Causeries du lundi/Tome II/M. Bazin

Causeries du lundiGarnier frèresTome deuxième (p. 464-485).

Lundi 9 septembre 1850

M.  BAZIN.

Le 23 du mois dernier, est mort dans la force de l’âge un homme dont le nom et les œuvres n’étaient guère connus que de ceux qui s’occupent des productions de l’esprit, mais qui était fort apprécié par les meilleurs juges, d’une intelligence rare, élevée, étendue et sérieuse, d’un goût fin, curieux, quelquefois singulier, mais distingué toujours, d’un caractère à part, ironique et original ; écrivain des plus spirituels et des moins communs, et qu’il serait injuste de traiter comme il semblait par moments désirer qu’on le fit, c’est-à-dire par l’omission et le silence.

Les principaux écrits de M. Bazin sont (je les range par ordre d’intérêt et d’importance) :

Une Histoire de France sous Louis XIII, et sous le ministère du Cardinal Mazarin, grande composition qui parut en deux parties, les quatre volumes qui traitent de Louis XIII en 1838, et les deux qui traitent de Mazarin, en 1842. Cette Histoire, dont l’auteur a donné depuis (en 1846) une seconde édition revue et définitive, a commencé, dès 1840, à obtenir le second des prix Gobert que l’Académie française décerne chaque année aux deux meilleurs ouvrages qui traitent de l’Histoire de France. Pendant dix ans, M. Bazin a paru digne de garder son rang après M. Augustin Thierry, et son nom était encore proclamé par M. Villemain dans la séance publique du 8 août, quand il allait mourir le 23.

2° Des Études d’Histoire et de Biographie, recueillies en un volume (1844). Ce sont des morceaux agréables et piquants, publiés la plupart dans des Revues et concernant des personnages qui se rattachent plus ou moins à l’époque traitée par l’historien : Sully, Henri IV, l’ancien Balzac, Bussy-Rabutin, etc. ; il y manque deux morceaux très-neufs sur Molière, insérés depuis dans la Revue des Deux Mondes (juillet 1847 et janvier 1848).

3° Deux volumes d’Études de mœurs, intitulés : l’Époque sans nom (1833). Sous ce titre un peu solennel, l’auteur ne fait autre chose que donner des esquisses morales, satiriques, ingénieuses, très-fines et assez justes, le résultat de ses observations quand il se promène en flâneur dans Paris. C’est un joli livre dans le genre de Duclos, et qui peint bien l’aspect des mœurs à sa date.

4° Enfin un volume que je ne mentionne que pour ne pas être incomplet, un roman historique intitulé : la Cour de Marie de Médicis, Mémoires d’un Cadet de Gascogne (1830). L’auteur, selon la mode du moment qui encourageait ces sortes de pastiches, suppose qu’un cadet de Gascogne, venu à Paris au début du règne de Louis XIII, et pendant la faveur du maréchal d’Ancre, raconte ses premières aventures. Le livre est froid et mérite peu d’être relu.

Mais les trois autres publications constituent une œuvre véritable, digne de trouver place dans toute bonne bibliothèque moderne, et elles assurent un rang distingué à M. Bazin comme historien, comme critique littéraire et observateur moraliste.

Qu’était-il donc cet homme qui, avec des talents rares, s’est tenu exactement sur la limite de la considération et de la célébrité, et comme en défiance de celle-ci ; qui était si goûté et si apprécié du nombre restreint de ceux qui l’approchaient, et si facilement ignoré des autres ? Il faut absolument que je fasse ce qu’il détestait le plus quand cela n’était pas à deux siècles au moins de distance, une biographie ou du moins quelque chose qui y ressemble, et qui rende quelque vie, quelque physionomie, à ce qui de soi seul parlerait peu.

Anaïs de Raucou naquit à Paris le 8 pluviôse an v (1797), ce qui nous reporte en plein Directoire. Une ordonnance royale, en date du 23 avril 1834, l’autorisa à ajouter à son nom celui de M. Bazin, son bienfaiteur, « et à s’appeler désormais Bazin de Raucou. » On l’avait toujours connu, d’ailleurs, sous ce premier nom. Mais il n’est pas douteux que l’importance excessive qu’il attacha à l’irrégularité que le Bulletin des Lois laisse entrevoir et que nous n’avons pas ici à démêler, n’ait influé beaucoup sur son naturel et ne donne la clef de plus d’une singularité, inexplicable autrement, dans son caractère. Quoi qu’il en soit de ce coin réservé, son père, riche avoué de la rue Vivienne, soigna son éducation ; l’enfant fut mis en pension chez M. Lepitre, où l’on faisait de bonnes études, et où l’on prenait en même temps je ne sais quel avant-goût de royalisme jusque sous l’Empire. Le jeune Bazin conçut de bonne heure l’aversion du régime qu’il voyait finir ; il était encore au collège, qu’il se permit un jour, m’assure-t-on, quelque espièglerie poétique qui courut, quelque Napoléone au petit pied, qui eut l’honneur d’inquiéter la police impériale. Cependant il faisait d’excellentes études au lycée Charlemagne, où M. Cousin, cet autre élève de la pension Lepitre, l’avait précédé avec éclat, et où les plus brillants élèves du temps se rassemblaient autour de la chaire de rhétorique qu’illustrait déjà le jeune Villemain. M. Bazin était un des plus fameux et des plus destinés aux couronnes. Les événements de 1814 interrompirent brusquement ces joutes universitaires. M. Bazin avait dix-sept ans ; il épousa vivement la Restauration et entra dans les gardes-du-corps.

