Causeries du lundi/Tome II/M. de Balzac

Causeries du lundiGarnier frèresTome deuxième (p. 443-463).

Lundi 2 septembre 1850.

M.  DE  BALZAC.

Une véritable Étude sur le romancier célèbre qui vient d’être enlevé, et dont la perte soudaine a excité l’intérêt universel, serait tout un ouvrage à écrire, et le moment, je le crois, n’en est pas venu. Ces sortes d’autopsies morales ne se font pas sur une tombe récente, surtout quand celui qui y est entré était plein de force, de fécondité, d’avenir, et semblait encore si plein d’œuvres et de jours. Tout ce que l’on peut et ce que l’on doit envers une grande renommée contemporaine au moment où la mort la saisit, c’est d’indiquer en quelques traits bien marqués les mérites, les habiletés diverses, les séductions délicates et puissantes par où elle a charmé son époque et y a conquis l’influence. Je tâcherai de le faire à l’égard de M. de Balzac, avec un sentiment dégagé de tout ressouvenir personnel[1], et dans une mesure où la critique seulement se réserve quelques droits.

M. de Balzac fut bien un peintre de mœurs de ce temps-ci, et il en est peut-être le plus original, le plus approprié et le plus pénétrant. De bonne heure, il a considéré ce xixe siècle comme son sujet, comme sa chose ; il s’y est jeté avec ardeur et n’en est point sorti. La société est comme une femme, elle veut son peintre, son peintre à elle toute seule : il l’a été ; il n’a rien eu de la tradition en la peignant ; il a renouvelé les procédés et les artifices du pinceau à l’usage de cette ambitieuse et coquette société qui tenait à ne dater que d’elle-même et à ne ressembler à nulle autre ; elle l’en a d’autant plus chéri. Né en 1799, il avait quinze ans à la chute de l’Empire ; il a donc connu et senti l’époque impériale avec cette clairvoyance et cette pénétration de coup d’œil particulière à l’enfance, et que la réflexion achèvera ensuite, mais dont rien n’égalera la jeune lucidité. Quelqu’un du même âge que lui a dit : « Dès mon enfance, je pénétrais les choses avec une sensibilité telle, que c’était comme une lame fine qui m’entrait à chaque instant dans le cœur. » Ainsi il a pu dire lui-même. Ces impressions de l’enfance, ressaisies plus tard dans les jugements ou dans les peintures, s’y font sentir par un fonds d’émotion singulière, et sont précisément ce qui y donne la finesse et la vie. Jeune homme sous la Restauration, il l’a traversée, il l’a vue tout entière comme on est le mieux placé peut-être pour voir les choses en observateur artiste, c’est-à-dire d’en bas, dans la foule, dans la souffrance et les luttes, avec ces convoitises immenses du talent et de la nature qui font que les objets défendus ont été mille fois devinés, imaginés, pénétrés, avant d’être possédés enfin et connus ; il a senti la Restauration en amant. Il commençait à arriver à la réputation en même temps que s’installait le nouveau régime promu en Juillet 1830. Ce dernier régime, il le vit de plain-pied et même un peu de haut ; il le jugea dans sa rondeur, il l’a peint à ravir dans ses types et ses reliefs bourgeois les plus saillants. Ainsi ces trois époques de physionomie si diverse qui constituent le siècle arrivé à son milieu, M. de Balzac les a connues et les a vécues toutes les trois, et son œuvre en est jusqu’à un certain point le miroir. Qui mieux que lui, par exemple, a peint les vieux et les belles de l’Empire ? Qui surtout a plus délicieusement touché les duchesses et les vicomtesses de la fin de la Restauration, ces femmes de trente ans, et qui, déjà venues, attendaient leur peintre avec une anxiété vague, tellement que, quand lui et elles se sont rencontrés, ç’a été comme un mouvement électrique de reconnaissance ? Qui, enfin, a mieux pris sur le fait et rendu dans sa plénitude le genre bourgeois, triomphant sous la dynastie de Juillet, le genre désormais immortel et déjà éclipsé, hélas ! des Birotteau d’alors et des Crevel ?

Voilà donc un champ immense, et il faut dire que M. de Balzac se l’est proposé de bonne heure dans toute son étendue, qu’il l’a parcouru et fouillé en tous sens, et qu’il le trouvait encore trop étroit au gré de sa vaillance et de son ardeur. Non content d’observer et de deviner, il inventait et rêvait bien souvent. Quoi qu’il en soit de son rêve, ce fut d’abord par ses observations de finesse et de grâce qu’il gagna le cœur de cette société aristocratique à laquelle il avait toujours aspiré. La Femme de trente ans, la Femme abandonnée, la Grenadière, furent les premières troupes d’élite qu’il introduisit dans la place, et il fut maître aussitôt de la citadelle. La femme de trente ans n’est pas une création tout à fait imprévue. Depuis qu’il existe une société civilisée, la femme de cet âge y a tenu une grande place, la première peut-être. Dans ce xviiie siècle qui avait eu le temps de tout raffiner, il se donna à la Cour, au mardi-gras de 1763, un bal qu’on appela le Bal des mères ; la jeunesse, à proprement parler, fut spectatrice, et il n’y eut que les femmes de trente ans qui dansèrent. On fit à ce sujet une jolie chanson :

Il est plus d’un mois pour les fleurs,
Et toutes les roses sont sœurs.


