Catilina (Crébillon)/Acte III

Imprimerie Royale (p. 219-233).

A C T E   I I I.
S C È N E   P R E M I È R E
S U N N O N,   G O N T R AN.
S U N N O N.

Arreſtons, cher Gontran, c’eſt dans ces lieux ſacrés,
Décorés avec faſte, au fond peu révérés,
Qu’à la face des Dieux nous allons voir éclore
Un projet qui m’alarme, & qui les déſhonore.
C’eſt ici que bien-tôt Craſſus, Catilina,
Antoine, Céthégus, les enfants de Sylla,
Mille autres dont les noms éclatent dans l’hiſtoire,
Et qui de leurs ayeux flétriſſent la mémoire,
Vont de leur ſang impur ſceller leur union,
Et livrer Rome entière à la proſcription.
Heureux, ſi je pouvois, en ce déſordre extrême,
D’un parti que je hais me dégager moi-même !
Entraîné dès long temps, peut-être corrompu
Par un ambitieux qui ſéduit ma vertu,
Je me trouve forcé d’embraſſer ſa querelle,
D’être ennemi de Rome, ou miniſtre infidèle.

G O N T R A N.

Quoi, des Gaules ici Sunnon ambaſſadeur,
De ce rang ſi ſacré voudroit flétrir l’honneur ?

S U N N O N.

Laiſſons l’honneur d’un rang qui n’eſt plus qu’un vain titre
Lorſqu’un autre intérêt devient mon ſeul arbitre.
Les Gaules ont daigné m’envoyer en ces lieux ;
Mais où ſont les Romains, leurs loix, même leurs Dieux ?
Et quel devoir encor veux-tu que je trahiſſe,
Parmi des furieux ſans frein & ſans juſtice ?
C’eſt aux événemens à diſposer de moi ;
D’ailleurs, dans ce cahos, à qui garder ma foi ?
A de vils Sénateurs noyés dans la molleſſe ?
À deux Conſuls jaloux & déſunis ſans ceſſe ?
L’un des deux, ſans honneur & ſans fidélité,
Abuſe chaque jour de ſon autorité ;
L’autre a mille vertus, mais n’oſe en faire uſage :
Caton, loin de calmer, irritera l’orage.
Formidable au-dehors, mépriſable au-dedans,
Le Sénat n’eſt enfin qu’un amas de brigans,
Unis pour le butin, diviſés au partage,
Dont toute la vertu périt avec Carthage :
A peine il fut formé qu’il détruiſit ſes rois,
Il détruit aujourd’hui l’autorité des loix.
Après avoir détruit, & loix, & diadème,

Nous le verrons bien-tôt ſe détruire lui-même.
Allumons le flambeau de la ſédition,
Rien ne peut nous ſauver que leur diviſion.
Tu ne ſais pas encor quel péril nous menace :
Un Romain, tu connois ſa valeur, ſon audace ;
Et quel Romain encor ! Céſar depuis un an
Brigue en ſecret l’honneur d’être notre tyran ;
C’eſt à nous gouverner que ce héros aſpire.
Si la Seine un moment coule ſous ſon empire,
Nous ſommes tous perdus, & Gaulois, & Germains
Vont tomber ſous le fer ou le joug des Romains.
Ce que la Grèce, Rome, & l’univers enſemble,
Eurent de plus parfait, dans Céſar ſe raſſemble :
Prudent, ambitieux, l’homme de tous les temps,
De toutes les vertus, & de tous les talens,
Intrépide, éclairé, d’autant plus redoutable,
Que de tous les mortels il eſt le plus aimable.
Mais Catilina vient ; cher Gontran, laiſſe-nous.


S C È N E   I I.
C A T I L I N A,   S U N N O N.
C A T I L I N A.

