Ces petits messieurs (Recueil)/Dédicace

E. Dentu, éditeur (p. 5-8).

DÉDICACE




À M. DUFOUR,
Notaire.


On prétend que les confesseurs
Connaissent à fond les familles :
Secrets des mères et des filles,
Péchés mignons pleins de douceurs ;

Ardente avidité des pères,
Pour la fortune et les honneurs ;
Luttes des jours les plus prospères,
Chagrins fréquents, rares bonheurs ;


Chute et honte des fils qu’on aime,
Se souillant et se pavanant ;
Plus d’amour, et, sombre problème,
Vice et vanité s’alternant ;

Éclipse des vertus publiques,
Sinistre écroulement des mœurs,
Qui fait dire aux voix prophétiques :
« France ! tu déchois et tu meurs ! »

Ce souffle du Mal délétère,
Terrassant le Bien aux abois,
Frappe d’épouvante, je crois,
Moins un confesseur qu’un notaire.

Le notaire voit les coupables
Dans leur hideuse nudité ;
Il constate, en preuves palpables,
L’injustice et l’iniquité.

Il a, pour pénétrer les âmes,
Les testaments et les contrats ;

Calculs abjects et lâches trames
Que les lois ne punissent pas.

Il lit, comme le moraliste,
Dans les perversités du cœur ;
C’est ce qui le rend grave et triste,
Et parfois sceptique et moqueur.

Il sent que depuis La Bruyère,
Ce grand satirique inspiré,
Le monde, gorgé de matière,
De siècle en siècle est empiré.

Et comme il a sondé les plaies
Des bassesses et des noirceurs,
Il aime les rudesses vraies,
Et les sarcasmes des censeurs.

Voilà pourquoi je vous dédie
Ces esquisses des mœurs du temps :
Satire navrante et hardie,
Des cœurs fourvoyés et flottants.


À vous, l’homme intègre qu’inspire
La foi sereine du devoir,
Ce livre où s’indigne le rire,
Dans des portraits vus au miroir.


Mai 1868.

LOUISE COLET.