Il fit tout ce que purent faire les gardes-du-corps en 1814, dans cette première et courte Restauration, et il alla sans doute, comme les autres, escorter les princes fugitifs jusqu’à Béthune. Cette année dut lui être féconde et lui profiter en ironie et en expérience. Après les Cent-Jours, il ne reprit pas de service et se voua sérieusement à la profession d’avocat. Il parait avoir aimé cette profession, où il conquit l’estime et se fit considérer ; il en garda quelques amis de jeunesse, parmi lesquels on me cite MM. Baroche, Delangle et Bethmont. Dans les esquisses de mœurs qui composent son Époque sans nom, il émousse son épigramme quand il arrive au Palais-de-Justice. Il remarque que nulle part il ne se rencontre plus de cordialité, plus de facilite de commerce et d’égalité véritable qu’entre avocats : « Nulle part, dit-il, la réputation, l’âge, le talent, ne font moins sentir leur supériorité et n’exigent moins de déférence que dans cette corporation singulière où les relations sont presque toujours hostiles. » Pourtant, avec tous les mérites solides et fins qu’il allait posséder, et en partie à cause de ces mérites mêmes, il manquait de ce qui procure le succès au barreau ; quand il avait donné les bonnes raisons en bons termes, il ne savait pas se répéter et au besoin en trouver d’autres : « Le juge y compte, dit-il malicieusement ; et peut-être l’avocat qui serait le plus disposé à s’en corriger, est-il obligé de reproduire une seconde série des mêmes raisonnements, quand il voit que le tribunal n’a pas écouté la première. Un autre obstacle encore à la concision des plaidoiries, c’est l’exigence du client, qui n’est jamais content, même d’avoir gagné sa cause, lorsque son défenseur n’a pas développé longuement tous les faits inutiles, toutes les circonstances oiseuses, tous les commérages qui pouvaient la lui faire perdre.» Il y a longtemps déjà que Pline, dans une lettre adressée à Tacite, a très-bien exposé comment il importe grandement, selon lui, à l’avocat de plaider avec diffusion et surabondance, s’il veut réussir : tel qui ne prend pas d’abord à la bonne raison qu’on allègue, sera pris à une autre qui l’est moins. Or, M. Bazin aimait avant tout la concision et la discrétion, les choses justes qui ne s’adressent qu’aux esprits faits pour les sentir.

Avec une intelligence qui se formait et s’étendait chaque jour, avec une aptitude d’esprit qui pouvait s’appliquer à bien des objets, mais sans aucun de ces talents et de ces dons impétueux qui se déclarent d’eux-mêmes, il cherchait son propre emploi, et tâtonnait un peu sur sa direction. Il essaya dans un temps, me dit-on, du genre de comédie à la Gresset ; il aurait trouvé sans doute d’heureux vers, peut-être une scène ; mais la veine comique n’était pas son fait. Il aurait eu plus volontiers en main la satire. En attendant, il s’exerçait dans les Concours académiques. En 1820, sur le sujet proposé, qui était une sorte de parallèle entre l’Éloquence de la tribune et celle du barreau, il se mit en frais inutilement. En 1822, dans le Concours sur Le Sage, il eut une première mention, laquelle ne venait toutefois qu’après deux prix et un accessit. Bref, ou plutôt à la longue, cette voie des Concours académiques le mena à obtenir, après 1830, le prix pour l’Éloge de Malesherbes. Je ne me permettrai ici qu’une remarque : de tous les écrivains distingués de nos jours, il n’en est, j’en suis certain, aucun qui ait lait plus d’épigrammes contre l’Académie française que M. Bazin. Dans tout ce qu’il a écrit, il n’a perdu aucune occasion de décocher contre elle son trait malicieux. Je me suis amusé, en le relisant, à relever les endroits dans ses œuvres ; ils sont innombrables. Tantôt, à propos des solennités de réception, il déclare doucement et d’un ton de doléance que « le temps est passé, il faut bien en convenir, de ces réunions brillantes que la mode comptait parmi ses fêtes. » Tantôt, faisant allusion aux prix annuels, il plaisante dédaigneusement l’Académie « qui décerne en médaille d’or son aumône de gloire aux pauvres honteux de la littérature. » Il est inépuisable sur ce sujet-là. Voulant en venir à publier son propre Discours qui a obtenu le prix, il commence par en railler les circonstances, par montrer ce prix en l’honneur de Malesherbes proposé sous la monarchie légitime et décerné sous la dynastie de Juillet, non sans avoir été quelque peu modifié dans ses conditions et dans son programme. Il fait en petit comme Cicéron et comme Chateaubriand, qui se moquaient l’un du triomphe, et l’autre du Cordon-Bleu, tout en ambitionnant de les obtenir. Or, je vous en prie, où toute cette petite guerre inaperçue a-t-elle conduit M. Bazin ? À être pendant dix années le lauréat proclamé et bien renté de l’Académie, le lauréat inamovible. Lui, qui avait si peur de paraître tomber comme un autre, comme un de nous tous, dans quelque contradiction avec lui-même, il n’a pas échappé à celle-là.