Je vous cherche, Sunnon, & j’ai beſoin de vous ;
De nos deſſeins ſecrets la trame eſt découverte,

Et je ne m’en crois pas plus voiſin de ma perte.
Le Sénat éperdu, les Chevaliers épars,
Appellent à grand bruit le peuple au champ de Mars ;
De toutes parts enfin on murmure, on s’aſſemble :
Mais, objet de leurs cris, ce n’eſt pas moi qui tremble.
L’inſtant fatal approche, & loin d’en être émû,
Je me ſens tranſporté d’un plaiſir inconnu.
Je craignois les délais, ils ſont toûjours à craindre,
Le feu des factions eſt facile à s’éteindre ;
Ainſi l’on ne peut trop hâter l’événement.
Sunnon, puis-je compter ſur notre engagement ?

S U N N O N.

La foi de mes pareils ne fut jamais frivole :
Je ſuis Gaulois, ainſi fidèle à ma parole ;
L’honneur eſt parmi nous le premier de nos Dieux.
Mais vous ſavez quel joug on m’impoſe en ces lieux,
Et d’un ambaſſadeur quel eſt le miniſtère ;
Que je ſuis retenu par une loi ſévère,
Qui me défend d’armer de criminelles mains,
Et d’oſer les tremper dans le ſang des Romains.
D’ailleurs, de vos projets j’ignore le myſtère ;
Je crains tout, ſans ſavoir ce qu’il faut que j’eſpère.
Si vos deſſeins ne ſont auſſi juſtes que grands,
Et ſi ce n’eſt pour nous que changer de tyrans ;
Si nos traités ne ſont fondés ſur la juſtice,

Vous prétendez en vain qu’aucun nœud nous uniſſe.
Notre unique vertu n’eſt pas notre valeur,
Nous aimons la juſtice autant que la candeur.
Quoique enfant de la guerre, alaité ſous les tentes,
Le gaulois n’eut jamais que des mœurs innocentes.
Si vous nous ſurpassez par votre urbanité,
Nous l’emportons ſur vous par notre intégrité.
C’eſt à tous nos deſſeins l’honneur ſeul qui préſide,
Et de nos intérêts l’équité qui décide ;
Nos Dieux, nos Souverains, l’autorité des loix ;
La gloire, le devoir, notre épée, et nos droits ;
Auſſi prompts que vaillants, francs, et pleins de nobleſſe,
Obéiſſants par choix, et ſoumis ſans baſſesse.
Mais Rome cherche moins, dans ſes vaſtes projets,
À faire des amis, qu’à faire des ſujets.
Comme nous ne voulons que le ſimple héritage
Dont les temps et le Sort firent notre partage,
Voyez, ſi du ſénat réprimant la fureur,
Vous pouvez des Gaulois être le protecteur.
Peut-être en ce diſcours, ou trop fier, ou trop libre,
Ai-je peu ménagé la majeſté du Tibre :
Mais, dès que de mes ſoins notre ſort dépendra,
Je parlerais aux Dieux comme à Catilina.

C A T I L I N A.

Je ne condamne point un diſcours magnanime,

Qu’un intérêt ſacré doit rendre légitime ;
Mais je le blâmerais, Sunnon, ſi ma vertu
Ne vous inſpirait pas un reſpect qui m’eſt dû.
Je ne ſuis point ſurpris qu’un miniſtre ſoupçonne
De trop d’ambition un projet qui l’étonne,
Et que, loin de vouloir ſoulager l’univers,
Je prétende au contraire appeſantir ſes fers.
Revenez cependant d’une erreur qui m’offenſe,
Et qui peut vous ſéduire à force de prudence.
Je ſuis chef, il eſt vrai, d’un parti dangereux :
Mais vous ne devez pas me confondre avec eux :
Souvent pour s’aſſurer de leur obéiſſance
Il faut laiſſer régner le crime et la licence ;
Le choix des conjurés eſt un choix haſardeux
Qui ne veut pas toujours des hommes généreux.
Le projet le plus grand, l’action la plus belle
A quelquefois beſoin d’une main criminelle.
Si vous me regardez comme un ambitieux
Que la ſoif de régner a rendu furieux,
Et qui ne veut uſer du flambeau de la guerre
Que pour ſubjuguer Rome, et déſoler la terre,
Vous vous trompez, Sunnon. Conſidérez l’état
Du ſénat et des lois, du peuple et du ſoldat ;
Trouvez enfin dans Rome un ſeul trait qui réponde
À ſon titre pompeux de maîtreſſe du monde ;
Les pirates divers que Pompée a défaits,

