Cent millions qui tombent

Cent millions qui tombentLe Béliervolume 6 (p. 213-271).

Personnages

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Pièce en trois actes

Les deux premiers actes de cette pièce,

qui ne fut jamais terminée par l’auteur,

ont été néanmoins répétés en Janvier 1911

sur la scène de l’ancien Théâtre des Nouveautés

Personnages

Artistes ayant répété les rôles principaux.

Isidore : MM. Germain

Serge : Coquet

Mittwoch : Marcel Simon

Actinescu : Gorby

Snobinet : Elie Febvre

John : Landrin

Fernando : X…

Firmin Godasse : X…

Paulette : Mmes A. Cassive

Chloé : Rosine Maurel

Philomèle : X…

Marguerite De Faust : X…

Miette Gigot : X…

Chez Paulette. La salle à manger. Pièce carré. A gauche, 1er plan, porte à deux battants donnant dans la chambre à coucher. Au fond, à gauche, porte donnant dans le vestibule. Au fond, à droite, porte donnant sur le salon. A droite, 2e plan, porte sous tenture menant à la cuisine. — 1er plan, un buffet. Au milieu, une table de salle à manger. Chaises.

Scène première

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Philomèle, Isidore, John.

Au lever du rideau, Philomèle et Isidore sont assis à la table en train de nettoyer l’argenterie. John, debout, pérore. On entend par moment des coups de marteau venant du salon.

John. — Oui, eh bien ! moi je vous dis que c’est un chameau ! tu m’entends, un chameau !

Isidore. — Pas si haut donc ! elle est à côté.

John. — Eh quoi ! laisse donc ! Onze heures du matin, à cette heure-ci, elle pionce… C’est même le seul agrément de la maison, c’est qu’on peut faire grasse matinée. C’est un chameau.

Isidore. — John, t’es dur ! je t’assure, t’es dur.

John. — Oh ! toi, naturellement, t’as le culte du patron. (Avec mépris.) T’as une âme d’aristocrate, t’es fait pour être esclave.

Isidore. — Mais non !

John. — Non ? T’acceptes qu’elle te traite tout le temps d’idiot, de brute,… ça te fait plaisir.

Isidore, assis. — J’aime qu’elle me parle ; elle est si belle.

John, — Aha ! la belle avance ! est-ce qu’elle marche avec toi ? Non ! eh ! bien, alors ?

Isidore, haussant les épaules. — T’es bête.

John, — Qu’est-ce que ça te fait qu’elle soit belle, puisque c’est pas pour ton nez.

Isidore. — Qu’est-ce que tu veux, ça ne se commande pas.

John. — Ah ! ça serait Philomèle, au moins ça… ! Eh ben ! on pourrait espérer.

Philomèle. — Non, mais dis donc, pour qui que tu me prends ? J’ai des principes, moi !

John. — Oui-da ?

Philomèle. — Comme me disait le curé de mon village : "l’amour, c’est pour ceux qui sont mariés".

Isidore. — Ah ! bien, si ce n’est que ça ! Je le suis.

Philomèle. — Oui, mais pas avec moi. Quand je céderai, moi, ce sera pour le bon motif.

John. — Aha !

Philomèle. — Ou alors, pour la grosse galette.

Isidore. — Je comprends ça ! moi aussi.

John. — Laisse donc ! elle dit ça, mais au fond…

Il l’embrasse dans le cou.

Philomèle. — Allons, voyons !… satyre !

John. — Oho, satyre ! elle m’a appelé satyre !

Il la réembrasse.

Philomèle. — Veux-tu me laisser, voyons ! (Sur un ton de menace, lui montrant la boîte de poudre à argenterie.) Ah ! Je te flanque de ce rouge sur la figure.

John. — Ah ! non, merci ! pour que j’aie l’air d’une cocotte !

Isidore. — Alors, dis donc, Philomèle, vraiment pour de la galette, tu…

Philomèle. — Si t’en as beaucoup, t’as qu’à essayer.

Isidore. — Non ! mais si un jour j’en ai, eh bien ! je ne dis pas…

Philomèle. — Bon.

Isidore. — Tu m’ouvrirais pas un petit crédit en attendant ?

Philomèle. — Ah ! plus souvent oui !

On entend les coups de marteaux des tapissiers.

John. — Oh ! qu’ils sont embêtants, ces bougres-là avec leurs marteaux.

Isidore. — C’est les tapissiers qui clouent la tenture du salon.

John. — Ils sont assommants.

Philomèle. — Oh ! ils vont réveiller Madame.

John. — Ah, ça ! je m’en fous !

Isidore. — T’es dur, John, t’es dur !

John. — Je suis dur ? C’te femme qui gagne sa galette on sait comment et qui se mêle d’éplucher mes comptes,… qui, hier, se permet de me dire : "Non, mais qu’est-ce que vous faites de l’avoine ? C’est pas possible, vous la mangez." (Isidore et Philomèle rient.) Je la mange ! je la mange ! non, t’entends ça ? Eh, bien non ! je ne la mange pas ! là ! je la bois ! ah !

Philomèle. — Ça ! il paraît même que l’autre nuit tu étais un peu…

John. — Bien oui, c’est entendu ! j’étais un peu bu ! Est-ce une raison pour me le coller en pleine figure comme elle l’a fait ? Oui, mon vieux. Elle m’a dit que j’étais saoul.

Isidore. — Ah… ça ! mon vieux !

John. — J’admets ça ! mais est-ce que ça se dit, ces choses-là… quand on est poli !… quand elle a une bouteille de champagne dans le nez ! est-ce que j’ai même l’air de m’en apercevoir ?

Isidore. — Ah, bien ! c’est la patronne !

John. — Oui ? eh bien ! c’est précisément là-dessus que j’en ai ! des patrons, n’en faut pas…

Philomèle. — C’est si simple. N’y a qu’à ne pas se mettre en service !

John. — Eh v’là des raisons ! Toi, t’es femme, tu ne peux comprendre ça !… mais demande à Isidore ; je l’ai fait entrer à la C.G.D.G.D.M.

Philomèle. — Qué qu’c'est qu’ça ?

John. — Oh ! malheur. Eh ben ! la Confédération générale des gens de maison, la C.G.D.G.D.M. Tu ne comprends donc pas le français ? Aha ! Là, je suis quelqu’un ! là, je suis secrétaire ! parfaitement ! et préposé spécialement aux sabotages. Pas vrai, Isidore ?

Isidore. — C’est vrai.

John. — Que ce soir, il me plaise d’envoyer l’ordre, et à sept heures et demie sonnantes, tous les valets de chambre de Paris auront craché en même temps dans le potage de leurs maîtres ! Ça n’est pas beau, ça ?

Isidore. — Oh ! si !

Philomèle. — C’est un peu dégoûtant ! mais c’est beau.

Isidore. — L’embêtant, c’est que les domestiques mangent le potage après.

John. — Qu’est-ce que ça fait, c’est notre crachat, à nous.

Isidore. — Ça n’est pas plus appétissant !

John. — Et c’est un personnage de mon importance qu’un avorton de femme comme ça ferait marcher ? Quand je pense que je me suis soumis à tous ses caprices ! j’en rugis ! Je porte la livrée infamante, j’ai rasé barbe et moustache… Elle m’appelle John, quand je m’appelle Alphonse, tout ça parce qu’elle a peur qu’on confonde. Oh ! mais patience, nous aurons notre tour ! pas vrai Isidore ?

Isidore. — Ben ! j’espère.

John. — T’as pas l’air convaincu.

Philomèle. — Qu’est-ce que ça sera, notre tour ? Isidore, passe-moi ta peau !

John. — Notre tour ? Mais ça sera qu’il n’y aura plus de domestiques ni de maîtres ! qu’on prendra l’argent à ceux qu’en ont pour nous le donner, à nous… et comme ils seront pauvres, ce sera eux qui seront obligés de devenir nos domestiques et nous les ferons trimer. Ce sera la revanche ! C’est ce qu’on appelle l’émancipation générale.

Philomèle, le regardant. — Comme il parle bien !

Isidore. — Ça ! pour être verbeux, il est verbeux !

John. — Oh ! c’est pas une idée nouvelle d’ailleurs ! Il y a longtemps que ça couve. Déjà chez les anciens, qui n’étaient pas des bêtes, il paraît qu’on avait essayé quelque chose comme ça, en petit… oh ! il y a longtemps, sous Louis XV ou Charles IX, je ne sais pas au juste. Y avait ce qu’on appelait les Saturnales.

Isidore et Philomèle, sans comprendre. — Ah ?

John. — C’était une fois l’an : ce jour-là,… c’étaient les domestiques qui devenaient les maîtres, et les maîtres qui devenaient leurs domestiques.

Isidore et Philomèle. — Non !

John. — Comme je te parle ! C’était plus le patron, c’était le larbin qui était maître de sa turne… C’est de là d’ailleurs que vient le nom de saturnales. Eh ! bien, il est évident qu’une fois l’an, c’était pas beaucoup, mais n’empêche, Ça avait du bon parce que toute l’année, tout de même, le patron se disait : "Ne les embêtons pas à l’office, sans ça ils me le feront payer aux saturnales ! " et il mettait de l’eau dans son vin.

Isidore. — Oui, mais probable que le jour des saturnales le valet de chambre devait se dire aussi : "S’agit pas d’embêter trop le patron aujourd’hui, parce qu’il se rattrapera demain ! " alors, ça revenait au même.

John. — Oui, c’est pas dit ça… En tous cas, si ça existait encore, probable que Mame Paulette de Sortival - Sortival comme moi ! — que Mame Paulette de Sortival mettrait un peu plus de gants pour parler à Bibi. C’est un chameau, je te dis ! C’est un cham…

Scène II

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Les Mêmes, Paulette.

Paulette, surgissant à mi-corps par la porte de sa chambre. — Vous n’avez pas fini de faire tout ce potin ? Qu’est-ce que c’est que ces façons ? Y a pas moyen de dormir !… et puis, qui est-ce qui cloue comme ça ? C’est insupportable !

Philomèle. — Oh ! madame, c’est ce que nous disions ! C’est les tapissiers avec la tenture du salon.

Paulette. — Ils viennent faire ça à onze heures du matin ? Ils ne sont pas fous ? Est-ce que c’est une heure pour travailler ! qu’ils s’en aillent, ils reviendront à quatre heures.

Philomèle. — Je vais leur dire, madame.

Elle rentre au salon.

Paulette, à John. — Et puis vous, qu’est-ce que vous faites-là ? Est-ce que c’est votre place dans la salle à manger ? Allez donc à votre écurie !

John. — Je donne un coup de main à Isidore.

Paulette. — Je ne vous demande pas ce que vous faites. J’aime pas l’odeur du crottin dans l’appartement.

John. — Ah ? là ! là !

Paulette. — Qu’est-ce que vous dites ? Voulez-vous sortir et un peu plus vite !

John. — D’abord, j’aime qu’on me parle poliment.

Paulette. — Voulez-vous sortir ou je vous fais jeter dehors !

John. — Oui ! par qui ?

Paulette. — Par Isidore.

Isidore. — Moi !

John, gouailleur. — Ah ! faudrait voir.

Paulette. — Isidore ! prenez John par la peau du cou et jetez-le dehors…

Isidore. — Par la peau du cou ?

Paulette. — Vous avez entendu !

Isidore. — Oui, madame.

John. — Eh ! ben, tu viens ?

Isidore, très calme. — Allons, mon vieux, va-t-en ! tu vois que tu agaces Madame.

Paulette. — Quoi ! quoi ! vous n’allez pas parlementer !… empoignez-moi ce garçon-là, et sortez-le.

John. — Voilà ! empoigne-moi, et sors-moi !

Paulette. — Eh ! ben, allez !

Isidore. — Mais, Madame, il est plus fort que moi.

Paulette. — Vous avez peur ! vous avez peur d’un homme !… regardez-moi cette chiffe, regardez-moi ce couard !

John. — Allez ! à ton tour, mon vieux ! encaisse !

Isidore. — Ah ! ben, tiens !

Paulette, à Isidore. — Vous n’êtes qu’une brute ! un imbécile !… Eh ben, quoi ? quand vous me regarderez !… Avoir toujours cette gueule d’idiot devant moi !…

Philomèle, sortant du salon. — Voilà Madame, les tapissiers…

Paulette. — Taisez-vous, vous ! je ne vous demande pas l’heure qu’il est.

Philomèle, à part. — Qu’est-ce qu’elle a ?

Paulette. — Vous ne voulez pas vous en aller, vous ? C’est bien, je vais vous faire voir que tout le monde n’est pas aussi capon que monsieur Isidore. (Allant à la porte de sa chambre et parlant à quelqu’un qu’on ne voit pas.) Veux-tu te lever ; mon ami, et venir jeter dans l’escalier mon cocher qui est grossier avec moi ?

Voix de Snobinet. — Oh !… j’ai sommeil.

Paulette. — Je te dis de te lever ! tu ne vas pas me laisser insulter.

Voix de Snobinet. — Oui… Oh !… tout à l’heure.

Paulette. — Oh ! ces hommes ! (A John.) C’est bien, je vous chasse ! vous pouvez aller faire vos malles, vous n’êtes plus à mon service… Alphonse.

Elle rentre dans sa chambre, dont elle tire violemment le battant sur elle. On entend la clef tourner deux fois dans la serrure. — Les trois domestiques restent un instant cois.

Scène III

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Les Mêmes, moins Paulette

John, haussant les épaules. — Isse !… ce navet !…

Isidore. — T’es dur !

John. — Tu parles ! "Alphonse"… et plus John ! il n’est que temps que je reprenne ma personnalité.

Isidore. — Ah çà ! mais, qui est-ce qui est avec elle ?

Philomèle. — C’est ce que je me demande.

John. — Son miché sera peut-être revenu cette nuit.

Isidore. — Monsieur ? Oh ! ça m’étonnerait, on aurait vu ses bagages.

Philomèle. — Et puis, il ne serait pas revenu si tôt de Monte-Carlo… Quand il y va, généralement…

John. — Alors quoi ! C’est qu’elle a profité de son absence pour se payer un béguin ; je ne vois que ça !

Isidore et Philomèle. — Oh !

A ce moment, on entend le bruit d’une porte qui se ferme dans le vestibule.

Isidore. — Chut ! qu’est-ce que c’est que ça ?

Philomèle. — C’est la grande porte de l’hôtel.

Isidore. — Justement ! en dehors de Madame, il n’y a que Monsieur qui en ait la clef.

Scène IV

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Les Mêmes, Serge, puis Paulette et Snobinet

Tous les trois, en voyant surgir Serge. — Monsieur !

Instinctivement Philomèle et Isidore se lèvent.

Serge, l’air très défait. — Oui, c’est moi ! c’est bien, asseyez-vous. Madame… ? Madame est là ?

Philomèle. — Hein ?… Monsieur… ?

Serge. — Madame ?

Philomèle, troublée. — Mais je crois qu’elle est sortie ?… n’est-ce pas Isidore ?

Isidore. — Oui… oui, je crois.

John. — Non, non… Philomèle se trompe ; Madame est encore couchée, j’en suis à peu près sûr.

Philomèle, regardant John. — Ah ! ah ! c’est… c’est possible…

Serge. — C’est bien… (Il va jusqu’à la porte et essaie d’ouvrir. La porte fermée à double tour, résiste.) Paulette !… Paulette, ouvre-moi…

Voix de Paulette. — Qui est là ?

Serge. — C’est moi, Serge.

Voix de Paulette. — Hein ! toi !…

On entend un branle-bas sourd dans la chambre. John envoie une tape d’intelligence à Philomèle et Isidore. Serge est toujours à la porte, attendant qu’on ouvre.

Serge. — Eh ! bien, voyons, ouvre ! qu’est-ce que tu attends ?

Voix de Paulette. — Hein ! ah ! oui, c’est toi ?… C’est dans le sommeil,… tu m’as réveillée, alors…

Serge. — Bon ! eh ! ben, ouvre !

Voix de Paulette. — C’est… c’est fermé par là,… fais le tour par le salon.

Serge. — Ah ! bon…

Il remonte et sort.

Philomèle, à John. — Ah ! tu as été rosse !

Isidore. — Si tu crois que c’est chic, ce que tu as fait là !

John. — C’est ma revanche ; la guerre des castes.

A ce moment, la porte de la chambre s’ouvre ; Paulette passe la tête, puis pousse dehors Snobinet en chemise de nuit, jambes nues, les pieds dans les pantoufles.

Paulette. — Va ! et ne bouge pas !

Elle referme la porte vivement à double tour. Un grand temps de gêne générale. Snobinet, tout décontenancé par sa tenue, reste sur place sans oser bouger. Philomèle et Isidore enfoncent le nez dans leur travail de nettoyage d’argenterie, sans avoir l’air d’avoir remarqué ce qui s’est passé. Seul John a un sourire gouailleur et triomphant. Il regarde la scène qui se passe sous ses yeux d’un air malin, puis, satisfait, pivote sur les talons et, les mains dans les poches, s’en va en sifflotant.

Scène V

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Philomèle, Isidore, Snobinet et dans la chambre Serge et Paulette

Snobinet, après un temps, à part. — Oh ! que j’aime peu ces situations-là !

Long temps de gêne. Snobinet regarde à droite, à gauche, ne sachant quelle attitude prendre. Les deux domestiques affectent de ne pas s’apercevoir de sa présence.

Snobinet. — Hum !… c’est… c’est l’argenterie que vous faites-là !

Isidore. — Monsieur ?… (Il se lève, gêné.)

Snobinet. — Je dis… c’est l’argenterie que vous faites ?

Philomèle. — C’est l’argenterie, oui, monsieur. (Elle se lève également.) Monsieur demande si c’est l’argenterie que nous faisons…

Isidore. — Ah !… oui, monsieur. (Il s’assied.)

Snobinet. — C’est ça ! c’est ça ! C’est ce qui me semblait !… ça doit être assez dur.

Isidore. — Oh ! C’est un coup de main à attraper.

Snobinet. — Ah ! C’est ça ! c’est ça !

Un temps.

Isidore. — Monsieur ne désire pas s’asseoir… ? Monsieur doit être mal comme ça ? (A Philomèle.) Donne donc une chaise !

Philomèle, présentant sa chaise. — Tenez, Monsieur.

Snobinet, se frottant les jambes. — Oh ! je vous en prie… ne vous donnez pas la peine…. Merci bien ! (Il s’assied.) Je vous demande pardon de me montrer ainsi, mais une circonstance imprévue !… Je ne suis pas venu comme ça…

Les deux domestiques. — Oui, monsieur, oui !

Snobinet, après un temps. — C’est… c’est le monsieur de madame Paulette qui vient d’arriver ?

Isidore. — Monsieur Serge de Vieuxville, parfaitement !…

Snobinet, très aimable. — Ah ! enchanté !… de Vieuxville, oui, oui,… vieille famille !… euh ! Quel homme est-ce ?

Isidore, se sachant que dire. — Monsieur ? ben…

Snobinet. — Il est jeune, oui ! de… de quelle taille ?

Isidore. — Comme ça ! (A Philomèle.) N’est-ce pas ?

Philomèle. — Oui.

Snobinet. — Aha ! pas très fort ?

Philomèle et Isidore. Oh ! si !

Snobinet. — Ah !

Isidore. — Comme il fait beaucoup de boxe, n’est-ce pas !

Snobinet, riant jaune. — Aha !… bon exercice, la boxe bon exercice !

Isidore. — Oui.

Snobinet. — Je n’ai jamais eu le temps d’en faire. (Regardant du côté de la porte.)… Je le regrette bien aujourd’hui.

Isidore. — Il est encore temps… Monsieur est jeune.

Snobinet. — Oh ! évidemment pour…. pour l’avenir, mais… pour le….

Isidore. — Comment ?

Snobinet. — Non, rien.

Philomèle. — C’est drôle, je regarde monsieur,… que Monsieur m’excuse… Est-ce que Monsieur n’est pas au théâtre ?

Snobinet. — Moi, oui, oui ; Victor Snobinet, du Théâtre Sarah Bernhardt.

Philomèle. — Oh ! j’ai vu jouer monsieur ! Monsieur a beaucoup de talent.

Snobinet. — Oui, oui.

Philomèle, à Isidore. — Tu sais, c’est monsieur dont je t’ai parlé… qui nous a tant amusé… dans l’Aiglon.

Snobinet. — Amusé ! amusé ! dans Metternich…

Philomèle. — C’est ça !

