Imprimerie de « l’Événement » (p. 19-46).

II

les ailes à terre


La montre de Jean indique six heures. Des nuances d’or s’égrènent dans l’azur au-dessus des montagnes. Des souffles tièdes, inconstants, folâtrent dans l’air : et quand ils effleurent les tempes du jeune homme, il a l’âme plus apaisée. Le calme a détendu les nerfs si vibrants tout-à-l’heure, une ivresse délicate les engourdit. Le chemin Saint-Louis gonfle d’une poussière pâle et soyeuse. Depuis quelques minutes, pas une voiture n’a soulevé les molécules grises en flots d’ombre. Les chrysanthèmes là, de leurs aigrettes pourpres ou rosées, dominent les géraniums glauques ou liserés de neige. Les feuilles des érables et des bouleaux échangent de fines mélodies à la sourdine. Trois enfants vagabondent sur la pelouse de la cour voisine, leurs habits de toile mauve ont la fraîcheur de l’herbe et leurs chuchotements faiblissent comme des murmures.

Yvonne Fontaine et son père ne tarderont pas à revenir. Jean leur communiquera-t-il son projet ? Que diront-ils de cette vocation inopinée ? Leur vanité en sera-t-elle éblouie ? Il n’a pas le loisir d’être perplexe davantage, il reconnaît ce long bêlement d’un cornet d’alarme. C’est une coquetterie de son père : il aime qu’un tel charivari partout l’annonce. Le chauffeur a des ordres précis : la sirène aigre ne cesse guère de geindre, et tout le monde sait que Gaspard Fontaine passe.

L’automobile roule sur des panaches blanchâtres comme volait sur les nuages le char fantastique des dieux. Il ralentit sa course fière, et l’on dirait qu’il vient se poser au bord de la route. Une main gantée de soie vive se démène, un sourire illumine une voilette orangée, la jeune fille est radieuse de revoir son frère. Le visage rubicond du chauffeur brille de joie sereine, les vernis scintillent, les cuivres flamboient, la machine halète et se repose.

En un tour de main, Yvonne déclenche la porte. Elle fait jaillir, coquettement, son visage hors de la voilette. C’est un épanouissement de rose lumière ! Le sourire ne s’alanguit pas, il éclate en une flambée des joues replètes, des lèvres avides et molles, des dents nerveuses, immaculées. Le tout charme, intrigue, éblouit. Quelle délicatesse ! quels frissons de vie ! quelle volupté d’être jolie ! quelle neige empourprée d’aurore ! un poème de l’exubérance ! un sonnet gracieux et palpitant de la fraîcheur ! Lemay l’eût intitulé : « Un rayon de mon pays ! » Et il aurait eu raison : gouttelette claire où le soleil avait mis un peu de lui-même en un grouillement d’or !

Quelques instants lui suffirent à franchir l’allée de sable. Le mouvement de tout le corps un peu grêle est sûr, hardi, facile, un beau geste de force exquise.

Les yeux dilatés, complètement rieuse, elle raconte à Jean les joies de l’expédition.

— Quelle température délicieuse ! Le plus joli petit voyage ! Au ciel, de l’azur partout, de la lumière à s’en étourdir pour une semaine ! Dans les champs, de l’herbe exquise et souriante ! Les arbres dodelinaient leur tête comme pour nous saluer. Quand j’étais bien certaine que personne ne me voyait, je leur agitais mon mouchoir, et ils répondaient. C’était idiot, mais cela me faisait plaisir. Aux maisons, les grands, les petits, les vieilles, les beaux garçons nous contemplaient avec des yeux larges comme les fenêtres ou les portes. Papa jouissait de leur ébahissement, se renversait la tête comme un roi mérovingien. Que j’étais heureuse de le voir si content ! L’automobile filait à perdre haleine, la gazoline crépitait, la sirène hurlait, la poussière montait comme une auréole à l’arrière et j’ouvrais la poitrine toute grande pour y recevoir l’air pur de l’espace !…

— Tu ne m’as toujours pas dit où tu avais laissé père demanda Jean, habitué à ces déluges d’enthousiasme.

— Mais c’est lui qui m’a abandonnée ! Tu vois ? l’automobile repart : il nous le donnera bientôt. Une affaire pressante, a dit papa : il est arrêté chez le notaire… Tu aurais bien dû venir avec nous ! Tu as perdu beaucoup, je te l’assure. Je suis positive qu’il n’a pas bougé d’ici, le grand frère sérieux ?…

— Mais oui, j’ai fait une longue promenade, pas aussi longue que la tienne, mais une promenade tout de même, réplique-t-il, le visage attristé de Lucile Bertrand lui revenant à la mémoire.