Il est vrai que, par un reste de fidélité à ses épigrammes, il n’a jamais cédé aux suggestions amicales qui lui furent faites plus d’une fois de se mettre sur les rangs pour un fauteuil, bien qu’il réunît certainement à cet effet toutes les qualités à la fois solides, sérieuses, distinguées et même mitigées, qu’on préfère ou qu’on exige.

Je reviens à lui, tel qu’il était aux pleines années de la Restauration, grand, bien fait de taille, d’une physionomie forte et fine, jouissant d’une position aisée et qui sentait l’indépendance, possédant, ce semble, toutes les conditions du bonheur, et pourtant ayant en lui un principe d’ironie et d’âcreté secrète que l’attrait piquant de son esprit ne recouvrait pas et ne faisait le plus souvent que mettre en saillie. Ses amis, ceux qui ont le plus droit de le juger, l’ont comparé à Duclos pour le tour d’observateur moraliste. C’est bien un moraliste, en effet, qui se propose à un certain jour un tableau plus vaste et plus grand, qui se dit qu’il est temps de sortir du genre, et qui, après s’être dûment préparé, s’élève jusqu’à l’histoire. Il y avait aussi du Chamfort en lui, mais tout cela plus raffiné, ou du moins plus rentré ; une partie de ses traits se retournait sur lui-même et ne sortait pas.

L’idée lui était venue d’écrire un roman, le Gil Blas révolutionnaire ; mais il n’avait rien de cette imagination qui crée les personnages ou qui anime les détails. Mieux averti par le goût du temps et par le sérieux de sa propre inclination, il médita de s’appliquer à loisir à une grande Étude d’histoire, et, en attendant, il fit de la politique. Il en fit là où un homme de son opinion le pouvait avec le plus de liberté et de sincérité, il entra à la Quotidienne sous M. Michaud.

Ce serait une peinture à faire que celle des journaux politiques de la Restauration, et surtout des trois principaux : le Journal des Débats, organe du royalisme selon Chateaubriand, et suivant celui-ci en toutes ses métamorphoses ; le Constitutionnel d’alors, centre du libéralisme pur ; et la Quotidienne. Celle-ci, bien que pure royaliste, se composait en grande partie de gens d’esprit, très-libres de convictions et très-désabusés. M. Michaud, homme fin, aimable, de plus en plus spirituel en vieillissant, et dont on cite une foule de mots charmants, était le Voltaire de ce petit groupe qui comptait de jeunes noms, dignes déjà de s’associer avec le sien. Le caractère de la jeune rédaction de la Quotidienne était de ne donner (c’est tout simple) dans aucun des lieux-communs libéraux du temps, d’en rire tout haut, et aussi de rire plus bas des déclamations et des lieux-communs monarchiques et religieux qu’elle pratiquait de si près, qu’elle semblait partager et redoubler souvent, mais auxquels elle ne tenait en réalité que par le côté politique. C’était le cas de plusieurs du moins, et de M. Bazin plus que de personne : esprit sceptique, sans enthousiasme, fort léger de croyances, il était sincèrement royaliste, comme l’eût été un voltairien du xviiie siècle, comme le doit être en général celui qui estime la majorité des hommes peu en état de se conduire raisonnablement elle-même. Mais, si l’on excepte ce fonds de croyance royaliste, il n’eût pas fallu trop le presser sur les autres articles du symbole, et un confesseur ordinaire aurait pu être scandalisé.

Ce n’est pas une biographie que je fais, mais le peu que j’ai dit était indispensable pour entrer dans l’esprit de l’écrivain et pour prendre la mesure de l’homme. M. Bazin lui-même était de ceux qui prennent tout d’abord dans leur esprit la mesure des autres, et qui peut-être souffrent un peu de ne pouvoir donner à l’instant la leur : il en résulte que, plus tard, trop tard, quand on leur accorde ce qui leur est dû, ils n’en savent pas gré, et ne répondent au succès qu’avec un demi-sourire ; l’habitude de l’ironie est contractée.

Le premier ouvrage publié par M. Bazin, les Mémoires d’un Cadet de Gascogne ou la Cour de Marie de Médicis, indique qu’à cette époque de 1830 il s’occupait déjà de son grand travail historique ; il en détachait par avance quelques hors-d’œuvre, quelques tableaux en marqueterie comme on les aimait alors. Mais quand ces prétendus Mémoires parurent en 1830, la veine ouverte il y avait déjà dix ans, et où avaient fait trace des hommes d’esprit et de talent (MM. Trognon, Vitet, Mérimée), semblait épuisée : la chute de la Restauration allait décidément y couper court et l’ouvrage de M. Bazin fut peu remarqué. Ce roman, d’ailleurs, est froid ; le soi-disant Gascon manque tout à fait de verve gasconne ; c’est partout l’auteur qui parle, on le sent, et non son cadet. Il n’observe pas le style du temps. Enfin, les traits spirituels semés çà et là ne rachètent en rien l’artificiel et le factice du genre.

