Chêne et Roseau/L’égoïste

Imprimerie de Dubuisson (p. 24).

L’ÉGOÏSTE


 
Hélas ! jadis mon cœur, inquiet et jaloux,
Attendait son baiser comme un bonheur bien doux !
Aujourd’hui c’en est fait, ma froide indifférence
N’attend plus ce baiser, n’attend nulle présence.

Que me fait aujourd’hui, que me fera demain,
Si l’ami d’autrefois vient me tendre la main ?
Je lis dans son regard, sa voix, son attitude,
Que l’amour-propre est là, puis encor l’habitude.

Tout me dit qu’il attend l’heure qui va sonner,
Pour redire : À bientôt, et puis m’abandonner !
Sans songer si mon âme, en proie à la tristesse,
En secret peut souffrir d’un manque de tendresse.

Toute chose a sa fin. Non, l’on ne peut toujours
Livrer gaîment son cœur aux serres des vautours ;
Trop sotte est la bonté dont l’égoïste abuse :
Heureux, heureux cent fois pour qui surprend sa ruse !