) Quelle situation !
Elle entre à l’hôtel avec Champignol.
Scène XXVIII
modifierLes Mêmes, moins Champignol et Angèle
Saint-Florimond, se levant et gagnant le milieu de la scène, suivi des réservistes. — Non, mais quel rôle joue-je, mon Dieu ! quel rôle joue-je ?
Lavalanche. — Eh bien ! dis donc… tu as entendu… Elle l’emmène dans sa chambre…
Saint-Florimond. — Oui ! Oui !
Lavalanche. — Et tu ne dis rien ?
Saint-Florimond. — Oh ! Oh ! il a des droits, cet homme ! s’il faut vous dire ce qu’il est…
Lavalanche. — Ce qu’il est ?… Il est l’amant de ta femme, parbleu !… ce n’est pas malin à deviner…
Saint-Florimond. — L’amant de ma femme !
Lavalanche. — Tu l’es, mon vieux, tu l’es !
Les réservistes remontent au fond, en riant.
Saint-Florimond. — Je le suis ! Je le suis !… (à part.) Ah ! mais il m’embête, Champignol, il m’embête ! il me rend ridicule, c’est vrai ! c’est moi qui ai l’air d’être le trompé. Mais au fait, je suis bête, puisque c’est sous le nom de Champignol… c’est sur Champignol que ça tombe, alors, il se trompe lui-même… Eh ! bien ! alors je m’en fiche… et pour commencer, je vais repasser mes vêtements de civil, et quand on me reverra, il fera chaud.
Il entre dans la première baraque de droite.
Scène XXIX
modifierBadin, Lavalanche, puis Lafauchette, le Prince et tous les Réservistes
Lavalanche, au fond. — Comment, il s’en va !… Eh ! prends garde à la porte !
Badin. — Non, il est étonnant, ce mari-là !
Tous, riant. — Ah ! elle est bien bonne !
Lavalanche, à Lafauchette, le Prince et plusieurs réservistes qui viennent de droite, deuxième plan, leurs gamelles à la main. — Arrivez donc, vous autres ! Vous ne savez pas ce que nous venons de voir !
Les Réservistes. — Non ! quoi ?
Lavalanche. — Champignol ! vous savez Champignol… le réserviste qui est en prison… eh bien !… sa femme le trompe.
Les Réservistes. — Non !
Lavalanche. — Si !… avec un territorial de la chambrée !
Tous, riant. — Ah ! Ah ! Ah !
Lavalanche. — Venez donc, Badin, venez donc Pinçon, nous allons raconter ça aux copains.
Ils sortent par la droite, deuxième plan. Entrée du baraquement.
Lafauchette, Le Prince et les Réservistes qui restent en scène. — Ah ! Ah ! Elle est bien bonne !
Champignol, sortant de l’hôtel. — Quoi donc ?… Qu’est-ce qu’il y a ? Il descend au n° 1.
Lafauchette. — Ah ! une bonne histoire qu’on vient de nous raconter. Vous connaissez Champignol ?
Champignol. — Champignol ?
Lafauchette. — Eh bien ! sa femme le trompe.
Champignol. — Hein !
Le Prince, se tordant. — Sa femme le trompe avec un territorial de la chambrée !
Champignol. — Vous dites ?
Lafauchette. — Il est cornard, Champignol, il est cornard !
Champignol, furieux. — Cornard, Champignol !… Où est-il cet homme ? Où est-il ?…
Scène XXX
modifierLes Mêmes, Saint-Florimond, puis tous les Réservistes, Ledoux, Grosbon, etc. puis Angèle, puis Mauricette, Chamel et Singleton
Saint-Florimond, sortant de la baraque à droite, il est en civil. — Ah ! me voilà prêt !
Le Prince. — Tenez, le voilà !
Champignol. — Hein ! Auguste !… Ah ! Ah ! c’était donc moi, Potard ! (Se précipitant sur Saint-Florimond.) C’est toi, misérable, c’est toi qui es l’amant de madame Champignol !
Saint-Florimond. — Hein ! quoi ! Laissez-moi !
Champignol. — Tu m’en rendras raison !
Tous. — Qu’est-ce que ça veut dire ?
Chamel, paraissant sur le balcon de l’hôtel, avec Mauricette et Singleton. — Une bataille !
Tous. — Séparez-les ! Séparez-les !
Angèle, sortant de l’hôtel et descendant. — Mon Dieu ! mon mari ! Saint-Florimond !
On sépare Saint-Florimond et Champignol.
Champignol. — Je te retrouverai, misérable ! Je te retrouverai !
Saint-Florimond. — Oui !… en attendant, je file !…
Il se sauve par le fond à gauche.
Champignol. — Rattrapez-le ! rattrapez-le !
Angèle, à Champignol. — Robert !
Champignol. — Arrière, Madame !
Tous, entourant Champignol. — Calmez-vous ! Calmez-vous !
Angèle. — Ah ! mon Dieu ! mon Dieu !
Tout ce qui précède, à partir de la dispute, doit être dit presque confusément, dans le mouvement général.
Grosbon, accourant du Corps de garde et descendant au n° 3. — Où est-il ? Où est-il ?
Ledoux, sortant de la baraque, — Qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi tout ce bruit ? Qu’est-ce que vous demandez, Caporal ?
Grosbon. — Le soldat Champignol, mon Lieutenant, il vient de s’échapper de la prison
Ledoux. — De la prison ?
Grosbon. — Oui, en brisant les barreaux ! (Aux réservistes.) Vous ne l’avez pas vu, vous autres ? vous n’avez pas vu Champignol ?
Champignol, s’avançant. — Quoi, Champignol !… Qu’est-ce que vous lui voulez, à Champignol ? Qu’est-ce qu’il a encore fait, Champignol ? C’est moi, Champignol !
Grosbon. — Vous ? Eh bien ! alors, en prison !
Champignol. — Moi ?
Tous. — En prison !
Tumulte général. On entraîne Champignol vers la droite.
RIDEAU
Acte III
modifierUn petit salon, porte au fond sur l’antichambre. — À droite, premier plan, autre porte. — Deuxième plan, porte en pan coupé donnant sur les autres salons. — À gauche, premier plan, porte donnant sur l’appartement de madame Rivolet… — Deuxième plan, un buffet servi pour la soirée et placé de biais. — Derrière le buffet, porte donnant sur l’office. — Lustre au fond.
Scène première
modifierUn domestique, le Prince, puis Célestin, puis Adrienne, puis Camaret
Au lever du rideau, le Prince, toujours en tenue militaire, et monté sur une échelle double, est en train d’arranger le lustre. L’échelle est placée de telle façon que la figure du prince est masquée par le lustre ; on n’aperçoit que ses jambes. Jérôme, placé entre l’échelle et le buffet, le regarde travailler.