Cachaient dans leurs rochers cent fois moins de forfaits :
Mais je ſuis las de voir triompher l’injuſtice ;
Il eſt temps que mon bras s’arme pour leur ſupplice,
Que j’immole à nos lois ce ſénat orgueilleux,
Pour rendre l’univers et les romains heureux.
Voilà, mon cher Sunnon, le ſeul but où j’aſpire,
Non au funeſte honneur de conquérir l’empire ;
Et comme j’ai toujours eſtimé les gaulois,
Je mourrai, s’il le faut, pour défendre leurs droits.
Mais ne préſumez pas que de votre courage
Dans ces murs malheureux je veuille faire uſage ;
Les conjurés et moi, quel que ſoit le danger,
Nous n’avons pas beſoin d’un ſecours étranger ;
Au contraire, je veux que, fuyant de la ville,
Au camp de Manlius vous cherchiez un aſile :
Mais, avant que la nuit vous éloigne de nous,
Je vais vous expliquer ce que j’attends de vous.
Tout ſemble me livrer une ville alarmée ;
Mais loin de ſes remparts Rome a plus d’une armée.
Que le ſénat ici tombe ſous mes efforts ;
Ce n’eſt point accabler ce redoutable corps,
Qui renaît de lui-même, et qui ſe multiplie
Dans l’univers entier comme dans l’Italie ;
Que je vaincrai ſouvent ſans le rendre ſoumis,
Et qui me cherchera toujours des ennemis.
Je veux, ſi les deſtins me ſont peu favorables,

Trouver dans les gaulois des amis ſecourables,
Quelque retraite enfin dans un jour malheureux :
De vous, de vos amis, c’eſt tout ce que je veux.

S U N N O N.

Ah ! Dès que votre bras s’arme pour la juſtice,
Il n’eſt point de gaulois qui ne vous obéiſſe,
Je vous réponds de tous.

C A T I L I N A.

Je vous réponds de tous. Quels ſeront vos garants ?

S U N N O N, lui préſentant la main.

Touchez dans cette main, ce ſont là nos ſerments.
Adieu, Catilina. Quelqu’un vient : c’eſt Tullie.

CATILINA, ſeul.

Que ſa triſte vertu me pèſe et m’humilie !
Fuyons ; n’expoſons point tant de fois en un jour
Des cœurs nés pour la gloire aux attraits de l’amour.


S C È N E   I I I.
Tullie, Catilina.
T U L L I E.

Arrêtez un moment, j’ai deux mots à vous dire :
Cependant, à l’effroi que votre accueil m’inſpire,

Je ne ſais ſi je dois m’expliquer avec vous.
Victimes tous les deux d’une amante en courroux,
Si mes cruels ſoupçons vous ont fait une offenſe,
N’en accuſez que vous, et votre fier ſilence ;
Car vous pouviez d’un mot déſabuser mon cœur.
Pourquoi, loin d’éclaircir une funeſte erreur,
Me cacher, aux dépens de toute mon eſtime,
Un témoin dont le nom vous eût abſous du crime,
Et que rendait ſuspect ſon amour irrité ?
Vous ſavez de mes mœurs quelle eſt l’auſtérité,
Qu’enchaînée aux devoirs d’une innocente vie,
Je n’ai jamais connu que le nom de Fulvie ;
Que ne m’épargniez-vous la honte et le remords
D’avoir trop écouté ſes coupables tranſports ?
Fallait-il expoſer une âme vertueuſe
À ſervir les fureurs d’une âme impétueuſe ?

C A T I L I N A.

Ah ! Je n’étais déjà que trop humilié
De voir à vos mépris mon rang ſacrifié,
Sans vous faire rougir d’une indigne rivale.

T U L L I E.