Snobinet. — C’est un rôle dramatique.

Philomèle. — Oui ! ah ! c’était bien gentil ! y a pas d’autre mot ! C’était bien gentil.

Snobinet. — Trop aimable.

Philomèle, se levant. — Oh ! mais Monsieur n’a pas peur de prendre froid comme ça ? Monsieur devrait s’habiller.

Snobinet. — Ben… oui ! mais… c’est que mes effets sont restés par là !… Dans la précipitation, vous comprenez…

Isidore, se levant. Si Monsieur veut que j’aille les chercher.

Snobinet, se lève à son tour. — Non, non…

Philomèle. — Au moins que monsieur s’entoure avec la couverture de la table de la salle à manger…

Isidore. — Mais oui.

Philomèle. — Elle est en molleton. Ça tiendra lieu de plaid à Monsieur.

Snobinet. — Oh ! vraiment, c’est trop aimable.

Philomèle, qui l’a entouré du molleton le lui fixe à la taille par une épingle anglaise piquée par devant. — Là ! Monsieur n’est pas mieux comme ça ?

Snobinet. — Oh ! si ! Et maintenant, vous n’auriez pas un autre endroit qu’ici… (Isidore le regarde.) Parce que s’il prenait fantaisie à Monsieur de Vieuxville de sortir de la chambre…, comme je ne le connais pas, n’est-ce pas, il pourrait s’imaginer des choses !…

Isidore. — Oui, oui ! Oh ! ben, c’est un homme charmant. Quand Monsieur le connaîtra !

Snobinet. — Oui, mais j’aime autant faire sa connaissance une autre fois.

Isidore. — Oui, je comprends. Enfin Monsieur préférerait plutôt se cacher.

Snobinet. — Se cacher,… se cacher,… c’est un bien gros mot. S’il y avait un endroit où je ne risquerais pas de le rencontrer…

Isidore. — Oui, oui. Y a bien le petit endroit,… seulement, on y va.

Snobinet. — Ah ! non, merci ! pour être grotesque. J’évite avant tout de me trouver dans une situation ridicule.

Isidore. — Oui ! Si monsieur veut m’en croire,…. je ne ferais rien de tout ça ! Au lieu d’aller m’enfermer au risque de me faire pincer, moi, j’userais de toupet ; je passerais un tablier et je m’assierais avec nous à la table, là… à nettoyer l’argenterie… Ce serait le meilleur moyen de ne pas attirer l’attention si Monsieur venait.

Snobinet. — Vous croyez !

Isidore. — Oh ! s’il vous voit là, nettoyant…, il ne peut pas supposer, n’est-ce pas ?

Philomèle, enlevant son tablier. — Mais oui, il a raison.

Snobinet, — Ah ! ah ! ah !

Isidore. — Et puis, ça sera autant de moins à faire pour nous.

Philomèle, lui passant le tablier. — Tenez, monsieur, passez ça !

Snobinet. — Oh ! comment reconnaîtrai-je ?

Isidore. — Monsieur nous donnera des places pour aller le voir faire l’Aiglon.

Snobinet. — Ça, avec plaisir ! (Se fouillant.) J’ai justement mon service sur moi… ah ! non, je suis bête… il est dans mon veston.

On entend un bruit de voix dans la chambre de Paulette.

Isidore. — Vite monsieur, mettez-vous là !… j’entends monsieur. Vite, prenez une louche.

Snobinet, affolé. — Une louche !… une louche !

Philomèle, lui passant une louche. — Voilà !

Isidore. — La peau !

Snobinet. — Quoi "la peau" ?

Isidore. — Prenez la peau et frottez.

Snobinet. — Ah ! oui. (Le bruit de voix se rapproche. Snobinet se met vivement une serviette sur la tête comme un fichu.) Fichtre ! il était temps.

Scène VI

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Les mêmes, Paulette, Serge.

Serge, surgissant de la chambre, le pantalon de Snobinet à la main. — Jamais de la vie ! jamais de la vie !

Paulette. — Veux-tu me rendre ça ?

Serge. — Jamais de la vie ! (Aux domestiques.) Allez-vous-en vous autres.

Isidore et Philomèle. — Oui, monsieur.

Snobinet. — Nom d’un chien ! mon pantalon.

Serge, à Snobinet. — Eh ! bien, vous n’avez pas entendu, vous, la fille ! Qu’est-ce que vous faites-là ?

Snobinet, voix de fausset. — Je fais l’argenterie.

Serge. — Qu’est-ce que c’est que celle-là ? Je ne la connais pas ! qui êtes-vous ?

Snobinet, idem. — Je suis la soubrette d’extra.

Serge. — Quoi ?

Snobinet. — Je suis la soubrette d’extra.

Isidore. — C’est la fille de cuisine.

Serge. — Ah !… (A Snobinet.) Oui, eh ! bien, vous ferez l’argenterie plus tard.

Snobinet. — Oui, monsieur. (Sortant.) Qu’est-ce qu’il va faire de mon pantalon, mon Dieu !

Ils sortent.

Scène VII

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Serge, Paulette.

Serge. — Et maintenant, à qui est ce pantalon ?

Paulette. — Ça ne te regarde pas ! Rends-le moi ! il n’est pas à toi.

Serge. — C’est ce que je lui reproche ! A qui est-il ?

Paulette. — Je n’en sais rien.

Serge. — A un homme ?

Paulette. — Si tu veux !

Serge. — A un homme qui a couché avec toi, hein ?

Paulette. — Et après ?

Serge. — Effrontée !… tu oses dire…

Paulette. — C’est toi qui oses, c’est pas moi.

Serge. — Voilà ce que tu faisais pendant mon absence, tu me trompais avec des gigolos. (Elle hausse les épaules.) Où est-il cet homme ?

Paulette. — Il est parti.

Serge. — Sans pantalon ?… invraisemblable !

Paulette. — Comme tu voudras ! S’il te suffit de trouver un pantalon pour en conclure immédiatement… Ah ! tu as de l’imagination !

Serge. — Tu ne veux pas me dire à qui est ce pantalon ?

Paulette, gouailleuse. — A moi !

Serge. — C’est bien ! -(Allant à la porte par laquelle sont sortis les domestiques.) Isidore ! Philomèle !… la fille de cuisine !

Scène VIII

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Les mêmes, Isidore, Philomèle, puis Snobinet.

Isidore et Philomèle. — Monsieur !

Serge. — Et la fille de cuisine ?

Isidore. — La f… (Appelant.) Victoire ?… Venez, Victoire !

Serge. — Ah ! elle s’appelle Victoire ?

Paraît Snobinet.

Isidore. — Entrez, ma fille, monsieur vous appelle…

Paulette. — Tu vas interroger les domestiques à présent ?

Serge. — Parfaitement.

Paulette. — Mes compliments !

Serge, tenant le pantalon derrière son dos. — Quel est le polichinelle qui a couché ici ?

Isidore et Philomèle. — Monsieur ?

Serge. — Je vous demande quel est le polichinelle qui a couché ici.

Isidore. — Je n’ai pas vu de polichinelle, monsieur.

Serge. — Ah !

Philomèle. — Moi non plus.

Serge. — Ah ! et vous ?

Snobinet. — Je n’ai… je n’ai pas vu de polichinelle… non !

Serge. — C’est parfait ! et cette culotte, la connaissez-vous ?

Isidore et Philomèle. Non.

Serge, à Snobinet. — Vous ne connaissez pas cette culotte ?

Snobinet. — Est-ce bien une culotte ?

Serge. — Enfin, ce pantalon ! ne jouons pas sur les mots.

Snobinet. — Ce… ce n’est pas à moi.

Serge. — Je le pense bien ! Cette fille est stupide. (A Paulette.) Allons ! je vois que votre personnel est bien stylé.

Isidore et Philomèle, protestant. — Monsieur !

Serge. — Assez ! mais comme il ne me convient pas de jouer un rôle ridicule,… au revoir, Madame ! tout est fini entre nous.

Paulette. — J’allais vous en prier.

Serge. — C’est très bien ! Quant à ce pantalon, puisqu’il n’est à personne, je l’emporte, S’il a un propriétaire, il saura où le retrouver.

Paulette. — A ton aise.

Snobinet, navré, à part. — Il emporte mon pantalon.

Serge. — Je ne m’abaisserai pas à faire une perquisition. Cela n’en vaut vraiment pas la peine, seulement. (Allant ouvrir la porte de la chambre à coucher et criant) : Si le monsieur qui a couché ici n’est pas un couard, il saura à qui réclamer son pantalon ! (Traversant la scène et allant ouvrir la porte sur l’office.) Si le monsieur qui a couché ici n’est pas un couard, il saura à qui réclamer son pantalon.

Paulette. — Il est fou !

Serge, ouvrant la porte du salon et criant. — Si le monsieur qui a couché ici n’est pas un couard, il saura à qui réclamer son pantalon.

Snobinet, à part. — Pourquoi crie-t-il si fort, je ne suis pas sourd.

Serge. — Adieu, madame ! (Il sort en emportant le pantalon.) Adieu !

Scène IX

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Les mêmes, moins Serge.

Snobinet, après un temps. — C’est très embêtant, tout ça.

Paulette. — Voilà ce que tu m’amènes, toi ! Tu dois être content.

Snobinet. Mais non, je te dis ; mais c’est pas ma faute.

Paulette. Qu’est-ce que je vais faire maintenant que mon ami m’a lâchée. Ce n’est pas toi qui le remplaceras. Tu n’as pas l’intention de me donner dix mille francs par mois.

Snobinet. — Evidemment, mes moyens… J’ai six cents chez Sarah.

Paulette. — Ah ! une femme a toujours tort de se laisser aller à ses béguins ! d’autant que le lendemain, c’est si peu de chose, un béguin !

Snobinet. — Je n’essaierai pas de protester.

Paulette. — Tu feras aussi bien ! Enfin heureusement qu’il reviendra.

Snobinet. — Oui ! tu crois ?

Paulette. — Lui ? Ah ben !… quand un homme vous quitte sur une scène de jalousie, il revient toujours.

Snobinet. — Ah ! tant mieux ! ça m’enlève un scrupule.

Paulette. — Et puis enfin, quoi ! tu ne vas pas rester ici éternellement ? Tu vas me faire le plaisir de filer !

Snobinet. — Moi ? Mais je ne peux pas ! Il m’a pris mon pantalon.

Paulette. — Eh ! bien, tu prendras une voiture.

Snobinet. — Merci ! pour me faire fiche au violon.

Paulette. — Enfin, quoi ! tu ne penses pas finir tes jours ici sous prétexte qu’on t’a pris ton pantalon ?

Snobinet. — Evidemment ! je ne pense pas finir mes jours ici, mais je vais envoyer quelqu’un chez moi pour qu’il me rapporte un costume. (Paulette hausse les épaules.) Si ça ne dérangeait pas trop ton valet de chambre…

Isidore. — Moi, monsieur ?

Snobinet. -… de courir jusque chez moi ?

Isidore, regardant Paulette. — Mais si Madame veut.

Paulette. — Oh ! allez !

Snobinet. — Ah, bien ! vous serez bien aimable !… Voyons, avez-vous un écritoire, un stylographe, du papier ?…

Isidore. — Oui, enfin de quoi écrire.

Philomèle. — Attendez, monsieur. (Elle sort rapidement.)

Snobinet, s’asseyant à la table. — Vous porterez le mot que je vais vous donner, 52, rue des Dames… Vous verrez, c’est une vieille maison…, parce que j’ai toujours préféré les vieilles maisons, c’est plus solide, que les neuves.

Paulette. — Ben, oui ! ben, oui ! ça nous est égal ! tu n’attends pas de tremblement de terre !

Isidore. — Enfin j’irai au 52, je verrai bien.

Snobinet. — C’est ça ! (A Philomèle qui lui apporte de quoi écrire.) Merci, attendez. (Ecrivant.)… "Prière de remettre au porteur mon costume gris. Victor." (A Isidore.) Voilà ! Avec ce mot, vous aurez la complaisance de monter chez moi… C’est un peu haut, c’est au cinquième… Mais il faut bien se dire qu’il n’y a qu’au cinquième qu’on ait de l’air et de la lumière, et maintenant, n’est-ce pas, avec les ascenseurs… D’ailleurs, je n’ai pas d’ascenseur. Oui, c’est ça qui manque ; seulement, si je n’ai pas l’ascenseur…

Paulette. — Tu as le cinquième…

Snobinet. — Voilà !… Hein ? non, j’ai l’air et la lumière.

Paulette. — Mais qu’est-ce que tu veux que ça fasse à Isidore… tout ça ?

Isidore. — Oh ! mais ça m’intéresse.

Paulette. — Ah ! bon.

Snobinet. — Mais dame ! (A Isidore.) Une fois en haut, vous demanderez à parler à ma mère. D’ailleurs, il est probable que c’est elle-même qui vous ouvrira. Oui, la pauvre chère femme, depuis que j’ai congédié mes domestiques, c’est elle qui veut bien s’occuper… J’avais un ménage qui ne faisait pas l’affaire, alors j’ai mis tout ce monde-là à la porte, la femme de chambre, le valet de chambre et la cuisinière.

Paulette. — Comment, mais tu disais un ménage…

Snobinet. — Hein ? Ah ! euh… eh ! bien, oui, c’était un ménage à trois.

Paulette. — Ah ! tu m’en diras tant.

Snobinet, à Isidore. — Alors vous demanderez à ma mère de vous remettre le costume gris que je lui demande dans ce mot. Vous lui direz : "le complet du trois de la Dame aux Camélias" ; elle saura. Parce que, dans la Dame aux Camélias…

Paulette. — Ah !… Tu ne vas pas nous raconter la Dame aux Camélias maintenant.

Snobinet. — Mais, non, pourquoi ?

Paulette. — Je ne sais pas !… Pendant que tu y es, ça intéresserait peut-être Isidore.

Isidore, vivement. — Oh ! oui !…

Paulette. — Là, tu vois !…

Snobinet. — Eh ! bien, ce sera pour une autre fois ! je ne raconte pas bien en chemise ; quand vous serez revenu.

Isidore. — Eh ! bien, alors j’y vais ! Philomèle commencera à mettre le couvert pendant ce temps-là.

Philomèle. — Entendu !

Isidore. — Je vais et je reviens.

Il sort.

Paulette, à Snobinet. — Eh bien ! et toi ! est-ce que tu vas rester ainsi ? Tu es ridicule dans le molleton de la table. Tu as l’air d’une betterave.

Snobinet. Non, non, je vais l’enlever.

Il le retire.

Philomèle. D’autant que j’en ai besoin pour mettre la nappe.

Snobinet, lui remettant le molleton qu’elle étend sur la table. — Là. (satisfait.) Ah !…

Paulette. — Quoi, "ah ! " Tu as l’air ravi d’être en chemise. Tu ne vas pas traîner ainsi, c’est inconvenant ! tu ferais mieux d’aller te recoucher, tiens ! jusqu’à ce que tu puisses t’habiller.

Snobinet, allumé, se lève, puis avec un clignement de l’œil. — Ah !… on…

Paulette. Quoi ? Ah ! non, mon vieux, plus de "ah ! on…" c’est fini ! après la petite scène de tout à l’heure.

Snobinet. — Tu y penses toujours ?

Paulette. — Tiens ! si tu crois que c’est agréable ! ah ! tu as eu du nez de ne pas tomber sous sa patte,… parce que si tu avais eu une affaire avec lui…

Snobinet, crânant. — Oh ! mais…

Paulette. — Oui, oh ! tu ne dois pas être très fort aux armes.

Snobinet, riant. — Ah ! ah ! eh !… j’ai joué toutes les pièces du père Dumas. La rapière ! la dague !…

Paulette. — C’est bien ce que je dis, il t’aurait embroché comme un poulet.

Snobinet, se cabrant. — Oui ! oh, bien ! ce n’est pas encore lui qui me fera peur.

Scène X

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Les mêmes, Isidore, puis Serge.

Isidore. — Madame ! monsieur ! voilà monsieur qui revient.

Paulette. — Monsieur !

Snobinet, affolé, tournant sur place, cherchant où se cacher. — Monsieur ! c’est monsieur !

Paulette. — Qu’est-ce que j’avais dit qu’il reviendrait. (Voyant Snobinet qui se réfugie sous la table de la salle à manger.) Eh ! bien, où vas-tu ?

Snobinet, sous la table. — Chut ! c’est pour toi ! c’est pour toi !

Paulette. — Dis-donc ! t’as ta dague ? ta rapière ?

Snobinet. Oh ! que c’est malin !… Tirez la nappe, voyons, tirez la nappe ! on peut me voir.

Isidore et Philomèle tirent la nappe.

Paulette. — Ah ! ben, si c’est comme ça que tu comprends d’Artagnan.

Scène XI

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Les mêmes, Serge.

Paulette. — Toi !

Serge. — Mon dieu, oui ! (A Isidore et Philomèle.) Laissez-nous, vous autres.

Isidore et Philomène. — Oui, monsieur.

Ils sortent.

Paulette. — Et… qu’est-ce qui te ramène ?

Serge. — Eh ! bien, voilà, j’ai réfléchi ! J’ai été stupide tout à l’heure !

Paulette. — Ah ?

Serge. — Absolument stupide. Aussi bien je te rapporte ton pantalon !

Il jette le pantalon sur la table.

Snobinet, passant la tête sous la nappe. — Ah, bien ! ça c’est gentil !

Il disparaît aussitôt.

Paulette, ironique. — Oh ! il n’est pas à moi.

Serge. — Oh ! tu n’as pas besoin de le dire.

Paulette. — Quoi ?

Serge. — Je le sais qu’il n’est pas à toi, et ça pour la bonne raison qu’il est à monsieur Victor Snobinet.

Paulette. — Victor Snobinet ?

Snobinet, même jeu. — Diable !

Serge. — Un infime cabot du Théâtre Sarah Bernhardt.

Snobinet, même jeu. — Qu’est-ce qu’il dit ?

Paulette. — Qu’est-ce que c’est que cette invention ? Snobinet, connais pas

Serge. — En vérité ? Eh ! bien, le pantalon connaît, lui.

Paulette. — Mais où as-tu pris ?…

Serge. — Ah ! bien, n’est-ce pas, on a un pantalon… on ignore à qui il est, alors, pour savoir, on fouille…

Snobinet, même jeu. — Il a barboté dans mes poches ! eh ! bien, c’est ça !

Serge. — C’est comme ça que j’ai trouvé un tas de choses qui m’ont éclairé : un mouchoir sale…

Snobinet, même jeu. — C’est à moi.

Serge. — Un porte-monnaie vide et un portefeuille plein, lui, plein de paperasses et de vieux engagements au nom de Victor Snobinet.

Snobinet, même jeu. — Eh ! bien, il n’est pas gêné, celui-là.

Paulette. — Alors, quoi ! tu crois que je t’ai trompé avec cet homme-là ?

Serge. — Mais je ne sais pas ; je ne demande pas à savoir.

Paulette. — Moi ! moi ! avec un cabot !

Snobinet. — Hein ! elle aussi ! ah ! c’est lâche !

Paulette. — Dis tout de suite que je suis une grue.

Serge. — Mais non, seulement, quoi ! tu as trouvé un gars qui t’a porté aux sens. J’avais le tort de n’être pas là, alors tu t’es offert un petit extra en pensant que je n’en saurais rien,… tu t’es passé un béguin. Eh ! bien, mon Dieu, ça arrive dans le meilleur des mondes.

Paulette. — Oh ! moi ! moi !

Serge, riant. — Ah ! dame, sur l’instant, ça m’a un peu vexé parce que, quand on n’est pas prévenu !… Alors je me suis emballé !… A ce moment-là, j’aurais eu ce Snobinet sous la main, j’aurais été heureux de lui tirer les oreilles.

Snobinet, même jeu. — Ah ! mais, dites donc !

Serge. — J’aurais savouré la joie de lui flanquer mon pied dans le derrière.

Snobinet, même jeu. — Oh ! mais…

Serge. — Seulement, je ne l’ai pas eu sous la main. Tant mieux pour son derrière.

Snobinet, même jeu. — Ah ! il a de la chance que je sois sous la table, sans ça !…

Paulette. — Ah ! Serge ! Serge ! tu me fais mal.