— Où donc ? raille-t-elle, les yeux brûlants de malice. Tu avais l’humeur de tes jours de rêverie, quand nous sommes partis. Et c’est assez difficile de t’en arracher, les racines sont profondes !…

— J’ai parcouru deux milles au moins…

— Où donc es-tu allé ? La moquerie flambe sur ton visage. On dirait que tu joues avec moi comme un grand’père avec sa toute petite-fille. Aurais tu rendu visite à Berthe Gendron ? C’est qu’elle ne te déteste pas le moins du monde. Tu l’effarouches un peu, elle aime cela…

Yvonne éclata d’un rire joyeux, où il y avait trop d’artificiel, une préoccupation de ne laisser ignorer aucun des charmes du visage. Elle excellait à décocher la taquinerie : c’était des flèches mignonnes, barbelées d’ironie à peine méchante. Elle amusait beaucoup, la société de Québec lui en était reconnaissante et ne pouvait se passer de son gazouillis étincelant.

— Voudrais-tu me convertir à l’amour ? s’était hâté de répondre Jean. Ce n’est pas la meilleure prédication… Berthe Gendron n’est pas l’argument irréfutable ; je n’aurai jamais la foi, si tu n’en as pas d’autre…

— Oh ! Monsieur l’incontentable, mais elle est ravissante !…

— Une créature d’un raffinement exquis, je m’incline…

— Alors ? tu n’as plus qu’à aimer… Cela va tout seul, à grandes enjambées. On se laisse faire, on est rendu, c’est divin…

— C’est la dernière confidence d’une amie qui t’a si bien renseignée ? tu deviens rouge comme un œillet !… Serait-ce ta propre expérience que tu me lances tout-à-coup, à bout portant ? Mais non, j’en saurais quelque chose, tu n’aurais pas oublié de me faire partager un peu de cette joie merveilleuse…

La perspicacité de Jean ne fait pas erreur, elle a déniché un réel secret d’amour. Yvonne, que la vie mondaine s’était asservie plus étroitement chaque jour depuis deux ans, avait peu à peu retiré son âme à l’intimité qui jadis unissait le frère à la sœur. Elle chérissait encore l’ami de son enfance lumineuse, le confident toujours sympathique de ses premiers rêves de jeune fille, mais plus distraitement, avec moins d’impétueuse tendresse. Seul à voir naître la séparation morale entre eux, Jean fut le seul à en souffrir. Il ne s’en plaignit pas auprès d’elle, assuré qu’elle ne serait pas conquise par la frivolité. Elle avait un cœur trop affamé de jouissances élevées pour que cette effervescence de plaisir demeurât longtemps sa raison de vivre. Le tourbillon de la vogue s’apaiserait, et elle reviendrait à elle-même, au besoin des épanchements fraternels, au souci d’un avenir qui ne fût pas uniquement oisif et superficiel. Ainsi tranquillisé par le ferme caractère de sa sœur, harcelé d’ailleurs par les craintes de l’examen, Jean ne fit pas à Yvonne le reproche de le délaisser, de presque l’oublier. Inconsciente de la chose, elle avait perdu la coutume d’aller, aux heures où le désenchantement fait descendre le vide au fond de l’être, quérir auprès du frère le mot qui relève et le sourire qui pacifie.

La séduction aguerrie de Lucien Desloges avait agi sur elle, dès le premier jour où, présentés l’un à l’autre, ils s’étaient donnés à une longue causerie entraînante. Ce jeune homme avait un passé bien garni d’amour. Yvonne en fut avertie, plus que cela, notifiée par des chuchotements d’amies. Aux unes qu’elle redoutait, elle affirma que l’attraction du beau Lucien ne l’avait pas étourdie ; aux autres, dont elle se croyait l’égale, elle déclara nettement qu’elle était capable d’avironner sa barque sans qu’on vînt se mettre au gouvernail. Elle ne s’en amusa que davantage à tenter la mise en cage de l’oiseau vagabond. Quelques jeunes filles, mordues au vif par la jalousie, éclatèrent en commérages d’indignation, remirent à flots les aventures de Lucien que l’oubli avait submergées. Yvonne, son orgueil de femme aiguillonné, résolut de se faire aimer…

C’est elle, à force de feindre l’amour, qui fut domptée par l’amour. Elle en est positive, elle aime Lucien Desloges. Il y a déjà plusieurs semaines qu’elle s’en faisait l’aveu irrésistible, lorsque, le dimanche précédent, il a fait sa déclaration avec une suavité impeccable. Elle y a cru de tout l’élan de sa vanité assouvie : fière de son triomphe, elle ne vit, depuis lors, que pour se réjouir et papillonner.