En un endroit du récit, on trouve un chapitre intitulé les Poètes : c’est un dîner supposé entre gens de Lettres et beaux-esprits du temps de Louis XIII ; le fameux poêle Théophile y préside. L’auteur met en tête une note qui le peint lui-même par un de ses travers : « Il nous a semblé convenable, dit-il, d’avertir le lecteur qu’il va se trouver avec des gens de Lettres. C’est une précaution que prend toujours en pareil cas un maître de maison qui sait son monde. » Cette note sent terriblement son grand seigneur d’autrefois. Un des faibles de M. Bazin était de ne point vouloir être homme de Lettres ; qu’était-il donc autre chose ? Je ne sais, d’ailleurs, pourquoi il a cru devoir prendre tant de précautions avec sa note. Ce chapitre n’a rien de trop vif ni de trop égayé, je vous assure. Ce n’est pas même une conversation, c’est un Cours de poésie française, un Cours froid et sans relief, assaisonné de force plaisanteries indirectes et d’allusions contre les romantiques du temps. On sent que l’auteur ne parle point de tout cela tanquam potestatem habens, comme dit l’Écriture, « en tant qu’ayant pouvoir et vertu. » Son meilleur emploi est ailleurs.

Le second ouvrage de M. Bazin est tout différent ; en s’attaquant directement aux mœurs du siècle, l’auteur a trouvé sa matière. Ce livre, qui a titre l’Époque sans nom, et qui commence par une lettre adressée à M. Michaud, contenant une relation épigrammatique des journées de Juillet, est plein de jolies observations et d’ingénieuses malices. L’auteur vous promène dans Paris durant les années 1830-1833 ; il vous peint le bourgeois d’alors, le gamin et le Mayeux d’alors, l’émeute d’alors, et toutes les choses parisiennes de cette date. J’insiste sur la date, parce qu’en relisant ces volumes, ceux qui les ont le plus goûtés dans leur primeur les trouveront un peu vieillis et déjà en partie passés. C’est ce qui arrive à tout ce qui n’a pas été animé, à sa naissance, d’un souffle ardent, ou fixé d’abord d’un trait immortel. Le style de M. Bazin, dans cet ouvrage, n’est que fin, élégant, railleur, mais non exempt de prétention, et il manque de variété. C’est de l’Ermite de la Chaussée d’Antin, beaucoup mieux fait et plus distingué ; c’est du La Bruyère en petit, sans le relief, la vigueur et l’éclat du maître, et tout ce qui grave. J’y vois quantité de remarques fines, rangées les unes à côté des autres, un peu trop de ce qu’on appelle dans les classes de l’esprit de vers latins. Les connaisseurs pourtant ont retenu et me signalent du doigt dans ces volumes un vrai bijou, la vie et la mort de Mayeux, le fameux Mayeux (le type grotesque de notre versatilité politique), venu au monde à Paris le 14 juillet 1789, et qui s’est successivement appelé Messidor-Napoléon-Louis-Charles-Philippe Mayeux, selon les noms des divers régimes qu’il a, tour à tour, épousés ou répudiés, Mayeux un moment porté sur le pavois après 1830, et qui meurt, vers 1833, de douleur et de honte d’avoir été renvoyé des rangs de la Garde nationale et rayé des contrôles comme coupable de faire rire. Car M. Bazin, pour le remarquer en passant, ne perd aucune occasion de railler notre Garde nationale. Le bourgeois aristocratique et sybarite qu’il est, se révolte contre l’institution citoyenne. Il se retrouve homme des Lettres sur ce point : entre deux ridicules, selon lui, et deux inconvénients, il choisit le moindre, et, pour le coup, il dirait volontiers comme cet autre de ma connaissance : « J’ai, pour un homme de Lettres, le malheur d’appartenir à une nation qui n’est jamais plus fière que quand elle a un pompon sur la tête, et qu’elle obéit au mot d’ordre d’un caporal. »

Son bourgeois de Paris nous est présenté par lui comme ayant éprouvé aux affaires du mois de juin (1832) un double accident : « il a gagné une extinction de voix et la croix d’honneur, deux malheurs dans la vie d’un homme raisonnable, qui craint également la médecine et le ridicule. » Cela est bien contourné et maniéré. Plus tard, l’auteur se trouva sujet lui-même à ce ridicule qu’il craignait. Un ministre de ses amis l’obligea de recevoir la croix d’honneur, et le persuada même de la lui demander selon l’usage. Le malin pris au piège écrivit une lettre qu’il fit la plus épigrammatique qu’il pût, et qui se terminait à peu près par ces mots : « Cela dit, mon cher ami, j’accepterai un petit morceau de ce ruban dont vous avez une aune. » C’est encore là une de ces petites contradictions auxquelles il attachait tant d’importance, et qu’avec tout son esprit il ne sut point éviter.