Serge. — Mais ne te fais donc pas de mauvais sang ! Regarde comme je suis calme (Prenant le pantalon.) Vois ! je lui rapporte moi-même son pantalon, à ce cher Snobinet ; on n’est pas plus raisonnable. Maintenant s’il le trouve un peu détérioré, tu lui exprimeras tous mes regrets ; j’étais passablement nerveux tout à l’heure. Alors, quelques mouvements un peu brusques, le pantalon n’y a pas suffisamment résisté… alors, voilà !…

Il passe son poing dans la déchirure du pantalon.

Snobinet, même jeu. — Oh ! en plein fond.

Serge. — Oh ! ça n’est que la couture, c’est rien à réparer… Il doit savoir coudre, ton Snobinet… Eh ! bien, dans ses moments perdus… ça le distraira.

Snobinet. — Se venger ainsi ! comme c’est mesquin.

Paulette. — Ah ! çà ! voyons, voyons ! Où veux-tu en venir ? Je ne comprends rien à ton attitude.

Serge, lentement. — Mon attitude ? Oh ! elle est toute simple, mon attitude ! elle est celle que m’impose ma nouvelle situation. Il s’assied à droite de la table.

Paulette. — Quelle nouvelle situation ?

Serge. — Mais ma nouvelle situation ! Nous ne pouvons plus rester ensemble.

Paulette. — A cause de Snobinet ?

Serge. — Eh ! non, Snobinet, je me fiche pas mal de Snobinet ! V’là ce que j’en fais de Snobinet !

En parlant, il a détendu une jambe et donné, sans le vouloir, un coup de pied à Snobinet.

Snobinet. — Oh !

Serge. — Qu’est-ce que c’est que ça ? J’ai donné un coup de pied dans quelque chose de mou qui a grogné.

Paulette. — Rien ! c’est le Caniche. C’est Paf.

Serge. — Ah ! C’est ton cabot ! (Appelant.) Paf ! viens mon bon Paf !

Snobinet, même jeu. — Nom d’un pétard !

Paulette. — Laisse donc le chien, voyons ! on parle de choses sérieuses.

Serge. — Mais ça n’empêche pas. Viens, mon Paf, viens mon cabot.

Sans regarder sous la table, il caresse la tête de Snobinet.

Paulette. — Enfin, quoi ? quoi ? qu’est-ce qui s’est passé ?… m’expliqueras-tu au lieu de caresser le chien ?

Serge. — Oh ! mon Dieu, pas grand-chose de bien intéressant. Tiens, passe-moi le sucrier.

Paulette. — Pourquoi faire ?

Serge. — Pour donner du sucre à Paf.

Paulette. — Mais ce n’est pas la peine.

Serge. — Quoi, ça ne te dérange pas beaucoup ! Tu peux bien me passer le sucre.

Paulette, donnant le sucrier à Serge. — Oh !

Serge. — Il aime ça, ce cabot. Je veux au moins qu’il me regrette quand je ne serai plus là.

Paulette. — Oh ! que tu es exaspérant !

Serge ; tendant un morceau de sucre à Snobinet sous la table. — Tiens, Paf ! un su-sucre.

Snobinet, même jeu. — Oh ! Mais non.

Serge. — Eh ! bien, Paf !

Paulette - Ah ! et puis, mange Paf, Quoi ! et que ce soit fini !

Snobinet. — Ce qu’il faut accepter, mon Dieu !

Il prend le sucre avec ses dents.

Serge, lui caressant la tête. — Là ! bonne tête ! Allez coucher… Oh ! il m’a bavé sur les doigts.

Paulette. — Eh ! bien, tu n’avais qu’à ne pas lui donner… Vas-tu parler à la fin ! Pourquoi ? Pourquoi me quitter ?

Serge. — Pourquoi ? Tiens-toi bien ! parce que je suis ratissé, mon pauvre petit, complètement ratissé.

Paulette et Snobinet. — Hein !

Serge. — Je suis sans un, voilà ! comme on dit : "sans un… ! "

Paulette. — Toi ?

Snobinet, même jeu. — Ah ! cochon, c’est bien fait.

Paulette. — C’est pas possible, voyons ! je t’ai toujours vu avec de la galette.

Serge. — Bien oui ! mais la galette, c’est pas éternel, et à force de croquer dedans… tu sais !… si bien qu’un jour j’ai dû faire la triste constatation qu’il me restait pour tout capital la modeste somme de quarante mille francs ! Alors, je me suis dit : "Quarante mille francs, un déjeuner de soleil ! Je n’ai qu’un moyen, c’est de mettre ça dans les affaires ! " Et je suis parti pour Monte-Carlo. Eh ! bien tu sais, comme affaire, Monte-Carlo, c’est pas encore ça que je recommanderai à mon fils quand j’en aurai. Ce que ça été boulotté vite ! Ah ! heureusement, on m’a donné le viatique, sans quoi j’aurais jamais pu rentrer à Paris.

Paulette. — Alors tu es ruiné ? Complètement ruiné ?

Serge. — Oh !… à quarante-trois sous près !

Paulette. — Ruiné ! Il est ruiné ! Ah ! mon chéri que je t’aime !

Serge. — Qu’est-ce qui te prend ? ça te fait plaisir ?

Paulette. — Oui, oh ! oui ! Ah ! c’est que tu ne peux pas comprendre… tu ne peux pas comprendre ce que c’est pour une femme de pouvoir se dire : "C’est pour moi, c’est pour moi qu’il s’est mis dans ce pétrin-là ! " Ah ! ce qu’on éprouve-là !… et puis, vois-tu, l’homme qui donne l’argent, l’homme qui paie, on ne peut pas l’aimer, c’est contre nature,… tandis que celui qui n’a plus rien pour vous… ah ! celui-là !… quand on l’aime, ah ! on l’aime bien ! Mon chéri, mon chéri.

Elle l’embrasse avec effusion.

Serge. — Mais tu me renverses ! Ah ! bien, si je m’attendais !…

Snobinet. — Ben ! et moi, donc.

Paulette. — Et qu’est-ce que tu vas faire, hein ? Qu’est-ce que tu vas faire ? Parce que tu ne peux pas rester avec tes quarante-trois sous.

Serge. — Oh ! naturellement, je vais travailler.

Paulette. — C’est ça ! c’est ça ! ah ! tu es courageux

Serge. — On m’a parlé d’une affaire à Saïgon… une affaire de glace artificielle… C’est appelé à un grand avenir.

Paulette. — Ah ! très bien !… Alors, il faut faire ça !… les glaces, je te crois ! les femmes sont si coquettes !

Serge. — Non, c’est des glaces pour manger.

Paulette. — Ah ! tu vas te mettre glacier ?

Serge. — Oh ! bien sûr, je ne traînerai pas une petite voiture avec des sorbets que je mettrai dans un verre sans fond avec une palette de bois… Non, c’est une grosse entreprise de glace à rafraîchir.

Paulette. — Ah ! oui !

Serge. — Et quand je serai riche, eh ! bien, je te reviendrai.

Paulette. — Comment… tu me reviendras ! Mais je ne veux pas que tu me quittes.

Serge. — Mais ce n’est pas possible, voyons !

Paulette. — Du tout ! du tout ! tu iras à ton travail dans la journée et le soir tu me reviendras.

Serge. — De Saïgon ?

Paulette. — De Saïgon !

Serge. — Mais tu ne sais pas où c’est ! c’est en Cochinchine.

Paulette. — Qu’est-ce que ça me fait que ça soit en Cochinchine.

Serge. — Mais il faut des semaines pour y aller.

Paulette. — Comment des semaines ! à notre époque ? Mais c’est idiot ! mais je ne veux pas ! tu feras ta glace ailleurs. Qu’est-ce que t’as besoin d’aller si loin ! Fais ça à Puteaux.

Serge, riant. — A Puteaux, à Puteaux ! mais qu’est-ce que j’en ferais de ma glace, à Puteaux !… Ah ! tu te fais une idée des affaires.

Paulette. — Eh ! bien alors, tu ne feras pas de glace du tout. Merci ! te perdre dans un pareil moment ! du tout, tu resteras avec moi.

Serge. — Mais c’est impossible ! Je ne peux pas ! je n’en ai pas le droit.

Paulette. — En voilà une idée ! Pourquoi donc ça ! du moment que ça me va ! alors, tu me lâcherais parce que tu n’as plus le sou ? Eh bien ! ça serait du joli !

Serge. — Mais, voyons !

Paulette. — Mais c’est ça dont tu n’as pas le droit ! Pour qu’on dise que je t’ai ruiné et qu’après je t’ai planté là ! Ah, bien merci ! mais c’est ça qui me ferait du tort dans mes affaires.

Serge. — Mais puisque je ne puis plus rien te donner.

Paulette. — Eh ! bien, tu seras mon amant de cœur !

Serge. — Oh !…

Paulette. — Après tout, ça n’est pas si à dédaigner. C’est toujours le plus aimé.

Serge. — Tu n’y penses pas ! Accepter cette situation de partager avec un autre.

Paulette. — Mais on partage toujours, mon ami. Il n’y aura rien de changé ! et là, c’est toi qui auras le bon bout.

Serge. — Ah ! non, non !

Paulette. — Ah ! que tu es drôle !

Snobinet, même jeu. — Nom d’un chien ! et moi qui répète à une heure.

Paulette. — Enfin, tu ne comptes pas rester chaste ! tu verras bien d’autres femmes ?

Serge, avec un geste vague. — Dame, ça !

Paulette. — C’est ça ! alors, tant que tu aurais eu de l’argent, tu serais resté avec moi ! et maintenant que tu n’as plus rien c’est les autres qui en profiteraient ? Ah ! non, non !

Serge. — Mais je ne peux pas, voyons ! je ne dois pas.

Paulette. — Tais-toi ! d’abord pour toi-même ! pour ton crédit ! il ne faut pas qu’on sache que tu es ruiné ! C’est le seul moyen de te relever. Et puis, remarque, tu n’as pas de scrupules à avoir. Combien as-tu dépensé avec moi ?

Serge. — Je ne sais pas,… six cent mille francs.

Paulette. — Mais c’est énorme ! Aussi dix mille francs par mois et pour autant de cadeaux. C’est insensé ! On ne gâche pas l’argent comme ça ! Eh ! bien, écoute ! tu n’as qu’à supposer une chose, c’est que tu me donnais moitié moins et que tu m’as avancé le reste ! Comme ça tu m’entretiens toujours.

Serge. — Ah ! tu as une façon d’arranger les choses.

Paulette. — Mais non ! mais non ! je t’assure que j’ai raison. Oh ! seulement, bien entendu, Comme cet argent est dépensé et qu’il faut bien vivre, dame ! il faudra… il faudra…

Serge. — Que tu t’en procures d’autre.

Paulette. — Ben ! qu’est-ce que tu veux !

Serge. — Oui, évidemment, un autre amant !

Paulette. — Oh ! si peu ! Et tu verras quelle gentille petite maîtresse tu auras. Une maîtresse toute nouvelle, comme tu ne la connais pas. Jamais, tu entends ! Jamais je ne te tromperai.

Serge. — Oh !

Paulette. — Oh ! non, toutes les fois, tu sauras.

Serge, hochant la tête. — Ah !

Paulette. — Et pour commencer, je ne veux avoir rien de caché pour toi. Tiens, tu vas voir ! (Levant le molleton de la table.) Venez, Monsieur Snobinet.

Snobinet. — Hein ! comment !

Serge, ahuri. — Ah !

Paulette. — Vous pouvez sortir, maintenant.

Snobinet, stupide. — Ah !

Paulette. — Oui, oui, ne restez pas sous la table, ça n’est plus nécessaire.

Snobinet. — Ah !… Bien ! (Il sort de dessous la table.) Je vous demande pardon…

Serge. — Il était sous la table ?…

Snobinet. — Monsieur.

Paulette, présentant. — Monsieur Snobinet, dont nous parlions tout à l’heure !

Serge. — Aha !… Bonjour, monsieur.

Snobinet, s’inclinant. — Monsieur !… Excusez-moi, je m’étais mis là… en attendant.

Serge. — Oh ! mais alors, le chien, tout à l’heure… C’était vous ?

Snobinet. — Hein ! oui, oui,… en effet, j’ai eu l’honneur…

Serge. — C’est vous, Paf ?

Snobinet. — C’est moi, Paf.

Serge. — C’est vous Paf ! oui, oui… C’est extraordinaire comme vous ressemblez à la fille de cuisine ! C’est pas votre sœur ? (Rire gêné de Snobinet.) C’était vous ? Je m’en doutais !

Snobinet. — Oui, oui, C’était… moi.

Serge. — Ah ! monsieur, enchanté. Justement, je vous rapportais votre pantalon !

Snobinet. — Oh ! monsieur, croyez bien que je n’avais aucune inquiétude.

Serge. — Votre confiance m’honore ! Figurez-vous que sur le premier moment, comme je le disais à notre amie Paulette, je n’avais qu’une idée, vous rencontrer pour vous flanquer mon pied au derrière.

Snobinet, riant jaune. — Oh ! quelle fantaisie !

Serge. — Et maintenant, regardez comme c’est drôle, au lieu du pied c’est la main que je vous tends ! est-ce assez curieux ces sautes d’humeur, hein !… mon cher monsieur Snobinet.

Snobinet. — Oh ! croyez que c’est moi, au contraire.

Paulette, à Snobinet. — Avoue qu’il est gentil.

Snobinet. — Délicieux !

Serge. — Oh ! mais, je vous en prie, que je ne vous empêche pas de passer votre pantalon ! Vous devez geler ainsi ! mes chemises sont si légères car, si je ne me trompe, c’est une chemise de nuit à moi que vous avez.

Snobinet. — Ah ! c’est… c’est à vous ?

Serge. — C’est à Moi, oui, oui !

Paulette. — Oui, oui, c’est à lui.

Snobinet. — Ah ! je suis confus… Vous auriez dû me dire, madame… je ne savais pas… Comme il y avait jutement V. S… ça fait Victor Snobinet.

Serge. — Pardon, S. V… Serge de Vieuxville.

Snobinet. — Ah ! tiens ! oui… Moi, j’avais lu à l’envers… V. S. Victor Snobinet,… alors naturellement…

Serge. — Vous avez cru que c’était à vous.

Snobinet. — Non ! non ! pas positivement,… seulement…

Serge. — Vous n’avez pas réfléchi.

Snobinet. — Voilà !… (Il rit.) Comme c’est curieux, nous avons les mêmes initiales.

Serge. — Nous étions faits pour nous entendre !

Snobinet. — Oh ! vraiment.

Serge. — Une chemise pour deux, une femme pour deux, tout ça… à notre chiffre.

Snobinet. — Oh ! vous vous moquez.

Serge. — Du tout, du tout ! ça crée des liens cela ! Je suis certain que, de votre côté, vous seriez enchanté si l’occasion se présentait…

Snobinet. — Oh ! ça croyez bien… ! si jamais vous avez besoin d’une de mes chemises…

Serge. — De vos chemises, non… mais de votre prochaine maîtresse, si elle me plaît… ça ! avec plaisir.

Snobinet. — Hein ! ma pro…

Serge. — Merci, on n’est pas plus aimable.

Snobinet. — Non, mais,…

Serge. — Et vous nous faites le plaisir de déjeuner avec nous, bien entendu. Paulette ! tu invites monsieur Snobinet ?

Paulette. — Certes !

Snobinet. — C’est que j’ai répétition à…

Serge. — Oh ! vous ne pouvez pas refuser.

Paulette. — Non, non, il ne peut pas.

Serge. — Je sens, maintenant que je vous connais, qu’on ne pourra plus se passer l’un de l’autre.

Snobinet. — Oh ! vraiment !

Serge. — Et maintenant, allez mettre votre pantalon. Il est un peu fendu !

Paulette. — Oh ! si peu.

Snobinet. — Oui, oh !…

Serge. — N’est-ce pas, ça donne de l’air, ça n’en est pas plus mal, et avec les basques de votre jaquette !

Paulette. — On n’y verra que du feu !

Snobinet. — On n’y verra que du feu.

Serge. — Tenez, par ici, cher monsieur, dans la chambre de Paulette… D’ailleurs, je n’ai pas à vous montrer le chemin.

Snobinet, gêné. — Non… euh ! c’est-à-dire… enfin,…

Paulette, conduisant Snobinet jusqu’à la porte. — Hein ! avoue que c’est un galant homme.

Snobinet. — Délicieux ! délicieux ! Il n’y a vraiment que pour ma prochaine maîtresse que…

Paulette. — Laisse donc ! il dit ça comme ça, mais… Là ! va ! va !

Snobinet. — Oui. (A part.) D’ailleurs ma prochaine maîtresse, s’il croit que je la lui apporterai sur un plat !…

Il sort.

Scène XII

Paulette, Serge.

Paulette, Serge. — Il est ravi de toi, tu sais.

Serge. — Il est bien aimable.

Paulette. — Eh ! ben, tu vois que tu te fais à ta nouvelle situation… tu as été charmant avec Snobinet,… tu…

Serge. — Quelle nouvelle situation

Paulette. — Eh ! ben, celle qu’on a dit… Car enfin, tu ne m’as pas répondu… C’est entendu ? On reste ensemble.

Serge. — Nous deux ? Tu es folle !

Paulette. — Pourquoi ?

Serge. — Mais, parce que… parce que c’est contraire à ma nature, contraire à mes principes, de jouer les greluchons, les Snobinet. J’ai passé l’âge des amants de cœur. Non, nous resterons bons amis, bons camarades ; je viendrai te voir souvent, tu me raconteras tes petites aventures. Si tu as besoin quelquefois d’un conseil, je serai là !… mais voilà tout.

Paulette. — Et alors plus jamais… ensemble ?

Serge. — Mon Dieu, je ne dis pas… quelquefois, comme ça… en passant !

Paulette, dépitée. — Oui… sur le pouce !… à la "va-vite ".

Serge. — Oh ! à la "va-vite" ! sur le p… non ! tu as des expressions !… enfin, quoi, de temps en temps, histoire de reprendre contact… affaire de se témoigner que si on n’est plus ensemble, ça n’est pas parce qu’on a cessé de s’aimer.

Paulette. — Ah ! c’est gentil ce que tu dis là.

Serge. — Mais je suis très gentil, je sais bien.

Paulette. — Tiens, je t’adore.

Serge. — Et à l’œil.

Paulette. — Voilà !

Scène XIII

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Les mêmes, Isidore, puis Chloé.

Isidore, entrant. — Madame !

Paulette. — Qu’est-ce qu’il y a ?

Isidore. — Il y a là madame Raclure.

Paulette. — Madame Raclure, qu’est-ce que c’est que ça, madame Raclure ?

Isidore. — Mais… ma femme.

Paulette. — Ah ! vous vous appelez Raclure, je ne savais pas.

Isidore. — Mais, oui, madame : Isidore Raclure. Comme madame m’a chargé de demander à madame Raclure si elle pouvait remplacer la cuisinière en attendant que Madame ait arrêté quelqu’un.

Paulette. — Oui, oui ! eh bien ! faites-la entrer.

Isidore. — Oui, Madame. (Ouvrant la porte.) Entrez, madame Raclure.

Chloé. — Madame !

Isidore, présentant Chloé. — Madame Raclure, la cuisinière, ma femme… (Présentant Paulette et Serge.) Madame, monsieur.

Chloé salue.

Paulette. — Bonjour, madame Raclure ; Isidore m’a dit que vous étiez libre en ce moment, vos maîtres étant en voyage, et que vous consentiriez à venir en journée chez moi en attendant que je trouve une cuisinière.

Chloé. — Mais oui, madame. Isidore m’a touché deux mots. Ça va.

Paulette. — Vous faites bien la cuisine ?…

Chloé, riant, à Isidore. — Ehé ! dis donc ! Madame qui demande si je fais bien la cuisine ! Oui, madame je fais bien la cuisine.

Paulette. — Je vous demande pardon, je n’ai pas voulu vous offenser.

Serge. — C’est une artiste.

Chloé. — Oh ! y a pas d’offense ! Je regrette que Madame ne puisse pas demander à mes maîtres ; mais Madame ne doit pas les connaître, c’est des gens du monde.

Serge, à part. — Oh ! un rien.

Paulette, riant. — Non, mais si c’est une façon de me dire que je n’en suis pas.

Chloé. — Hein ! Oh ! non, madame, seulement il y a gens du monde et gens du monde ! Des gens du monde, nous en sommes tous, mais tous ne se connaissent pas, comme on dit.

Paulette. — Ah ! bon !

Isidore. — Pèse tes mots, Chloé, je t’en prie, pèse tes mots.