Plusieurs fois, cependant, elle a été sur le point d’initier Jean à son bonheur. Un scrupule invincible l’en a toujours dissuadée. Elle a pressenti qu’il ne lui pardonnerait pas cet amour tramé sans lui, à la dérobée du conseil fraternel. Ce qu’il vient de lui dire la confirme dans son inquiétude. Elle doit ne pas différer la confidence : plus celle-ci tardera, plus elle sera pénible. Pour que les reproches qu’elle attend soient moins rigoureux, elle va préparer son frère à la révélation de l’intrigue sentimentale. Une pensée lui surgit qu’elle accueille d’emblée : n’est-ce pas beaucoup la faute de Jean si elle est devenue moins familière avec lui ? L’étude ne l’a-t-il pas trop guindé ? Sa physionomie ne s’est-elle pas comme figée d’une couche de glace ? Ce n’est plus elle qui est blâmable d’avoir maintenu Jean loin de sa joie merveilleuse, comme il l’appelle, mais lui qui doit s’accuser d’avoir, par ses airs de philosophe, éloigné les effusions anciennes. Il est si intelligent que l’évidence va lui percer les yeux ! Aussi, lui répond-elle, insinuante et câline.

— Aurais-tu deviné juste, que tu ne peux me gronder ? Je me serais mariée que tu ne t’en serais pas même aperçu. On aurait fait le repas de noces le plus assourdissant que tu n’aurais rien entendu. Il n’y avait que l’étude, pour toi, cette année. L’autre jour, j’ai lu…

— Tu as eu le temps de lire ? Quel tour de force ! interrompit-il d’une voix légèrement ironique.

— Eh ! bien, je n’ai plus d’examens à passer, moi, et je ne suis pas toujours grave comme un jour lugubre d’automne, fit-elle vivement.

— Tu ne te fâchais pas comme cela autrefois, ma petite Yvonne…

— Autrefois, tu ne me piquais pas au vif. Tu me blesses, je crie que ça fait mal, voilà tout… Dusses-tu t’évanouir encore de surprise, je te répète que j’ai lu dans un magazine américain…

— Ah ! je ne m’étonne plus !…

— Veux-tu que je te dise ce que je pense ?

— Je l’exige !

— Eh bien, tu n’es pas charmant, quand tu railles ainsi… plus que cela, tu me fais de la peine… et…

— Vrai ? c’est l’Yvonne d’autrefois que je retrouve ? Ton cœur est bien là, toujours secoué de battements affectueux ? Je croyais qu’on l’avait changé ou refroidi. La vie mondaine t’a prise presque totale, il faut ne pas y être expansive et le cœur se dessèche à ne jamais jaillir… La source du tien n’est pas encore tarie, puisque j’ai entendu couler une larme. La solitude aigrit souvent : me pardonnes-tu d’être barbare ?…

— J’ai lu, dans un magazine américain, souligna-t-elle, d’une voix tendre et qui pardonnait, que les brahmines hindous se renferment si profondément dans leurs songes qu’ils semblent ne plus être que des statues, oui, du marbre pensant… La médecine, il n’y avait plus que la médecine ici-bas pour toi ! Comment faire des confidences à la statue de la médecine ?

Elle plaisante du bout des lèvres, mais un remords grandit au fond d’elle-même, et Jean, à la façon dont elle esquive son regard et détourne le soupçon qu’il a formulé, comprend qu’elle essaye de fuir sa curiosité. Il saura, il attendra qu’elle-même se démasque. Il lui répugne de pénétrer en son âme de force. Est-il vrai qu’elle aime ? Avec quelle adresse elle aurait muré son cœur ! Un bataillon entier d’admirateurs l’assiègent, tous gratifiés des mêmes sourires pour leurs prouesses de toilette ou leurs assauts d’esprit. Lucien Desloges est le plus prodigue d’égards, de compliments et de menus cadeaux. Elle ne peut s’être éprise de ce jeune homme brillant, mais désœuvré, amolli, dont l’intelligence chôme et le cœur s’est usé le long d’un chemin accidenté. À vingt ans, certaines jeunes filles se croient déjà embrasées, lorsque l’aube de l’amour seule commence à luire : tout au plus, Yvonne laisse-t-elle éclairer son imagination par un premier rayon d’amour. Cela ne fait pas nécessairement monter dans l’âme le soleil de la grande passion. Elle hésite, mais elle va tout lui dire, comme jadis elle racontait ses fredaines de pensionnaire.

Peu absorbantes, ces réflexions rapides lui ont permis de suivre l’entretien.