Nous nous acheminons lentement vers l’historien. M. Bazin avait quarante ans quand il aspira publiquement à ce titre sérieux, dont il avait compris toute la responsabilité et qu’il justifia. Il est permis de croire que, quand il s’adressait à l’époque assez peu étudiée de Louis XIII, avec le dessein de la poursuivre jusque sous la Fronde et de ne s’arrêter qu’à la mort de Mazarin, il était un peu conduit par le désir de contredire les idées communes, de faire justice de certaines préventions et de retourner du tout au tout certaines opinions consacrées. En un mot, je crois qu’en abordant l’histoire, il y entra encore avec un dessein d’ironie. C’était là une porte étroite ; mais, à peine introduit dans ce riche domaine, à peine en présence des sources, il agrandit sa vue et réagit contre sa propre humeur. Son esprit qui, dans l’appréciation des faits eux-mêmes, se retrouvait positif et excellent, rectifia ses propres impressions anticipées, ou du moins les astreignit aux règles du bon sens et de la justice. L’époque qu’il avait choisie était la moins propice aux grandes phrases et à ce qu’on nomme éloquence. L’historien de Richelieu devait avoir quelque chose de cette patience si lente et si tortueuse, par laquelle le grand ministre eut à subir tant de retards et à user tant d’ambitions subalternes avant de s’élever lui même au faîte et de triompher. L’historien de Mazarin avait besoin d’une patience au moins égale, pour se débrouiller et se dégager des intrigues, des éclats et des triomphes turbulents de la Fronde. M. Bazin était l’homme le plus propre à traverser sans ennui ces époques intermédiaires de l’histoire, et à en tirer un bon parti, un parti adroit et judicieux. Il ne craignait pas d’avoir à marquer dans sa narration, pour rester plus fidèle à la vérité, la langueur ou la complication des mouvements politiques ; ce jeu bizarre et entre-croisé des choses lui allait, et il prenait plaisir à nous en démêler la trame. Le danger avec lui était plutôt qu’il ne répondît pas toujours aux situations décisives avec grandeur.

M. Villemain, dans son excellent Rapport de 1840, a indiqué les mérites et donné à deviner les lacunes, quand il a dit :


« L’histoire est toujours à faire ; et tout esprit distingué, en s’aidant lui-même du progrès d’idées qu’il adopte ou qu’il combat, découvre dans les événements racontés par d’autres des leçons et des vues nouvelles. Sans avoir épuisé la double tâche qu’il s’était proposée, la peinture d’une époque historique et d’un grand homme, M. Bazin a fait un ouvrage instructif et piquant. Si quelques événements n’offrent pas dans ses récits le pathétique terrible auquel s’attendait l’imagination du lecteur, on n’en doit pas moins apprécier la finesse impartiale de son esprit. Il explique plus qu’il ne peint, mais une pénétration ingénieuse éclaire tous ses récits : et dans l’art si difficile de l’histoire, l’étendue et la précision des recherches, l’intelligence exacte des grandes choses, et le talent d’écrire soutenu dans un long ouvrage, sont des qualités rares, dignes d’un succès durable. »


Les récits de M. Bazin, sans afficher de réflexions et sous un air d’impartialité indifférente, sont volontiers disposés de manière à donner, à qui sait les comprendre, le sentiment habituel et le mépris de la versatilité et de la sottise humaine. Les chapitres qui traitent de la chute, de l’assassinat du maréchal d’Ancre, et de la condamnation de sa veuve, sont, à les bien voir, des scènes d’une tragi-comédie amère. Le plaisir de M. Bazin, quand il rencontre un lieu-commun de haine ou de faveur populaire qui s’attache à de certains noms historiques célèbres (tels que ceux de Concini, de Sully, de Henri IV ou de tout autre), est de déranger ce lieu-commun, de le mettre à jour et de le réduire. Il aime à ne penser en rien comme le vulgaire, et son travers serait peut-être, quand il rencontre une opinion communément établie, de se jeter dans la contradiction. Mais, en général, il juge bien les hommes, rend hommage aux avisés et aux vraiment habiles, et donne l’exacte mesure des caractères sans se laisser séduire ni entraîner. Il a fait un fort grand usage, au début de son histoire, des lettres de Malherbe, en qui il prise un témoin clairvoyant et bien informé, un de ces esprits caustiques, mordants et secs, l’un des types du sien. Quelquefois, bien rarement, sa pensée se fait jour par des réflexions morales qui accusent la haute misanthropie dont il est plein. Voulant expliquer, par exemple, pourquoi le connétable de Luynes, pour le moins aussi digne d’être haï et méprisé que le maréchal d’Ancre, n’a pas encouru la même impopularité dans sa mémoire, il dira énergiquement : « C’est qu’il mourut au sein de sa grandeur, qui se continuait dans une famille riche et puissante ; et il faut toujours au vulgaire l’autorité d’un revers pour lui faire mépriser tout à fait les enfants de la fortune : il ne comprend guère que les dénoûments. »

