XXV

« Vous n’avez rien à craindre. »

Pour la centième fois, peut-être pour la millième fois, Colette se répétait cette affirmation du commissaire Noël. Le policier, un ami intime de Fourcaud, les avait reçus en ami.

— J’envoie un radio à Lambaréné. Demain, nous saurons à quoi nous en tenir sur l’identité de cet individu. En attendant, je donne des ordres pour que le château soit surveillé. Quant à l’histoire du trésor, vous êtes hors de cause. Vous n’avez rien à craindre.

En sortant de la Préfecture, il sembla à Colette qu’on venait de lui rendre la liberté. Le soleil faisait miroiter la Seine et ajoutait une note à sa joie.

— Vous voilà tranquille, dit Fourcaud.

— Je ne crois déjà plus à ce passé… Il me semble presque avoir vécu un cauchemar.

Soudain, Fourcaud vit son sourire se figer sur ses lèvres.

— Y a-t-il encore quelque chose ? s’inquiéta-t-il.

— Non, rien…

— Vous n’avez rien oublié de dire à Noël ?

— Je lui ai tout dit… tout ce qui est du ressort de la police.

— C’est l’emploi à trouver qui vous inquiète ?

— Je ne veux pas rester oisive, bien que ma part du trésor me permette d’envisager l’avenir sans ennuis d’argent.

— Quand vous le désirerez, vous pourrez revenir au bureau.

Elle le remercia d’un sourire. Comme il insistait amicalement, elle dit simplement :

— Les cauchemars laissent toujours de mauvais souvenirs et il est difficile de les chasser.

— N’y pensez plus. N’avez-vous pas toute la vie devant vous ?

La jeune fille, cependant, restait morose. Ils firent quelques pas. Il lui demanda où elle voulait aller.

— Chez moi, d’abord.

— Vous n’allez pas rester chez vous. Tant qu’il n’est pas encore statué sur ce Lesquent, je vous conseille d’aller habiter chez votre amie.

— C’était bien mon intention, mais j’ai besoin d’aller chercher du linge. J’ai presque tout laissé à Grandlieu.

Après avoir quitté Fourcaud, non loin de Saint-Lazare, Colette prit le métro pour rentrer chez elle.

Maintenant qu’elle était seule, tout en se répétant machinalement : « Vous n’avez rien à craindre », elle laissait libre cours à ses pensées. Oui, c’était un cauchemar qu’elle avait vécu et ce cauchemar avait tué le rêve…

« Pierre, murmura-t-elle. Pourquoi faut-il que je pense à lui, que je ramène tout à lui… lui qui ne doit que me mépriser, maintenant. »

Elle retrouva la rue du Mont-Cenis avec une joie mêlée d’amertume, à l’image de son état d’âme, né d’un péril écarté et d’un bonheur perdu.

Par une de ces surprises que ménage toujours le hasard, la concierge ne la vit pas entrer et Colette s’en félicita. Elle avait hâte d’être chez elle, de s’enfermer dans sa coquille, d’y cacher sa peine, de pouvoir y libérer ses larmes.

« Vous n’avez rien à craindre. »

Elle se répétait inlassablement les paroles rassurantes du commissaire. Non qu’elle eût encore besoin de se rassurer, mais pour s’apaiser, s’endormir, comme une mère répète à son enfant le refrain d’une berceuse.

Son logement lui sembla minuscule.

Les hautes salles de Grandlieu, la perspective du parc l’avaient habituée à l’espace.

Colette se sentit attirée par la fenêtre ouverte sur la Butte et elle resta longtemps, collée à la vitre comme un papillon cherchant l’espace et la lumière.

« Je ne pourrai plus vivre ici. Il me semble que j’y étoufferais sous le poids des souvenirs. »

« Vous me donnez un espoir… Ma chérie… Je vous aime…

Le souvenir des dernières paroles de Pierre vint la caresser avec tant de vérité que, malgré elle, elle se retourna… mais la pièce était vide.

« C’est ravissant. Vous avez tiré, avec goût, un excellent parti de cet atelier. »

Combien maintenant l’atelier lui semblait terne dans le jour baissant. La poussière paraissait avoir voilé de crêpe les meubles et les bibelots.

« Me permettez-vous de vous appeler Colette ? »

Non ! C’était grotesque, pourquoi fallait-il que chaque mot lui revienne ?

Colette vint prendre son sac posé sur la table et, avec hâte, sortit de son logis. Elle fuyait. Elle passa si vite devant la loge que la concierge, qui cependant la guettait, n’eut pas le temps de l’arrêter.

Ce ne fut qu’à la place Clichy que la foule et l’animation réussirent à reprendre possession de la jeune fille.

Elle pensa que les parents de Lina devaient l’attendre.

Pour eux, le seul problème qui, maintenant, pouvait agiter la jeune fille devait être de trouver un emploi.

Elle les rassura aussitôt.

— M. Fourcaud m’a offert de retourner chez lui, mais je ne commencerai pas avant quelques jours.

Elle se sentait toute désemparée, sans aucun but. Des bribes du passé lui revenaient à l’esprit.

« Pourquoi a-t-il refusé d’aider Lesquent à me délivrer ? »

Elle frissonnait en se rappelant l’obscurité de la cachette, la rudesse du mur où elle s’écorchait les doigts, la sensation d’étouffement…

« Et il a refusé ! » se répétait-elle.