Célestin, en smoking, venant de droite, deuxième plan. — Jérôme ! Eh bien ! voyons, Jérôme !
Jérôme. — Monsieur ?
Célestin, à Jérôme qui regarde travailler le prince. — Tiens ! Qu’est-ce qu’il y a donc ?
Jérôme, indiquant le prince qui est au haut de l’échelle. — C’est le planton que monsieur le capitaine a envoyé qui est en train d’arranger le lustre.
Célestin. — Ah ! bon ! Eh bien ! voyons, et les rafraîchissements ?
Jérôme, passant derrière le buffet qu’il prépare pendant ce qui suit. — Je les prépare, monsieur !
Célestin, allant au buffet. — Eh bien ! dépêchez-vous, tout le monde les réclame !
Adrienne, en toilette de soirée, venant de droite (deuxième plan) et redescendant au n° 3, à côté de Célestin, entre le buffet et l’échelle. — Dis donc, Célestin, tu devrais bien dire qu’on passe des rafraîchissements ! Ils ont l’air de mourir de soif par là !…
Célestin. — Justement, c’est ce que je disais à Jérôme !
Camaret, en habit, venant de droite, deuxième plan. — Eh ! Célestin ! Tu ne vas pas faire porter les rafraîchissements ? Nous avons la pépie, là-dedans !
Célestin. — Si mon oncle ! si ! Je viens de dire…
Camaret, à Jérôme se dirigeant vers le buffet en passant sous l’échelle. — Ah ! bien, dépêchez-vous, parce qu’on crève de soif ! (Arrivé sous l’échelle, il s’arrête.) Dites donc, le planton que ma sœur, madame Rivolet, m’a demandé de vous envoyer, est-il arrivé ?
Jérôme. — Oui, mon Capitaine ! Il arrange le lustre.
Il indique le Prince.
Camaret, levant la tête. — Ah ! ah ! eh bien, ne vous gênez pas pour l’employer, si vous en avez besoin pour rincer les verres, nettoyer la vaisselle, à votre disposition. (Au Prince.) N’est-ce pas, planton ?
Le Prince, du haut de son échelle. — Mon capitaine ?
Camaret. — Comment vous appelez-vous, déjà ?
Le Prince. — Prince de Valence.
Camaret. — C’est juste ! eh bien, prince de Valence, vous vous tiendrez à la cuisine, n’est-ce pas ? À la disposition du maître d’hôtel !
Le Prince. — Bien, mon Capitaine ! (À part.) Très honoré !
Camaret. — Vous aiderez à nettoyer les verres !… vous savez nettoyer les verres ?
Le Prince, descendant de l’échelle. — On a négligé de me l’apprendre, mon Capitaine.
Camaret. — Eh bien ! on vous montrera ! Allez !
Le Prince, sortant par le fond en emportant l’échelle. — Quelle décadence !
Camaret, à Jérôme. — Allons, venez, vous ! apportez votre plateau !
Jérôme. — Voilà, mon Capitaine !
Il passe derrière Camaret et se dirige vers la droite avec son plateau.
Camaret. — Eh là ! Pas si vite. (Jérôme s’arrête au n° 4, Camaret prend un rafraîchissement.) Ce n’est pas comme dans l’Evangile ici, les premiers… sont sûrs d’être les premiers. (Jérôme entre à droite, deuxième plan, à Célestin.) Pristi ! Sais-tu qu’il commence à faire chaud par là !
Célestin, passant devant Adrienne et se trouvant au n° 2. — Dame, mon oncle ! le tout Clermont est là !
Camaret. — Dis donc, et ton fameux Saint-Florimond ?
Célestin. — Le fait est qu’il n’arrive pas vite pour un prétendu.
Adrienne, à part. — Est-il pressé de le voir arriver !
Camaret. — Est-ce que tu le connais, toi, ce Saint-Florimond ?
Célestin. — Non ! il n’y a que maman !… c’est même ce qu’il y a de gênant ! C’est que, maman malade… c’est moi qui vais être obligé de vous le présenter, et je ne l’ai jamais vu…
Camaret. — Ah ! bien, tu le reconnaîtras… à son nom !… Je rentre dans le gouffre ! Quand il arrivera, tu m’appelleras !
Célestin. — Oui, mon oncle.
Camaret sort par la porte, deuxième plan.
Scène II
modifierAdrienne, Célestin
Adrienne, à part, sur le devant de la scène et au milieu. — Et dire qu’il me laissera me marier… et qu’il ne comprendra rien !…
Célestin, va au buffet en passant derrière Adrienne et se verse un verre de Champagne. — Tu ne veux pas faire comme moi, Adrienne ? un peu de Champagne ?…
Adrienne. — Volontiers !
Célestin lui donne un verre de Champagne, Adrienne en boit une partie.
Célestin, à part, regardant Adrienne. — Elle est jolie comme ça !
Adrienne. — Pourquoi me regardes-tu comme ça ?
Célestin. — Sais-tu que je t’ai admirée, tout à l’heure ! Tu fais les honneurs comme personne !…
Adrienne, lui donnant son verre. — Ah ! c’était pour ça !
Célestin, le verre à la main. — Oui ! Tu ferais une exquise maîtresse de maison !…
Adrienne. — Il faut bien, puisque je vais me marier !
Célestin. — J’ai même regretté que M. de Saint-Florimond ne fût pas là pour te voir.
Adrienne, d’un ton piqué. — Ah ! tu as regretté ! Il aura le temps de s’en apercevoir, si je l’épouse !
Célestin. — C’est évident ! c’est évident !
Ne sachant que dire, il se trompe et porte à ses lèvres le verre d’Adrienne qu’il prend pour le sien.
Adrienne, vivement. — C’est mon verre ! le verre dans lequel j’ai bu !
Célestin. — Oh ! pardon !
Il repose le verre sur le buffet.
Adrienne, piquée. — Voilà une chose que M. de Saint-Florimond n’aurait pas faite à ta place.
Célestin. — Quoi donc ?
Adrienne. — De ne pas boire dans un verre parce que j’y ai trempé mes lèvres !
Célestin. — Dame, écoute donc ! Je n’ai aucun droit, moi ! Tandis que M. de Saint-Florimond… qui dit prétendu, dit amoureux…
Adrienne. — Tandis que toi, tu ne l’es pas, amoureux ! voilà ce que tu veux me dire, n’est-ce pas ?
Célestin. — Dame ! puisque je ne suis pas prétendu !
Adrienne. — C’est très juste !
Célestin, à part, la regardant. — Mon Dieu ! qu’elle est jolie ! (Haut.) Sais-tu que si tu n’étais pas ma cousine, je te ferais la cour ?
Adrienne. — Je regrette alors que nous soyons cousins !
Célestin. — Tu es moqueuse ! Ah ! M. de Saint-Florimond pourra se vanter d’avoir une femme adorable ! Du reste, tu peux compter sur moi pour lui faire l’article.