Dût ſa haine aujourd’hui m’être encor plus fatale,
Malgré votre courroux, je veux vous engager
À reſpecter ſes feux, même à la ménager :
D’un pareil ennemi vous n’avez rien à craindre ;

Et ſon ſexe et ſon nom, tout m’oblige à la plaindre :
Ainſi, loin d’inſulter à ſon déguiſement,
Faiſons-la de ces lieux ſortir ſecrètement.
Vous n’avez contre vous de témoin que Fulvie,
Et l’on n’en croira point ſa folle jalouſie.
Loin de vous préſenter l’un et l’autre au ſénat,
Évitez pour moi-même un dangereux éclat.
Que vous reviendrait-il d’une faible victoire,
Qui, loin de l’embellir, flétrirait votre gloire ?
Croyez-moi, mépriſez une amante en fureur,
Qui d’ailleurs ne voulait que vous perdre en mon cœur.

C A T I L I N A.

Lorſqu’on oſe attaquer mon honneur et ma vie
Vous voulez qu’en tremblant je me cache ou je fuie ;
Que laiſſant le champ libre à l’inſensé Caton,
Je ſouffre qu’en public il flétriſſe mon nom ;
Que j’éloigne Fulvie, afin que votre père
Sur ſon abſence même au ſénat me défère ?
Comment ! Lorſque vous-même, échauffant ſa fureur,
Vous me livrez au peuple et me perdez d’honneur,
Que ſur de faux rapports déjà l’on délibère,
Que contre moi Caton éclate ſans myſtère,
Vous voulez que, témoin de leur emportement,
J’attende du ſénat quelque ménagement ;
Que le conſul enfin, touché de mon abſence,
Ou ne m’accuſe point, ou prenne ma défenſe ?

Ah ! Ne préſumez pas que leur mauvaiſe foi
Puiſſe m’en impoſer et triompher de moi.
Dès ce jour même il faut que je me juſtifie.

T U L L I E.

Pourriez-vous de ma part craindre une perfidie ?

C A T I L I N A.

Non ; mais on a trompé votre crédule amour,
Afin que vous puſſiez me tromper à mon tour.
La plus légère peur corrompt les cœurs timides,
Et des plus vertueux fait ſouvent des perfides.

T U L L I E.

Du moins en ma préſence épargnez Cicéron.

C A T I L I N A.

Ah ! S’il écoutait moins le dangereux Caton,
Et les fantômes vains d’une peur chimérique,
Vous et moi nous euſſions ſauvé la république.

T U L L I E.

Il en eſt temps encor, cruel, écoutez-moi :
N’allez point au ſénat, fiez-vous à ma foi.
Sur de vaines rumeurs votre fierté s’abuſe ;
Songez que c’eſt moi ſeule ici qui vous accuſe ;
Que je puis d’un ſeul mot raſſurer les eſprits,
Et diſſiper l’erreur qui les avait ſurpris.

Si de nos premiers feux vous perdez la mémoire,
Songez du moins, Seigneur, qu’il y va de ma gloire.
Quoi ! Vous pouvez m’aimer, et me ſacrifier
À l’orgueilleux honneur de vous juſtifier !
L’amour vous juſtifie et reprend ſon empire :
Quand mon cœur vous abſout, mon cœur doit vous ſuffire.
Le ſénat contre vous n’a rien fait publier :
Ah ! Laiſſez-moi l’honneur de vous concilier ;
Laiſſez-moi réunir mon amant et mon père.
Hélas ! était-ce à moi d’en parler la première ?
L’amour n’offre donc plus à vos tendres ſouhaits
Aucun bien qui vous puiſſe engager à la paix !
Vous êtes des romains la plus noble eſpérance,
Daignez contre vous-même embraſſer leur défenſe.
De quoi vous plaignez-vous, quand c’eſt vous ſeul, ingrat,
Qui voulez aujourd’hui convoquer le ſénat ?
Si vous vous obſtinez encore à vous défendre,
Le conſul à ſon tour voudra s’y faire entendre ;
Et bientôt vos amis, ardents et furieux,
De carnage et d’horreur vont remplir tous ces lieux.
Voulez-vous mettre en feu la ville infortunée
Que votre amante habite, où votre amante eſt née ?
Laiſſez-moi déſarmer vos redoutables mains ;
Accordez à mes pleurs la grâce des romains ;
Et qu’il ſoit dit du moins de l’heureuſe Tullie
Que le dieu de ſon cœur fut dieu de ſa patrie.