— La science ne tarit pas le cœur, a-t-il dit. Je puis l’aimer sans que ma tendresse pour toi y perde en vigueur et en sincérité…

— Des reproches ? Je t’ai négligé, c’est vrai, mais tu en es responsable ! Tu n’as pas cessé d’être le bon, l’incomparable frère que je respecte et que j’adore. Mais la médecine grave et sèche t’a métamorphosé. Parfois, tu as le visage si austère que tu me rappelles ces formidables savants qui ont de grosses lunettes, le crâne reluisant…

— Et la science !…

— Mais tu en as de reste, tu en as trop, puisque tu m’effrayes…

— Autant que cela, vraiment ? voilà l’unique raison d’être moins expansive ? L’étude m’a sculpté la physionomie en forme d’épouvantail ? Allons, ma petite Yvonne, trêve de badinages, et soyons francs. Tu ne m’as pas fait de confidences, tout simplement parce que tu n’en avais pas à me faire. La vie mondaine l’a si bien enchaînée, que ton âme n’en a plus assez grand de libre pour réfléchir et rêver…

— Depuis quand est-il nécessaire de rêver ?…

— Tu ne l’ignorais pas, il y a si peu longtemps encore : depuis qu’il y a des cœurs larges et de l’infini pour les remplir, répond-il, machinalement. Ta question m’attriste beaucoup… Rappelle-toi les années où tu n’aurais pas songé à me la poser…

— Je n’ai donc plus de cœur !…

— Tu en as moins, petite sœur ! Tu m’as un peu désillusionné. J’espérais que tu livrerais moins de toi-même aux choses mondaines, que tu les subirais plutôt qu’elles ne te prendraient si vite et ne te garderaient si longtemps. Cela m’a fait beaucoup de peine… Je me souviens des états d’âme — pardonne-moi ce mot prétentieux qui est juste — des états d’âme délicieux que tu me racontais presque tous les jours. Souvent, ta pensée errait dans le rose, enveloppée d’une poésie subtile et charmante. Parfois, des mirages bleus, fantômes lointains de bonheur, se profilaient à l’horizon de ton être. Plus rarement, ta physionomie s’estompait de mélancolie : des ombres furtives peuplaient ton imagination de noir et des paroles infiniment tendres m’arrivaient comme une larme de ton cœur. Ton âme entière, rayon de soleil et lueur de crépuscule tour à tour, se reflétait dans la mienne. La poésie vivait près de moi, frémissante, pure, nécessaire… Un jour, cette chose à laquelle je n’avais pas songé, cette chose caressante et presque fatale, la vogue t’a souri, fascinée, emportée loin de moi. Que j’en ai été malheureux ! C’était de l’égoïsme, à coup sûr, mais j’avais peur qu’on te changeât, que même ou t’enlevât, si peu que ce fût, du charme naturel et spontané que j’aimais en toi. Je savais que ta personnalité originale, indépendante et fière, ne serait pas détruite par le grand vent de joie superficielle qui allait passer, j’espérai qu’elle n’en serait pas même ébranlée ! Yvonne, ma petite Yvonne, tu m’as déçu… Tu n’es plus la même !…

— Plus la même ? Tu serais joliment embarrassé de le prouver ! interrompt-elle, avec moins d’assurance que n’en laisse paraître le défi de son accent gouailleur.

— Oui, tu n’es plus la même, Yvonne… Tu veux que je précise ? que j’accuse ?…

— N’est-ce pas que ce n’est pas facile et que les mots n’accourent pas à ton esprit ?…

— Ce n’est pas le motif de mon hésitation. C’est que je n’ai peut-être pas le droit de me plaindre. Souvent, on exige trop des êtres qu’on chérit, on les accuse d’amertumes dont on devrait inculper l’égoïsme seul. Eh ! bien, je le devine, je le sens, je l’affirme, tu n’es plus la même, et précisément parce que tu ne t’en es pas même aperçue. Ton sourire triomphe : tout est là, pourtant, dans ce fait pénible que tu ignores ce que tu es devenue après avoir oublié ce que tu étais. La plus délicate fleur de ton âme, imperceptiblement, d’émotion frivole en émotion frivole, s’est effeuillée… Tu veux que je définisse ? Comment préciser les nuances ? Tu viens de sourire : ton sourire est plus charmeur, plus savant, mais il a perdu sa plus douce lumière, ce rayon qu’il m’apportait de l’au-delà de ton être. Tes yeux sont plus malicieux, plus caressants, mais il n’y monte plus ces tendresses profondes, ces reflets de l’idéal inondant l’âme. Ta voix est plus chaude et plus enjôleuse, mais je n’y entends plus filtrer la source mystérieuse et pure…

— En somme, me voici devenue un monstre de perversion raffinée, je ne sais plus quelle odieuse coquette ! essaye-t-elle de badiner.