Voici le plus joli couplet de cette agréable chansonnette :

Belles qui formez des projets,
Trente ans est pour vous le bel âge ;
Vous n’en avez pas moins d’attraits,
Vous en connaissez mieux l’usage :
C’est le vrai moment d’être heureux ;
On plaît autant, on aime mieux.
On Enfants de quinze ans,
OLaissez danser vos mamans !


C’était le refrain. On voit comment le xviiie siècle prenait encore légèrement cette réhabilitation en forme, qui ne dura qu’une soirée. Mais le xixe siècle devait renchérir, et la théorie de la femme de trente ans, avec tous ses avantages, ses supériorités et ses perfections définitives, ne date que d’aujourd’hui. M. de Balzac en est l’inventeur, et c’est là une de ses découvertes les plus réelles dans l’ordre du roman intime. La clef de son immense succès était tout entière dans ce premier petit chef-d’œuvre[2]. Les femmes lui passèrent ensuite bien des choses et le crurent, en toute rencontre, sur parole, pour avoir, une première fois, si bien deviné.

Si rapide et si grand qu’ait été le succès de M. de Balzac en France, il fut peut-être plus grand encore et plus incontesté en Europe. Les détails qu’on pourrait donner à cet égard sembleraient fabuleux, et ne seraient que vrais. Oui, M. de Balzac a peint les mœurs de son temps, et son succès même en serait une des plus curieuses peintures. Il y a plus de deux siècles déjà, en 1624, Honoré d’Urfé (l’auteur du fameux roman de l’Astrée), qui vivait en Piémont, reçut une lettre très-sérieuse qui lui était adressée par vingt-neuf princes ou princesses et dix-neuf grands seigneurs ou dames d’Allemagne ; les susdits personnages l’informaient qu’ils avaient pris les noms des héros et des héroïnes de l’Astrée, et s’étaient constitués en Académie des vrais amants ; ils demandaient avec instance la suite de l’ouvrage. Ce qui est arrivé là à d’Urfé s’est renouvelé à la lettre pour M. de Balzac. Il y a eu un moment où, à Venise, par exemple, la société qui s’y trouvait réunie imagina de prendre les noms de ses principaux personnages, et de jouer leur jeu. On ne vit, pendant toute une saison, que Rastignacs, duchesses de Langeais, duchesses de Maufrigneuse, et l’on assure que plus d’un acteur ou actrice de cette comédie de société tint à pousser son rôle jusqu’au bout. Telle est la loi assez ordinaire dans ces influences réciproques entre le peintre et ses modèles : le romancier commence, il touche le vif, il l’exagère un peu ; la société se pique d’honneur et exécute ; et c’est ainsi que ce qui avait pu paraître d’abord exagéré finit par n’être plus que vraisemblable.

Ce que je dis de Venise se reproduit à des degrés divers en différents lieux. En Hongrie, en Pologne, en Russie, les romans de M. de Balzac faisaient loi. À cette distance, la portion légèrement fantastique qui s’y mêle à la réalité, et qui de près en compromettait le plein succès auprès des esprits difficiles, disparaissait ou même n’était qu’un attrait de plus. Par exemple, ces ameublements riches et bizarres, où il entassait au gré de son imagination les chefs-d’œuvre de vingt pays et de vingt époques, devenaient une réalité après coup ; on copiait avec exactitude ce qui nous semblait à nous un rêve d’artiste millionnaire ; on se meublait à la Balzac. Comment l’artiste serait-il resté insensible et sourd à ces mille échos de la célébrité, et n’y aurait-il pas entendu l’accent de la gloire ?

Il y croyait, et ce sentiment d’une ambition, du moins élevée, lui a fait tirer de son organisation forte et féconde tout ce qu’elle contenait de ressources et de productions en tout genre. M. de Balzac avait le corps d’un athlète et le feu d’un artiste épris de la gloire ; il ne lui fallut pas moins pour suffire à sa tâche immense. Ce n’est que de nos jours qu’on a vu de ces organisations énergiques et herculéennes se mettre, en quelque sorte, en demeure de tirer d’elles-mêmes tout ce qu’elles pourraient produire, et tenir durant vingt ans la rude gageure. Quand on lit Racine, Voltaire, Montesquieu, on n’a pas trop l’idée de se demander s’ils étaient ou non robustes de corps et puissants d’organisation physique. Buffon était un athlète, mais son style ne le dit pas. Les écrivains de ces âges plus ou moins classiques n’écrivaient qu’avec leur pensée, avec la partie supérieure et tout intellectuelle, avec l’essence de leur être. Aujourd’hui, par suite de l’immense travail que l’écrivain s’impose et que la société lui impose à courte échéance, par suite de la nécessité où il est de frapper vite et fort, il n’a pas le temps d’être si platonique ni si délicat. La personne de l’écrivain, son organisation tout entière s’engage et s’accuse elle-même jusque dans ses œuvres ; il ne les écrit pas seulement avec sa pure pensée, mais avec son sang et ses muscles. La physiologie et l’hygiène d’un écrivain sont devenues un des chapitres indispensables dans l’analyse qu’on fait de son talent.