Mais le plus souvent sa malice se recouvre, et plus d’un lecteur qui parcourrait le livre avec bonhomie pourrait la laisser échapper. Ainsi, quand le comte de Soissons se rapproche de son neveu le prince de Condé en 1611, et unit ses intérêts aux siens, cette association est si bien liée, que les Mémoires du temps font remarquer avec surprise que rien ne put la rompre jusqu’à la mort du comte de Soissons, « qui arriva un an après. » La malice de l’historien est toute dans ce trait : qui arriva un an après. Il veut faire entendre qu’un accord si court, observé de part et d’autre, était quasi un miracle entre princes, eu égard à la fidélité et à la bonne foi courante du temps. — Ainsi encore, quand le prince de Condé est prisonnier à Vinccennes en mai 1617, ce prince est un peu étonné de voir la princesse sa femme venir adoucir, en les partageant, les rigueurs de sa prison. « Peu de temps après ce rapprochement, dit l’historien sans avoir l’air d’y toucher, la princesse fut reconnue enceinte, et avant sept mois elle accoucha d’un enfant qui ne vécut pas, » Cela veut dire en bon gaulois que la princesse passait pour être déjà enceinte, quand elle jugea nécessaire de venir retrouver son mari. À tout moment, M. Bazin fait entendre de la sorte certaines choses, mais il ne les dit pas.

C’est un défaut pour l’histoire, laquelle, dans sa simplicité et sa force, ne comporte guère ce genre de malice couverte et d’épigramme. En vérité, on dirait par moments que l’historien n’est pas fâché que le lecteur candide ne sente point toute la portée de ce qu’il dit, et que son ambition n’aille à être compris que des plus fins[1].

Un autre défaut chez M. Bazin historien ou biographe, un défaut qui ne laisse pas d’impatienter les lecteurs francs qui n’entendent rien à toutes ces ruses, c’est qu’il ne cite jamais ses sources ni ses auteurs, lui qui en fait un usage si scrupuleux pourtant, si exact et si fait pour défier la confrontation. Il a vu que l’abus du jour était d’afficher l’érudition, d’entasser les notes et les citations d’auteurs au bas de chaque page, et, de peur de paraître pédant, il s’est jeté dans l’abus contraire ; il n’indique jamais l’endroit d’où il emprunte une citation. Vous êtes curieux, tant pis ! même quand il vous instruit, il n’est peut-être pas fâché de vous humilier un peu, et il vous dérobe quelque chose. Cette affectation singulière, tout à fait petite dans un mérite si réel et si solide, a choqué dès longtemps un critique qui fait de M. Bazin le plus grand cas, et qu’il me prend envie ici, tout en le citant, de ne pas nommer, à son exemple. Ce critique a dit :


« M. Bazin est un homme de beaucoup d’esprit et qui se pique de n’avoir rien, en écrivant, de l’érudit de profession et du pédant. Je me permettrai seulement de demander si dans cette abstinence absolue de toute citation et de toute note en un genre d’ouvrage qui les réclame naturellement, si dans cette suppression exacte de tout nom propre moderne, là même où l’auteur y songe le plus et y fait allusion, si dans cette attention tout épigrammatique à ne laisser sans rectification aucune des petites erreurs d’autrui, il n’y a pas une autre sorte de pédantisme. L’honnête homme est celui qui ne se pique de rien, a dit La Rochefoucauld ; M. Bazin se pique trop d’être honnête homme. Quand on fait un métier, il faut franchement en être : c’est à la fois plus simple, plus commode et de meilleur goût. »


Je résumerai le défaut littéraire de la manière historique de M. Bazin par un mot : il suit sa ligne, il vise au vrai, il fait de son mieux, mais il ne daigne pas se mettre assez à la place du lecteur ordinaire ; son procédé envers lui n’est pas obligeant, ni prévenant.

Malgré ces défauts que je ne cherche pas à dissimuler, et quoiqu’elle reste assez difficile à lire dans toute sa continuité pour les esprits qui ne sont pas très-sérieux et attentifs, l’Histoire de M. Bazin est une composition rare, originale, offrant, non pas comme d’autres prétendues histoires, une marqueterie brillante et spirituelle, moyennant des lambeaux de citations relevées de quelques scènes dramatiques, mais un récit médité, réfléchi, tout à fait neuf, dans lequel il est tenu compte de chaque témoignage, et où l’historien a constamment le fil en main pour donner à tout la liaison la plus vraisemblable, l’accord le plus exact et l’enchaînement le plus conforme à la vérité. Dans le tableau du ministère de Mazarin, M. Bazin s’est attaché à contredire et, comme on dirait vulgairement, à démolir le plus qu’il a pu le cardinal de Retz, en qui il voyait un spirituel brouillon de ce temps-là, assez pareil à d’autres brouillons qu’il désignait de ce temps-ci. Il est difficile de croire que cette sorte d’inimitié personnelle contre Retz ne l’ait pas entraîné à quelques excès en sens contraire ; tout ce que Retz met en relief, par exemple, il affecte de l’éteindre et de l’effacer. Le détail de ce procès historique serait à examiner de très-près. Mais il est du moins devenu impossible de se faire désormais une idée complète de cette époque de la Fronde sans écouter le témoignage, le rapport habile et si bien dressé de M. Bazin.