— Je ne dis pas cela, Yvonne, je dis que tu es à la veille de te ressaisir… La frivolité n’aura servi qu’à te faire mieux savourer les émotions supérieures de la vie. Tu n’es pas celle qu’assouviraient les joies futiles, impuissantes. Ton cœur impulsif réagira, s’attendrira des espérances d’autrefois… N’est-il pas vrai que tu n’es plus la même qu’à la surface et que la sœur d’il y a deux ans vit encore ? Allons, regarde-moi avec tes yeux naturels, pas ceux du bal ou de la promenade, mais ceux que tu ouvres sur ton âme vraie de jeune fille…

— Je suis la même, te dis-je, murmure-t-elle, ses yeux incapables d’affronter le limpide regard de Jean. Elle est vaincue, elle sent qu’il a raison. La jeune fille qu’elle était, celle que, d’une voix douce et presque tremblante, son frère vient d’esquisser, lui apparaît comme lointaine, étrangère à elle-même et déchue du trône où elle régnait. Que l’évolution s’est faite vertigineusement ! Pour la première fois, elle se demande comment les phases de cette évolution intime ont pu être si insensibles, comment cette mentalité nouvelle s’est infiltrée avec aussi peu de violence et sans provoquer la moindre résistance de son être. Plus Jean a ressuscité les souvenirs, plus elle a vu se creuser la différence entre l’Yvonne mondaine et l’Yvonne d’auparavant. L’orgueil de ne pas l’admettre et le besoin de l’avouer se querellent dans son âme. Voilà pourquoi, sur la défensive encore, elle élude la réponse habile de Jean.

— Si tu étais la même, tu aurais autre chose à me dire, et tu le dirais autrement, a-t-il insinué avec tendresse.

— Que veux-tu que je te dise de plus ?…

— Mais tu devrais le savoir mieux que moi ! Une parole profonde jaillissant du meilleur de toi-même, un cri impulsif de ton vrai cœur, enfin, une preuve que tu m’as compris, qu’on ne m’a pas ravi mon Yvonne affectueuse et sincère !…

— Je puis, sous certains rapports, ne plus être la même, mais je t’aime toujours ! s’écrie-t-elle, avec une spontanéité charmante, où il n’y a pas assez d’abandon toutefois. Le voici, le cri du cœur !… Et maintenant, je vais te prouver ma confiance. Je ne sais pas comment te faire cet aveu, c’est comme si j’avais un tout petit peu honte de moi-même. Eh ! bien, oui, je t’aime encore, mais d’une autre façon, et il me semble que je ne t’aime pas autant… Tant de choses m’ont distraite de toi. Presque tout ce que tu as dit, c’est vrai ; ou plutôt, je crois que tout est vrai. Je suis une autre Yvonne : comment est-elle née en moi-même, comment y a-t-elle grandi, comment y est-elle si vivante, si impérieuse ? Je l’ignore… Depuis que tu m’as fait entrevoir ce que je suis devenue, j’essaye de me rendre compte, de trouver les causes. Je n’ai qu’une excuse, l’ensorcellement a été complet : j’en ai subi la puissance, à chaque jour, sans repos, sans révolte. Tous ces jolis rêves, bleus, gris ou roses dont tu parlais, ils revinrent moins souvent d’abord, puis ne me rendirent que des visites rares et courtes, un jour ils partirent pour ne plus revenir. Ce n’est pas leur faute, je les recevais moins bien chaque fois, distraite, un peu dédaigneuse… Et moi, qui les aimais tant, qui leur ouvrais toute la profondeur de mon âme, pourquoi n’ai-je pas souffert de les perdre ?…

— Mais tu ne les as pas perdus ! Ils vont revenir, ils reviennent ! Le regret, c’est le désir…

Ce n’est plus eux qu’Yvonne caresse, l’amour de Lucien Desloges les a bannis, leur a fait succéder en son imagination qu’ils subjuguaient, des ambitions autres, fiévreuses, éblouissantes. Riches tous deux, ils régneront dans la société québécoise. Leur salon sera le plus rutilant, le plus à la mode, le plus rempli de gens cossus et de personnages retentissants. Ils engloutiront tous leurs rivaux sous l’avalanche du faste et des extravagances. C’est le rêve de Lucien, du luxe ici, du luxe là, du luxe à foison et partout, chatoyant, raffiné, le plus récemment inventé. Il faut qu’on le recherche, qu’on le célèbre et qu’on l’envie. Sa femme sera la plus exquise, la plus magnifiquement attifée. Elle étendra sa gloire mondaine, en sera le rayon le plus délicat. La beauté d’Yvonne si éclatante l’avait frappé : l’auréole des cheveux d’or lumineux, la flamme intense des yeux rieurs, le rose satiné des joues, l’ivoire des dents si pur entre les lèvres pourpres et flexibles, tout le visage réalisait pour lui le type de la femme étincelante. La jeune fille, désireuse de plaire et secrètement avertie par son intuition féminine, lui déroba ce qu’elle gardait encore d’idées graves et d’impulsions généreuses, ne lui ouvrit que ses trésors de grâce et d’esprit. Avec la fatuité roublarde et sûre des conquérants de femmes, Lucien s’imposait à elle, refermait sur sa volonté frêle un cercle toujours plus aveuglant de magnétisme et de séduction. Petit à petit, fort habilement, devinant il ne savait quelle hostilité sourde à son influence, il insinua l’avenir de munificence qu’il désirait. Dosée de manière à envenimer la coquetterie de la jeune fille, cette inoculation de vanité mondaine a désorganisé l’Yvonne sérieuse, et voici qu’elle est prête à épouser Lucien Desloges, à s’engouffrer avec lui dans un abîme de vogue et de parures.