Paulette. — Ah ! elle s’appelle Chloé ?

Chloé. — Oui, madame.

Paulette. — Et, dites-moi, la place où vous êtes vous agrée ?

Chloé. — Me quoi ?

Paulette. — Vous agrée, vous plaît ?

Chloé. — Pourquoi Madame me demande ça ?

Paulette. — Bien, je ne sais pas… parce que si votre cuisine me convient… eh ! bien, je vous garderai peut-être.

Chloé. — Oh ! ça non, Madame. Non, je ne veux pas d’une place avec mon mari.

Paulette. — Allons donc !

Chloé. — Oh ! Madame ne sait pas ce que c’est que d’avoir tout le temps son mari sur le dos…

Isidore. — Mais dis donc, je ne tiens pas plus que ça à t’avoir.

Chloé. — Justement, chacun sa place, on est plus libre,… sans compter qu’alors, quand on est en ménage, on vous donne la même chambre, et puis, va te promener, un gosse est bientôt fait !

Isidore. — Laisse-moi donc tranquille, est-ce que tu crois que…

Chloé. — Oui, oui, on dit ça devant les maîtres, et puis une fois au pieu, je la connais. Eh ! bien, non merci ! comme si le salé devait venir, c’est pas toi, probable, mais moi qui aurais la corvée… Bien obligée !…

Isidore. — Je demande pardon à Madame.

Chloé. — On n’est pas mariés pour ça. C’est des luxes pour les gens riches.

Isidore. — Ce qu’il faut entendre, mon Dieu !

On sonne.

Chloé. — Oui, tiens ! on sonne ; va donc ouvrir.

Isidore. — Je te remercie ! je sais ce que j’ai à faire.

Il sort.

Chloé, à Paulette. — Il est furieux ! ah ! les hommes, madame !

Serge. — Mais permettez, madame Raclure !

Chloé. — Oh ! je ne dis pas ça pour monsieur ! les maîtres, c’est toujours excepté !

Paulette. — Eh ! bien, madame Raclure, c’est entendu. Votre mari vous a dit les conditions, n’est-ce pas ?

Chloé. — Parfaitement ! six francs par jour et le vin.

Paulette. — Non, cinq francs.

Chloé. — Ah ! j’aurai mal entendu.

Paulette. — Vous avez mal entendu !

Chloé. — On est des hommes, on est faillibles !

Paulette. — Voilà ! vous n’avez plus qu’à prendre possession de votre cuisine.

Chloé. — Est-ce que Madame me permet de passer jusqu’à la maison pour prendre mon balluchon ?

Paulette. — Allez ! allez ! ma bonne ! vous connaissez le chemin.

Chloé. — Merci madame !

Scène XIV

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Les Mêmes, Isidore, puis Mittwoch.

Isidore. — C’est monsieur Mittwoch.

Paulette. — Mittwoch ! ah ! parfaitement ! je l’ai invité à déjeuner. Faites-le entrer.

Serge. — Hein ? Eh là ! Isidore ! Mittwoch, l’homme des claquedents ! oh ! je file.

Paulette. — Du tout, du tout tu vas rester. (Elle rattrape Serge.) Faites entrer monsieur Mittwoch.

Isidore. — Bien madame.

Serge. — Mais non, mais non, Isidore !

Paulette, à Isidore. — Allez !

Isidore sort.

Serge. — Mais non, Paulette, voyons !

Paulette. — Laisse-moi tranquille. C’est un homme qui peut t’être très utile, et dans ta situation actuelle, tu n as pas à faire le fier.

Serge. — Mais je n’ai aucune envie de connaître ce tenancier de tripot !… Cette vieille fripouille !

Paulette, voyant entrer Mittwoch. — Entre, mon bon Mittwoch, justement nous parlions de toi.

Mittwoch. — Oh ! c’est pien aimable ! et che suis bien sûr qu’avec toi, ça devait être en pien !

Paulette. — Quel nez tu as !

Mittwoch. — C’est la relichion qui feut ça.

Paulette. — Oh ! je parle au figuré.

Mittwoch. — Ah ! pon ! C’est que chénéralement, che suis si hapitué quand on parle de moi. C’est un chenre - on dit toujours : "cette fieille crapule, cette fieille fripouille". Croiriez-vous, ça, monsieur !

Serge. — C’est très curieux ! Quoi, même les gens qui vous connaissent ?…

Mittwoch. — Mais surtout les gens qui me connaissent… Ceux qui ne me connaissent pas, ils ne peuvent pas dire que je suis une fripouille, une grapule, parce qu’ils ne me connaissent pas…

Serge. — C’est juste.

Mittwoch. — Ainsi vous, monsieur, qui ne me -connaissez pas…

Serge. — Ah ! pardon… de réputation.

Mittwoch. — Ah ! fraiment ! ah ! très flatté, monsieur.

Paulette, indiquant. — Monsieur est monsieur Serge de Vieuxville.

Mittwoch. — Quoi ! Monsieur le gomte ! Oh ! comme je chuis heureux… Si souvent ch’ai demandé à Paulette d’obtenir que vous me fassiez l’honneur de venir à mon cercle ! Je suis le propriétaire du Lutèce-Club.

Serge. — Oui, Oui, je sais ! surnommé "la belle Hellène ! "

Mittwoch. — Oui, ça, c’est les mauvaises langues ! S’il fallait croire tout qu’est-ce que l’on dit ! Pourquoi fous n’avez chamais foulu venir ?…

Paulette. — C’est pas faute de le lui avoir demandé.

Serge, cherchant des faux-fuyants. — Eh ! bien, vous savez, je suis habitué à mon cercle !

Paulette. — Il fait partie de l’Epatant !…

Mittwoch. — Ah ! l’Epatant !… oui, oui, c’est aussi un pon cercle.

Paulette. — Je te crois.

Mittwoch. — Oui, oui, ça faut dire comme ça est, che ne suis pas de ceux qui dépinent tout qu’est-ce qui n’est pas chez eux ; mais chez moi, c’est pien aussi. Y a ti monde très tistingué. Nous avons pour président le prince Actinescu, un descendant direct des anciens princes de Valachie, qui a droit au titre d’Altesse et de Monseigneur S.V.P. Ça, c’est quelque chose.

Paulette. — Tu parles !

Mittwoch. — Vous n’avez pas de desçendant des Princes de Valachie comme président à l’Epatant.

Serge. — Non, ça, je suis forcé de reconnaître… Mais, dites-moi, cet Actinescu…

Mittwoch. — Son Altesse.

Serge. — Son Altesse, oui. Est-ce qu’il, ou elle, comme vous voudrez, n’a pas eu autrefois une fâcheuse histoire de poussette ?

Paulette. — Ah, oui ! oui !

Serge. — A la suite de quoi il, ou elle, a dû démissionner des différents cercles dont il, ou elle, faisait partie.

Mittwoch. — Oui, ah ! ben, si vous allez chercher dans la vie des gens, à ce compte-là, personne, ni vous, ni moi…

Serge. — Ah ! permettez ! moi…

Mittwoch. — Oui ! t’accord ! t’accord ! mais vous êtes encore jeune… Or le prince, qui a une longue existence derrière lui… Et puis, quoi, "poussette, poussette", ça remonte à quatorze ans.

Paulette. — Oh ! ben, quatorze ans !

Serge. — Oui, il y a prescription.

Mittwoch. — Absolument ! D’ailleurs, chez moi, il ne joue jamais !… il touche mille francs par mois… il doit déjeuner et dîner, et c’est tout ce qu’il a à faire, par conséquent..

Serge. — Diable ! ça ne doit pas lui fatiguer les méninges !

Mittwoch. — On ne lui demande que de l’estomac. C’est un homme charmant. Ça t’est écal, Paulette, j’ai pris sur moi de l’inviter à décheuner ici.

Paulette. — Mais comment !

Mittwoch. — C’est son chour de repos hebdomadaire, à son Altesse… oui, parce que che lui donne un chour par semaine…, che suis conforme à la loi,… alors che lui ai dit : "puisque vous ne savez pas où déjeuner, venez donc chez Paulette" Alors il va venir, ça ne te dérange pas ?

Paulette. — Mais voyons ! quand il y en a pour sept, il y en a pour huit.

Serge. — Comment sept ! tu as du monde à déjeuner ?

Paulette. — Bien, oui ! D’abord, ton ami Snobinet, que tu as invité toi-même, et puis Miette Gigot et Marguerite de Faust, deux amies à moi qui viennent avec leur gigolo.

Serge. — Aha ! Comment s’appellent-ils, leurs gigolos ?

Paulette. — Firmin Godasse.

Serge. — Ah ! et l’autre ?

Paulette. — Il n’y en a pas ! Elles ont le même.

Serge. — Allons donc ! et ça marche comme ça ?

Paulette. — Oh ! elles s’entendent si bien !

Mittwoch. — Oh ! que c’est moderne !

Serge. — Ah ! compliments.

Paulette. — Alors, nous deux, ça fait six, Mittwoch et le prince, ça fait huit.

Mittwoch. — Vous verrez, monsieur le comte, c’est un homme charmant, Son Altesse. Paulette le connaît un peu, elle peut le dire.

Paulette. — Tout ce qu’il y a de plus homme du monde.

Mittwoch. — D’ailleurs, vous aurez l’occasion de le connaître davantage, car j’espère bien, monsieur le Comte, que maintenant qu’on est en relations…

Serge, avec une moue. — En relations…

Mittwoch. — Oui, je dis bien… "en relations ! " vous me ferez l’honneur de faire partie de mon cercle.

Serge. — Désolé ! écoutez ! d’ailleurs, aujourd’hui, ça n’aurait plus d’intérêt pour vous.

Mittwoch. — Pourquoi donc ça ?

Serge. — Parce que… parce que je ne joue plus.

Mittwoch. — Ça, vous avez raison ! mais pourquoi donc ça vous ne jouez plus ?

Serge. — Parce que…

Paulette. — Oh ! tu peux lui dire, va ! parce que le pauvre garçon est à la Côte.

Mittwoch. — Vous ? Allez ! Mein Gott ! quel sproum !

Paulette. — Mais absolument.

Serge. — Mais laisse donc ! ça n’intéresse pas monsieur Mittwoch.

Mittwoch. — Mais si, mais si, ça m’intéresse beaucoup, au contraire.

Paulette. — Pourquoi veux-tu que ça ne l’intéresse pas ? Ça m’intéresse bien, moi.

Mittwoch. — Mais dame ! A la côte, vous ! C’est pas possible.

Serge. — C’est pourtant la vérité.

Paulette. — Il lui restait quarante mille francs, il a voulu tenter la fortune à Monte-Carlo, et ffutt !… Ah ! c’est dur !

Mittwoch. — Ah ! là ! là !… Et aussi qu’est-ce que vous aviez besoin d’aller à Monte-Carlo ! Mais voilà, on se laisse éblouir par des grands mots : "Monte-Carlo ! Monte-Carlo ! " Vous auriez seulement risqué ça à mon cercle qui est aussi bien, qui sait, peut-être que vous auriez gagné et en tout cas, c’est la France qui en aurait profité ! Je suis patriote. Mais non, c’est Monte-Carlo ! Toujours Monte-Carlo !

Serge, avec un soupir. — Ben ! oui, qu’est-ce que vous voulez.

Mittwoch. — Enfin, voyons ! puisque ce n’est pas chez moi que vous avez joué, je suis bien à l’aise pour vous le dire ! Est-ce que vous n’auriez pas mieux fait de le garder votre argent ? Vous êtes bien avancé !

Serge. — Ah ! ça.

Mittwoch. — Vous êtes bien avancé ! Mais, regardez-moi, est-ce que je joue ! Ah, le jeu ! le jeu, mon ami…

Serge, un peu vexé. — Oh ! "mon ami".

Paulette. — Il est très gentil.

Mittwoch. — Si, si, vous êtes mon ami ! Je vous aime beaucoup, bien que vous ayez perdu. Le jeu, mon ami, mais ça n’est bon que de mon côté, côté du râteau.

Serge. — Je ne puis pourtant pas me mettre croupier.

Mittwoch. — Mais est-ce que je suis croupier ? Non, mais je suis la cagnotte et ça c’est bon, ça c’est qu’est-ce qui est sérieux.

Paulette. — Il a raison

Serge. — Oui, oh !

Mittwoch. — Oui, oh ! je sais qu’est-ce qu’on dit : que c’est du sale archent ! C’est très joli ! N’empêche que j’aime encore mieux du sale argent qu’on a que du propre argent qu’on n’a plus.

Paulette. — Tu vois comme c’est sensé !

Mittwoch. — Quand je donne de l’argent, est-ce que vous croyez qu’on regarde si c’est du propre argent ou du sale argent ? Non ! On dit : "C’est de l’argent ! " et voilà ! Voilà ce qu’on dit quand je donne de l’argent ; d’ailleurs, je n’en donne jamais parce que c’est bon pour les goyes…

Paulette et Serge. — Les quoi ?

Mittwoch. — Les catholiques.

Mittwoch. -… ou alors, si je donne, c’est parce que je sais pourquoi.

Serge, souriant. — Je m’en rapporte à vous, monsieur Mittwoch.

Mittwoch. — Mais naturellement, quoi ! On a assez de peine à le gagner. Vous connaîtrez ça, allez ! C’est beaucoup plus difficile que de le perdre.

Paulette, avec un soupir. — Comme c’est vrai !

Mittwoch. — Là, vous entendez qu’est-ce que dit Paulette ?

Paulette. — Quand on pense qu’il y a des gens qui sortent de rien et qui arrivent à édifier des fortunes considérables.

Serge. — Oui, comme ce nommé Poivrot, tu as lu dans le journal, un français qui est allé faire fortune en Amérique et qui laisse cent millions à un imbécile de neveu sans sou ni maille et qu’il ne connaît même pas.

Paulette. — Si c’est possible !

Serge. — Ah ! il n’y a pas de danger que ça m’arrive, ces choses-là !

Mittwoch. — Mais ça n’arrive qu’en Amérique ! En France, c’est des "itopies".

Serge et Paulette. — Des "itopies" !…

Mittwoch. — Il faut pas compter là-dessus. Alors quoi ?… Qu’est ce que vous allez faire, pardonnez-moi si je me mêle, vous ne pouvez pas rester avec Paulette.

Serge. — Mais non, naturellement.

Mittwoch. — A la bonne heure.

Paulette. — Mais enfin, pourquoi ? Je l’aime, moi… depuis tantôt.

Serge. — Je suis très touché, ma pauvre Paulette, mais…

Mittwoch. — Il a raison ! l’amour, c’est très joli, mais ça ne nourrit pas son homme, surtout quand c’est une femme. Il cède la place, c’est très bien, crand, c’est nôple.

Paulette. — Ah ! oui, mais il m’a promis que, de temps à autre… tout de même, on…

Mittwoch. — Ah ! oui, oui, ça alors, ça entre dans la catégorie des béguins… C’est affaire à côté, c’est en marche.

Paulette. — Comment "en marche" ?

Mittwoch. — Non, je dis pas en marche, je dis c’est "en marche", les bords blancs d’une page.

Serge. — Oui, oui, en marge.

Paulette. — Ah ! bon.

Mittwoch. — Eh ! bien, c’est ce que je dis : "en marche".

Serge. — Absolument.

Mittwoch. — Bien, tenez ! je suis très content que la situation soit aussi nettement établie, parce qu’alors ça me permet de ne pas mettre des gants et d’aborder tout de suite la chose pour ça en somme que je suis venu. (A Paulette.) Il s’agit d’une occasion pour toi, un service pour moi et une affaire pour tous les deux.

Serge, par discrétion, remonte légèrement.

Paulette. — Ah ! quoi donc ?

Mittwoch, à Serge qui redescend. — Je me suis toujours intéressé, beaucoup à Paulette. C’est moi qui l’ai faite, pas vrai ?

Paulette. — C’est vrai

Mittwoch. — Elle était dactylographe, elle était jeune et jolie, alors je l’ai lancée.

Serge. — Vous !

Mittwoch : — Oui, je fais toujours ça, je les cherche dans la fleur, je les nippe, je les lance et alors une fois lancée, n’est-ce pas, on trouve toujours un imbécile pour les prendre avec vous.

Serge. — Je vous remercie, monsieur Mittwoch.

Mittwoch. — Oh ! les présents sont toujours exceptés. (A Paulette.) Alors donc, voilà ! j’ai quelqu’un pour toi.

Paulette. — Pour moi ?

Serge, se levant avec un geste d’humeur. — Monsieur Mittwoch….je vous en prie !

Mittwoch. — Eh ! bien quoi, puisque c’est fini ; vous deux ! Vous pensez qu’elle va redevenir vierge ? Il faut être philosophe.

Serge. — C’est possible, mais devant moi…

Mittwoch. — Qu’est-ce que ça peut vous faire… Ah ! si vous auriez, encore été ensemble, certes, jamais je ne me serais permis… j’aurais attendu que nous soyons seuls. Mais maintenant…

Serge, vexé. — C’est juste ! allez ! allez ! vous avez raison.

Paulette. — Voyons, mon petit, tu dois pourtant bien comprendre certaines choses… Tu n’aimes pas mieux que j’agisse carrément, nettement devant toi, plutôt que d’aller en cachette… comme avant ! Est-ce que ce n’est pas te donner une preuve d’amour ?

Serge. — Mais oui, mais oui.

Mittwoch. — Eh bien voilà ! Je disais j’ai quelqu’un pour toi. Il s’agit d’un personnage très considérable, parce qu’enfin on dit toujours, mon tripot, mon claquedents, la belle Hellène, n’empêche qu’il y vient les plus grosses notabilités. Celui-là, alors, c’est le summum ! Il doit déjà deux cent quarante mille francs à la caisse, c’est te dire…

Paulette. — Deux cent quarante mille francs ?

Mittwoch. — Mais ce n’est pas assez ! nous serions très embêtés s’il nous réglait et se tirait des pattes. — Alors j’ai pensé à une chose.

Paulette. — Ah ! quoi ?

Mittwoch. — Le duc, l’autre jour, t’a remarquée à la dernière réunion d’Auteuil.

Paulette. — Le duc ! quel duc ?

Mittwoch. — Ah ! c’est vrai, au fait ! Tiens-toi bien, c’est bombardant. Il s’agit du duc don Fernando de Grenade, riche, 20 ans, cousin germain du roi, d’Espagne.

Paulette. — Non !

Mittwoch. — Un peu mon neveu ! et candidat éventuel au trône dans le cas où la branche actuelle disparaîtrait.

Serge. — Oh, ben ! ça !

Mittwoch. — Je crois que c’est pas de l’eau de cuvette, comme on dit… Eh ! bien, si tu veux, ça ne dépend que de toi.

Paulette. — Le cousin du Roi d’Espagne.

Mittwoch. — Il viendra après le déjeuner prendre le café avec nous.

Paulette. — Avec nous ! Mon Dieu, et j’ai pas de trône… Oh !

Mittwoch. — Laisse donc ! pourvu que tu aies du café… D’ailleurs, je serai là, et c’est un peu pour ça que j’ai amené le prince Actinescu… Il a l’habitude des cours, tout ça c’est cousin et compagnie.

Scène XV

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Les Mêmes, Isidore, Actinescu.

Isidore. — Son Altesse le prince Actinescu.

Mittwoch. — Oh ! quand on parle du loup ! Monseigneur !

Paulette, faisant la révérence. — Altesse !

Serge s’incline.

Actinescu, à Paulette. — Je suis confus vraiment, belle dame, de venir ainsi m’imposer à votre déjeuner ! c’est d’une incorrection !

Paulette. — Oh ! Monseigneur, quand on est prince, on peut être incorrect ! c’est très chic !

Actinescu, baisant la main de Paulette. — Vous êtes trop indulgente. (A Serge.) Monsieur…

Paulette. — Monsieur Serge de Vieuxville, mon ami.

Actinescu. — Enchanté !

Serge, s’inclinant. — Très honoré, monseigneur.

Mittwoch. — Eh ! voilà, monseigneur, j ai parlé à Paulette du Duc Fernando, ça biche !

Actinescu, étonné, regardant Serge. — Mais…

Serge, comprenant sa pensée. — Non, non ! ex-amant ! Ex-amant ! Je ne le suis plus.

Actinescu. — Ah ! je me disais aussi…

Mittwoch. — Oui, c’est fini, eux deux ! alors, c’est convenu ; on fera la présentation tout à l’heure :

Actinescu. — Parfait ! parfait ! Ah ! dites-moi, Mittwoch, je voudrais vous dire un mot pendant que nous sommes-là.