Le volume qui contient ses Notices biographiques et littéraires renferme peut-être ce qu’il a écrit de plus vraiment distingué et de plus parfait. Ici sa manière s’aiguise tout à fait et se dégage. Si elle avait encore gardé un peu de la façon académique et presque rhétoricienne dans les débuts de son Histoire[2], elle n’offre plus, sous cette forme de critique, qu’une correction élégante, où le piquant de l’esprit domine. Il ne se peut imaginer de biographie de Henri IV plus épigrammatique d’un bout à l’autre que celle qu’a tracée M. Bazin : c’était à faire à un écrivain royaliste d’écrire de telles choses sur le premier roi Bourbon. J’aime bien mieux pourtant son morceau excellent sur Bussy-Rabutin, sujet moins élevé et où un tel genre d’esprit était plus de mise. M. Bazin a très-bien compris, dans ce curieux exemple du cousin de Mme  de Sévigné, tout ce qu’on peut avoir de distinction et de mordant, ou même de justesse dans l’esprit, avec des travers de vanité et des vices de caractère. À ce morceau sur Bussy il faut joindre ce qu’il a écrit sur Molière dans la Revue des Deux Mondes : il y détruit quelques erreurs traditionnelles répétées par tous les biographes ; il rectifie des dates et ajoute aux faits connus sur les origines du grand poète quelques faits nouveaux. Cependant, après avoir lu ce morceau d’une exactitude inexorable, et l’avoir goûté en ce qu’il a de sobriété piquante, je n’ai pu m’empêcher d’écrire en marge cette impression plutôt morale que littéraire : « C’est très-bien, mais pourquoi cette âcreté mal dissimulée pour des choses si simples ? pourquoi ne pouvoir rectifier une date ou un fait sans avoir l’air de faire une épigramme, et de dire à son prochain : Tu es un sot[3] ! »

On a parlé d’autres morceaux inédits de M. Bazin qui rentrent dans les mêmes études du xviie siècle ; il s’était fort occupé de Saint-Simon et de Mme  de Sévigné, laquelle il admirait comme écrivain par-dessus tout. Les amis des Lettres doivent désirer que ces morceaux soient assez achevés pour que M. Paulin Paris, qui en est dépositaire, puisse nous en faire jouir.

Ce qu’était surtout M. Bazin en effet, et ce que je trouve le plus à honorer en lui, c’était l’amateur véritable et passionné des Lettres. Vivant dans le commerce des hommes du meilleur temps et de la meilleure langue, il était allé, à cet égard, se perfectionnant lui-même. Bien différent de l’historien moraliste Lemontey, avec qui il n’était pas sans quelque rapport, mais qui resta toujours académique dans le mauvais sens et précieux, son propre style, à lui, s’était simplifié ; les derniers écrits sortis de sa plume sont aussi ce qu’il a produit de mieux et de plus parfait : il était arrivé à l’excellent. On peut dire de M. Bazin qu’il s’était fait le contemporain du xviie siècle. Il avait le goût et un peu la prétention de ne lire et de ne pratiquer que les gens de ce temps-là. Il savait sur leur compte mille particularités précises, recueillies et notées au passage dans ses tournées d’historien. Il possédait les bonnes éditions, et ne manquait pas d’y surprendre les bévues que n’avaient pas su éviter les meilleurs éditeurs : il en régalait de rares et doctes amis à la rencontre. Sa conversation littéraire, surtout vers la fin, disent ceux qui en ont joui, était pleine d’intérêt, d’instruction positive, et même de charme quand il se sentait goûté. Le soin de la réputation l’occupait peu ; il n’aurait point fait un pas pour la rechercher. En général, il n’aurait pas voulu solliciter les choses, mais qu’elles le vinssent trouver d’elles-mêmes, et encore, quand même elles le prévenaient, elles n’étaient pas sûres de le trouver d’humeur à les bien accueillir toujours. Il était comme retenu sans cesse par la peur d’être dupe ou ridicule. Lui, si heureux à première vue, si bien doué, ce semble, par la nature, si bien doté de plus par la fortune, il se tenait sur la défensive avec la société, comme s’il eût craint d’être abordé de trop près. Cette disposition caractéristique à part, et quand il parvenait à triompher des travers où elle le jetait souvent, c’était un esprit judicieux, étendu, supérieur, ferme surtout et fin, un homme jugeant les hommes. Le Nil admirari d’Horace était sa devise. Il tenait tout charlatanisme en mépris ; il avait un beau dédain de la popularité, et par les côtés élevés. Je ne sais si l’on ne méprise de tout son cœur la popularité que quand on manque au fond de ce qu’il faut pour l’obtenir ; mais, quoique M. Bazin n’eût rien assurément de ce sympathique vrai ou faux qui enlève les hommes, je crois qu’il aurait encore méprisé dans tous les cas leur faveur. C’était, à cet égard, un philosophe, un sage qui a vu le dessous de toutes les cartes, un de ces esprits dont parle Gabriel Naudé, tout à fait déniaisés et guéris du sot, et qui savent bien la vérité. « La sottise est à peu près comme la disposition à la petite vérole, a dit Horace Walpole, il faut que chacun l’ait une fois en sa vie. » M. Bazin s’était donc très-bien guéri de la maladie universelle ; il en était resté très-peu gravé, et c’était tout au plus si on lui voyait un grain. Il vivait d’une manière particulière, un peu bizarre. Il réalisait, avec plus de singularité, le portrait qu’il a tracé du flâneur, dans le dernier chapitre de son Époque sans nom. Selon lui, Paris n’était pas au roi (quand il y avait un roi) ; il n’est pas au peuple, toujours occupé et affairé : « le seul, le véritable souverain de Paris, c’est le flâneur. » Combien de fois ne l’ai-je pas rencontré l’après-midi, le soir, aux boulevards, sous les arcades Rivoli, toujours seul, jouissant incognito de son empire ! Il ne s’agissait pas de le reconnaître et de le saluer : je crois que cela l’aurait choqué et qu’il l’aurait pris pour une offense. Il allait, observant ainsi, se souriant à lui-même et redoublant ses pensées. Ajoutez que, suivant lui, « le flâneur est bien logé, dans un beau quartier, à proximité des boulevards ; qu’il a réuni dans son logis tout ce qui compose le confortable. Car le meilleur moyen de goûter avec calme les plaisirs du dehors, c’est de ne jamais être poursuivi par la crainte de rentrer. » Il avait eu soin de réaliser pour lui de longue main toutes ces conditions de flânerie heureuse (y compris, bien entendu, le célibat) ; et, comme ce flâneur encore qu’il a si bien décrit, il complétait la ressemblance par la crainte des visites qui retiennent chez lui l’honnête homme qui veut sortir. Il ne les aimait guère, assure-t-on, et ne les encourageait jamais. Là où il était le mieux à rencontrer et à entendre, le plus à son avantage peut-être, c’était au Cercle des Arts, son lieu d’habitude, où il venait tard et où il se plaisait assez à parler quand un petit nombre de gens d’esprit l’environnaient. Il s’y était même fait aimer. Enfin, c’était un des esprits rares et l’un des originaux de ce temps-ci. Il m’eût été facile de donner de lui un portrait en apparence plus favorable de tout point, et aussi plus effacé ; mais je crois que la plus grande faveur qu’on puisse faire à un homme distingué et qui a de belles et hautes parties, le plus vrai service à rendre à sa mémoire d’homme de Lettres, c’est-à-dire d’homme qui veut, en définitive, qu’on se souvienne de lui, c’est de le montrer le plus au vif qu’on peut, et le plus saillant dans les lignes de la vérité. C’est ainsi du moins que ceux qui viendront après seront à même de prendre une idée de lui et de le reconnaître entre tant de gens également distingués, qu’on loue d’une manière uniforme et monotone.