Oui, elle aime Lucien Desloges. Ne seront-ils pas heureux, fêtés, admirés, craints, resplendissants, roi et reine de la société de Québec ? Que cet amour est dissemblable, toutefois, de celui que dessinaient les rêves ranimés par Jean, à l’instant même ! Ils vont revenir, ils reviennent, dit-il : non, ils furent les délices de l’inexpérience et d’une fade ingénuité. La vie réelle a dénoué les attaches qui les reliaient au meilleur de son être, les a proscrits. L’onde enivrante de la vogue a rempli son cœur, l’a presque submergé. Elle n’a plus d’autre rêve que celui d’éblouir par la toilette, la beauté, le luxe. Lucien Desloges est le héros du palais magique édifié par son imagination effervescente. L’émotion de Jean l’a attendrie quelques minutes : un sursaut d’orgueil la secoue, elle rougit d’appréhender le blâme de son frère, elle va lui proclamer son amour avec fierté ! Elle préférerait, tout de même, ne pas lui avoir celé la chose aussi longtemps.

— Ces rêves, lui répond-elle, ils furent ceux de la jeune fille romanesque, ignorante de la vie dont tout le monde se contente. Je n’ai plus l’âge de les avoir.

— Vingt ans ? C’est l’âge de ne plus avoir de hautes illusions ? Tu badines !…

— Je suis sérieuse ! Il faut envisager la vie telle qu’elle est, ne pas la badigeonner de fard sentimental, en un mot, ne pas habiter les nuages !…

Douloureusement surpris, il n’interrompt plus ce dédaigneux reniement d’un idéal qu’il avait cru inséparable d’elle. Il est impossible que ces paroles froides et presque cyniques soient l’écho des profondeurs d’elle-même. La surface de l’âme est seule agitée de remous frivoles, mais il est temps qu’ils se calment, avant que les sources vives n’en soient atteintes. La langage d’Yvonne s’enhardit :

— Je me suis étonnée un peu de la transformation que j’ai subie. Je la comprends, mon frère, elle devait avoir lieu. Je ne pouvais être naïve toujours… À mes premières sorties, j’ai dit tout ce que je pensais. On m’a regardée avec compassion, on eût pitié de ma candeur, de mes épanchements trop vifs. Pour ne pas être sotte, j’ai fait plier bagage à toute ma poésie, je l’ai enfouie dans un coin de mon âme et l’ai priée de se taire… Marthe Gendron, surtout, me fut précieuse. Un jour nous causions, elle, quelques amies et moi, de l’une des premières « comédies musicales » que j’aie entendues. J’osai dire que la valse principale en était disgracieuse, trop échevelée, de mauvais goût. Elles se récrièrent : c’était divin ! Lorsque nous fûmes seules, elle et moi, Berthe me conseilla de toujours mettre une sourdine à mes impressions. « Il faut dire comme tout le monde ou à peu près comme tout le monde, et cela n’empêche personne de penser comme il veut ! » conclut-elle. Vexée avant d’avoir réfléchi, j’avouai enfin qu’elle me rendait un joli service. Après cela, je maîtrisai mes impulsions… Et maintenant, il faut que je te dise quelque chose…

— Oui, tu les as refoulées, mais tu ne les as pas étouffées ! Comme le disait ton amie Marthe, en faire étalage n’est pas à la mode, mais tous demeurent libres de les laisser vivre en eux-mêmes. Elles palpitent encore en ce coin de ton âme où elles s’alimentent, où elles manquent un peu d’air, voilà tout…

— Mon cœur n’est plus à elles, il appartient à Lucien Desloges, celui que j’aime. Et Lucien ne se préoccupe guère d’habiter les nuages ! dit-elle, à brûle-pourpoint, croyant qu’il vaut mieux brusquer la confidence et ne pas justifier, par un plaidoyer préliminaire, les reproches que d’ailleurs elle se sent l’énergie de braver.

— Lucien Desloges ! Tu aimes et c’est lui ! s’écrie Jean, et son visage se contracte d’une pâleur soudaine.

— Oui, j’aime ! Tu avais bien deviné tout-à-l’heure…

— Tu aimes ! et je n’en savais rien…

Il y a un chagrin, si réel et si frémissant dans la manière dont il a dit cela, qu’Yvonne cède au besoin d’une excuse.

— Oh ! pardonne-moi, il y a si peu longtemps que je le sais moi-même !

— Mais il y a des mois que ce Lucien Desloges te poursuit, te harcèle !

— Je ne veux pas te mentir, je n’ignorais pas qu’il me faisait la cour.

— Alors, ma petite Yvonne ?…

— Je le laissais faire, tout simplement, je croyais ne rien lui donner de moi-même…

— Et tu lui as tout donné ?