Adrienne. — Trop aimable !
Célestin. — Tu sais qu’il paraît que c’est un homme charmant, ce Saint-Florimond.
Adrienne. — Ah !
Célestin. — Oui ! d’abord une jolie fortune, ça, ça t’est bien égal, tu es riche ! et puis, un grand nom ! Tu seras comtesse de Saint-Florimond. Ça ne sonne pas mal ! Comtesse de Saint-Florimond !
Adrienne. — Oui ! oui ! en effet… ça sonne bien !
Célestin. — Et puis, avec ça, un homme distingué, spirituel !
Adrienne, impatientée. — Oh ! mon Dieu ! assez ! Tu vas me donner envie de l’épouser tout de suite !
Célestin. — Eh ! s’il est tel qu’on le dit, ça ne serait déjà pas si mal !… Songe donc ! un mari jeune, aimable, spirituel ! qui aurait pour toi les tendresses, les cajoleries…
Adrienne, frappant du pied. — Ah ! et puis, je t’en prie, en voilà assez !
Célestin. — Qu’est-ce que tu as ?
Adrienne. — En vérité, tu mets une insistance à me faire valoir les qualités de M. de Saint-Florimond ! ma parole, tu serais agent matrimonial, tu ne parlerais pas mieux !
Célestin. — Mais, Adrienne… ce que j’en dis…
Adrienne. — Ah ! ce que tu en dis ! Alors, ça ne te fait rien l’idée que je peux devenir un jour la femme de ce Saint-Florimond ?
Célestin. — Dame ! puisqu’un jour ou l’autre il faut que tu sois la femme de quelqu’un.
Adrienne. — Eh bien ! Tu as raison ! autant que ce soit celui-là qu’un autre ! puisque tu me le conseilles tant, je l’épouserai, ton Saint-Florimond.
Célestin. — Adrienne, qu’est-ce que tu as ? Tu as l’air fâchée ?
Adrienne. — Ah ! Célestin ! Célestin !… Je n’attendais pas ça de toi !
Célestin. — Ah ! mon Dieu ! Qu’est-ce qu’elle a ? Adrienne !
Adrienne, pleurant. — Alors… quand nous étions enfants, et que nous nous promettions d’être mari et femme… c’était donc pour jouer ?
Célestin. — Quoi ! Est-il possible ?
Adrienne. — Mais moi, j’avais cru que c’était sérieux ! Je m’étais mis ça dans la tête !… Je me disais toujours : voilà celui que tu dois aimer, puisqu’il doit être ton mari !
Célestin. — Adrienne, pas un mot, pas un mot de plus ! si tu ne veux pas que je jette ce Saint-Florimond par la fenêtre, quand il entrera.
Adrienne. — Vrai ! Tu ferais ça pour moi ?
Célestin. — Parole ! Mais, Adrienne, tu n’as donc pas compris que je n’ai pas plus oublié que toi nos belles fiançailles d’autrefois ! Mais depuis, si toi tu te disais : "Voilà celui que je dois aimer puisqu’il doit être mon mari", moi, je pensais "Voilà celle que je ne dois pas aimer, parce qu’elle ne peut pas être ma femme !"
Adrienne. — Pourquoi ?
Célestin. — Pourquoi ? À cause de ta fortune…
Adrienne, avec joie. — C’était pour ça ! Oh ! que t’es bête !
Célestin. — Mon Dieu ! oui, je suis bête !… Mais c’est pour ça !…
Adrienne. — Ah ! C’était… eh bien ! tu vas m’épouser tout de suite !
Célestin. — Moi ?
Adrienne. — Oui, toi ! Et puisque tu as des scrupules, je dirai à papa qu’il garde ses soixante mille livres de rentes… là !
Célestin. — Non ! C’est trop !… Je te sacrifierais ta fortune !
Adrienne. — Et maintenant, monsieur ! vous allez me demander pardon !
Célestin. — Adrienne !
Adrienne. — Non ! pas comme ça ! (Commandant militairement.) Genou terre !…
Célestin, se mettant à genoux, — Voilà, ma commandante !
Adrienne, l’enlaçant. — Mon petit mari !
Scène III
modifierLes Mêmes, Camaret
Camaret, entrant de droite, deuxième plan. — Hein !… Eh ! bien, dites donc ! en voilà une tenue ! Qu’est-ce que vous faites-là ?
Adrienne. — Papa ! Célestin se lève vivement.
Camaret. — Non ! Mais je vous en prie, continuez donc !… (Il passe derrière Adrienne et vient se placer entre les deux jeunes gens au n° 2.) C’est comme ça que tu te tiens, le jour où on va te présenter un prétendant. Non ! non ! mais je regrette que M. de Saint-Florimond ne soit pas là !
Adrienne. — Ah ! papa ! Il ne s’agit plus de M. de Saint-Florimond. Tu m’as dit que tu ne contrarierais jamais mes inclinations ! Eh bien, celui que j’aime et que je veux épouser… le voilà !
Elle indique Célestin.
Camaret, éclatant de rire. — Hein ! lui ! Ah ! que c’est drôle ! Comment ce galopin ! mais… Je l’ai connu haut comme ça !
Célestin. — J’ai grandi, depuis, mon oncle !
Camaret. — Certainement non ! je ne contrarierai jamais tes intentions ! Mais sacristi ! pourquoi ne pas l’avoir dit plutôt ! Tu laisses ta tante te chercher des prétendus, organiser une soirée !…
Adrienne. — Eh bien ! ce sera notre soirée de fiançailles !
Camaret. — Allons ! mes enfants, j’aime les choses qui se font militairement… vous vous plaisez, on vous mariera !
Célestin. — Ah ! mon oncle !
Camaret. — Allez ! Embrassez-vous !
Adrienne. — C’est ce que nous faisions quand tu es entré.
Camaret. — Eh bien ! recommencez ! tout à l’heure, c’était une bordée ! maintenant, c’est une permission régulière !
Il passe derrière Adrienne et descend au n° 3.
Adrienne, à Célestin. — Allons !… avancez à l’ordre !
Elle tend la joue.
Célestin, embrassant Adrienne. — J’aimais mieux la bordée !
On entend un bruit de voiture au fond.
Camaret. — Sapristi !… Ce doit-être Saint-Florimond !
Adrienne, donnant vivement le bras à Célestin. — Saint-Florimond !
Célestin. — Sauvons-nous !
Ils disparaissent par la droite en courant, Camaret remonte à leur suite pour essayer de les retenir et disparaît un instant pendant l’entrée de Madame Champignol.
Scène IV
modifierCamaret, Angèle, Jérôme
Jérôme, paraissant au fond et annonçant. — Madame Champignol !
