III

— Tu disais donc : un château Louis XIII au bord de la Seine, avec un parc et une forêt !

Colette, qui préparait le thé, rectifia :

— Près de la forêt de Brotonne. La forêt ne fait pas partie du domaine.

— Et tu ne l’as pas visité ?

— Non, j’aurais aimé le voir en photo…

Les deux jeunes filles venaient de terminer leur dîner dans le logement de Colette Semnoz et, durant tout le repas, Colette avait tenu son amie en haleine en lui racontant par le détail son voyage à Pont-Audemer.

Châtelaine, un jour… fit Lina en riant.

Le château sera vendu, poursuivit Colette. J’ai reçu ce matin une lettre de Me Lemasle, qui me fait part des propositions qu’il a reçues. Il me conseille d’attendre, car un troisième amateur, un industriel parisien, vient de demander nos conditions… Tu vois, je suis encore châtelaine.

— Et ton cousin ?

— Quel cousin ?

— Eh bien ! Lesquent. Comment est-il ?

— Je n’en sais rien. Depuis, j’ai pensé à lui et je me suis aperçue que je n’avais même pas demandé à Me Lemasle où il habitait, ce qu’il faisait, l’âge qu’il pouvait avoir.

— Avoue que tu as une famille bien extraordinaire. Tu ignorais un cousin millionnaire et tu ne connaissais pas l’existence de ce Lesquent.

— J’avais bien entendu parler de tante Lucie quand j’étais petite, mais très rarement, et j’ai toujours pensé qu’un mystère peu honorable était attaché à elle. D’ailleurs, je crois qu’elle ne vivait plus en France et j’ignorais qu’elle eût des enfants. Quand j’aurai l’occasion de revoir Me Lemasle, je lui demanderai ce qu’il sait sur ma famille. J’étais tellement émue que je ne savais quoi dire et je n’ai pensé à rien.

— Et le château, comment est-il ? C’est un vieux château du Moyen Age, comme dit la chanson, avec un fantôme à chaque étage

— Je ne sais pas, je me l’imagine avec des tours dominant la Seine, tel un burg rhénan.

Soudain, les deux jeunes filles s’aperçurent qu’il était une heure du matin.

— Je n’aurai plus mon métro, fit Lina.

— Eh bien ! reste ici, tu coucheras sur le divan.

— Je ne peux pas, maman s’inquiéterait.

Un voile de mélancolie couvrit le visage de Colette.

— Oui, c’est vrai, je ne pensais pas…

Lina, s’apercevant de la tristesse de son amie, l’embrassa affectueusement.

— Pense à ton château… châtelaine.

— Oui…

— Dis-moi, fit Lina qui tenait à chasser la peine de son amie, si nous allions un dimanche visiter ton château ?

— Tu as une bonne idée. Nous partirions le samedi à midi pour Pont-Audemer, nous y coucherions le soir et, le lendemain, nous irions au château.

Il y a mieux que cela. Pâques est dans quinze jours, nous pourrons rester là-bas tout le dimanche et ne rentrer à Paris que le lundi soir. Tu seras vraiment châtelaine une journée entière.

Colette serra le bras de son amie.

— Ton idée est merveilleuse. Dès demain, j’écris à M Lemasle pour l’informer de ma visite et lui demander où je pourrai avoir les clés. Ma chère Lina, à Pâques, j’aurai l’immense plaisir de te faire les honneurs de mon château.

Les deux jeunes filles se saluèrent cérémonieusement et pouffèrent de rire.

Quelques minutes plus tard, alors que Lina était partie, Colette, tout en remettant en ordre son petit logis, souriait, heureuse, à la pensée de cette journée de campagne, de ces vingt-quatre heures de vie de château.