— Je l’aime ! affirme-t-elle, orgueilleuse de son amour et provocante.

C’est comme si le silence, tout-à-coup, élevait une muraille entre eux. Yvonne attend que son frère le brise et, de tous ses nerfs crispés, se prépare à ne pas laisser battre son amour en brèche. Tandis que Jean souffre, amèrement, profondément, d’une blessure aiguë. D’abord, sa douleur est confuse, un brouillard de larmes lui enveloppe le cœur. Les choses tristes dont elle est mélangée, finissent par ne plus accourir pêle-mêle à son cerveau, se précisent chacune avec son relief d’amertume, avec sa force déprimante. Ainsi, la foi qu’il gardait au solide caractère d’Yvonne, s’effondre : puisqu’elle aime ce jeune homme superficiel et vain, il ne reste rien de la jeune fille jadis assoiffée de hautes affections. Ces belles aspirations dont l’ardeur la transfigurait, elle en a comprimé l’essor en elle-même ; et ces rêves dont la pureté l’ennoblissait, elles les a rejetés comme des jouets stériles d’imagination. Il en est convaincu d’une certitude poignante, cette destruction d’idéal en elle est surtout l’œuvre de Lucien Desloges. Il est des âmes d’hommes viles dont la fourberie, patente aux yeux des autres hommes, échappe étrangement aux femmes qu’elles ensorcellent. Un éclat factice d’intelligence miroite dans la causerie mielleuse du beau Lucien. Un fluide subtil de corruption habilement dosée glisse de son regard, se répand sur son visage, imprègne toute sa personne. Selon l’expression d’Yvonne, il n’a pu se faire aimer d’elle qu’après l’avoir fait descendre des nuages, jusqu’à son niveau terrestre d’idéal. Yvonne, l’esclave d’un farceur d’amour ! Il pressent que celui-là est plus fort en elle que lui, son frère, le Jean trop guindé, trop solennel, à la physionomie rébarbative de savant. Quelle excuse pitoyable d’avoir, en masquant l’intrigue d’amour, trahi les doux souvenirs d’union fraternelle ! Ce redoutable acte de la vie d’une jeune fille, le don d’elle-même à un homme pour toujours, elle a pu l’accomplir sans en faire part au Jean de son enfance, au témoin de ses rêveries de jeune fille ! Une déchirure intime lui fait mal, il éprouve l’angoisse d’une tendresse meilleure qui agonise entre elle et lui. Il écrase, un moment, sous la pensée d’avoir perdu l’amie supérieure, extrêmement bonne et franche, qu’il croyait inséparable de son avenir. L’amour, comme elle en concevait la sublime ivresse, n’aurait pas amoindri leur vieille intimité de jeunesse ; l’amour, tel que le lui ont nécessairement distillé les sourires languides et les roucoulements doucereux de Lucien Desloges, ne peut exister, sans avoir détruit les plus délicates, les plus fortes attaches fraternelles. Ce lourd silence n’en est-il pas la preuve ? Du regard soupçonneux, des traits vibrants, des lèvres contractées pour l’attaque, ne le défie-t-elle pas comme une ennemie ? Il sait qu’elle va repousser l’antagonisme qu’elle devine, et cependant, il faut que, malgré elle, il tente de l’arracher au mensonge, à la désillusion fatale. Il cherche des paroles souples, celles qui ne froisseront pas trop une sensibilité irascible. Peut-être la victoire de Lucien n’est-elle pas aussi décisive… peut-être Jean n’aura-t-il qu’une exaltation passagère à combattre… Oh ! qu’il serait heureux d’en libérer Yvonne !…

— Tu en es bien sûr, tu l’aimes ? dit-il, avec beaucoup de tristesse,

— Oui, je l’aime ! affirme-t-elle, arrogante.

— Beaucoup ?

— Que veux-tu dire par beaucoup ?

— Comme tu voulais aimer ?…

Interdite, elle n’ose répondre sur-le-champ. Si elle disait oui, elle a conscience qu’elle mentirait au plus intime d’elle-même. Cet amour n’est pas celui vers lequel montaient les plus purs élans de son âme. Il a quelque chose de plus âpre, de plus énervant, de moins suave, de moins ailé. C’est l’amour, tout de même, la joie d’avoir dompté un cœur d’homme jusque-là rebelle, l’orgueil de le garder, une griserie spéciale et capiteuse de vivre.

— Je l’aime ! redit-elle, enfin.

— Tu ne veux pas répondre, Yvonne. C’est lui qui est la cause de tout. Il nous a presque séparés, je n’ose plus te dire ma petite Yvonne…

— Si je te dis non, je sais que tu vas l’attaquer : je ne veux pas que tu l’accuses !