Angèle, entrant du fond en toilette de soirée, enveloppée dans un manteau et descendant à gauche. — Ce que je fais est bien osé, mais c’est souvent en bravant le danger qu’on y échappe.
Jérôme est sorti par le fond pendant cette réplique.
Camaret, entrant de droite, deuxième plan. — C’est ça ! Ils s’en vont et débrouille-toi !
Angèle. — Capitaine !
Camaret. — Madame Champignol ! Ah ! bien, ce n’était pas vous que je m’attendais à voir !
Angèle. — Et qui donc ?
Camaret. — Oh ! sans importance ! Un monsieur de Saint-Florimond…
Angèle. — Saint-Florimond ! (À part.) Il n’est pas encore arrivé ! Tout n’est pas perdu !…
Camaret. — Mais c’est bien aimable à vous d’être venue, vous m’aviez donné si peu d’espoir…
Angèle. — J’ai trouvé le moyen de retarder mon voyage.
Camaret. — On n’est pas plus charmante ! Voulez-vous enlever votre… chose, là ! votre lévite… ?
Angèle. — Ah ! ma sortie de bal.
Camaret. — Oui, je ne connais pas les termes ! (À Jérôme qui entre du fond.) Eh ! Jérôme ! la préposée à l’habillement !
Jérôme. — La préposée ?
Camaret. — Oui, pour le manteau de Madame.
Jérôme. — Ah ! celle qui tient le vestiaire ? C’est la bonne, mon Capitaine, elle doit être par là… Il n’y a qu’à sonner deux coups…
Il indique une sonnette qui je trouve à gauche de la porte du fond.
Camaret. — Eh bien ! sonnez-les !
Jérôme, va à la sonnette et sonne, descendant au n° 3. — Elle n’est pas encore au courant, mon Capitaine ; elle est entrée chez madame Rivolet ce matin.
Il sort par la droite, premier plan.
Scène V
modifierLes Mêmes, Charlotte
Charlotte, entrant du fond. — Qui a sonné deux coups ?
Angèle, à part, — Charlotte, ici !
Charlotte, apercevant Angèle et descendant au n° 2. — Madame Champignol ! Ah ! bien en voilà une surprise !
Camaret. — Ah ! mais ! je ne me trompe pas ! c’est la bonne que vous aviez à Paris.
Angèle. — Hein !… Non !… oui ! oui ! en effet !
Charlotte. — Oui, madame Champignol a eu l’honneur de m’avoir comme bonne.
Camaret. — Allons, C’est bien ! vous nous ennuyez avec vos bavardages ! Allez ! débarrassez madame !
Angèle enlève son manteau.
Charlotte. — Oh ! oui, Monsieur…
Elle passe devant Camaret et se dirige vers la porte de droite, premier plan.
Camaret — Eh bien ! où allez-vous ?
Charlotte. — Mais, je m’en vais, Monsieur ! Vous m’avez dit de débarrasser madame.
Camaret, à part. — Oh ! mais c’est une dinde, cette bonne ! C’est une dinde !… (Haut.)… De débarrasser madame de son manteau !
Charlotte, passe devant Camaret et va à Angèle. — Ah ! bien, mon Capitaine… Vous ne le dites pas, je ne peux pas le deviner.
Angèle, lui donnant son manteau. — Tenez, le voici !
Camaret. — Et portez ça soigneusement au vestiaire ! (Passant devant Charlotte et allant à Angèle.) Maintenant, Madame, si vous voulez me permettre de vous offrir mon bras ?
Angèle, lui donnant le bras. — Capitaine !
Camaret. — Venez par ici, Madame !… (En passant devant Charlotte.) Et vous, faites attention de ne pas chiffonner ce vêtement !
Ils sortent par la droite, deuxième plan.
Scène VI
modifierCharlotte, puis le Prince
Charlotte, descendant en scène. — Le chiffonner ! Certainement non ! je ne vais pas le chiffonner, un beau manteau comme ça ! Il faut être riche pour pouvoir s’en payer un pareil ! Ça ne paraît pas, eh bien, ça vaut bien dans les trente-sept à trente-neuf francs, je sais ce que c’est, j’en ai vu chez des marchands d’habits à Paris, on appelle ça une rotondité… Dire que si je cédais à un banquier, j’aurais aussi une rotondité !… Essayons ! (Elle met la sortie de bal.) Ça me va bien !
Le Prince, venant de droite, premier plan, avec un plateau, parlant à la cantonnade. — Sur la table ? bien !… oh ! une demoiselle !
Charlotte. — Un lignard !
Le Prince, à part. — Ça doit être de l’aristocratie de Clermont !
Charlotte, au Prince, avec un rire stéréotypé. — Hi ! hi ! hi !
Le Prince, à part. — C’est à moi ? (Riant avec embarras.) Euh ! euh ! euh ! (À part.) Mon plateau me gêne ! (Mettant son plateau sous son bras comme un claque.) Mademoiselle !… Vous me voyez en militaire, il ne faudrait pas me prendre pour ce que vous croyez !
Charlotte. — Eh bien ! voulez-vous que je vous dise ?… Moi non plus, il ne faudrait pas me prendre pour ce que vous croyez !
Le Prince. — je suis le Prince de Valence !
Charlotte. — Oui !… Eh bien, moi, je suis la bonne.
Le Prince. — La bonne !…
Charlotte, montrant la sortie de bal. — Et ça, c’est une rotondité que je porte au vestiaire !
Scène VII
modifierLes Mêmes, Camaret
Camaret, entrant de droite, deuxième plan, et apercevant Charlotte de dos. — Ah ! une dame !
Charlotte. — Le capitaine !
Camaret, passant derrière le Prince et allant à Charlotte. — La bonne ! Eh bien, dites donc !… ne vous gênez pas ! C’est la sortie de bal de madame Champignol !
Charlotte. — je lui faisais prendre l’air, Capitaine… pour pas qu’elle se fripe.
Camaret. — Oui ! C’est bien ! Allez ranger ça ! (Charlotte sort par le fond. Au Prince.) Et vous, planton, retournez à la cuisine et que je ne vous reprenne plus à courir après les bonnes !…
Le Prince. — Moi ! courir après les bonnes !… Je ne cours pas après les bonnes !
Camaret. — Qu’est-ce que vous dites ?
Le Prince. — Je dis que je ne cours pas après les bonnes !
Camaret. — Taisez-vous !
Le Prince, se dirigeant vers la droite. — Oui, mais je ne cours pas après les bonnes.
Camaret. — je vous dis de vous taire !
Le Prince, sortant par la droite, premier plan. — Oui, mais je ne cours pas après les bonnes !