M. de Balzac se piquait d’être physiologiste, et il l’était certainement, bien qu’avec moins de rigueur et d’exactitude qu’il ne se l’imaginait ; mais la nature physique, la sienne et celle des autres, joue un grand rôle et se fait sentir continuellement dans ses descriptions morales. Ce n’est pas un blâme que je lui adresse, c’est un trait qui affecte et caractérise toute la littérature pittoresque de ce temps-ci. Un jour, M. Villemain, bien jeune encore, lisait à Sieyès son Éloge de Montaigne, ce charmant éloge, le premier qu’il ait composé, et si plein de légèreté et de fraîcheur. Quand il en fut de sa lecture au passage où il dit : « Mais je craindrais, en lisant Rousseau, d’arrêter trop longtemps mes regards sur de coupables faiblesses, qu’il faut toujours tenir loin de soi… » Sieyès l’interrompit en disant : « Mais non, il vaut mieux les laisser approcher de soi, pour pouvoir les étudier de plus près. » Le physiologiste, avant tout curieux, venait ici à la traverse du littérateur qui veut le goût avant tout. Le dirai-je ? je suis comme Sieyès.

C’est dire aussi que je suis un peu comme M. de Balzac. Mais je l’arrête pourtant, je m’arrête moi-même sur deux points. J’aime de son style, dans les parties délicates, cette efflorescence (je ne sais pas trouver un autre mot) par laquelle il donne à tout le sentiment de la vie et fait frissonner la page elle-même. Mais je ne puis accepter, sous le couvert de la physiologie, l’abus continuel de cette qualité, ce style si souvent chatouilleux et dissolvant, énervé, rosé, et veiné de toutes les teintes, ce style d’une corruption délicieuse, tout asiatique comme disaient nos maîtres, plus brisé par places et plus amolli que le corps d’un mime antique. Pétrone, du milieu des scènes qu’il décrit, ne regrette-t-il pas quelque part ce qu’il appelle oratio pudica, le style pudique et qui ne s’abandonne pas à la fluidité de tous les mouvements ?

Un autre point sur lequel j’arrête en M. de Balzac le physiologiste et l’anatomiste, c’est qu’en ce genre il a pour le moins autant imaginé qu’observé. Anatomiste délicat au moral, il a certainement trouvé des veines neuves ; il a découvert et comme injecté des portions de vaisseaux lymphatiques encore inaperçus jusqu’alors : mais il en invente aussi. Il y a un moment où, dans son analyse, le plexus véritable et réel finit et où le plexus illusoire commence, et il ne les distingue pas : la plupart de ses lecteurs, et surtout de ses lectrices, les ont confondus comme lui. Ce n’est pas le lieu ici d’insister sur ces points de séparation. Mais, on le sait, M. de Balzac a un faible déclaré pour les Swedenborg, les Van-Helmont, les Mesmer, les Saint-Germain et les Cagliostro en tout genre : c’est dire qu’il est sujet à illusion. En un mot, pour suivre mon image toute physique et anatomique, je dirai : Quand il tient la carotide de son sujet, il l’injecte à fond avec fermeté et vigueur ; mais quand il est à faux, il injecte tout de même et pousse toujours, créant, sans trop s’en apercevoir, des réseaux imaginaires.

M. de Balzac avait la prétention de la science, mais ce qu’il avait surtout en effet, c’était une sorte d’intuition physiologique. M. Chasles l’a très-bien dit : « On a répété à outrance que M. de Balzac était un observateur, un analyste ; c’était mieux ou pis, c’était un voyant. » Ce qu’il n’avait pas vu du premier coup, il le manquait d’ordinaire ; la réflexion ne le lui rendait pas. Mais que de choses aussi il savait voir et dévorer d’un seul coup d’œil ! Il venait, il causait avec vous ; lui, si enivré de son œuvre, et, en apparence, si plein de lui-même, il savait interroger à son profit, il savait écouter ; mais, même quand il n’avait pas écouté, quand il semblait n’avoir vu que lui et son idée, il sortait ayant emporté de là, ayant absorbé tout ce qu’il voulait savoir, et il vous étonnait plus tard à le décrire.