Mittwoch. — A vos ordres, monseigneur.

Actinescu. — Vous permettez ?

Paulette. — Oh ! Monseigneur, vous êtes chez moi,… c’est-à-dire chez vous.

Actinescu. — Ah, vraiment !… (Prenant Mittwoch à l’écart.) Eh ! bien voilà…

Il lui parle bas.

Mittwoch. — Oh ! non, Monseigneur, impossible ! je vous ai déjà donné cinq louis avant-hier.

Actinescu. — Non, mais attendez donc !

Il lui parle bas à l’oreille

Mittwoch. — Oui, je ne vous dis pas ! d’abord, ça n’est plus de votre âge.

Actinescu. — Ecoutez…

Mittwoch. — Non, non, désolé ! profond respect, mais je ne peux pas… Voilà un louis, c’est tout ce que je peux faire.

Actinescu. — Oh ! Bien, non, vous savez, Mittwoch !

Mittwoch. — Vous n’en voulez pas ?

Actinescu. — Si. (Il prend le louis.) mais tout de même !

Mittwoch. — Et pendant que j’y pense, j’ai une observation à vous faire, les valets de pieds se plaignent que vous les tapez tout le temps ! Eh ! bien, je ne veux plus de ça. C est comme ça qu’on disqualifie une maison. Vous êtes président, monseigneur ! eh ! bien, présidez et ne tapez pas.

Actinescu. — C’est bien ! Laissons cela, nous en reparlerons plus tard. (A Paulette.) Excusez-moi, Madame, mais une question d’administration…

Paulette. — Monseigneur ! on sait très bien que les princes agitent toujours de grandes idées dans leur cerveau.

Scène XVI

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Les Mêmes, Snobinet, puis Isidore.

Snobinet. — Là ! je suis prêt ! oh ! Pardon !

Paulette. — Tiens ! je l’avais oublié. (Présentant.) Monsieur Snobinet, un ami de mon ami.

Serge. — Hein !

Paulette. — Son Altesse Royale de Valachie.

Snobinet. — Oh ! nom de Dieu !

Paulette. — Monseigneur le prince Ivan Actinescu.

Snobinet. — Monsieur !

Paulette, vivement, bas. — Mais, pas "monsieur", voyons !

Snobinet. — Euh ! Messire.

Paulette. — Mais non !

Snobinet. — Excusez-moi ! Je cherche dans mes rôles.

Paulette, lui soufflant. — Monseigneur !

Snobinet. — Monseigneur, c’est ça ! Je suis le vôtre.

Paulette. — Monsieur Mittwoch.

Snobinet. — Monseigneur !

Paulette. — Non, pas lui !

Snobinet. — Ah ! pardon.

Mittwoch. — Il n’y a pas d’offense.

Actinescu. — Alors Monsieur, vous êtes artiste ?

Snobinet. — Euh ! monsieur ! euh ! oui, monseigneur.

Actinescu. — De talent.

Snobinet. — Oui, Monseigne…

Mittwoch. — Oui, oui, et qu’est-ce que vous gagnez ?

Snobinet. — Oh, ben !… six cents francs. On n’est pas des princes.

Mittwoch. — Mais c’est très joli ! Gagner six cents francs en jouant la comédie ! Moi, je ne pourrais pas.

Snobinet. — Dame !… c’est un art !

Mittwoch. — Oui. Et qu’est-ce que vous faites de votre archent ?

Snobinet. — On me le saisit.

Mittwoch. — Oh ! C’est un tort !… pourquoi faites-vous ça ?

Snobinet. — Mais croyez bien que ce n’est pas moi !

Paulette, tout en pressant sur un bouton électrique. — Je sonne pour dire qu’on mette votre couvert, Monseigneur.

Actinescu. — Je suis confus…

Paulette. — Ne faites pas ça, Monseigneur ! Je prie Votre Altesse de m’excuser si je la reçois ici. Mais mon salon est en déménagement et ma chambre n’est pas faite.

Actinescu. — Je comprends ! (A Serge.) Monsieur, je vous en félicite.

Serge. — Oh, ben ! non, non, monseigneur, vous êtes à côté.

Isidore. — Madame a sonné ?

Paulette. — Oui, vous mettrez un couvert de plus.

Isidore. — Bien, madame. Voici le courrier.

Paulette. — Merci.

Elle pose les lettres.

Actinescu. — Je vous en prie, que nous ne vous empêchions pas de lire…

Paulette. — Par obéissance, monseigneur. (Elle dépouille la première lettre. Après y avoir jeté les yeux.) "Etude de Maître Lieugodet à Monsieur Raclure."

Isidore. — Hein !

Paulette. — Mais c’est pas pour moi, ça ! Qu’est-ce que c’est que ça, Monsieur Raclure ? C’est pas vous Isidore, qui vous appelez "Raclure" ?

Isidore. — Si Madame.

Paulette. — Vous connaissez donc des notaires ?

Isidore. — J’ai servi chez un, mais ce ne doit pas être celui-là. Il est en prison.

Paulette, lui tendant la lettre. — Tenez !

Isidore. — Qu’est-ce qu’on peut bien me vouloir ?

Il parcourt des yeux la lettre, pousse un cri étouffé et s’affale sur les genoux de Paulette.

Tous. — Ah !

Paulette se lève aussitôt. Ce mouvement fait tomber Isidore par terre. — Mais faites donc attention, espèce d’imbécile ! s’asseoir sur moi !

Snobinet. — Mais il se trouve mal !

Paulette. — Je m’en fiche ! Il ne peut pas aller faire ces choses-là dans sa chambre ?

Serge. — Tenez, voilà de l’eau.

Mittwoch, ramassant la lettre. — Qu’est-ce qu’on lui annonce donc de si grave dans cette lettre ? (Il parcourt des yeux la lettre.)

Mittwoch, tombant sur Actinescu. — Ah ! (Il boit le verre d’eau apporté par Serge.)

Tous. — Quoi ?

Mittwoch, essayant de lire. — Je peux pas. J’ai plus de voix.

Il passe la lettre à Serge.

Serge. — Qu’est-ce qu’il y a donc ? (Après avoir parcouru la lettre des yeux.) Ah !

Tous. — Quoi ?…

Paulette. — Eh ! bien, quoi ?

Serge. — Poivrot, l’homme d’Amérique qui laisse cent millions !… Son héritier, c’est lui ! (Il désigne Isidore puis tombe assis sur une chaise.)

Tous. — Hein !

Paulette. — Cent millions ! il hérite… ah ! ah !

Elle tombe dans les bras d’Actinescu.

Serge, se levant. — Allons bon ! elle aussi !

Actinescu, soutenant Paulette. — Madame ! Madame !

Paulette, ouvrant les yeux. — Non, non, ce n’est rien ! un étourdissement ! ça va bien… cent millions ! cent millions ! et vous le laissez là, par terre.

Mittwoch. — Mais oui ! mais oui ! mettez-le sur une chaise longue !

Snobinet. — Mais il n’y en a pas !

Mittwoch. — Ça ne fait rien, trouvez-en !

Serge. — Celle de la chambre ! attendez, je vais vous aider.

Paulette. — Mais allez ! allez ! un peu d’humanité ! on n’a pas idée d’abandonner un malheureux comme ça !

Mittwoch. — Un malheureux qui a cent millions.

Actinescu. — Tenez, voilà un fauteuil !

Mittwoch. — Un fauteuil ! un fauteuil ! est-ce que c’est assez un fauteuil !

Paulette. — Mon flacon de sels, mes sels ! où sont mes sels ?

Serge, apportant la chaise-longue, aidé par Snobinet. -Voilà la chaise-longue.

Paulette. — Bon ! mettez-la là !… là ! deux hommes, prenez-le bien doucement !

Actinescu. — Attendez !

Il le prend par-dessous les bras, Snobinet par les jambes.

Paulette. — Mais, espèce d’andouille !… euh ! je veux dire, monseigneur… vous ne voyez pas que vous le secouez ?

Actinescu. — Pardon !

On le pose sur la chaise-longue.

Paulette, l’éventant avec une serviette. — Isidore !… mon petit Isidore !… Isidore.

Isidore, se réveillant, d’une voix lointaine. — Quoi ?

Mittwoch. — Il revient à lui.

Tous. — Oui.

Isidore. — Qu’est-ce qu’il y a eu ? Pourquoi suis-je ici ?

Paulette. — Isidore ! mon petit Isidore !

Isidore, voix mourante. — Madame ! (Soudain.) Ah ! oui, la lettre ! Ah ! mon Dieu ! dites-moi que je n’ai pas rêvé !

Mittwoch. — Isidore… du courage !…

Isidore. — Hein ! j’ai rêvé ?

Tous. — Non ! non !

Mittwoch. — Vous héritez de cent millions !

Isidore, se levant d’un bond. — Cent millions ! J’hérite de cent millions !

Paulette. — Isidore ! Mon petit Isidore !

Isidore. — Où sont-ils ? Où faut-il aller pour les chercher ?

Mittwoch. — Venez ! le notaire vous attend. (Lui tendant la lettre.) Voici son adresse ! allez ! courez !

Tous. — Allez ! allez, Isidore !

On le pousse vers la porte.

Isidore. — Cent millions ! j’ai cent millions à moi ! Ah ! ce qu’on va pouvoir en faire des économies !

Mittwoch. — Des économies ! des affaires, vous voulez dire, des affaires !…

Tous. — Allez ! allez !

Isidore. — Mon mou ! où est mon mou ?

Tous, instinctivement. — Son mou ! Où est son mou ?

Mittwoch, cherchant. — Son mou ! son mou ! qu’est-ce que c’est que ça, son mou ?

Isidore. — Mon chapeau mou ! Ah ! je sais… dans l’office !

Paulette. — Non ! non ! bougez pas… le mou ! apportez le mou ! là ! là ! dans l’office.

Tout le monde se précipite pour chercher le chapeau.

Tous. — Voilà ! voilà !

Paulette. — Ah ! Isidore, couvrez-vous bien ! ne prenez pas froid !

Tous. — Voilà ! voilà le mou !

Isidore. — Merci… (Il remonte accompagné par tous.) Ah ! mon Dieu !

Tous. -.Quoi ?

Isidore. — Et mon couvert qui n’est pas mis !

Paulette. — Mais Philomèle le mettra ! Allez ! allez !

Tous. — Allez ! allez !

Isidore. — Cent millions ! J’ai cent millions !

Paulette. — Ah ! quel serviteur, cet Isidore !

Rideau.

Acte II

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Même décor qu’au premier acte.

Scène première

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Mittwoch, Snobinet, puis Paulette, puis Philomèle

Au lever du rideau, Mittwoch près de la desserte, coupe un pain dont il met à mesure les morceaux dans une corbeille d’argenterie. Snobinet met les couverts à chaque place.

Snobinet, tout en plaçant les couverts. — Une fourchette, un couteau… une fourchette, un couteau… une fourchette…

Mittwoch. — C’est admirable ! vous mettez le couvert, on tirait que vous n’avez fait que ça toute votre vie.

Snobinet. — Parce que je suis un artiste !… une fourchette, un couteau. Quand j’incarne un personnage, je le sens ; je le vis… un couteau, une fourchette. Ce n’est plus une fiction, c’est moi ! C’est réel, c’est arrivé !… un couteau, une…

Mittwoch. — Ah ! pien, à ce compte-là ! Si c’est réel, c’est arrivé, che chouerais pas un tomestique, che chourais un qui a câgné a la bourse.

Snobinet. — Vous êtes terre à terre, Monsieur Mittwoch.

Mittwoch. — Eh ! ya, che suis brâtique ! (Sonnerie dans le vestibule.) Qu’est-ce qui sonne, là ?

Snobinet. — C’est peut-être les deux amies que Paulette a invitées.

Mittwoch. — Oh ! non, miti et quart ! Elles sont habituées à déjeuner toujours exactement à midi pour teux heures, alors…

Paulette, venant de sa chambre. — Qui est-ce qui a sonné ?

Mittwoch. — C’est précisément ce que nous nous temandions.

Paulette. — C’est peut-être Isidore.

Mittwoch. — Oh ! non, il n’aurait pas pris le grand escalier.

Paulette. — Pourquoi donc ça ? Maintenant qu’il est multimillionnaire, je suppose bien qu’il doit comprendre que l’escalier de service n’est plus fait pour lui.

Mittwoch. — C’est chuste ! mais, qu’est-ce que tu veux, on n’entre pas comme ça tans la peau d’un nouveau personnage.

Snobinet. — A moins d’être un artiste.

Paulette, à Philomèle qui vient du vestibule. — Qui est-ce, Philomèle ?

Philomèle. — Madame, c’est de chez la modiste qui envoie sa facture.

Paulette… Sa facture ! elle n’est pas folle ! Un jour où on hérite de cent millions ! C’est ce moment-là qu’elle choisit pour envoyer sa facture. Allez lui dire qu’on a hérité de cent millions et qu’on a autre chose en tête que de s’occuper de la régler.

Philomèle. — Oui, Madame. (En s’en allant.) Cent millions ! ça donne le vertige.

Paulette. — Non, non, ces fournisseurs ont un manque de tact ! jamais ils n’envoient leurs notes quand il faut ! toujours quand on n’a pas d’argent… ou alors quand on est en plein dans un héritage de cent millions !

Mittwoch. — La vérité : ils ne devraient chamais envoyer leurs notes.

Paulette. — Evidemment, ils pourraient attendre qu’on la leur demande.

Mittwoch. — Et comme on ne la leur demanderait chamais…

Snobinet. — Ça serait un plaisir de leur acheter.

Scène II

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Les Mêmes, Serge.

Serge, surgissant de droite, un casier à vins rempli de bouteilles à la main. — Château Yquem, Haut-Brion, Chambertin ! ça et mes quarante trois sous ! tout ce qui me reste de ma splendeur passée.

Paulette. — Ah ! tu viens de la cave, toi ?…

Serge. — Oui ! (Extrayant les bouteilles et les distribuant à Mittwoch et Snobinet.) L’Yquem à mettre au frais, le Haut-Brion à mettre au chaud, et le Chambertin !… Mittwoch au frais.

Snobinet. — Marquis ! un verre de ce Chambertin.

Serge. — Eh ! bien, quoi donc, l’artiste ?

Snobinet. — Je disais ça dans une pièce.

Serge, à Paulette. — Isidore n’est pas revenu de chez le notaire ?

Paulette. — Non, je ne sais pas ce qu’il peut faire.

Mittwoch. — Ah ! pien, donne le temps !… Cent millions ! toute une existence de travail !… tu ne voudrais pas qu’en trois quarts d’heure…

Paulette. — C’est vrai.

Scène III

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Les mêmes, Philomèle, Actinescu.

Philomèle, précédant Actinescu qui disparaît derrière une pile d’assiettes. — Tenez, tout droit, monseigneur !

Actinescu. — C’est ça ! dirigez-moi, mon enfant ! avec cette pile d’assiettes devant le nez, je rends des points à un aveugle.

Paulette, se précipitant. — Oh ! Monseigneur, je ne permettrai pas.

Actinescu. — Laissez ! laissez donc !

Serge. — Une altesse mettre le couvert

Snobinet. — Quel honneur pour lui !

Actinescu. — Allez ! allez ! il faut que tout le monde mette la main à la pâte.

Paulette. — Vous n’avez pas honte, Philomèle, de laisser monseigneur faire votre ouvrage !

Philomèle. — C’est Monseigneur qui a exigé… et trouve que j’ai de trop jolies mains pour…

Paulette. — Voyez-vous ça !

Philomèle. — C’est lui qui l’a dit.

Actinescu. — Absolument ! de jolies mains de femmes ont mieux à faire.

Mittwoch. — Ah ! ce monseigneur.

Snobinet, étourdiment. — Qu’il est cochon !

Tous. — Hein !

Snobinet. — Je veux dire ! la noblesse sera toujours le dernier rempart de la galanterie.

Paulette. — A la bonne heure.

Serge. — C’est de vous, ça ?

Snobinet. — Réminiscence ! C’était une phrase d’un de mes rôles… dans un drame que j’ai joué et qui a ramassé une de ces tapes !

Serge, ironique. — Oh ! malgré vous ?

Snobinet. — Malgré moi, oui. Ça s’appelait "Abélard ou le moine sanglant". C’était très incomplet.

Mittwoch. — Tame ! Abélard !

Snobinet. — Ah ! charmant.

Serge. — Et vous jouiez quoi dans cette affaire ?

Mittwoch. — Sanglanté ?

Snobinet. — Mais le rôle de mon emploi : Abélard.

Serge, s’inclinant ironiquement. — Ah !

Paulette. — Ah ! tu te calomnies !

Snobinet, faisant la coquette. — Hein ?… oh ! voyons !

Serge. — Non, mais vous n’avez pas fini ! je vous en prie, je suis là !

Paulette. — Je te demande pardon… Oh ! mais regardez-moi son Altesse, elle met le couvert comme un vrai petit extra.

Philomèle. — N’est-ce pas, madame ?

Actinescu. — Oh ! vous êtres trop indulgente.

Mittwoch. — C’est l’élégance des rois de savoir se plier à toutes les circonstances.

Actinescu. — Louis XVI faisait de la serrurerie.

Mittwoch. — Un fils de Valachie peut bien mettre le couvert.

Actinescu. — D’autant qu’il faut que quelqu’un le mette.

Mittwoch. — Et. ce n’est pas un jour pareil qu’on peut demander à monsieur Isidore Raclure…

Actinescu. — Y pensez-vous !

Paulette. -.Ce serait le comble.

Mittwoch. — Faire mettre le couvert à un multimillionnaire, mon Dieu !… est-ce que vous voyez Monsieur de Rothschild… ou… ou Rockfeller ?…

Tous. — Oh !

Paulette. — Ce serait contre nature.

Philomèle. — Alors, il est multimillionnaire, Isidore ?

Paulette. — Oui, oui ! plusieurs fois millionnaire.

Mittwoch. — C’est golossal !

Philomèle. — Cent millions ! cent millions ! qu’est-ce que ça fait, ça, cent millions ?

Mittwoch. — Mais ça fait cent millions,… et même plus ! parce que quand on a cent millions, on en a deux cents, on en a trois cents !… on a ce qu’on veut !

Actinescu. — Oui !

Snobinet. — Ainsi, j’ai joué Monte-Cristo, moi…

Mittwoch. — Laissez-nous tranquilles ! "Monte-Christo" ! On parle de choses sérieuses !… Ah ! ce que nous allons pouvoir faire avec ces cents millions !

Tous, rêveurs. — Oui.

Philomèle. — Comment ce que vous allez pouvoir faire ? Mais c’est pas à vous.

Mittwoch. — Naturellement, c’est pas à nous ! mais vous ne pensez pas que nous allons abandonner ce carçon dans un moment pareil… livrer ce malheureux, pieds et poings liés, à la quipidité de tous !

Tous. — A la quoi ?

Mittwoch. — La quipidité…

Serge. — Ah ! oui. (Traduisant pour les autres.) La cupidité.

Tous. — La cupidité, oui, oui…

Mittwoch. — Ya ! c’est tout qu’est-ce qué j’dis : la quipidité.

Tous. — Oui ! oui ! oui !

Mittwoch. — Merci, pour que ce soient les autres qui le dépouillent, non, non !… ça, nous ne permettrons pas ! Monsieur Raclure est notre ami, et ça, c’est notre affaire !

Tous. — Absolument !

Mittwoch. — Nous serons là pour le diriger, pour faire faloir, pour chérer.

Actinescu. — J’en connais des affaires qui avortent, faute de capitaux !

Mittwoch. — Ach ! gott yésus, mon ami !

Serge. — Et tenez, pas plus tard qu’avant-hier, à Monte-Carlo, on m’en proposait une, appelée à des résultats admirables ! .

Mittwoch. — Non, vraiment ?…

Serge. — Des pneus d’automobiles qu’on fabriquerait avec du petit lait.

Paulette, Mittwoch, Actinescu. — Du petit lait !

Serge. — Le petit lait durci, donne, paraît-il, une matière élastique légère et increvable ! Ce serait une révolution dans l’automobilisme ! Il y a des millions à gagner !

Mittwoch. — Ainsi, voyez !

Paulette. — C’est ça qui vaudrait mieux que ton affaire de glace à chose… enfin, là-bas.

Serge. — Je te crois !