— Est-ce bien l’amour, si tu ne l’aimes pas comme tu désiras aimer ? Souviens-toi de ton rêve : « Ah ! que je l’aimerai, disais-tu, nous monterons ensemble là-bas, toujours plus haut, toujours plus seuls, où il n’y aura que du grand bonheur ! » Te sens-tu devenir meilleure auprès de lui ?

— C’est bon pour les petites filles romanesques, ce que tu dis là. Je suis une femme raisonnable, cela n’empêche pas d’aimer… J’aime Lucien, te dis-je. Il est beau, toutes les jeunes filles me l’envient, oui, celles même qui jasent le plus contre lui. Il cause avec un brio superbe : il n’en est pas un qui puisse lui donner la réplique. Il a souvent des mots d’esprit définitifs !… Il excelle partout. Il valse à me rendre folle, il s’habille en artiste ! Il adore tout ce que j’adore, le théâtre, les concerts, le café !… Tous lui font la cour, je suis fière de l’avoir conquis, et puis, il y a une autre raison, la meilleure, c’est qu’il m’aime et qu’il n’en a pas aimé d’autres avant moi !… Entends-tu bien cela, je suis la première qu’il aime, je le sais ! Il a pu faire des bêtises, il n’aimait pas ! Maintenant qu’il m’aime, je le tiens !… et je le garde ! Il est plus précieux que des rêves d’ingénue !… Tu n’es qu’un sentimental ! Allons, chevalier qui retardes, avoue que je n’ai pas tort !…

— Le sentimental, voilà l’ennemi !… Ça ne vaut pas la peine de m’entendre, Yvonne, je ne suis qu’un sentimental, un ignorant de la vie, je n’ai pas le droit de vouloir ton bonheur ! C’est très bien, je ne parlerai pas… Aime-le, ton Lucien ! mais n’oublie pas que l’idéal se vengera. Je te le prédis sans colère, avec beaucoup de chagrin. Un instant, j’ai pensé que tu n’étais plus la même totalement. Je me trompais : il est des aspirations que rien ne peut faire mourir en l’être qui vécut d’elles un jour. Quoi que tu dises, elles sont encore là, dans ton cœur ! Lucien ne les comprendra pas, il les a en horreur, parce qu’elles le dépassent et qu’un vaniteux méprise tout ce qui lui est supérieur ! Tu l’aimeras d’un amour qu’il étouffera par des sarcasmes, et ce sera bien triste… Ou tu aimeras un autre homme, entre lequel et toi le devoir mettra sa grande ombre, et ce sera le martyre… Ou si tu n’aimes jamais, l’ennui finira par te miner l’âme comme la tuberculose ronge le corps ; et de toutes les vengeances de l’idéal, c’est la plus cruelle, parce qu’il vaut mieux souffrir qu’être las de vivre !… Ne m’écoute pas, ma petite Yvonne, je suis un sentimental, un marchand de lune, je suis l’ennemi de ton bonheur !…

— Pourquoi être si défiant de Lucien ? fait Yvonne, en proie à une sourde inquiétude. Il y avait, dans le langage de son frère, tant de conviction passionnée, de logique irrésistible qu’un doute poignant la bouleverse, mais le courage de son amour ne la déserte pas.

— Oui, pourquoi l’accuser ? Tu ne le connais guère ! Tant de calomnies mijotent dans la rue, il y a des cancans si impitoyables, si lâches ! Je t’assure qu’on se trompe, qu’on ignore ses qualités dont je suis certaine, qu’il me rendra heureuse !…

— Les vraies qualités, celles qui prolongent le bonheur ?…

— Oui, répond-t-elle faiblement, après un bref silence, les yeux baissés.

— C’est fort bien, Yvonne, je n’insiste pas, tu es libre…

Jean se cramponne à l’espoir que ce doute, empreint sur le visage d’Yvonne et balbutié par ses lèvres indécises, agira sur la pensée où il s’est implanté comme un germe de fructueux retours sur elle-même.

Elle interroge son frère, humblement.

— Pourquoi lui être hostile ? Accuse-le, je le veux, pour le défendre !…

— Tu l’aimes… J’ai peur, en l’accusant, de te blesser, de te faire de la peine… Ce que j’ai dit ne suffit pas : je n’ai plus rien à dire…

— Je t’en prie !

— Je ne le peux pas !

— Eh bien, tu m’en fais de la peine !

— Chère petite sœur, va ! Pourquoi l’as-tu connu, ce… ?

— Ce… ?

— Ce !… cet indigne de toi !

— Jean !

— Ne te soucie pas de moi, Yvonne, je ne suis qu’un sentimental ! dit-il, avec un sourire mouillé de tristesse.

Et Jean, malgré les ruses de sa sœur, ne voulut pas lui dire ce qu’il pensait de Lucien Desloges, tout ce qu’il en appréhendait…

Un cornet d’alarme beugla au coin de l’avenue des Érables. Gaspard Fontaine revenait, souriant comme le dieu de l’abondance…