J’ai dit qu’il était comme enivré de son œuvre ; et, en effet, dès sa jeunesse, il n’en sortait pas, il y habitait. Ce monde, qu’il avait à demi observé, à demi créé en tous sens ; ces personnages de toute classe et de toute qualité qu’il avait doués de vie, se confondaient pour lui avec le monde et les personnages de la réalité, lesquels n’étaient plus guère qu’une copie affaiblie des siens. Il les voyait, il causait avec eux, il vous les citait à tout propos comme des personnages de son intimité et de la vôtre ; il les avait si puissamment et si distinctement créés en chair et en os, qu’une fois posés et mis en action, eux et lui ne s’étaient plus quittés : tous ces personnages l’entouraient, et, aux moments d’enthousiasme, se mettaient à faire cercle autour de lui et à l’entraîner dans cette immense ronde de la Comédie humaine qui nous donne un peu le vertige, rien qu’à la regarder en passant, qui le donnait à son auteur tout le premier.

La puissance propre à M. de Balzac a besoin d’être définie : c’était celle d’une nature riche, copieuse, opulente, pleine d’idées, de types et d’inventions, qui récidive sans cesse et n’est jamais lasse ; c’était cette puissance-là qu’il possédait et non l’autre puissance, qui est sans doute la plus vraie, celle qui domine et régit une oeuvre, et qui fait que l’artiste y reste supérieur comme à sa création. On peut dire de lui qu’il était en proie à son œuvre, et que son talent l’emportait souvent comme un char lancé à quatre chevaux. Je ne demande pas qu’on soit précisément comme Goethe et qu’on ait toujours son front de marbre au-dessus de l’ardent nuage ; mais lui, M. de Balzac, il voulait (et il l’a écrit) que l’artiste se précipitât dans son œuvre tête baissée, comme Curtius dans le gouffre. De telles allures de talent impliquent bien de la verve et de la fougue, mais aussi du hasard et beaucoup de fumée.

Pour exposer sa vraie théorie littéraire, il ne faudrait d’ailleurs qu’emprunter ses paroles : si je prends, par exemple, les Parents pauvres, son dernier roman et l’un des plus vigoureux, publié dans ce journal même[3], j’y trouve, à propos de l’artiste polonais Wenceslas Steinbock, les idées favorites de l’auteur et tous ses secrets, s’il eut jamais des secrets. Pour lui, « un grand artiste aujourd’hui, c’est un prince qui n’est pas titré ; c’est la gloire et la fortune. » Mais cette gloire ne s’acquiert pas en se jouant ni en rêvant ; elle est le prix du travail opiniâtre et de l’ardeur appliquée : « Vous avez des idées dans la cervelle ? la belle affaire ! et moi aussi j’ai des idées… À quoi sert ce qu’on a dans l’âme, si l’on n’en tire aucun parti ? » Voilà ce qu’il pensait, et aussi ne s’épargna-t-il jamais le travail acharné de l’exécution. Concevoir, disait-il, c’est jouir, c’est fumer des cigarettes enchantées ; mais sans l’exécution tout s’en va en rêve et en fumée : « Le travail constant, a-t-il dit encore, est la loi de l’art comme celle de la vie : car l’art, c’est la création idéalisée. Aussi les grands artistes, les poètes, n’attendent-ils ni les commandes, ni les chalands ; ils enfantent aujourd’hui, demain, toujours. Il en résulte cette habitude du labeur, cette perpétuelle connaissance des difficultés qui les maintient en concubinage avec la Muse, avec ses forces créatrices. Canova vivait dans son atelier comme Voltaire a vécu dans son cabinet. Homère et Phidias ont dû vivre ainsi. » J’ai voulu exprès citer ce passage, parce qu’avec les mérites de vaillance et de labeur qui s’y déclarent et qui honorent M. de Balzac, on y saisit à nu le côté moderne, et la singulière inadvertance par laquelle il dérogeait et attentait aussitôt à cette beauté même qu’il prétendait poursuivre. Non, Homère ni Phidias n’ont pas vécu ainsi en concubinage avec la Muse ; ils l’ont toujours accueillie et connue chaste et sévère.

« Le beau en tout est toujours sévère, » a dit M. de Bonald. Quelques paroles de cette autorité me sont nécessaires ; elles sont comme les colonnes immuables et sacrées que je tiens seulement à montrer du doigt dans le lointain, pour que notre admiration même et notre hommage de regret envers un homme d’un merveilleux talent n’aillent pas se jouer au delà des bornes permises.

M. de Balzac parle encore quelque part de ces artistes qui ont « un succès fou, un succès à écraser les gens qui n’ont pas des épaules et des reins pour le porter ; ce qui, par parenthèse dit-il, arrive souvent. » En effet, il est pour l’artiste une épreuve plus redoutable encore que la grande bataille qu’il doit tôt ou tard livrer, c’est le lendemain de la victoire. Pour soutenir cette victoire, pour porter cette vogue, n’en être ni effrayé ni découragé, ne pas défaillir et ne pas abdiquer sous le coup comme fit Léopold Robert, il faut avoir une force réelle, et se sentir arrivé seulement à son niveau. M. de Balzac avait ce genre de force, et il l’a prouvé.