Snobinet, bâtissant des châteaux en Espagne. — Et puis, un beau théâtre qu’on fonderait, bien confortable,… le théâtre Snobinet.

Mittwoch. — Allez ! ça, c’est de la fantaisie ! taisez-vous, Monte-Christo !

Paulette, étendue sur sa chaise-longue. — Moi, ce que je rêverais, ce serait une petite villa à la campagne, avec de l’eau… Chenonceaux,… en petit ! des vaches, des moutons et l’église le dimanche, le pain bénit.

Mittwoch. — C’est ça, la relichion ! le quiré !… L’apothéose des cocottes !

Paulette. — Oh ! bien, dis donc !

Mittwoch. — Allez ! allez ! ça aussi, c’est de la fantaisie. Mais une grande banque d’affaires intustrielles. Une belle banque chic, là ! Conseil d’administration : Son Altesse royale le prince Actinescu.

Actinescu. — Oui !

Mittwoch. Le Comte de Vieuxville…

Serge. — Oui !

Paulette. — Paulette de Sortival

Mittwoch. — Non, non !… rien que des hommes.

Paulette, interloquée. Ah !

Mittwoch. — Monsieur Mittwoch, officier de l’instruction piblique !

Serge. — Biblique ?

Mittwoch. — Non pas biblique, piblique.

Snobinet. — Victor Snobinet.

Mittwoch. — Chut ! vous mêlez pas, l’cabot… Ah ! ce serait beau ! on damerait le pion au Lyonnais, à la Société Générale ! ah ! che vois grand ! che vois grand !

Actinescu. — Cent millions ! cent millions ! Ma couronne royale redorée, la grande vie, le luxe !

Snobinet. — Et de l’or ! de l’or ! (Avec le geste de quelqu’un qui jette des billets de banque à la tête de quelqu’un.) Vous êtes tous témoins que je ne dois plus rien à cette femme.

Philomèle. — Oui, mais Isidore, dans tout ça ?

Mittwoch. — Isidore ?

Tous. — Isidore ?

Mittwoch. — Oh ! mais il en serait aussi. Ah ! je vois grand ! je vois grand !

Snobinet, assis contre la table servie. — De l’or ! de l’or, encore de l’or !

Mittwoch, à Snobinet, l’imitant. — Ah, là !… l’autre : "De l’or, de l’or ! " Vous ne voyez pas que vous êtes assis le derrière dans une assiette.

Snobinet. — Oh ! pardon !

Paulette. — Oh ! voyons, Snobinet !

Snobinet. — Oh ! bien quoi ? on sait ce que c’est.

Mittwoch. — Justement. Comme c’est prôpre !… pour ceux qui mancheront après vous !

Sonnerie extérieure.

Paulette. — Mes enfants, on a sonné.

Tous. — Oui, oui.

Paulette. — Sûrement, c’est Isidore.

Tous. — Oui !

Sonnerie répétée.

Paulette. — Tenez ! on resonne.

Serge, à Philomèle. — Vite ! vite ! allez !

Philomèle. — Oui, monsieur.

Paulette. — Mais dépêchez-vous donc !

Philomèle. — Oui, madame.

Tous. — Isidore ! c’est Isidore !

Mittwoch. — Jésus-Maria ! Isidore ! C’est Isidore !

Snobinet. — La porte ! Il faut ouvrir la porte !

Mittwoch. — C’est ça. Grande ! grande !

Actinescu. — Attendez ! que je vous aide.

Snobinet. — Tenez, la ferrure, là !

Actinescu. — Oui ! oui !

Paulette. — Mon Dieu, je suis émue.

Snobinet. — Le voilà ! le voilà !

Scène IV

Les mêmes, Isidore

Isidore. — C’est fait ! ça y est ! je les ai ! J’ai cent millions, j’ai cent millions !

Tous, sautant de joie. — Cent millions ! il a cent millions !

Isidore. — Ah ! messieurs ! Ah ! Madame.

Paulette, lui ouvrant les bras. — Ah ! Isidore, mon Isidore !

Isidore, se jetant dans ses bras. — Ah ! Madame ! (Il l’embrasse.) Oh ! pardon, j’ai embrassé madame.

Paulette. — Allez donc ! allez donc ! c’est la joie ! c’est le bonheur !

Isidore - Oh ! oui, madame, c’est la joie, c’est le bonheur. (A Serge.) Il ne faut pas croire, monsieur, que jamais avant ça.

Tous. — Mais oui ! mais oui !

Paulette. — Mais ne vous excusez pas ! vous m’avez embrassée, je vous ai embrassé aussi ; alors nous sommes quittes.

Serge. — Un jour comme ça, tout le monde s’embrasse. Tenez, embrassez-moi aussi.

Isidore. — Oh ! oh ! je n’aurais pas osé le demander à monsieur.

Serge. — Allez donc ! (Ils s’embrassent.) Comme ça, c’est le baiser de madame que vous m’avez rendu.

Paulette. — Mais oui, voilà.

Mittwoch. — A la bonne heure.

Actinescu. — Vraiment, c’est émouvant, ça réchauffe le cœur.

Isidore. — Oui, monsieur.

Snobinet. — Oui, on se sent bon.

Isidore. — Ah ! c’est que, vrai ! je suis heureux Quand je pense que… oh ! oh !…. et maman ! et maman ! quelle joie pour elle !

Paulette. — Oui, votre chère maman.

Mittwoch. — Brave cœur ! il pense à sa mère.

Serge. — Ah ! elle peut être heureuse.

Paulette. — Et fière de son œuvre.

Snobinet. — Avoir fait un fils comme vous.

Mittwoch. — Un fils plusieurs fois millionnaire… (Brusquement.) Tenez ! moi aussi, il faut que je vous embrasse.

Isidore. — Ah ! aussi !

Mittwoch. — Allez ! allez ! c’est pas tous les jours fête.

Isidore. — Avec plaisir. (Ils s’embrassent.) Et toi aussi, Philomèle. (Il l’embrasse.)

Philomèle. — Oh, oh ! moi, monsieur ?

Isidore. — Monsieur ! C’est moi que tu appelles monsieur ?

Philomèle. — Dame, maintenant que Monsieur est un monsieur.

Isidore. — Un monsieur ! (Il l’embrasse.)

Mittwoch. — Mais oui, mais oui ! elle a raison ! C’est tout qu’est-ce qui fait la différence des classes, l’archent ! Vous avez l’archent, vous êtes un monsieur.

Paulette. — Mais oui !

Mittwoch. — Un gentleman.

Actinescu. — Un homme du monde.

Snobinet. — Comme nous.

Isidore. — Non ! tout ça à la fois ?

Tous. — Tout ça.

Isidore. — Ben, vrai ! j’en ai pour mon argent !

Snobinet, avec élan. — Ah ! je ne saurais vous dire… Vous savez, si jamais vous avez besoin de moi…

Isidore. — Vous êtes bien bon.

Snobinet. — Si vous avez jamais envie de places de théâtre.

Isidore. — C’est vrai ?… à l’œil ?

Snobinet. — Mais je crois bien, à l’œil ! Ah ben ! Si les gens comme vous devaient payer au théâtre, à qui donnerait-on les billets de faveur ?

Isidore. — Ah ! bien, avec plaisir. (A Actinescu.) Le théâtre, c’est si cher !

Actinescu. — Certes ! (A Paulette.) Voulez-vous me présenter à monsieur Raclure que je n’ai pas le plaisir ?…

Paulette. — Comment, vous ne lui avez pas été présenté ?

Actinescu. — Je n’ai pas eu cet honneur.

Isidore. — C’est vrai, Monseigneur, on n’a pas eu l’honneur…,

Paulette, — Oh ! (Présentant.) Son Altesse royale Monseigneur le prince Actinescu ! M. Isidore Raclure.

Isidore. — Certainement ! certainement !

Actinescu. — Je ne saurais vous dire, monsieur, combien…

Isidore. — Avec joie ! avec joie ! Il l’embrasse.

Tous. — Ah ! bravo.

Actinescu. — Mais croyez que je suis très flatté.

Paulette. — A la bonne heure.

Isidore. — Ah ! je suis si heureux.

Paulette. — Oh ! mais débarrassez-vous donc ! Votre chapeau vous gêne.

Isidore. — Oh ! ben, tout à l’heure, en retournant à la cuisine.

Paulette. A la cuisine ! à la cuisine ! voulez-vous bien…

Isidore. Oh ! madame ! madame…

Mittwoch. — Allez ! allez ! donnez votre mou…

Isidore. — Oh ! oh !

Mittwoch, le lui arrachant. — Allez, voyons ! (A Philomèle.) Emportez le mou ! Emportez le mou !

Philomèle. — Oui, monsieur.

Paulette. — Et avec soin, Philomèle, avec soin.

Philomèle. — Oui, Madame.

Elle sort.

Paulette. — Allez ! asseyez-vous ! asseyez-vous !

Isidore. — Moi ?

Mittwoch. — Vite ! vite ! de quoi s’asseoir.

Serge. — Attendez ! attendez !

Actinescu. — Tenez, voilà une chaise.

Snobinet. — Non, celle-ci est meilleure.

Paulette. — Mais non, un fauteuil, voyons ! ou là, là, sur la chaise-longue.

Isidore. — Oh ! oh !

Paulette. — A côté de moi.

Isidore. — Moi ! moi ! à côté de… oh ! madame ne voudrait pas.

Paulette. — Oh ! vous n’allez pas faire des manières, voyons.

Mittwoch. — Maintenant que vous êtes un Monsieur…

Tous, le faisant asseoir. — Allons, voyons ! voyons !

Isidore, confus. — Oh !

Paulette, s’asseyant auprès de lui. — Là ! vous n’êtes pas bien comme ça ?

Isidore. — Si, si, évidemment ! Mais, tout de même, c’est pas correct,… et puis mon couvert,… mon couvert à mettre.

Paulette. — Mais il est mis, votre couvert ; on l’a mis pour vous.

Isidore. — Qui ça ?

Serge. — Mais un peu tout le monde ! Monseigneur surtout.

Isidore. — Non, c’est Monseigneur !… (En connaisseur.) Oh ! mais c’est bien, ça !

Paulette. — Aha !

Mittwoch. — Eh ! bien, hein ?

Actinescu, flatté. — Oh ! vous me flattez !… vrai, vous me flattez !

Isidore. — C’est pas possible… Et Monseigneur n’a jamais été valet de chambre nulle part ?

Actinescu. — Jamais !

Isidore. — Eh ! bien vrai ! vous savez, là…

Actinescu, ému. — Oh ! oh !

Mittwoch. — Je crois que c’est un compliment !

Isidore. — Pas du tout !… pas du tout ! c’est sincère.

Snobinet. — Ah ! oui, mais les serviettes, c’est moi qui les ai pliées.

Isidore. — Oui, oh bien, ça, c’est pas ce qu’il y a de mieux. On plie comme ça, en province, dans les tables d’hôte de commis-voyageurs et de cabots !

Snobinet. — Ah ! ah !

Mittwoch. — Attrape, Monte-Christo !

Isidore. — Mais pour le reste ! ah ! y a pas, sans pommade, on peut dire que Monseigneur a la vocation !

Actinescu. — Oh ! venant de vous…

Isidore. — Je dis comme je pense ! Je dis comme je pense.

Paulette. — Et il s’y connaît.

Serge. — Ah ! vous pouvez être fier !

Isidore. — Mais oui, mais oui ! Monsieur le comte ne veut pas s’asseoir ?

Paulette, le faisant rasseoir. — Mais non, mais non.

Serge. — Merci ! merci bien.

Isidore, se levant. — Parce que si monsieur le comte voulait s’asseoir…

Paulette. — Mais restez donc, voyons ! vous n’êtes pas bien ?

Isidore. — Oh ! si, seulement je suis si habitué à être debout quand tout le monde est assis, que je suis tout gêné d’être assis quand tout le monde est debout.

Paulette. — Oui ! eh bien, ça ne fait rien, ça ne fait rien !

Tous. — Asseyez-vous ! asseyez-vous !

Philomèle. — Madame.

Paulette. — Qu’est-ce qu’il y a ?

Philomèle. — Y a que John…

Paulette. — John ?

Philomèle. — Demande à parler à Madame.

Isidore, se levant. — John !

Paulette, à Isidore. — Restez donc assis ! (A Philomèle) Quoi, John ? Quoi, John ? Je n’ai rien à lui dire. Je l’ai mis à la porte, il n’a qu’à s’en aller.

Philomèle. — C’est pour son certificat.

Paulette. — Eh ! ben, quoi ? Il l’a, son certificat, je vous l’ai donné.

Philomèle. — Oui, mais il ne lui convient pas comme ça.

Paulette. — Vraiment ! Eh ! bien, je suis désolée ! — Mais il faudra qu’il s’en contente.

John, entrant. — J’en suis désolé aussi, mais Madame m’en fera un autre.

Paulette. — Qu’est-ce que c’est ? Vous avez l’audace ! Serge ! Serge !

Serge. — Quoi ! quoi ! qu’est-ce qu’il y a ?

John. — Eh ! bien voilà, monsieur le Comte… Monsieur le Comte est un homme sensé, on peut causer avec monsieur le Comte.

Serge. — Bon, bon, John.

John. — Je respecte et j’honore monsieur le comte.

Serge. — Oui, bon, bon, passons !

John. — Madame me met à la porte ! Bon ! ça j’accepte, mais elle me fait un certificat avec tout simplement : "J’atteste que le nommé Alphonse Trumlot est resté six mois à mon service."

Serge. — Oui !

John. — Un point, c’est tout ! Madame a même écrit "J’atteste" t.a.i mais ça, je passe par-dessus.

Paulette.- Dites donc, malotru !

Serge. — Paulette ! Paulette !

John. — Les preuves sont là ! je n’invente rien.

Paulette. — Oh !

Serge. — Oui, eh ! bien, après ?

John.- Eh bien ! je dis qu’un certificat comme ça, c’est comme si on n’en avait pas du tout ! pas vrai, Isidore ?

Isidore. — Hein !

John. — Eh ! bien, tu peux pas te lever ! tu t’assieds devant les maîtres, maintenant ?

Isidore. — Hein ! oui, non, je sais pas.

Paulette. — Et puis, laissez donc Isidore tranquille ! Il n’a que faire avec vous ! il n’est plus de votre monde.

John. — T’es plus de mon monde ! Tiens ! tiens ! quéque t’as donc fait pour ça ?

Paulette. — Ah ! et puis assez d’histoires comme ça, hein ? Je vous ai donné le certificat que vous méritiez.

John. — Vraiment !

Paulette. — Ah ! sûr, alors ! pour une gouape ! un ivrogne.

John. — Ah ! mais, dites donc !

Serge. — Paulette, voyons !

Paulette. — Ah ! fiche-moi la paix, toi Mêle-toi de ce qui te regarde.

Serge. — Ah, bien ! elle est raide !

John. — Monsieur l’entend, hein ! Monsieur l’entend !

Paulette. — Oui, une gouape ! oui, un ivrogne.

Tous. — Voyons ! voyons.

John. — Ah ! mais, dites-donc, en voilà assez ! je suis poli avec vous, moi ! Espèce de grue !

Paulette. — Qu’est-ce qu’il a dit ?

Tous. — Espèce de grue !

Isidore, froissé. — Oh !

Serge. — Allez ! foutez-moi le camp ! foutez-moi le camp !

Tous. — Oui, oui, à la porte ! Allez-vous-en !

John. — Ah ! me touchez pas ! hein ! touchez pas !

Serge. — Allez ! videz le plancher !

John. — Je me plaindrai au Commissaire.

Serge. — Au pape, si vous voulez ! Allez ! allez faire vos malles et filez avec !

Paulette. — Halte-là ! pas avant que je les aie visitées.

Serge. — Mais oui ! mais oui !

John, reparaissant. — Madame a peur que je lui emporte un de ses amants ?

Tous. — Oh !

Paulette. — Qu’est-ce que vous dites ?

Tous, le poussant dehors. — Voulez-vous foutre le camp !

John. — Touchez pas, là ! touchez pas ! Ah ! là, là ! attester… t.a.i. Malheur !

Il sort, expulsé par tous les hommes.

Scène V

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Les mêmes, moins John.

Paulette, hors d’elle-même. — Oh ! oh ! oh !

Serge. — Le polisson !

Snobinet. — Ah ! je me suis tenu à quatre pour ne pas le prendre par les deux épaules.

Serge. — Vous auriez eu tort, ça ne vous regardait pas.

Snobinet. — C’est ce que je me suis dit.

Actinescu. — Cette façon de vous parler…

Paulette. — Le voyou ! ce qu’il a osé me dire !

Snobinet. — Oui !

Serge. — Espèce de grue !

Paulette. — Non ! ça, encore ! Mais "atteste, t.a.i…" oh !… mais je le sais qu’il faut un "h" ! je le sais qu’il faut un "h" !

Isidore. — Parbleu !

Paulette. — Oh ! mon pauvre Isidore, je suis confuse vraiment de vous avoir fait assister à une pareille scène.

Isidore. — Oh ! ben.

Serge. — Bah ! il n’y a pas de quoi s’énerver ! Nous avons mieux à faire.

Snobinet. — Le fait est ! un jour comme aujourd’hui !

Isidore. — Sans compter qu’il est près d’une heure et quart, il est temps de s’occuper du service.

Paulette. — Du service, vous !

Isidore. — Dame ! pour le déjeuner.

Paulette. — En voilà une raison ! Vous vous imaginez que nous vous laisserons !… Voulez-vous bien rester tranquille !

Isidore. — Cependant…

Paulette. — Le service ! On le fera sans vous ! il y a assez de monde ici !… Son Altesse, Philomèle, Snobinet, le comte, M. Mittwoch…

Tous. — Mais oui, mais oui.

Isidore. — Oh !

Philomèle. — Pas besoin de tant ! Que j’aie seulement Monseigneur, on se charge de tout ! N’est-ce pas, Monseigneur ?

Actinescu. — Mais oui, mais oui, mignonne !

Mittwoch. — Ah ! Monseigneur ! Monseigneur !

Actinescu. — Qu’est-ce que vous voulez, je suis le vert-galant de la Valachie.

Paulette. — Vous voyez comme tout s’arrange. Aujourd’hui, vous êtes le personnage qu’on fête. Je veux que le champagne coule en votre honneur !

Isidore. — Le. champagne !

Serge. — Parfait ! Seulement, à ce compte-là, il faut que j’aille en chercher à la cave.

Paulette. — C’est bien le moins ! Pour un pareil anniversaire !

Serge. — Où prends-tu un anniversaire ?

Paulette. — Ah ! tu trouves qu’un jour où il vous tombe cent millions, ça n’est pas un anniversaire ! Eh bien, qu’est-ce qu’il te faut ?

Serge. — Ah ! je te demande pardon, va pour anniversaire ! On n’a pas besoin d’autre chose à la cave ?

Isidore. — Ah ! sapristi, ça me fait penser… avec tout ce mic-mac, j’ai complètement oublié d’acheter du cognac, moi ! Il n’y en a plus dans la bouteille. Oh ! mais ça ne va pas être long ! l’épicerie est à côté, j’aurai vite fait.

Paulette. — Mais non, mais non, je vous dis…

Isidore. — Ah !

Paulette. — Snobinet qui n’a rien à faire va descendre chez l’épicier et nous rapportera une bouteille de fine.

Snobinet. — Moi ?

Paulette. — N’est-ce pas ?

Snobinet. — Volontiers ! volontiers !

Isidore. — Oh ! non, monsieur, vraiment.

Paulette. — Mais laissez donc ! Il peut bien se grouiller un peu, ça l’empêchera d’engraisser. (A Snobinet.) Eh bien ! qu’est-ce que tu attends ?

Snobinet, fouillant le fond de sa poche. — Rien !… Je regarde. Je ne sais pas si j’aurai assez d’argent sur moi… comme je ne suis pas rentré à la maison…

Paulette, faisant mine d’aller à la chambre. — Ah ! bien, attends, je vais te donner…

Isidore.- Oh ! pas la peine… c’est douze francs, je vais les donner à monsieur.

Paulette. — Mais non, mais non. Pourquoi donc ?

Isidore. — Mais ça ne fait rien, madame, je les marquerai sur le livre.

Paulette. — Ah ! bon, bon, alors.

Isidore, tout en cherchant l’argent dans son porte-monnaie. — Pourquoi donc faire déranger les maîtres, quand on peut comme ça… (A Snobinet.) Voilà douze francs !