Camaret. — Cré nom d’un chien ! A-t-on jamais vu ! Je vais vous en donner, moi, des : "je ne cours pas après les bonnes !" Je vais vous en donner !… (Il sort à la suite du Prince. Dans la coulisse : ) je vous dis de vous taire !…
Scène VIII
modifierCharlotte, puis Chamel et Mauricette
Charlotte. — Il va se faire attraper, le lignard !…
Chamel, entrant du fond suivi de Mauricette. Il est en habit. Elle est en toilette de soirée. — Viens, petite !…
Mauricette. — Voilà, papa !
Elle passe devant Chamel et va au n° 1.
Chamel. — Eh bien ! et ton mari ?
Mauricette. — Il s’occupe de notre vestiaire.
Chamel. — Ah ! bien ! (À Charlotte, qui est restée au fond, occupée à plier la sortie de bal.) Où est madame Rivolet ? parce qu’il faut vous dire que nous ne la connaissons pas.
Charlotte. — Elle est couchée, Monsieur. (On entend un bruit de voix à droite.) Mais, voilà monsieur son frère.
Elle sort par le fond.
Chamel, apercevant Camaret. — Son frère !… Mauricette ! C’est le frère de Madame…
Scène IX
modifierLes Mêmes, Camaret, Célestin, et Adrienne, Jérôme
Camaret, entrant de droite, premier plan. — Ah ! mais, je lui serrerai la vis à ce pékin-là, je lui serrerai la vis !
Mauricette et Chamel. — Le capitaine !
Camaret, descendant au n° 3. — Madame Singleton !… Monsieur Chamel !
Mauricette, à part. — Mon Dieu ! et mon mari qui est censé à la salle de police !
Camaret. — Ah ! quelle bonne surprise, si je m’attendais !
Chamel. — Oui, madame Rivolet a bien voulu nous inviter !
Mauricette. — Il parait qu’elle est souffrante, cette pauvre madame Rivolet ?
Camaret. — Oui ! un rhumatisme… par le flanc droit.
Chamel. — Ah ! c’est bien empêtant ! pien empêtant !
Camaret. — Enfin ! je suis heureux de vous recevoir à sa place et je n’ai qu’un regret, c’est que votre mari n’ait pas pu vous accompagner ; mais il est à la salle de police.
Mauricette. — Oui ! oui, en effet ! (À part.) Ah ! mon Dieu !
Chamel, passant devant Adrienne et allant au n° 1. — Eh bien ! il va avoir du plaisir, mon chendre !
Adrienne et Célestin arrivent de droite, bras dessus, bras dessous, en riant.
Camaret. — Eh bien ! qu’est-ce que vous avez donc, la jeunesse ?
Adrienne, descendant à droite. — Nous venons de danser comme des fous. Tiens, madame Singleton, monsieur Chamel !
Camaret, montrant Adrienne et Célestin. — Je vous présente deux fiancés !
Chamel. — Ah ! pah !
Mauricette. — C’est nouveau, alors ?
Camaret. — Ah ! c’est déjà vieux, il y a bien dix minutes !
Mauricette, passant devant Camaret et allant au n° 3. — Mes compliments !
Adrienne. — Je vous avais dit que j’avais une idée en tête… Eh bien, la voilà !
Camaret. — Allons, Célestin, donne le bras à madame Singleton !
Célestin passe devant Adrienne et offre le bras à Mauricette avec laquelle il remonte vers la droite.
Mauricette, à part. — Ah ! mon Dieu ! et mon mari qui va venir !
Chamel. — Allons, Mauricette !
Il sort derrière Célestin et Mauricette, par la droite, deuxième plan.
Adrienne, à Camaret. — Eh bien, papa ! Tu n’entres pas ?
Camaret. — Ah ! non ! je n’aime pas les étuves, ils sont trop là-dedans ! Ils me prennent mon air.
Jérôme, au fond, annonçant. — Monsieur Singleton.
Camaret. — Hein !…
Scène X
modifierLes Mêmes, Singleton
Singleton, en habit, très flambant, en achevant de mettre ses gants. — Madame ! Monsieur ! (Descendant au n° 2 et se trouvant nez à nez avec Camaret.) Le Capitaine !…
Camaret. — Vous, vous, Monsieur !
Singleton, très embarrassé. — Non ! non !
Camaret. — Comment… non !
Singleton. — Euh ! Si ! si !
Camaret. — Ah çà ! Monsieur ! qu’est-ce que vous faites ici ! et votre salle de police ?…
Singleton. — La… la…
Camaret. — Il n’y a pas de "la… la… " ! Quelle raison pouvez-vous me donner pour être venu à ce bal ?
Singleton. — Euh ! Je ne pensais pas vous y trouver, mon capitaine !
Camaret. — C’est ça… votre raison ?
Singleton. — Oui ! oui !…
Camaret. — Elle est jolie ! N’importe ! ici, vous êtes notre hôte, monsieur Singleton, donnez le bras à ma fille.
Singleton, donnant le bras à Adrienne. — Ah ! Capitaine !…
Camaret — Et demain, en rentrant au corps, vous vous ferez marquer deux jours de prison !
Singleton. — Hein !…
Camaret. — Allez !
Singleton, ahuri. — Bien, mon Capitaine ! (Se dirigeant vers la droite avec Adrienne, deuxième plan.) Bien charmante soirée, Mademoiselle !…
Ils sortent.
Scène XI
modifierCamaret, puis Saint-Florimond, Jérôme
Camaret, allant au buffet, — Le pauvre garçon, il faut avouer qu’il n’a pas de chance de tomber sur moi, je suis obligé de sévir, et je ne lui en veux pas du tout ! (Buvant un verre de Champagne.) Je me rappelle, au temps où je n’étais pas encore officier, un jour que j’étais consigné, j’en ai fait autant, j’étais allé au bal ; comme lui, même guigne, je tombe sur mon capitaine qui me dit : "Mais monsieur, je connais votre figure, vous ne feriez pas partie de ma compagnie ?" Je lui réponds : "Je m’appelle Saint-Florentin." Il n’y avait pas de Saint-Florentin dans sa compagnie. Cela a passé comme une lettre à la poste ; mais à propos de Saint-Florentin, M. de Saint-Florimond ne vient guère ! Après tout, tant mieux, puisqu’il n’a plus sa raison d’être !
Jérôme, au fond, annonçant. — Monsieur de Saint-Florimond.
Camaret. — Allons, bien ! quand on parle du loup !
Saint-Florimond, en habit, entrant et descendant au n° 2. — J’arrive un peu tard.
Camaret. — Monsieur Champignol !
Saint-Florimond. — Le Capitaine !
Camaret. — Vous ! vous ici !
Saint-Florimond. — Non ! non !…
Camaret. — Comment, "non ! non" ! Ils me disent tous : "non, non" !
Saint-Florimond. — Si ! si !…
Camaret. — Ah çà ! tous les réservistes se sont donné rendez-vous ici !…
Saint-Florimond, à part. — Ma foi, tant pis, le scandale a éclaté ; le mari sait tout, je n’ai plus rien à ménager. (Haut.) Capitaine, je ne suis pas M. Champignol.