Quand on lui parlait de la gloire, il en acceptait le mot et mieux que l’augure ; il en parlait lui-même quelquefois agréablement : « La gloire, disait-il un jour, à qui en parlez-vous ? je l’ai connue, je l’ai vue. Je voyageais en Russie avec quelques amis. La nuit vient, nous allons demander l’hospitalité à un château. À notre arrivée, la châtelaine et ses dames de compagnie s’empressent ; une de ces dernières quitte, dès le premier moment, le salon pour aller nous chercher des rafraîchissements. Dans l’intervalle, on me nomme à la maîtresse de la maison ; la conversation s’engage, et quand celle des dames qui était sortie rentre, tenant le plateau à la main pour nous l’offrir, elle entend tout d’abord ces paroles : « Eh bien ! monsieur de Balzac, vous pensez donc… » De surprise et de joie elle fait un mouvement, elle laisse tomber le plateau de ses mains, et tout se brise. N’est-ce pas là la gloire ? »

On souriait, il souriait lui-même, et pourtant il en jouissait. Ce sentiment-là le soutenait et l’enflammait dans le labeur. Le plus spirituel et le plus regrettable de ses disciples, M. Charles de Bernard, mort depuis peu, manquait de ce mobile ; il doutait de tout avec ironie et avec goût, et son œuvre si distinguée s’en est ressentie. L’œuvre de M. de Balzac a gagné en verve et en chaleur à l’enivrement même de l’artiste. Une exquise finesse trouvait moyen de se glisser à travers cet enivrement.

L’Europe tout entière lui était comme un parc où il n’avait qu’à se promener pour y rencontrer des amis, des admirateurs, des hospitalités empressées et somptueuses. Cette petite fleur qu’il vous montrait sèche à peine, il l’avait cueillie l’autre matin en revenant de la Villa-Diodati ; ce tableau qu’il vous décrivait, il l’avait vu hier dans le palais d’un prince romain. Il semblait pour lui que, d’une capitale à l’autre, d’une villa de Rome ou de l’IsoLa-Bella à un château de Pologne ou de Bohême, il n’y eût qu’un pas. Un coup de baguette l’y transportait. On ne peut pas dire pour lui que ce fut là un rêve ; car ce qui sembla longtemps le rêve et l’illusion du poète, une femme dévouée, une de celles qu’il avait divinisées au passage, l’avait réalisé pour lui en bonheur.

Tous les artistes du temps furent ses amis, et il les a presque tous magnifiquement placés dans ses œuvres. Il avait le goût, la passion désœuvrés de l’art, peinture, sculpture, antiques ameublements. Quand il était de loisir (et il trouvait souvent moyen de l’être, livrant ses journées à la fantaisie, consumant ses nuits au travail), il aimait à aller à la chasse de ce qu’il appelait les beaux morceaux. Il connaissait en fureteur tous les magasins de bric-à-brac de l’Europe, et il en discourait à merveille. Aussi, lorsque ensuite il plaçait dans un roman ces masses d’objets qui, chez d’autres, eussent ressemblé à des inventaires, c’était avec couleur et vie, c’était avec amour. Les meubles qu’il décrit ont quelque chose d’animé ; les tapisseries frémissent. Il décrit trop, mais le rayon tombe en général là où il faut. Même lorsque le résultat ne répond pas à l’attention qu’il a paru y donner, il en reste au lecteur l’impression d’avoir été ému. Balzac a le don de la couleur et des fouillis. Par là il a séduit les peintres, qui reconnaissaient en lui un des leurs transplanté et un peu fourvoyé dans la littérature.

Il appréciait peu la critique ; il avait fait sa trouée dans le monde presque malgré elle, et sa fougue n’était pas, je crois, de celles qui se peuvent modérer ni diriger. Il a dit quelque part d’un artiste sculpteur découragé et tombé dans la paresse : « Redevenu artiste in partibus, il avait beaucoup de succès dans les salons, il était consulté par beaucoup d’amateurs ; il passa critique comme tous les impuissants qui mentent à leurs débuts. » Ce dernier trait peut être vrai d’un artiste sculpteur ou peintre qui, au lieu de se mettre à l’œuvre, passe son temps à disserter et à raisonner ; mais, dans l’ordre de la pensée, cette parole de M. de Balzac, qui revient souvent sous la plume de toute une école de jeunes littérateurs, est à la fois (je leur en demande bien pardon) une injustice et une erreur. Pourtant, comme il est toujours très-délicat de démontrer aux gens comme quoi l’on est ou l’on n’est pas impuissant, passons.