NOTE.

un homme qui a beaucoup connu M. Bazin, et qui avait le droit de se compter dans le très-petit nombre de ses amis, m’a écrit au sujet de l’article précédent, et, tout en trouvant que j’avais fidèlement esquissé la misanthropie flâneuse et légèrement acrimonieuse de M. Bazin, il a pensé que je n’avais pas indiqué suffisamment pour ceux qui l’ont connu de près, ce qui en rachetait et en excusait les saillies quelquefois désobligeantes : « Sous cette enveloppe dure et parfois hérissée, m’écrit l’homme d’esprit que je ne me crois pas autorisé à nommer, il y avait un cœur honteux de lui-même, se masquant de son mieux, mais qui se laissait par moments deviner. Et ce cœur souffrait d’un mal celé jusqu’à sa dernière minute.

« Je ne puis vous en dire plus long sur ce sujet ni entrer dans des détails tout à fait intimes. Je me borne, sans m’expliquer davantage, à vous prier de relire certains chapitres de the Antiquary Old Buck, le haïsseur de femmes, ressemblait à Bazin par plus d’un côté.

« Si donc, comme cela est probable, vous réimprimez jamais cette Étude, croyez-moi, jetez-y un rayon de plus, et atténuez, dans le sens que je prends la liberté de vous indiquer, ce que votre jugement a d’un peu trop rigoureux. »

J’ai pensé que la meilleure manière d’introduire ce rayon à demi obscur qui m’avait échappé, c’était d’en faire remarquer l’absence et de consigner le regret si bien senti et si délicatement touché qu’on vient de lire.


  1. Il y a une Histoire de Louis XIII, qu’on ne lit guère, par le Père Griffet continuateur de Daniel ; cette Histoire me parait bien préférable à celle de M. Bazin, plus large et plus naturelle, très-curieuse de recherches, et laissant dans l’esprit du lecteur une idée plus nette des choses et des personnages.
  2. Par exemple, en mars 1612, deux ans après la mort de Henri IV, à l’occasion du double mariage annoncé entre les Maisons de France et d’Espagne, l’historien nous montre le deuil public faisant place à des fêtes « où allait se réveiller cette passion du luxe, de l’éclat et du plaisir, si longtemps ensevelie sous la triste livrée du regret. »
  3. Une note précise que j’ai sous les yeux, et que je dois à l’amitié de M. Taschereau, me montre qu’en se piquant d’être plus exact que tous ses devanciers, M. Bazin, lui aussi, n’a pas laissé de faire plus d’une hypothèse et de commettre quelques petites erreurs de fait, en même temps qu’il se donne le facile plaisir de se poser en redresseur sur des points que d’autres avaient déjà rectifiés avant lui. Conclusion : même quand nous croyons avoir le plus raison, soyons modeste.