Imprimerie de Dubuisson (p. 25-26).

BOUTADE


 
Même en amour il faut, dit un prétendu sage,
Savoir brider son cœur, pour prévenir l’orage ;
Puis tendre bravement l’arc du blond Cupidon,
En livrant au hasard sa flèche et son pardon !

Hé quoi ! toujours des pleurs, y penses-tu, ma belle ?
À la froide raison ne sois donc plus rebelle…
Que désormais ton cœur, pour ces diseurs de mots,
Ouvert loin de saigner et divertir les sots
En pur granit, soudain transformé par miracle,
Reste à jamais fermé comme un vrai tabernacle…
Égoïsme, toujours drapé superbement,
Pour les grands cris du cœur n’a point d’entendement.

Ne sais-tu pas qu’il faut jouer la comédie,
Feindre le sentiment, causer peu mélodie ?
Qu’avec audace il faut, sans crainte d’offenser,
Mentir avec esprit ? nul ne doit s’en blesser !…
Il faut briller d’abord, puis danser avec grâce,
Savoir rire et pleurer, ménager la disgrâce ;
Il faut enfin savoir masquer la vérité,
Et ne parler du cœur que par civilité.

 

Le dévoûment n’est pas chose fort à la mode ;
Mais en raillant pourtant chacun s’en accommode.
Des services sans prix, trouvant plaisant d’user
Sans scrupule parfois ; on veut même abuser,
Pour se donner raison avec grande insolence.
Ce dévouement, dit-on, est fruit de l’indolence.
L’on prétend vous aimer ! mais pourtant, un beau jour,
Vous fuyez, trop blessé par votre ami vautour !

Même en amour il faut, dit un prétendu sage,
Savoir brider son cœur pour prévenir l’orage ;
Puis tendre bravement l’arc du blond Cupidon,
En livrant au hasard sa flèche et son pardon.