Un Aristarque vrai, sincère, intelligent, s’il avait pu le supporter, lui eut été pourtant bien utile ; car cette riche et luxueuse nature se prodiguait et ne se gouvernait pas. Il y a trois choses à considérer dans un roman : les caractères, l’action, le style. Les caractères, M. de Balzac excelle à les poser ; il les fait vivre, il les creuse d’une façon indélébile. Il y a du grossissement, il y a de la minutie, qu’importe ? ils ont en eux de quoi subsister. On fait avec lui de fines, de gracieuses, de coquettes et aussi de très-joyeuses connaissances, on en fait à d’autres jours de très-vilaines ; mais, une fois faites, ni les unes ni les autres, on est bien sûr de ne les oublier jamais. Il ne se contente pas de bien tracer ses personnages, il les nomme d’une façon heureuse, singulière, et qui les fixe pour toujours dans la mémoire. Il attachait la plus grande importance à cette façon de baptiser son monde ; il attribuait, d’après Sterne, aux noms propres une certaine puissance occulte en harmonie ou en ironie avec les caractères. Les Marneffe, les Bixiou, les Birotteau, les Crevel, etc., sont ainsi nommés chez lui en vertu de je ne sais quelle onomatopée confuse qui fait que l’homme et le nom se ressemblent. Après les caractères vient l’action : elle faiblit souvent chez M. de Balzac, elle dévie, elle s’exagère. Il y réussit moins que dans la formation des personnages. Quant au style, il l’a fin, subtil, courant, pittoresque, sans analogie aucune avec la tradition. Je me suis demandé quelquefois l’effet que produirait un livre de M. de Balzac sur un honnête esprit, nourri jusqu’alors de la bonne prose française ordinaire dans toute sa frugalité, sur un esprit comme il n’y en a plus, formé à la lecture de Nicole, de Bourdaloue, à ce style simple, sérieux et scrupuleux, qui va loin, comme disait La Bruyère : un tel esprit en aurait le vertige pendant un mois. La Bruyère a dit encore qu’il n’y a pour toute pensée qu’une seule expression qui soit la bonne, et qu’il faut la trouver. M. de Balzac, en écrivant, semble ignorer ce mot de La Bruyère. Il a des suites d’expressions vives, inquiètes, capricieuses, jamais définitives, des expressions essayées et qui cherchent. Ses imprimeurs le savent bien ; en faisant imprimer ses livres, il remaniait, il refaisait sur chaque épreuve à n’en plus finir. Chez lui le moule même était dans un bouillonnement continuel, et le métal ne s’y fixait pas. Il avait trouvé la forme voulue, qu’il la cherchait encore.

La critique la plus cordiale, celle d’un ami, d’un camarade, comme il l’était de Louis Lambert, aurait-elle jamais pu lui faire accepter quelques idées de sobriété relative, et les lui introduire dans le torrent de son talent, pour qu’il le contînt et le réglât un peu ? Sans prétendre le détourner en rien de sa voie féconde, j’aurais voulu qu’il eût présents à l’esprit quelques axiomes que je crois essentiels en tout art, en toute littérature :

« La netteté est le vernis des maîtres. »

(Vauvenargues.)

« L’œuvre d’art ne doit exprimer que ce qui élève l’âme, la réjouit noblement, et rien de plus. Le sentiment de l’artiste ne doit porter que là-dessus, tout le reste est faux. »

(Bettine a la mère de Goethe.)

« Le bon sens et le génie sont de la même famille : l’esprit n’est qu’un collatéral. »

(Bonald.)

Enfin, lui, qui admirait tant Napoléon, et que ce grand exemple, transposé et réfléchi dans la littérature, éblouissait comme il en a ébloui tant d’autres, j’aurais voulu qu’il laissât de côté, une bonne fois, ces comparaisons, ces émulations insensées et à l’usage des enfants, et, s’il lui fallait absolument chercher son idéal de puissance dans les choses militaires, qu’il se posât quelquefois cette question, bien faite pour trouver place dans toute bonne rhétorique française : « Lequel est le plus beau, un conquérant d’Asie entraînant à sa suite des hordes innombrables, ou M. de Turenne défendant le Rhin à la tête de trente mille hommes ? »