Camaret, railleur. — Allons donc ! ah ! ah ! vous n’êtes pas !… vraiment !… Eh bien en voilà bien une autre ! Et qui êtes-vous donc, je vous prie ?…
Saint-Florimond. — Je suis, comme on vient de vous l’annoncer, M. de Saint-Florimond.
Camaret. — Saint-Florimond ; ah ! non ! ça, c’est le comble… Non, vous savez, vous avez de l’aplomb !…
Saint-Florimond. — Je vous assure, mon Capitaine…
Camaret. — Non ! voyons ! non ! Je la connais, vous comprenez ! C’est moi qui l’ai inventée.
Saint-Florimond. — Quoi donc ?…
Camaret. — Oui, on rencontre son capitaine, et on donne un faux nom, c’est parfait ! Seulement, il faut, pour que ça réussisse, que le capitaine ne vous connaisse pas comme je vous connais !
Saint-Florimond. — Je ne peux pas vous donner d’explication, mon capitaine, mais je vous affirme que je suis M. de Saint-Florimond.
Camaret. — Voyons, mon ami, j’ai été dans votre atelier ! Je vous ai retrouvé dans mon régiment, vous avez commencé mon portrait, et vous allez me faire croire que vous n’êtes pas Champignol, le peintre Champignol, le territorial de ma compagnie ?
Saint-Florimond. — Je ne suis pas Champignol.
Camaret. — Et vous êtes Saint-Florimond !
Saint-Florimond, passant au n° 1. — Parfaitement !
Camaret. — Eh bien ! mon ami, vous n’avez pas de chance dans les noms que vous choisissez ! vous avez cru en prendre un au hasard, eh bien ! il existe, M. de Saint-Florimond, et nous l’attendons, ce soir ! ça vous la coupe, ça ?
Saint-Florimond. — Non !…
Camaret. — Il vient même dans l’intention d’épouser ma fille ! ah !…
Saint-Florimond, à part. — Comment, c’est sa fille !
Camaret. — Et il peut se brosser même, entre parenthèses, car elle est fiancée.
Saint-Florimond. — Fiancée !
Camaret. — Eh bien ! qu’est-ce que vous avez à répondre, hein ?
Saint-Florimond. — Eh ! J’ai à répondre qu’il y a erreur sur la personne, je suis de Saint-Florimond et je ne suis pas Champignol, et si vous avez un Champignol dans votre compagnie, il est dans votre compagnie.
Camaret, à part. — Ah çà ! voyons, voyons !… Il n’est pas possible que deux hommes se ressemblent à ce point. (Profond.) Cependant… Lesurques… (Haut.) Vous avez raison, Monsieur, et il y a un moyen de contrôler votre dire.
Il va à la porte de droite, deuxième plan.
Saint-Florimond. — Qu’est-ce qu’il va faire ?…
Scène XII
modifierLes Mêmes, puis le Prince
Camaret, appelant. — Planton !…
Le prince paraît à la porte de droite, deuxième plan.
Le Prince, restant sur le pas de la porte en faisant le salut militaire, apercevant Saint-Florimond. — Champignol !…
Camaret. — Là ! vous voyez ! Je ne lui fais pas dire ! (Au prince.) Planton, vous allez courir au cantonnement et dire qu’on m’envoie le soldat Champignol, puni de prison.
Saint-Florimond. — Hein !…
Le Prince, ahuri. — Le soldat Champignol !
Camaret. — Oui ! ne cherchez pas !… Je comprends votre étonnement, mais faites ce que je vous dis !
Le Prince. — Bien mon capitaine. (À part, sortant par le fond.) Il devient fou le capitaine, il devient fou !
Camaret. — De cette façon, Monsieur, nous saurons la vérité.
Saint-Florimond, — Oui, mon capitaine. (à part.) Ah ! mon Dieu, on va amener le mari ! on va amener le mari !
Camaret. — Persistez-vous à dire que vous n’êtes pas M. Champignol ?
Saint-Florimond. — Absolument !
Scène XIII
modifierLes Mêmes, Charlotte, puis Singleton, et Mauricette, puis Chamel, puis Angèle
Charlotte, entrant de droite, troisième plan avec un plateau et apercevant Saint-Florimond. — Tiens ! Monsieur Champignol !
Camaret. — Tenez ! tenez ! votre bonne elle-même ! la bonne qui a été à votre service !
Saint-Florimond. — Ah ! la bonne, est-ce qu’elle sait, la bonne !
Charlotte, passant devant Camaret et allant au n° 2. — Et ça va bien, monsieur Champignol ?
Saint-Florimond, la repoussant et la faisant passer au n° 1. — Fichez-moi la paix, vous !
Charlotte remonte et sort par le fond pendant ce qui suit.
Singleton, entrant de droite, premier plan avec Mauricette. — Tiens ! Champignol !
Mauricette. — Monsieur Champignol !
Camaret. — Et la famille ! hein ? la famille, la renierez-vous ?
Saint-Florimond. — Oh ! là ! là’ là !
Chamel, entrant de droite, premier plan. — Eh pien ! les petits ! Tiens ! Champignol !
Camaret. — Là !
Chamel, descendant au n° 3. — Ça va pien ?
Saint-Florimond. — Eh ! allez au diable !
Chamel. — Qu’est-ce qu’il a ?
Camaret. — Il a qu’il veut me faire accroire qu’il n’est pas Champignol.
Chamel, riant, passant au n° 2. — Ah !… elle est pien ponne ! Ah ! malin ! c’est parce que vous êtes puni de prison !
Saint-Florimond, furieux. — Je vous dis de vous taire !
Chamel. — Foui !
Camaret, voyant Angèle qui entre de droite, deuxième plan. — Mais, au fait, voilà un témoignage qui sera bien plus probant que tout le reste ! Angèle, à part. — Saint-Florimond… ici !
Camaret. — Madame, vous allez nous tirer d’un doute ! (Montrant Saint-Florimond.) Qui est Monsieur ?
Angèle. — Mais… c’est M. Champignol, mon mari !
Camaret, à Saint-Florimond. — Ah ! là !
Saint-Florimond. — Elle aussi !
Camaret. — Eh bien, ! M. Champignol nous soutient depuis une heure qu’il est M. de Saint-Florimond.
Angèle. — Est-il possible ! Ah ! le pauvre garçon, voilà. Sa crise qui le reprend !
Tous. — Sa crise ?…
Saint-Florimond. — Qu’est-ce qu’elle dit, "ma crise !"
Angèle. — Ah ! mon capitaine ! si vous saviez, il a comme ça des absences de temps en temps ! Alors ! dans ces moments-là, il se prend pour un autre.
Saint-Florimond. — Hein ! qu’est-ce qu’elle raconte.
