Poésies de André LemoyneAlphonse Lemerre, éditeur1855-1870 (p. 215-216).
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CHAMP DE BATAILLE


À Ernest Christophe.



Les braves dorment bien dans cette immense plaine.
Pas de saules pleureurs, pas de mornes cyprès…
Ce n’est qu’un terrain vague où vient la marjolaine,
La bruyère et l’ajonc. — Mais là, cent ans après,
Filant à pas songeurs leur quenouille de laine,
Les filles du Pays, d’un long regard pieux,
Salueront le champ calme où dorment les aïeux,

Et diront : « Par milliers, dans ce grand cimetière,
Pâtres et laboureurs, sans linceul et sans bière,
Tous frappés par devant, se couchèrent un soir…
Ils avaient accompli saintement leur devoir.
Ils ont laissé leurs fils héritiers de leurs âmes,
De beaux hommes vaillants qui nous prendront pour femme
Des gens riches de cœur et dont les bras sont forts.
De leur baiser hardi nous serons toutes fières…
Nous aurons des enfants dignes des anciens morts
Dont le grand souvenir plane sur nos frontières. »