Ne forçons point les natures, et, puisque la mort a fermé la carrière, acceptons, du talent qui n’est plus, l’héritage opulent et complexe qu’il nous a légué. L’auteur d’Eugénie Grandet vivra. Le père, j’allais dire l’amant, de Mme de Vieuménil, de Mme de Beauséant, gardera sa place sur la tablette du boudoir la plus secrète et la plus choisie. Ceux qui cherchent joie, gaieté, épanouissement, la veine satirique et franche du Tourangeau rabelaisien, ne sauraient méconnaître les illustres Gaudissart, les excellents Birotteau et toute leur race. Il y en a, comme on voit, pour chacun. Si j’avais l’espace devant moi, j’aimerais à parler ici du dernier roman de M. de Balzac, l’un des plus remarquables, à mon sens, sinon des plus flatteurs pour la société actuelle. Les Parents pauvres nous montrent ce talent vigoureux arrivé à sa plus forte maturité et se donnant toute carrière. Il surabonde, il nage, il semble en plein dans ses eaux. On n’a jamais plus étalé ni secoué le sens-dessus-dessous de la guenille humaine. La première partie de ce roman (la Cousine Bette) présente des caractères d’une grande vérité, et aussi des exagérations telles qu’en a presque inévitablement l’auteur. Bette toute la première, qui donne son nom au roman, est une de ces exagérations : il ne semble pas que cette pauvre personne qu’on a vue d’abord une simple paysanne des Vosges, mal vêtue, mal mise, rude, un peu envieuse, mais non pas méchante ni scélérate, soit la même qui se transforme à un certain moment en personne du monde presque belle, et de plus si perverse et si infernale, un vrai Iago ou un Richard III femelle ! Cela ne se passe point ainsi dans la vie ; cette fille est de la race des Ferragus et des Treize. Notre société gâtée et vicieuse ne comporte point de ces haines atroces et de ces vengeances. Nos péchés certes ne sont pas mignons, nos crimes pourtant sont moins gros. Mais d’autres caractères du roman sont vrais, profondément vrais, et avant tout le baron Hulot, avec cet amour effréné des femmes qui mène de degré en degré l’honnête homme au déshonneur et le vieillard à l’avilissement ; et Crevel, excellent de tout point, de ton, de geste, de plaisanterie, le vice bourgeois dans toute sa tenue et son importance. Car ici, notons-le bien, nous n’avons plus affaire seulement aux travers, aux ridicules, ni même aux folies humaines, c’est le vice qui est le ressort, c’est la dépravation sociale qui fait la matière du roman. L’auteur y plonge ; à voir sa verve, on dirait même par endroits qu’il s’y joue. Quelques scènes élevées, pathétiques, arrachent une larme ; mais les scènes atroces dominent ; la sève de l’impur déborde ; ces infâmes Marneffe infectent tout. Ce remarquable roman, étudié à part, prêterait à des réflexions qui n’atteindraient pas M. de Balzac lui seul, mais nous tous, enfants plus ou moins mystérieux ou avoués d’une littérature sensuelle. Les uns, fils de René, ont caché et comme ennuagé leur sensualisme sous le mysticisme ; les autres l’ont franchement démasqué.

M. de Balzac a souvent pensé à Walter Scott, et le génie du grand romancier écossais l’a vivement excité, dit-il. Mais, au milieu de cette œuvre immense de l’aimable enchanteur, n’avait-il donc pas reconnu, selon l’heureuse expression de M. de Lamartine,

Les nobles sentiments s’élevant de ces pages.
Comme autant de parfums des odorantes plages ?


N’avait-il pas respiré ce charme universel de pureté et comme de santé, ces courants d’air salubre qui y circulent, même à travers le conflit des passions humaines ? On sent d’abord le besoin d’aller s’y retremper, d’aller se jeter dans quelque lecture limpide et saine au sortir des Parents pauvres, — de se plonger dans quelque chant de Milton, in lucid streams, dans les purs et lucides courants, comme dit le poëte.

Il y aurait, dans un travail moins incomplet, et si l’on était libre de se donner carrière, à bien établir et à graduer les rapports vrais entre le talent de M. de Balzac et celui de ses plus célèbres contemporains, Mme Sand, Eugène Sue, Alexandre Dumas. En un tout autre genre, mais avec une vue de la nature humaine qui n’est pas plus en beau ni plus flattée, M. Mérimée pourrait se prendre comme opposition de ton et de manière, comme contraste.

M. Mérimée n’a peut-être pas une meilleure idée de la nature humaine que M. de Balzac, et, si quelqu’un a semblé la calomnier, ce n’est pas lui certes qui la réhabilitera. Mais c’est un homme de goût, de tact, de sens exact et rigoureux, qui, même dans l’excès de l’idée, garde la retenue et la discrétion de la manière ; qui a autant le sentiment personnel du ridicule que M. de Balzac l’avait peu, et en qui, au milieu de tout ce qu’on admire de netteté, de vigueur de trait et de précision de burin, on ne peut regretter qu’un peu de cette verve, dont l’autre avait trop. On dirait qu’en lui l’homme du monde accompli, l’honnête homme, comme on s’exprimait autrefois, a tenu de bonne heure l’artiste en échec.

Mme Sand, est-il besoin de le rappeler ? est un plus grand, plus sûr et plus ferme écrivain que M. de Balzac : elle ne tâtonne jamais dans l’expression. C’est un grand peintre de nature et de paysage. Comme romancier, ses caractères sont souvent bien saisis à l’origine, bien dessinés ; mais ils tournent vite à un certain idéal qui rentre dans l’école de Rousseau, et qui touche au systématique. Ses personnages ne vivent pas d’un bout à l’autre ; il y a un moment où ils passent à l’état de type. Elle ne calomnie jamais la nature humaine, elle ne l’embellit pas non plus ; elle veut la rehausser, mais elle la force et la distend en visant à l’agrandir. Elle s’en prend surtout à la société, et déprime des classes entières, pour faire valoir quand même des individus, qui restent encore, malgré tout, à demi abstraits. En un mot, cette sûreté de maître qu’elle porte dans l’expression et la description, elle ne l’a pas également dans la réalisation de ses caractères. Ceci soit dit avec toutes les réserves convenables pour tant de situations et de scènes charmantes et naturelles. Quant au style, c’est chez elle un don de première qualité et de première trempe.

