Cent Ballades (Christine de Pisan)/Ballade LXVI

Cent Ballades, Texte établi par Maurice RoyFirmin Didot (p. 67-68).


LXVI



Mon chevalier, mon gracieux servant,
Je sçay de vray que de bon cuer m’amez,
Et de long temps je vois apercevant
L’amoureux mal dont tant vous vous blamez.
Or ne faites plus mate chiere,
Ne vous doulez plus ne jour ne demi,
Car je vous vueil amer d’amour entiere,
Et vous retien pour mon loial ami.

Et la douleur qui tant vous va grevant
Pour moye amour, dont pour mort vous clamez,
Je gariray et vous verray souvent.
Ja ne sera mon corps si enfermez
Que je ne treuve bien maniere
De vous veoir ; or soiez tout a mi,

Car estre vieil aussi vo dame chiere,
Et vous retien pour mon loial ami.

Si gardez bien, ne m’alez decevant,
Car les loyaulz amans sont clersemez ;
Ce croy je bien, mals n’alez ensuivant
Les faulz mauvais qui tant sont diffamez[1]
Pour ce, se je ne vous suis fiere,
Et ay pitié dont tant avez gemi
Par quoy ottroy m’amour a vo priere,
Et vous retien pour mon loial ami.

  1. Note Wikisource : voir un erratum en p. 319.