Angèle. — ainsi, tenez…l’autre jour… il se croyait président de la Chambre… il sonnait tout le temps.
Saint-Florimond. — Moi !…
Chamel. — Oui ! ça existe, ça ! On m’a montré un individu dans la même situation… Seulement, lui, il se tenait toujours comme ça !
Il place le bras gauche, le poing sur la hanche, les doigts regardant l’aisselle, le bras droit tendu horizontalement, la main légèrement recourbée vers le sol.
Tous. — Pourquoi ?
Chamel. — Il se figurait qu’il était une théière !
Angèle. — Eh bien ! voilà ! c’est le même cas. Ah ! mon Dieu ! mon Dieu !
Saint-Florimond, à part. — Mais, ils sont en train de m’interner ! ils sont en train de m’interner !…
Camaret. — Ah ! sapristi ! mais, c’est que c’est grave ! vous ne voulez pas que j’envoie chercher le médecin-major !…
Angèle. — Oh ! c’est inutile ! ses crises sont passagères !
Saint-Florimond, furieux, arpentant la scène devant les autres personnages qui, effrayés, reculent vers le fond, formant un arc de cercle. — Eh ! des crises ! il n’y a pas de crises ! tout ça, c’est une plaisanterie !
Tous. — Oui, oui, c’est une plaisanterie.
Saint-Florimond, le dos au public. — Mais oui, c’est une plaisanterie ! mais oui ! j’ai dit que j’étais Saint-Florimond !
Tous. — Oui, oui, vous êtes Saint-Florimond !
Saint-Florimond, descendant et passant à gauche n° 1. — Oh ! ce qu’ils m’agacent !
Camaret. — Ah ! Madame ! que n’ai-je eu l’idée de vous voir plus tôt, moi qui ai déjà envoyé un planton au corps pour qu’il me ramène le vrai Champignol…
Angèle, à part, se détachant du groupe du fond et descendant en scène au n° 2. — On va amener mon mari !
Camaret, descendant au n° 3. — Allons, Madame, nous vous laissons avec M. Champignol ; dans ce cas là, une épouse vaut mieux que des étrangers.
Angèle. — Je vous suis bien reconnaissante, mon capitaine !
Chamel, qui est resté au fond avec Mauricette et Singleton pendant ce qui précède. — Fenez !
Mauricette. — Oh ! ce pauvre cousin !
Chamel. — Ah ! c’est pien empêtant ! pien empêtant !
Scène XIV
modifierAngèle, Saint-Florimond, puis le Prince
Saint-Florimond. — Ah ! non ! non ! mais ce sont eux qui me rendent fou !
Angèle. — Alors, voilà ce que vous faites, vous ! on va amener mon mari à cause de vous !
Saint-Florimond. — Eh ! à la grâce de Dieu ! qu’il vienne, votre mari ! Il n’est que temps que ça finisse, cette position ridicule où je patauge depuis hier !
Angèle. — Alors, vous avez juré ma perte ! vous cherchez un esclandre !
Saint-Florimond. — Eh ! l’esclandre, c’est votre mari qui a pris la peine de le faire éclater. Dieu m’est témoin que, pour vous éviter un scandale, j’aurais tout bravé, tout accepté ; maintenant que votre mari sait tout, maintenant qu’il a crié son aventure sur tous les toits, pourquoi conserverais-je un rôle aussi grotesque qu’inutile ?
Angèle. — Oui ! eh bien moi, alors, qu’est-ce je deviens dans tout ça ? qu’est-ce je deviens ?…une femme déshonorée, répudiée de son mari ! votre maîtresse, enfin, moi qui ne l’ai jamais été, et tout ça, à cause de vous !
Saint-Florimond, passant au n° 2 — Enfin, Angèle ! c’est la fatalité !
Angèle. — Ah ! la fatalité ! dites votre maladresse ; mais cela vous est égal ! Quand mon mari vous aura tué, il ne vous viendra même pas en tête de vous dire : "Qu’est-ce qu’elle va faire la malheureuse !"
Saint-Florimond. — Comment ! me tuer ?
Angèle. — Et vous ne l’aurez pas volé, par exemple !
Le Prince, paraissant au fond et parlant à la cantonade. — Venez ! entrez, Champignol !
Saint-Florimond. — Lui ! filons !…
Il sort vivement par la droite, premier plan.
Angèle. — Et voilà l’homme ! il se sauve !
Scène XV
modifierAngèle, le Prince, Champignol
Le Prince, à Champignol qui entre du fond. — Restez-là ! je vais prévenir le capitaine !
Il sort par la droite, deuxième plan.
Angèle. — Mon mari ! après tout, j’aime mieux ça !
Champignol, apercevant Angèle et descendant au n° 2. — Elle !…Vous !…Toi, Madame !
Angèle. — Robert ! je vais t’expliquer…
Champignol. — Arrière, Madame ! (Passant au n° 1) Oh ! honte ! La voilà donc celle que j ai épousée ! que dis-je ? non seulement, je l’ai épousée, mais je lui ai même donné mon nom ! Elle s’appelait Chapouillet, j’en ai fait une Champignol !…
Angèle. — Robert, ne m’accable pas !
Champignol, remontant vers le fond et jetant avec fureur son képi à terre. — Oh ! misère de moi !, misère de moi !
Angèle. — Robert !…
Champignol, Passant derrière Angèle et descendant au n° 2. — Non ! quand j’y. pense, mes cheveux se dressent sur ma tête !
Angèle. — Les apparences me condamnent, mais je ne suis pas coupable !
Champignol. — Allons donc ! vous ne viendrez pas me dire qu’il n’est pas votre amant !
Angèle. — Qui ?
Champignol. — Auguste !
Angèle. — Auguste ?
Champignol. — Auguste ! le fils naturel de l’empereur romain !
Angèle. — Hein !…
Champignol. — Qui fait les treize jours de Potard ! Regardez-le, Potard ! Le voilà, Potard !
Angèle. — Mais qu’est-ce qu’il dit ?
Champignol, s’arrachant les cheveux qu’il n’a pas. — Ah ! misère de moi ! misère de moi !
Angèle. — Robert, tu dois confondre, tu veux parler de M. de Saint-Florimond
Champignol. — Saint-Florimond ! Il m’a dit : "Auguste". N’importe, oserez-vous dire qu’il n’est pas votre amant ?
Angèle. — Mon amant ! jamais !
Champignol. — Allons donc ! Il me l’a avoué…
Angèle. — Lui ! c’est faux !
Champignol. — Il m’a dit : "Jamais, cette femme n’a rien été pour moi !"… "Jamais !" Vous entendez, Madame !
Angèle. — Eh ! bien, alors !
Champignol. — Eh ! bien, vous ne viendrez pas me dire qu’un homme qui dit ça d’une femme, n’a rien été pour elle !