M. Eugène Sue (laissons de côté le socialiste et ne parlons que du romancier) est peut-être l’égal de M. de Balzac en invention, en fécondité et en composition. Il dresse à merveille de grandes charpentes ; il a des caractères qui vivent aussi, et qui, bon gré, mal gré, se retiennent ; surtout il a de l’action et des machines dramatiques qu’il sait très-bien faire jouer. Mais les détails sont faibles souvent ; ils sont assez nombreux et variés, mais moins fins, moins fouillés, d’une observation bien moins originale et moins neuve que chez M. de Balzac. Il a aussi de la gaieté et rencontre en ce genre des types heureux et naturels ; mais, de plus, il aime, il affecte les excentricités et se plaît trop à les décrire. Chez l’un comme chez l’autre, il faut faire bon marché de la nature saine : ils opèrent volontiers sur le gâté ou le factice. Eugène Sue ne sait pas autant écrire que Balzac, ni aussi bien, ni même aussi mal, et aussi subtilement dans le mal. Enfin il a eu le tort de ne pas se livrer uniquement aux instincts de sa nature propre, et de consulter les systèmes du jour, de les professer dans ses derniers romans, ce que M. de Balzac n’a jamais fait. Au moins lui, il n’a obéi qu’à ses instincts, à ses inspirations favorites, et s’y est livré de plus en plus en artiste qui ne transige pas. En fait de torrent, M. de Balzac n’a jamais suivi que le sien.

Quant à M. Dumas, tout le monde sait sa verve prodigieuse, son entrain facile, son bonheur de mise en scène, son dialogue spirituel et toujours en mouvement, ce récit léger qui court sans cesse et qui sait enlever l’obstacle et l’espace sans jamais faiblir. Il couvre d’immenses toiles sans fatiguer jamais ni son pinceau ni son lecteur. Il est amusant. Il embrasse, mais n’étreint pas comme M. de Balzac.

Des trois derniers, M. de Balzac est celui qui étreint et qui creuse le plus.

La Révolution de Février avait porté un coup sensible à M. de Balzac. Tout l’édifice de la civilisation raffinée, telle qu’il l’avait rêvée toujours, semblait s’écrouler ; l’Europe un moment, son Europe à lui, allait lui manquer comme la France. Cependant il se relevait déjà, et méditait de peindre à bout portant cette société nouvelle sous la quatrième forme dans laquelle elle se présentait à lui. Je pourrais tracer ici l’esquisse de son futur roman, son dernier roman en projet, dont il ne parlait qu’avec flamme. Mais à quoi bon un songe de plus ? Il est mort d’une maladie de cœur, comme meurent aujourd’hui tant d’hommes parmi ceux qui ont trop ardemment labouré la vie. C’est au même mal qu’avait succombé, il y a trois ans à peine, Frédéric Soulié, qu’il serait injuste d’oublier, dès l’instant qu’on groupe les principaux chefs de cette littérature.

Peut-être, sur la tombe d’un des plus féconds d’entre eux, du plus inventif assurément qu’elle ait produit, c’est l’heure de redire que cette littérature a fourni son école et fait son temps ; elle a donné ses talents les plus vigoureux, presque gigantesques ; tant bonne que mauvaise, on peut penser aujourd’hui que le plus fort de sa sève est épuisé. Qu’elle fasse trêve du moins, qu’elle se repose ; qu’elle laisse aussi à la société le temps de se reposer après l’excès, de se recomposer dans un ordre quelconque, et de présenter à d’autres peintres, d’une inspiration plus fraîche, des tableaux renouvelés. Une terrible émulation et comme un concours furieux s’était engagé dans ces dernières années entre les hommes les plus vigoureux de cette littérature active, dévorante, inflammatoire. Le mode de publication en feuilletons, qui obligeait, à chaque nouveau chapitre, de frapper un grand coup sur le lecteur, avait poussé les effets et les tons du roman à un diapason extrême, désespérant, et plus longtemps insoutenable. Remettons-nous un peu. En admirant le parti qu’ont su tirer souvent d’eux-mêmes des hommes dont le talent a manqué des conditions nécessaires à un développement meilleur, souhaitons à l’avenir de notre société des tableaux non moins vastes, mais plus apaisés, plus consolants, et à ceux qui les peindront une vie plus calmante et des inspirations non pas plus fines, mais plus adoucies, plus sainement naturelles et plus sereines.


  1. Voir dans la Revue parisienne de M. de Balzac, du 25 août 1840, l’article qui me concerne. Si je l’ai oublié, qu’on sache bien que je ne crains pis que d’autres s’en souviennent. De pareils jugements ne jugent dans l’avenir que ceux qui les ont portés.
  2. Ne le lisez, je vous prie, que dans les premières éditions ; l’auteur me l’a gâté en le voulant amplifier depuis.
  3. Les Parents pauvres parurent d’abord en feuilletons dans le Constitutionnel.