C A T I L I N A.

Ah, Madame ! Ceſſez de vouloir m’abuſer.
J’aimerais mieux vous voir, conſtante à m’accuſer,
Armer contre ma vie un ſénat qui m’abhorre.
Quoi ! C’eſt moi qu’on veut perdre, et c’eſt moi qu’on implore !
Que dis-je ? C’eſt à moi que Tullie a recours
Pour ſauver les cruels qui pourſuivent mes jours !
C’eſt pour eux, non pour moi, qu’elle verſe des larmes !
Et, loin de m’arracher à leurs perfides armes,
Je la vois avec eux conſpirer à l’envi !
Rendez-moi donc l’honneur que vous m’avez ravi,
Si vous ne voulez pas que j’aille le défendre.
Mais en vain par vos pleurs on cherche à me ſurprendre.
Eh ! Sur quoi votre amour prétend-il m’émouvoir ?
A-t-il dans votre cœur triomphé du devoir ?
Quoi ! Sur le ſeul rapport d’un témoin mépriſable ;
Sans rien examiner, vous me croyez coupable !
Et ſans en exiger d’autre éclairciſſement
Votre auſtère vertu ſacrifie un amant !
Cet exemple eſt ſi grand qu’il faut que je l’imite.
Plus vous m’attendriſſez, plus mon honneur m’invite
À m’immoler moi-même à ce que je me dois.

T U L L I E.

Hé bien ! Cruel ! Adieu, pour la dernière fois.

CATILINA, ſeul.

Que je me ſens touché ! Que mon âme eſt émue !
Ah ! Que n’ai-je évité cette fatale vue !
Mais j’aperçois Probus.


S C È N E   I V.
Catilina, Probus.
P R O B U S.

Mais j’aperçois Probus. Je viens vous avertir
Que dès ce même inſtant, Seigneur, il faut partir.
Tout s’arme contre vous, et le ſénat s’aſſemble.

C A T I L I N A.

Qu’aurais-je à redouter d’un ennemi qui tremble ?
Je veux, à commencer par le plus fier de tous,
Les voir dans un moment tomber à mes genoux ;
Et je vais les trouver.

P R O B U S.

Et je vais les trouver. Quoi ! Seul et ſans défenſe ?

C A T I L I N A.

Aucun d’eux n’oſera ſoutenir ma préſence :
Ainſi ne craignez rien.

P R O B U S.

Ainſi ne craignez rien. Seigneur, y penſez-vous ?
Songez que Romulus expira ſous leurs coups.
Je ne condamne point une noble aſſurance ;
Mais on n’en doit pas moins conſulter la prudence.
Plus le ſénat vous craint, plus il faut du ſénat
Craindre contre vos jours un ſecret attentat.

C A T I L I N A.

Non, Probus ; et je brave un péril qui vous glace.
Le ſuccès fut toujours un enfant de l’audace.
L’homme prudent voit trop, l’illuſion le ſuit ;
L’intrépide voit mieux, et le fantôme fuit ;
L’inſtant le plus terrible éclaire ſon courage,
Et le plus téméraire eſt alors le plus ſage.
L’imprudence n’eſt pas dans la témérité ;
Elle eſt dans un projet faux et mal concerté ;
Mais s’il eſt bien ſuivi, c’eſt un trait de prudence
Que d’aller quelquefois juſques à l’inſolence ;
Et je ſais, pour dompter les plus impérieux,
Qu’il faut ſouvent moins d’art que de mépris pour eux.
Adieu : dans un moment ils me verront paraître
En criminel qui vient leur annoncer un maître.