Angèle. — Cependant que veux-tu qu’il dise quand c’est la vérité !
Champignol, interloqué. — C’est vrai !
Angèle. — Avant de me condamner, laisse-moi m’expliquer.
Champignol, d’un ton dramatique. — Allez, Madame, allez !
Angèle. — Robert, tout ce que j’en ai fait, c’était pour ton bien !
Champignol. — Allons donc ! Ah ! c’était pour… ah ! bien, si je m’attendais à celle-là !
Angèle. — Parfaitement… et quant à M. de Saint-Florimond, il n’a jamais rien été pour moi ! Ça, je te le jure… sur ta tête !…
Champignol. — Ah ! je t’en prie… laisse ma tête tranquille !
Angèle. — Eh bien ! sur la tête de ma mère !…
Champignol. — C’est ça, sur la tête de ma belle-mère !
Angèle. — Tu étais absent, M. de Saint-Florimond me faisait la cour, et il était précisément là à m’ennuyer quand les gendarmes sont venus t’arrêter comme insoumis !… D’autre part, je pensais : "Mon mari va être porté déserteur !" Alors je me suis dit : "Payons d’audace ! et en même temps, donnons à ce galantin une leçon dont il se souviendra !" Je dis aux gendarmes : "Vous demandez M. Champignol, le voici !"
Champignol. — Hein ! est-il possible !
Angèle. — Voilà ce que j’ai fait pour l’honneur de votre nom !…
Champignol, riant. — Comment, c’était pour… Ah ! la bonne farce, la bonne farce !
Angèle. — Et voilà comment, malgré ses récriminations, il a été emmené à ta place.
Champignol. — Je comprends tout ! Ah ! la bonne farce ! bonheur de moi ! bonheur de moi !
Angèle. — Eh bien ! es-tu rassuré ?
Champignol. — Si je le suis : demoiselle Chapouillet, vous êtes digne de vous appeler Champignol !
Angèle, se précipitant dans ses bras. — Robert !… Mais qu’est-ce que nous allons faire ?
Champignol. — Comment ?
Angèle. — Mais oui, le capitaine est persuadé que Saint-Florimond est Champignol !…
Champignol. — Ah ! la bonne farce ! la bonne farce ! laisse-moi faire, j’ai mon idée…
Angèle. — Mais !…
Champignol. — Oui ! oui ! quant à Saint-Florimond, il va me le payer, Auguste !…
Angèle. — Le voilà, il était temps !…
Scène XVI
modifierLes Mêmes, Camaret, Chamel, Mauricette, Singleton, Célestin, Saint-Florimond, puis Adrienne
Camaret entre de droite, deuxième plan avec Saint-Florimond et les autres personnages.
Camaret. — Comment, on a trouvé un Champignol au corps ?
Saint-Florimond. — Quand je vous le disais, mon capitaine…
Camaret, apercevant Champignol et descendant au n° 3. — Hein ! celui-là !… allons donc ! ça, Lesurque ? vous n’avez aucun point de ressemblance ! (À tous les personnages.) Enfin, voyons, Messieurs, vous qui le connaissez, ce n’est pas Champignol ?
Tous. — Non ! non !
Saint-Florimond. — Oui ! Eh bien, demandez-le lui.
Camaret, à Champignol. — Approchez, territorial ! Comment vous appelez-vous ?
Saint-Florimond. — Allez ! allez !
Champignol, à part. — Oui, attends ! attends, Auguste ! (D’une voix émue.) Je m’appelle Saint-Florimond.
Saint-Florimond, abasourdi. — Hein !
Camaret. — Parbleu, je le savais bien !
Saint-Florimond. — C’est trop fort, puisque c’est moi !
Camaret. — Encore !
Angèle, avec une feinte commisération. — C’est sa crise, mon Capitaine !
Elle remonte au fond avec Camaret.
Tous, remontant également au fond. — C’est sa crise !…
Pendant les deux répliques suivantes Angèle, Camaret et Chamel causent au fond à voix basse. Singleton et Mauricette passant derrière eux, descendant aux n° 1 et 2.
Saint-Florimond, à Champignol, à mi-voix. — Comment, c’est vous qui osez dire !…
Champignol, très net. — Parfaitement, et je vous défends de dire le contraire, Auguste !
Camaret, redescendant entre Champignol et Saint-Florimond, à ce dernier. — Eh bien ! êtes-vous édifié, soutenez-vous encore que vous êtes Saint-Florimond ?
Saint-Florimond. — Vous avez raison, mon capitaine, je suis Champignol.
Camaret, triomphant. — Allons donc !
Angèle, avec une joie feinte, descendant au n° 3. — Enfin, sa crise est finie !
Chamel descend au n° 7.
Camaret, à Champignol. — Ah çà ! mais dites donc "Saint-Florimond, Saint-Florimond", bizarre ! Je n’ai pas de Saint-Florimond dans ma compagnie.
Champignol. — En effet, mon capitaine, je ne suis pas soldat… Cet uniforme m’a été prêté parce que j’étais tombé à l’eau !
Chamel. — Hein !
Camaret. — Comment, lui aussi !
Champignol. — J’étais sur les bords de la Brèche et je pêchais à la ligne !
Chamel. — Hein ! (À Champignol.) Et peut-être vous avez voulu sauter sur un tronc d’arbre où il y avait de la fase ?
Champignol. — Parfaitement ! et v’lan ! j’ai glissé.
Chamel. — Eh bien ! vous ne le croiriez pas, il m’est arrivé exactement la même chose !
Champignol : — Vrai ?
Chamel. — Parole d’honneur !…
Camaret. — Il faudra que je fasse couper ce tronc d’arbre.
Adrienne, entrant de droite, premier plan avec Célestin. — Eh ! bien ! pourquoi ce conciliabule !
Camaret. — Ah ! au fait ! arrive Adrienne ! (Adrienne descend au n° 7, Célestin au n° 8. Montrant Champignol.) Je te présente M. de Saint-Florimond !
Adrienne, à part. — Hein. ! c’était ce chauve qu’on voulait me faire épouser !
Camaret. — Mon cher Monsieur de Saint-Florimond, j’ai le regret de vous annoncer que ma fille est fiancée à son cousin Célestin.
Champignol. — Mais, mon capitaine, j’en suis fort aise.
Camaret. — Ah ! Eh ! bien, il en prend facilement son parti. (À Saint-Florimond.) Quant à vous Champignol, vous allez retourner au cantonnement.
Saint-Florimond, à part. — Voilà ! je serai obligé de les faire ses treize jours ! Ah ! on ne m’y prendra plus à courtiser les femmes mariées !…
Camaret. — Et puis, je ne voudrais plus avoir à vous le répéter ! Vous avez les cheveux trop longs, mon ami, il faudra vous les faire couper !
Champignol. — Papier de verre !
RIDEAU