Monsieur demandera du Corlier V.S.O.P.

Snobinet. — "V.S.O.P." ! parfaitement !… C’est entendu, je vais et je reviens.

Serge. — Pendant ce temps, je descends à la cave.

Actinescu. — Et nous à la cuisine, n’est-ce pas, mignonne ?

Philomèle. — A la cuisine, Monseigneur !

Serge. — Passez, monseigneur ! les altesses d’abord.

Actinescu, faisant passer Philomèle. — Dans ce cas-là, les dames avant les altesses.

Philomèle. — Oh ! Monseigneur !

Elle sort, suivie d’Actinescu.

Scène VI

Isidore, Paulette, Mittwoch.

Paulette. — Mon petit Isidore ! ça me fait plaisir de vous voir.

Isidore. — Ah ! ah !

Mittwoch. — Oui ! Ça nous fait plaisir de vous voir.

Isidore. — Ah ! ah !

Paulette, l’entraînant sur la chaise-longue. — Venez-là ! près de moi !

Isidore, résistant doucement. — Oh ! non, non, madame.

Paulette. — Pourquoi, voyons !

Isidore. — Ça n’est pas correct ! Moi, un domestique.

Paulette. — Encore ! ne dites donc plus ce mot-là ! ça me fait de la peine ! (Sur un ton câlin.) Venez !

Isidore, honteux. — Oh ! tout de même…

Mittwoch, le poussant de façon à le faire tomber sur la chaise-longue. — Mais faites-donc pas l’imbécile, voyons !

Isidore. — Oh !

Mittwoch. — Quand une jolie femme vous dit…

Isidore, qui, en tombant a cogné Paulette. — Oh ! oh !… Je n’ai pas fait mal à madame ?

Paulette. — Du tout ! du tout ! au… au contraire.

Isidore. — Ah ! tant mieux !

Paulette. — J’avais hâte de voir tous ces indifférents s’en aller pour causer un peu avec vous… en amie.

Isidore. — Avec moi ?

Mittwoch. — Nous sommes si heureux de ce qui vous arrive.

Paulette. — Oh ! oui.

Isidore. — Oh ! ben… et moi aussi.

Mittwoch. — Ah ! vous, évidemment ! mais vous ! vous, il n’y a pas de mérite.

Isidore. — Non ! mais ça fait plaisir tout de même !

Paulette, approuvant. — Tiens !

Mittwoch. — Ainsi c’est vrai, vous avez vu le notaire ? Il vous a dit ?

Isidore. — Oui, Monsieur, oui… Il m’a montré le testament ! il y a un peu plus de cent millions.

Paulette. — Non !

Mittwoch. — Un peu plus de cent millions ! Mais un peu plus de cent millions, ça fait encore plus que cent millions !

Isidore. — Oui ! mais… peu de chose. Deux ou trois millions, je ne sais pas.

Mittwoch. — Ça ne fait rien ! c’est considérable !

Paulette. — Et ça ne vous effraie pas ?

Isidore. — Oh ! non.

Paulette. — Il est admirable.

Isidore. — L’argent, naturellement, n’est pas encore là !

Mittwoch. — Ah !

Isidore. — Il faut le temps de le faire venir. Mais le notaire a été très gentil… Il m’a dit qu’il m’avancerait tout ce que j’ai besoin.

Mittwoch - Il a dit ça, le notaire ?

Isidore. — Oui ! alors, je me suis fait donner cinquante francs, pendant que j’y étais. Ah ! c’est un bien digne homme.

Mittwoch. — Mais ça, je ne veux pas ! ça, je ne permettrai pas !

Isidore. — Comment ?

Mittwoch. Je suis votre ami, moi, Raclure ! . Et s’il y a des sommes à vous avancer, c’est moi que je suis là pour le faire.

Isidore. — Monsieur ?

Paulette. — Il a raison, lui ! Mittwoch, qui est votre ami ! Pas de notaire, pas d’hommes d’affaires qui vous écorcheront.

Mittwoch. — Parbleu ! vous pensez bien que ça ne sera pas pour vos beaux yeux que…

Isidore. — Ah ! ah !

Paulette. — C’est que c’est vrai qu’il a de beaux yeux !

Mittwoch. — Ben, oui… ben oui ! il a des beaux yeux. N’empêche qu’on ne fait pas de l’argent avec ça ! Eh bien ! moi ! le temps naturellement de prendre mes renseignements et che mets cinq cent mille francs tout de suite, à votre disposition.

Isidore, bondissant. — Cinq cent mille francs !… en vrai ?

Mittwoch. — En vrai.

Isidore. — Ah ! nom de Dieu ! (A Paulette.) Oh pardon, madame.

Paulette. — Ça ne fait rien, allez ! Dans une circonstance pareille, on peut invoquer le nom du Seigneur.

Isidore. — Cinq cent mille francs ! Oh ! maman. (Bas.) Cinq cent mille francs !

Paulette. — Oui, c’est gentil ça !

Isidore. — Ah ! je crois, madame, que c’est gentil !

Mittwoch. — Naturellement ! aussi pour la bonne règle, je vous demanderai simplement une reconnaissance.

Isidore, vivement. — Ah ! ah ! ça…

Mittwoch. — De cinq cent cinquante mille francs, pour l’aléa ! Et pour le reste, l’intérêt légal : cinq pour cent ; che ne veux pas plus.

Isidore. — Mais je…

Mittwoch. — Parce que moi che suis pour la légalité ! che ne fais pas d’usure.

Isidore. — Oui, oui.

Mittwoch. — Quel est l’homme d’affaires qui vous fera ça dans ces conditions-là, sans crocodiles, sans lézards empaillés ?

Paulette - Vous voyez, hein, vous voyez ! comme il est désintéressé.

Mittwoch, vivement. — Et tenez, regardez ma confiance ! Tenez, j’ai six mille francs sur moi. Là, sans savoir, à mes risques, je vous les avance.

Isidore. — A moi ?

Mittwoch. — Tenez, les voilà !

Isidore. — Oh ! (Il compte les billets.)

Paulette. — Je crois que c’est d’un ami, ça ! (Vivement.) Vous n’êtes pas mal ?

Isidore, qui ne comprend pas. — Mal ! comment ?

Paulette. — Là, près de moi.

Isidore. — Oh ! non ! Madame non plus ?

Paulette. — Pouvez-vous le demander ! je suis à côté de vous.

Isidore, embarrassé. — Ah ! oui… et moi aussi.

Mittwoch. — Oh ! crapule de Raclure, va ! (Montrant les billets.) Toutes les fortunes à la fois ! les bonnes fortunes et… et les aussi bonnes fortunes.

Isidore, riant. — Oui !… oui !… (Il glisse les billets dans sa poche.)

Mittwoch. — Mon Dieu, cent millions ! mais qu’est-ce que vous allez faire de tout cet archent ?

Paulette. — Oui. Qu’est-ce que vous allez en faire ?

Isidore. — Je ne sais pas. Tout à l’heure j’ai bien vu une canne… chez un marchand de parapluies.

Mittwoch. — Une canne ?

Isidore. — Oui, avec un manche en argent qui faisait, comme ça, un porte-cigarettes.

Paulette. Oh ! ça devait être joli, vous avez de goût !

Isidore. Oui, évidemment ! Mais tout de même, soixante-dix francs, j’ai trouvé que c’était beaucoup d’argent.

Mittwoch. — Une canne ! une canne !… Je vous demande de vos millions ce que vous allez en faire ?

Isidore. — Ah ! ben, j’ignore, n’est-ce pas, jusqu’à présent. Mais j’y pense, monsieur qui s’y connaît voulait p’t'être bien…

Mittwoch. — Là, voilà ! voilà qui est parlé ! Vous verrez comment je saurai en tirer profit de votre argent.

Isidore. — Ah ! monsieur est bien bon ! Je remercie bien monsieur.

Mittwoch. — Mais comment ! Entre amis, voyons ! Ah ! je suis bien heureux pour vous.

Isidore. — Monsieur est bien bon, je remercie encore bien monsieur.

Mittwoch. — Nous sommes bien heureux, Raclure, n’est-ce pas, Paulette ?

Paulette, tristement. — Oui. (Il va se lever, Paulette l’en empêche.)

Mittwoch. — Quoi "oui" ? Tu as une façon de dire oui.

Paulette. — Eh ! c’est que, pour moi, c’est une joie qu’assombrit un regret.

Isidore. — Ah !

Paulette. — Riche maintenant, riche, vous ne pouvez plus rester domestique… (Sur un geste d’Isidore.) Non, non, je ne le veux pas. Alors, c’est le départ, c’est la séparation..

Isidore. — Oh ! mais madame peut être tranquille…

D’abord, je dois huit jours à madame et…

Paulette. — Qu’est-ce que huit jours ?

Mittwoch. — L’espace d’un matin.

Isidore. — De huit matins.

Paulette. — Dans huit jours vous partirez ! et alors ce sera le vide dans la maison ! Je ne verrai plus votre chère silhouette ici, là, balayant, nettoyant. C’était un rayon de soleil pour moi.

Isidore. — Ah !… vraiment ! je… eh bien ! je ne me serais jamais douté.

Paulette. — Non ?

Isidore - J’ai cru si longtemps que madame ne pouvait pas me sentir.

Paulette. — Oh ! oh ! comme vous êtes peu physionomiste.

Isidore. — Ce matin encore madame qui me disait : "Oh ! avoir toujours cette gueule d’idiot devant moi ! "

Paulette. — Mais parce que je cachais mon jeu ! Parce que j’essayais de me mentir à moi-même. Etant donné nos situations respectives, est-ce que je pouvais !…

Isidore. — Oui, oui !

Mittwoch. — Parbleu !

Paulette. — Cette gueule ! cette gueule ! mais rien que ça aurait dû vous éclairer.

Isidore. — Ah !

Paulette. — Est-ce que ce n’est pas un de ces petits mots d’amitié, un de ces mots que la femme réserve à chaque instant aux êtres de sa prédilection : "oh ! ma gueule aimée ! oh ! ma petite gueule d’idiot ! " Mais ça se dit tous les jours ! Et alors ce cri du cœur, cet aveu échappé d’un désir contenu. (Avec passion.) Oh ! avoir toujours cette gueule d’idiot devant moi ! Cette petite gueule d’idiot !

Isidore- Oui ! ben, je ne l’avais pas compris comme ça !

Paulette. — Isidore, ingrat Isidore !

Mittwoch, théâtralement. Mais, malheureuse enfant mais tu l’aimes !

Isidore. — Hein !

Paulette, pudiquement. — Oh ! non, non !

Mittwoch. — Mais pourquoi t’en défendre ? Aujourd’hui ton amour est légitime ! Hier, oui, tu ne pouvais pas, je comprends ! La frontière des classes !… Mais aujourd’hui, Raclure est affranchi ! Raclure est un monsieur.

Paulette. — Oui ! oui !

Mittwoch. — Il est riche ! il est beau !

Isidore. — Oh ! non.

Mittwoch. — Est-ce que vous n’êtes pas faits l’un pour l’autre ?

Isidore. — Moi ! Moi !

Mittwoch. — Est-ce que vous ne ferez pas un beau couple tous les deux ?

Isidore. — Oui, oui ! Mais, monsieur le comte, monsieur le comte, qu’est-ce qu’il dira ?

Mittwoch. — Ne vous en préoccupez pas ! il n’a plus le sou.

Paulette. — Non, c’est fini nous deux.

Mittwoch. — Est-ce qu’elle n’est pas belle à souhait ! Vous voilà un gentleman, un de la haute société, eh bien ! il vous faut une maîtresse qui vous pose, eh bien ! est-ce que Paulette ne réalise pas l’idéal ?

Isidore. — Mon Dieu, est-ce que je rêve ?

Mittwoch. — Assez longtemps vous l’avez eue pour maîtresse… comme domestique, vous pouvez bien maintenant l’avoir pour maîtresse… comme amant.

Isidore. — Mon Dieu ! être l’amant de ma maîtresse ! avoir ma maîtresse pour amant !

Mittwoch. — Tu barbottes, Raclure, tu barbottes ! ,

Isidore. — Ah ! je ne sais plus ce que je dis ! Ah madame, est ce vrai ? est-ce possible ?

Paulette, se mettant sur les genoux d’Isidore et cachant sa figure dans son cou. — Isidore ! Ah ! j’ai honte ! Ne me regardez pas rougir !

Isidore. — C’est vrai ! c’est vrai ! Madame est ma maîtresse ! Je suis l’amant de Madame !

Mittwoch, au-dessus de la chaise-longue rapprochant leurs têtes. — Aimez-vous mes enfants, aimez-vous ! L’amour est la plus belle raison de vivre !

Scène VII

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Les mêmes, Serge.

Serge, arrivant avec deux, bouteilles de champagne. — Voilà le champagne !

Mittwoch. — Aha !

Serge, poussant une exclamation de surprise à la vue du spectacle qui se présente à ses yeux. — Oh !

Isidore, voulant se lever. — Oh !

Paulette, le retenant. — Qu’est-ce qu’il y a ?

Isidore, se débattant. — M. le comte ! Madame ! Monsieur le comte !

Paulette. — Eh ! bien, quoi ?

Serge, qui a déposé les bouteilles sur la table, bondissant vers le couple, saisissant Isidore par le bras et le faisant pirouetter, ce qui. renverse à moitié Paulette sur la chaise-longue. — Oh ! tonnerre !

Paulette, furieuse de cette bousculade. — Oh ! ben, voyons !

Serge. — Polisson !… voulez-vous foutre le camp ! Voulez-vous foutre le camp !

Isidore. — Oui, monsieur ! oui, monsieur !

Paulette. — Ah ! çà ! tu es fou !

Mittwoch. — Voyons, mon cher comte…

Serge. — Foutez-moi la paix !

Isidore. — Qu’est-ce que je disais à madame ? qu’est-ce que je disais que monsieur le comte…

Serge. — Voulez-vous me foutre le camp !

Isidore. — Oui, monsieur.

Il sort précipitamment à droite.

Serge. — Oh ! oh ! oh !

Paulette. — Ah çà ! qu’est-ce qui te prend, toi ?

Serge. — Comment ?

Paulette. — De quoi te mêles-tu ? Est-ce que tu vas venir te jeter dans mes jambes et me mettre des bâtons dans les roues ?

Serge. — Comment, quand je trouve ce larbin sur tes genoux !

Paulette. — Larbin ! on t’en donnera des larbins de ce prix-là ! En quoi diffère-t-il donc de toi, si ce n’est qu’il a cent millions et que toi tu n’as plus le sou ?

Serge. — C’est bien à toi de me le reprocher.

Paulette. — Enfin, est-ce vrai ? alors quoi, tu n’as pas l’intention de continuer à m’entretenir, n’est-ce pas !

Serge. — Tu sais très bien que je ne peux pas !

Paulette. — Eh ! bien, alors, ne te mêle donc pas de mes actes et laisse-moi diriger ma vie comme il me plaît.

Serge. — Tout de même, être remplacé par ton domestique…

Paulette. — Eh ! si ce n’est que ça, je ne le garde pas. Il n’est plus à mon service. Je suis correcte.

Mittwoch. — D’ailleurs, quoi ? un domestique ! c’est l’habit qui fait le moine ; habillé comme vous et moi, où est la différence ?

Paulette. — Mais dame !

Mittwoch. — Et alors, déshabillé…

Paulette. — Oui.

Mittwoch. — Il faut le savoir.

Paulette. — Enfin, voyons ! ce matin, tu étais raisonnable ! Tu t’étais rendu à l’évidence…

Serge. — Tu as raison ! Je me suis laissé encore emballer. J’ai eu tort.

Mittwoch. — Voilà, vous avez eu tort.

Serge. — Ah ! vous, je ne vous demande pas votre avis.

Mittwoch. — Ah ! pardon !

Serge. — Je n’ai pas le droit d’être une entrave dans ta vie. Va, rappelle Isidore. Va…

Paulette. — Tu devrais le rappeler toi-même. Après la bousculade de tout à l’heure, un mot de toi, ça lui fera plaisir.

Serge. — Soit ! je vais le sonner.

Paulette. — Tu n’y penses pas, sonner un millionnaire.

Mittwoch. — Comme un valet de chambre.

Paulette. — Il est là, à côté, tu peux bien l’appeler. Tu peux bien faire deux pas ! Tu lui dois bien ça.

Serge. — Soit ! (Allant ouvrir la porte et d’une voix dure.) Isidore !

Paulette. — Oh ! mais pas comme ça. Ça n’est pas un chien.

Serge, fait un effort sur lui-même et d’une voix qu’il s’efforce de rendre douce. — Isidore ! Si vous voulez revenir !

Scène VIII

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Les mêmes, Isidore.

Isidore, peu rassuré. — Monsieur m’appelle ?

Serge. — Oui.

De la tête, il lui indique Paulette et de la main fait signe de passer. Isidore qui ne comprend pas où on veut en venir, obéit et passe n° 3, puis jette un regard effaré, d’abord à Serge qui remonte nerveusement, puis à Mittwoch qui fait le même geste que Serge en lui indiquant Paulette, puis remonte également. Isidore passe 2, jette un regard effaré du côté des deux hommes, puis au moment où il se retourne vers Paulette, rencontre la bouche de celle-ci qui dépose un bruyant baiser sur ses lèvres.

Isidore, ne pouvant réprimer une exclamation de surprise. — Yup !

Serge, choqué. — Oh !

Isidore, vivement, à Serge. — Monsieur, c’est pas moi !

Serge, sur un ton agacé. — C’est bien ! c’est bien ! ça va bien ! Je ne vous demande rien.

Il remonte nerveusement.

Paulette, l’arrêtant. — oui ! Il est très content, maintenant !

Isidore. — Ah ! ah !….ah ! bien tant mieux.

Paulette. — Il a eu une petite vivacité comme ça tout à l’heure, parce que comme on ne lui avait pas dit… qu’il n’était pas au courant de la nouvelle situation.

Isidore. — Ah ? ah ?

Mittwoch. — Mais maintenant, monsieur le comte sait.

Isidore. — Hein ! comment madame a dit ?

Paulette. — Mais naturellement, voyons ! la simple délicatesse !

Mittwoch. — C’était une question de tact.

Isidore. — Ah !

Serge, rongeant son frein. — Oh !

Isidore. — Et… et monsieur le comte n’a pas été fâché ?

Paulette. — Mais pas du tout ! pas vrai, Serge ?

Serge, rageur. — Du tout ! du tout !

Isidore. — Oh ! Monsieur est bien bon ! vrai, je ne prive pas monsieur ?

Serge. — Mais non ! mais non !

Paulette. — Je vous dis qu’il est ravi.

Serge. — Je ne suis plus avec madame Paulette, par conséquent…

Paulette. — Oh ! oh ! pourquoi dis-tu ça ? Tu n’es plus avec moi, tu n’es plus avec moi… pour le côté sérieux !

Serge. — Eh ! bien, oui…

Paulette. — Mais tout de même il est bien entendu que, tous les deux, on ne va pas comme ça… brutalement… Isidore le comprendra.

Isidore. — Comment ?

Paulette. — C’est même ce qu’il y a de très heureux que ça tombe sur lui, au lieu d’un étranger,… parce que lui, au moins, il n’aura pas d’idées étroites.

Isidore. — Moi !

Paulette. — N’est-ce pas, Isidore ? vous qui êtes habitué à nous voir ensemble depuis si longtemps, que vous comprendrez très bien que de temps en temps, mon Dieu…

Isidore. — Quoi donc ?

Paulette. — Comme ça, de nuit à autre, monsieur et moi…

Serge. — je t’en prie, Paulette.

Paulette. — Mais quoi, c’est pas un sale égoïste ! (A Isidore.) N’est-ce pas que vous ne serez pas jaloux, si parfois monsieur et moi… on…

Isidore. — Hein ! Monsieur et Madame, si… Oh ! mais, comment donc, voyons… Mais toutes les fois que ça fera plaisir à Monsieur et à Madame.

Paulette. — Là, tu vois ?

Isidore. — Ah ! bien, par exemple, ça serait trop fort que moi qui vient prendre la place de monsieur le comte je… ah ! ben… j’sais vivre.

Mittwoch. — je crois qu’il est gentil, hein ?

Serge. — Trop aimable, trop aimable.

Bruits de voix en coulisse.

Voix de Philomèle. — Prenez garde, monseigneur ! Prenez garde de ne pas renverser !