— Colette, mon petit, à quoi pensez-vous ? Il est tard, disait la mère de Lina, vous devriez aller vous coucher. Ne pensez plus à cet affreux personnage.

Évidemment, Mme Lassale faisait allusion à Lesquent.

Le lendemain, à onze heures, Colette retourna voir le commissaire Noël. Après lui avoir serré la main, le policier lui tendit un télégramme.

Administrateur du cercle de Lambaréné,
à Police Judiciaire, Paris.

François Lesquent tué accidentellement à N’Gouia, le 17 février 19… Inhumé cimetière Lambaréné. Stop. Copie procès-verbal accident suit.

Colette reposa le pli sur le bureau.

— Et Sonnart ?

— Il est en fuite. Nous avons retrouvé sa trace jusqu’à Tors, et là, nous ignorons totalement ce qu’il est devenu. La perquisition effectuée dans le château n’a amené aucune découverte intéressante. Il a emmené avec lui la part du trésor qu’il s’était octroyée.

— C’est sans importance.

Le commissaire ouvrit de grands yeux.

Savez-vous qu’elle devait représenter plusieurs millions ?

La jeune fille dit avec désinvolture :

— Ce n’est pas trop cher payer pour ne plus entendre parler de cet individu.

— Si je comprends bien, vous ne portez pas plainte ?

— Porter plainte ? Mais pourquoi ?

Cette fois, le commissaire Noël ne cacha pas son amusement.

— Usurpation d’identité. Faux et tentative d’usage de faux. Séquestration. Détournement d’un trésor. Tentative d’appropriation illégale d’un héritage, et j’en passe.

— C’est très suffisant.

— Pour l’envoyer aux assises, certainement.

Colette sourit avec quelque tristesse et elle dit :

— Qu’importe, pour moi ! Les mauvais souvenirs s’éloignent, je ne veux plus y penser.

Elle remercia le commissaire de ses bons offices et sortit de son bureau poussiéreux.

— Amusante, cette petite ! remarqua le policier. Mais plainte ou pas, je serais assez curieux de faire connaissance avec ce Sonnart.

Colette occupa le reste de la journée à faire quelques courses et, en fin d’après-midi, alla attendre Lina à la gare d’Orsay.

En l’apercevant, Lina eut un geste d’hésitation. Elle ignorait, évidemment, que Colette était venue l’attendre. Mais quand elle la vit se diriger vers elle, ce fut une explosion de joie.

Après s’être embrassées, les deux amies partirent, bras dessus, bras dessous.

— Combien je suis heureuse, ma petite Lina !

— Colette, je savais bien qu’un jour…

Une fois sorties de la gare, la voyageuse s’étonna :

— Mais tu n’étais pas là par hasard… Tu étais venue chercher quelqu’un ?

— Oui, toi ! C’est toi que j’étais venue attendre.

Lina n’en croyait pas ses oreilles.

Un peu plus tard, tandis qu’elles suivaient la Seine, Colette lui conta son mariage si heureusement manqué. Avec beaucoup de tact, Lina évita de faire des reproches à son amie. Elle se garda même de lui parler de sa démarche manquée auprès de Chavanay. Cependant, elle hasarda son nom.

— Tout est fini, répondit Colette, et je ne suis pas éloignée de penser qu’il ne vaut guère mieux que Sonnart. Bien sûr, il est élégant, distingué, poli, parce qu’il est riche. Mais c’est le même être, égoïste et orgueilleux, sans aucun sentiment autre que celui du moi. N’a-t-il pas refusé d’aider Sonnart à me sauver d’une mort affreuse ? Sonnart est un aventurier, un bandit, mais je ne peux lui ôter ce geste : il a tout fait pour me sortir de la cachette où j’étais emmurée.

— Avec le trésor…

— Bien sûr, avec le trésor.

— Si bien qu’on ne sait si c’est toi ou le trésor qu’il tenait à sauver.

Colette sourit à ce qu’elle jugeait être une rosserie de son amie.

Elles franchirent le pont du Carrousel.

Quelques instants plus tard, elles traversaient les Tuileries. Lina revint à la charge.

— Ton accusation sur Chavanay ne repose que sur les dires de Sonnart qui, tu n’en doutes plus, est un coquin.

— Je l’ai pensé aussi. Mais je suis allée le lundi soir au rendez-vous, il n’y était pas. Non, Lina, Sonnart n’a pas menti, pour la bonne raison qu’il fut surpris d’apprendre de Chavanay que nous nous connaissions. Quand Chavanay est venu lui demander l’adresse de la copropriétaire du château, sans arrière-pensée Sonnart lui a donné mon adresse et monsieur s’est vexé de ma cachotterie. Il s’est imaginé que je m’étais moquée de lui et son amour était si fort que, quelques instants plus tard, quand Sonnart lui a dit que j’étais en danger de mourir emmurée, quelle fut sa réponse ? Un mot… un mot spirituel, tu peux en juger : « Puisqu’elle tient tant à son secret château, qu’elle y reste, au secret. »

« C’était me condamner à la plus affreuse des morts pour un bien léger affront.

Les larmes venaient aux yeux de la jeune fille et Lina eut grand-peine à la calmer.

Malgré les marques d’une amitié retrouvée, saignait au cœur de Colette une blessure inguérissable d’où il semblait à la jeune fille que sa vie et sa jeunesse s’échappaient goutte à goutte.