Voix d’Actinescu. — Pas de danger.

Mittwoch. — Attention, mes enfants ! Voilà les alements.

Tous. — Quoi ?

Paulette. — Quels allemands ?

Actinescu entre suivi de Philomèle.

Mittwoch. — Les alements. De quoi qu’est-ce qu’on manche, la boustifaille.

Paulette. — Oh ! les aliments ! tu as une façon de prononcer.

Mittwoch. — Ah ! naturellement. C’est du parti-pris !

Paulette. — Non, mais c’est vrai, quoi ?

Isidore. — Si je peux aider monseigneur ?

Actinescu, se laissant débarrasser. — Attendez ! attendez ! Merci !

Après quoi il retourne à la cuisine, à la suite de Philomèle.

Mittwoch. — Tout de même, on va pouvoir déchner.

Paulette. — Comment veux-tu qu’on se mette à table ! Miette, Firmin et Marguerite de Faust ne sont pas là.

Serge. — Naturellement ! Il faut toujours qu’on les attende.

Mittwoch. — Marguerite de Faust ! Marguerite de Faust ! mais il y a quelque chose de plus important que Marguerite de Faust, Miette Gigot et Firmin Godasse, c’est don Fernando de Grenade qui doit venir prendre le café avec nous ! Tu ne veux pas qu’on soit encore à table et qu’on continue à manger quand il sera là, c’est antiprotocolaire.

Paulette. — Qu’est-ce que tu veux que je te dise, je ne peux pas non plus me mettre à table sans qu’on soit au complet.

Philomèle, revenant, emboîtée par Actinescu, qui revient chargé d’une pile de raviers. A Actinescu qui l’embrasse dans le cou. — Allons, Monseigneur ! Tenez-vous !

Mittwoch. Ah ! regardez-moi ce monseigneur !

Actinescu. Ah ! je me débrouille très bien, moi !

Mittwoch. — Oui, ça se voit… en courant après les bonnes… Qu’est-ce que c’est que cette décoration que vous avez sur votre revers ? — (Sonnerie.)

Actinescu. — Ah ! sapristi, c’est une coquille de beurre.

Philomèle. — Oh ! Monseigneur.

Mittwoch. — C’est pas là où ça se met.

Paulette. — Allons, voyons, Philomèle ! si vous alliez ouvrir au lieu de coqueter avec Monseigneur !

Philomèle sort.

Actinescu. — Mais comment ai-je pu faire ça ?

Isidore. — C’est parce que Monseigneur n’a pas encore bien la façon de porter les plats… Il ne faut pas se les coller sur la poitrine.

Paulette. — Attendez ! attendez ! je vais vous enlever ça !

Elle lui enlève le beurre avec un couteau.

scène IX

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Les Mêmes, Miette, Marguerite et Firmin.

Philomèle, annonçant. — Ce sont ces dames.

Actinescu. — Allons chercher la suite.

Paulette. — Oh ! C’est pas trop tôt ! Vous allez pouvoir servir.

Philomèle. — Bien, madame.

Elle sort, suivie par Actinescu. Entrent Marguerite et Miette, suivies de Firmin qui porte leurs manteaux et le sien.

Marguerite. — Nous ne sommes pas les dernières ?

Paulette. — Mais si ! mais si !

Miette. — Là, j’en étais sûre, tu vois, quand je te disais qu’on était en retard.

Marguerite. — Eh bien ! quoi, tu n’étais pas plus prête que moi.

Miette. — Non, mais j’ai dit qu’on était en retard.

Marguerite. — Ah ! ben, oui, ça !

Paulette. — Bonjour, mes enfants.

Marguerite. — Bonjour, Paulette.

Firmin. — Moi, ce qu’il y a de sûr, c’est que j’étais à l’heure ! mais avec les femmes !

Paulette. — Vous connaissez Mittwoch ?

Marguerite. — Oui, Bonjour.

Mittwoch. — Bonchour !

Firmin. — Bonjour, Mittwoch… Il lui serre la main.

Marguerite. — Bonjour, Serge.

Serge, sec. — Bonjour !

Marguerite. — Oh !

Paulette. — Oui, monsieur est à la grinche !

Marguerite, avec un geste à la je m’en fiche. — Oh ! alors…

Miette. — Et moi donc !

Firmin. — Tenez, Isidore, débarrassez-moi donc de tous ces manteaux qui me gênent !

Paulette, vivement, s’interposant. — Hein ! vous n’êtes pas fou !

Firmin. — Pourquoi ?

Paulette. — Il vient d’hériter de cent millions !

Firmin, Marguerite, Miette : — Quoi ?

Paulette. — Oui, lui, lui ! cent millions. Il hérite de cent millions.

Tous les trois, bouche bée. — Ah !

Marguerite. — Ah ! il faut que je vous embrasse !

Isidore. — Oh !

Miette. — Et moi aussi !

Isidore. — Oh !

Firmin. — Oh !… et moi aussi.

Il fait mine d’aller l’embrasser.

Paulette. — Allons, vous n’avez pas fini de l’ennuyer, ce malheureux !

Firmin, soulignant le mot en hochant la tête. — Malheureux !… je demanderais à partager son malheur.

Les deux femmes. — Tiens !

Firmin. — En attendant, je ne sais pas où poser ça, puisque l’on ne peut plus compter sur le malheureux millionnaire.

Paulette. — Là, dans ma chambre.

Firmin sort.

scène X

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Les Mêmes, Philomèle, Actinescu puis John ; puis Le Prince de Grenade.

Philomèle. — C’est servi ! Monseigneur apporte les œufs ! Elle sort.

Actinescu, un plat à la main. — Les œufs… Boum, voilà !

Paulette, présentant. — Son Altesse Royale Monseigneur le Prince Actinescu de la famille de Valachie.

Miette et Marguerite, faisant la révérence pendant que Firmin s’incline. — Ah ! Monseigneur.

Actinescu, s’inclinant. — Mesdames !… Je vous demande pardon, je fais le service.

Marguerite. — Mais comment donc, c’est très naturel.

Paulette. — Mesdames Miette Gigot et Marguerite de Faust !

Actinescu. — je connais de noms.

Paulette. — Et leur ami, M. Firmin Godasse.

Actinescu. — Enchanté !

Salutations réciproques. Sonnerie.

Paulette. Hein ! On sonne !

Philomèle. — Oui.

Elle sort.

Serge. — On attend donc encore du monde ?

Paulette. — Mais non ! on est complet.

Mittwoch. — Ah ! là, mon Dieu ! Vous allez voir que c’est Monseigneur le prince de Grenade.

Miette et Marguerite. — Hein !

Paulette. — Tu n’es pas fou ! A cette heure-ci ! Une heure cinq.

Mittwoch. — Quoi ! quoi ! Il vient prendre le café. On ne prend pas le café à dix heures du soir.

Marguerite. — Comment, le prince de Grenade ?

Paulette. — Oui, ma chère, le cousin du roi d’Espagne.

Marguerite. — Le cousin du roi d’Espagne !

Miette et Firmin. — Oh !

Paulette. — Il est amoureux de moi, ma chère.

Mittwoch. — Alors, naturellement, il vient prendre le café ! Ah ! bien, nous sommes bien si c’est lui.

Paulette. — Révérence de cour, n’est-ce pas ? Révérence de cour quand il entrera.

Les deux femmes. — Oui, oui. Mon Dieu ! mais si c’est lui, il faut aller le recevoir sur le palier.

Tous. — Mais oui !

Mittwoch. — Et tant pis ! on ne déjeunera pas.

Serge. — Oh ! ben, c’est gai !

Mittwoch. — Ah ! qu’est-ce que vous voulez ! c’est le protocole. Allons sur le palier ! allons sur le palier !

Snobinet, entrant. — Eh bien ! quoi donc ? c’est moi, j’apporte le cognac.

Paulette. — Ah ! c’est toi. On te prenait pour le prince de Grenade.

Snobinet. — Ah ! je disais aussi… J’étais déjà très flatté.

Miette. — Oh ! mais c’est Snobinet !

Snobinet. — Oui, madame, c’est tout ce qu’il y a de Snobinet.

Paulette, présentant. — Monsieur Snobinet, du Théâtre Sarah Bernhardt.

Snobinet. — Mesdames.

Miette. — Oh ! Marguerite, Snobinet !

Marguerite. — Oh ! et moi qui l’adore…

Snobinet, flatté. — Oh !

Marguerite. — je vous ai vu jouer… Ah ! vous avez des jambes !…

Snobinet. — Hein !

Marguerite. — Il faut que je vous embrasse. (Elle l’embrasse.)

Miette. — Et moi aussi. (Même jeu.)

Firmin, aux autres. — C’est gai de les avoir pour maîtresses !

Snobinet. — J’ai des jambes ! Tout de même, je n’ai pas que ça !

Marguerite. — Oh ! je ne sais pas, je n’ai pas vu le reste.

Snobinet. — Hein !

Firmin. — Prière de ne pas prendre ça pour une invite.

Paulette, remontant au-dessus de la table. — Allons ! mes enfants, les œufs vous tendent les bras, à table !

Serge. — C’est ça ! à table ! à table ! c’est pas trop tôt.

Paulette. — Non, mon vieux, non, c’est pas ta place.

Serge. — Comment !

Paulette. — Non, aujourd’hui, c’est Isidore !

Isidore. — Moi !

Serge, vexé. — Ah ! bon… bon… allez ! allez !…

Isidore. — Mais comment, mais…

Paulette. — Mais naturellement, voyons ! vous déjeunez avec nous.

Isidore. — Oh ! madame, oh !

Paulette. — Vous me faites vis-à-vis… la place du maître de maison.

Isidore. — Oh ! oh ! à table, moi !

Tous. — Mais oui ! mais oui !

Isidore. — Oh !

Paulette, à Philomèle qui rentre. — Servez, Philomèle !

Philomèle. — Oui, madame.

Isidore, à Serge. — Au moins, je ne prive pas monsieur ?

Serge, qui a fait le tour de la table et se trouve près de Paulette. — Du tout ! du tout !

Il va pour s’asseoir à côté de Paulette.

Paulette, à Serge. — Mais t’es pas là, toi, c’est la place de monseigneur ! (A Actinescu.) Monseigneur…

Actinescu. — Voilà ! Voilà !

Il remonte à la place indiquée.

Paulette, à Serge qu’elle trouve à son autre côté. — Mais pas là non plus ! ce n’est pas toi qui es de la maison…

Serge. — Ah ! pardon.

Paulette. — Mittwoch… ou Snobinet ? Oui, Mittwoch, le plus âgé.

Mittwoch. — Mais je ne sais pas !

Snobinet. — Si ! Si !

Paulette. — Alors Snobinet, là ! (Elle indique le bout de table droit.) Firmin là ! (Aux femmes.) Marguerite et Miette de chaque côté d’Isidore.

Miette, prenant le bras. — A chacune son bras.

Paulette. — Ah ! regardez-les là ! ah !

Serge. — Et moi, alors, où je me mets ?

Paulette. — Où tu voudras.

Serge. — Oui, oh ! j’ai le choix. Y a pas de place.

Paulette. — Eh ! ben, on se serrera.

Serge. — Y a même pas de couvert.

Paulette. — Ben ! on en mettra un… (Appelant.) Philomèle !

Serge, à Marguerite. — Ah ! on est bien !… Je ne vous gêne pas ?

Marguerite. — Du tout…du tout.

On s’assied. Philomèle passe les œufs.

Marguerite. — Attendez, je vais vous servir. (Elle le sert.)

Miette. — Moi aussi, je vais vous servir.

Isidore. — Oh ! mesdames, ça m’en fait deux…

Mittwoch. — Hé ! il s’embête pas, Isidore, là !

Isidore. — Mais non, monsieur Mittwoch.

Marguerite, à Isidore. — Oh ! très flattée, monseigneur.

Miette. — Moi de même, monseigneur.

Isidore. — Quoi ? (Riant.) "Monseigneur ! " je ne suis pas monseigneur ! C’est bon pour monsieur, là, l’altesse : moi Isidore Raclure, un point, c’est tout.

Marguerite. — Raclure, ah ! le vilain nom !

Miette. — Pour un millionnaire.

Paulette. — Vraiment ? Moi je ne trouve pas.

Mittwoch. — Si, si, elles ont raison !

Philomèle. — Tiens ! moi j’aime ça, Raclure.

Paulette. — Qui est-ce qui vous demande quelque chose, à vous ?

Actinescu. — Elle peut bien avoir un avis.

Paulette. — Ah ! naturellement.

Mittwoch. — Ce serait seulement le baron Raclure.

Miette. — Oh ! et même, baron Raclure, ça a quelque chose de miteux.

Isidore, tout en se levant. — Vraiment ? Tiens !

Paulette. — Où allez-vous ?

Isidore. — je vais passer le vin.

Paulette. — Mais non ! mais non ! Tenez, Godasse, vous qui êtes le plus jeune.

Firmin. — C’est ça ! C’est ça !

Serge. — L’Yquem, d’abord.

Paulette. — Tiens ! tu daignes ouvrir la bouche, toi ?

Marguerite. — Oh ! non, baron Raclure ! Pourquoi ne pas faire comme nous autres ? prendre un nom de fantaisie ; au moins, on le choisit à son goût.

Snobinet. — C’est vrai !

Firmin. — Château Yquem !

Marguerite. — Ainsi moi, Marguerite de Faust ! C’est pas mon vrai nom, vous savez.

Paulette. — Ta parole !

Marguerite. — Ma parole.

Firmin. — Château Yquem.

Snobinet. — Il y a des noms si chics : Lagardère, Coconnas, Bragelonne.

Firmin. — Château Yquem.

Snobinet. — Chat… mais non, non ! ah ! Château Yquem !… oui, oui !

Il tend son verre.

Paulette. — Mais, sans se mettre la cervelle à l’envers, pourquoi pas le nom du pays où vous êtes né ?

Isidore. Ah ! oui…

Miette. — Auquel on ajoute "comte" ou "marquis".

Paulette. — Voilà ! vous pourriez prendre le nom de votre pays.

Isidore. — Oui !

Paulette. — Comme s’appelle-t-il ?

Isidore. — Pissefontaine.

Tous. — Ah ! non !

Isidore. — Près d’Andresy.

Marguerite. — Non ! marquis de Pissefontaine !

Tous. — Non.

Mittwoch. — Mais qu’est-ce que vous allez chercher ! des noms de pays… des Pissefontaine ! Tout ça c’est de la fantaisie… Quand, comme Raclure, on a les moyens, eh ! bien on s’y prend autrement pour entrer dans l’aristocratie… Est-ce que le pape n’est pas là pour un coup ?

Tous. — Le Pape.

Mittwoch. — Le Pape, oui le Pape ! Regardez Moïse Guttelbach ! comment est-il devenu le marquis de Fiomilcanto ? par le Pape ! et Samuel Hofmeyer, comment est-il comte Alaguesi-Anguillos ? par le Pape ! et comme un tas d’autres à la Bourse. Eh ! bien pourquoi

Raclure ne ferait-il pas comme les autres ? Est-ce que vous tenez à garder le nom de votre père ?

Isidore. — Oh ! non… d’autant que c’est le nom de ma mère.

Marguerite. — Eh ! bien, et votre père ?

Isidore. — je ne l’ai pas connu.

Miette, sur un ton de condoléances. — Ah !

Isidore, à Miette. — Maman non plus ne l’a pas connu !

Tous, étonnés. — Ah !

Isidore. — Non ! ça s’est passé quelques mois avant ma naissance… le jour de l’ouverture de la chasse… Il y avait une meule !… Tout ce que maman se rappelle, c’est que papa avait un tyrolien vert et des guêtres jaunes ! depuis elle ne l’a jamais revu.

Tous, effondrés. — Ah !

Mittwoch, se levant, à part. — Mon Dieu ! quel éclair ! (A Isidore.) Mais alors, si vous n’avez pas de père, vous êtes enfant naturel ?

Tous. — Oui.

Mittwoch. — Mais alors !… quelle inspiration !

Tous. — Quoi ?

Mittwoch, se tournant vers Actinescu. — L’homme au chapeau tyrolien, aux guêtres jaunes… est-ce que ce ne serait pas vous ?

Actinescu. — Moi ! mais non !

Mittwoch. — Mais si ! mais si ! mais voilà qui est encore meilleur que le Pape et tout son Vatican… (A Actinescu.) Prince Actinescu, est-ce que vous ne seriez pas heureux de tenir cent mille livres de rentes d’un fils que vous auriez eu en chapeau tyrolien et en guêtres jaunes ?

Tous. — Hein !

Mittwoch. — Isidore Raclure, est-ce que vous ne seriez pas heureux de descendre de l’ancienne famille régnante de Valachie par un père naturel auquel vous feriez cent mille livres de rente ?

Isidore. — Ah ! si !

Tous. — Ah !

Mittwoch. — Eh, bien ! il y a un fils à prendre, il y a un père à donner ! Qu’attendez-vous pour laisser parler la voix du sang ?

Actinescu, à part. — Mon Dieu, j’ai compris ! (Descendant et allant à Isidore.) Mon fils ! dans mes bras !

Isidore. — Est-il possible ! moi, monseigneur !

Actinescu. — Appelez-moi "papa" !

Isidore. — Ah ! papa !

Ils se jettent dans les bras l’un de l’autre.

Sonnerie.

Tous, applaudissant. — Bravo !

Paulette. — On a sonné !

Firmin. — je vais ouvrir.

Mittwoch. — je bois à la nouvelle Altesse.

Paulette. — Isidore Raclure, prince Actinescu.

Mittwoch. — Et à son père.

Tous, levant leurs verres. — Hurrah !

Firmin, annonçant. — Madame Raclure !

Tous. — Madame Raclure !

Mittwoch. — Donnerwetter !

Isidore, affolé. — Ma femme ! c’est ma femme !

Mittwoch. — Dites qu’on n’y est pas ! dites qu’on est sorti !

Firmin. — Comment ! mais c’est sa femme !

Mittwoch. — Mais c’est pour ça ! vous n’êtes pas fou de la faire entrer.

Chloé. — Isidore ! Isidore ! Qu’est-ce que je viens d’apprendre ! nous héritons de cent millions.

Mittwoch. — Patatras !

Isidore. — Quoi ? nous héritons ! Moi, moi, j’hérite !

Chloé. — Qu’importe ! c’est la même chose. Ah ! Isidore, mon Isidore ! sois heureux, me voilà. Maintenant je te permets de me faire un enfant.

Tous. — Hein !

Isidore. — Qu’est-ce que tu me dis ?

Chloé. — Isidore, mon Isidore !

Isidore. — Un enfant ! un enfant ! veux-tu bien t’en aller ! Tu n’as pas honte !

Chloé. — Comment ?

Isidore. — Moi ! un prince de Valachie !

Chloé. — Hein !

Isidore. — Un enfant avec la cuisinière.

Chloé. — Isidore, Isidore ! tu divagues.

Isidore. — Allez madame, allez ! nous reprendrons cet entretien tout à l’heure.

Chloé. — Ah !

Mittwoch. — Mon Dieu ! mon Dieu ! que tout ça est embêtant.

Philomèle, accourant de la cuisine. — Ah ! madame ! madame !

Tous. — Quoi !

Philomèle. — C’est John, madame, C’est John qui… (Le voyant entrer.) Ah !

Elle se sauve par l’antichambre.

John, entrant avec sa malle sur une épaule et la déposant au milieu de la scène. — Là !

Tous. — Ah !

John. — V’là ma malle ! madame peut la visiter.

Tous. — Hein !

John. — Quant au reste, tout est en ordre ! ma sellerie est dans la salle de bains, le coupé est dans le billard et quant au cheval… (Il va ouvrir la porte du salon et amène un cheval en scène.) Le voilà !

Tous. — Ah !

On se précipite à la tête du cheval.

Paulette. — Ah ! mon Dieu ! mon cheval !

Serge. — Holà ! holà !

Mittwoch. — Attention, là ! Attention !

Philomèle, annonçant. — Son Altesse Monseigneur le prince de Grenade !

Tous. — Son Altesse ! Son Altesse le prince de Grenade !

Au moment où le prince paraît, tout le monde fait volte-face et s’incline.

Tous. — Monseigneur.

Le Prince. — Mesdames ! Messieurs ! je souis très… (Apercevant le cheval.) Ah ! Caramba ! c’est la première fois que je vois un cheval dans une salle à manger !

Tous, s’inclinant. — Monseigneur !

RIDEAU