Catherine Tekakwitha/3/5

Imprimerie du Messager (p. 241-252).


CHAPITRE CINQUIÈME


D’autres guérisons


À ce point de son histoire de Catherine Tekakwitha, le P. Cholenec écrit : « Ces guérisons miraculeuses allèrent à un si grand nombre qu’on cessa de les marquer ; il n’y avait pas de mois dans l’année et presque pas de semaine qu’il ne s’en fît dans toutes les côtes et habitations françaises, et de très considérables. »

Un peu plus loin, il ajoute : « Je laisse quantité de guérisons faites à Montréal, à la Pointe-au-Tremble, à Boucherville, à la Prairie, à St-Lambert et en d’autres lieux, toutes les années suivantes, pour venir à de plus considérables et qui sont plus récentes. »

Il écrivait en 1696 :

La première guérison est celle du P. Bruyas, admirable missionnaire des Iroquois, supérieur au Sault en 1693, promu peu après supérieur général des missions de la Nouvelle-France.

Étant au Sault, il fut saisi soudainement. d’une paralysie au bras droit qui le mit hors d’état de s’en servir. On le conduisit à Montréal pour y suivre un meilleur traitement. En partant, il demanda aux Sœurs de Catherine une neuvaine en son honneur. Sa confiance était telle qu’il ne voulut prendre aucun remède. Il se disait assuré de sa guérison. Il le répétait encore le soir du huitième jour de la neuvaine, bien qu’il n’y eût aucun changement. Le lendemain, dernier jour de la neuvaine, il se lève à quatre heures du matin. Nullement surpris, mais ravi de joie, il trouve son bras parfaitement guéri. Il s’empresse d’aller dire une messe d’actions de grâces, pour remercier Dieu et la bonne Catherine.

Nous reprenons le texte du P. Cholenec. Il s’exprime ainsi :

« Venons à l’année 1695. C’est la belle année pour Catherine, et celle où il semble que Dieu a voulu la faire triompher dans la Nouvelle-France, par les merveilles extraordinaires qu’elle fit dans les deux endroits les plus considérables du pays, je veux dire les villes de Québec et de Montréal, et sur les personnes les plus illustres. »

Il commence par l’intendant, M. de Champigny, très dévoué aux missions sauvages, auxquelles il faisait de grandes charités. Depuis deux ans il était affecté d’un rhume qui allait en empirant, jusqu’à lui faire perdre la voix. Madame l’intendante écrivit au Sault, priant les Pères de faire faire une neuvaine à leur sainte fille, pour obtenir la guérison de son mari. Ils mirent aussitôt les Sœurs de Catherine à l’œuvre. Le résultat ne se fit point attendre. Le malade guérit au cours même de la neuvaine.

De Québec, Mme de Champigny voulut montrer sa reconnaissance en propageant la dévotion à la sainte Iroquoise. Elle fit graver un grand nombre d’images de Catherine qu’elle répandit partout, jusqu’en France, et à la cour même du grand roi. Des guérisons y furent obtenues comme au Canada.

Les prières que l’on faisait pour la neuvaine étaient un Pater, un Ave et trois Gloria Patri. On ne pouvait mieux choisir ni être plus agréable à la bienheureuse : elle y retrouvait son culte du Dieu très bon, de la Vierge très pure, de la très sainte et très auguste Trinité.

Cette guérison de l’intendant détermina M. de la Colombière à demander la sienne. Nous avons donné plus haut sa solennelle attestation. Il passa quelques jours au Sault et y laissa une large aumône en témoignage de reconnaissance.

Dans le même temps, une demoiselle Foucaut qui portait le nom de Catherine, fit le voyage de Québec à la mission, pour implorer de sa patronne la guérison de son mal. Elle souffrait depuis longtemps de terribles maux de tête. Elle fit dire une messe, y communia, puis demeura longtemps en prière auprès des reliques de la sainte.

Nous devons dire ici que la mission n’était plus à la rivière du Portage. Elle s’était transportée un peu plus haut, à Kahnawakon, en 1689. Les restes de Catherine Tekakwitha avaient été exhumés, transférés au nouveau village, et placés cette fois dans la chapelle.

La jeune fille était donc là en prière, lorsqu’elle sentit qu’on lui arrachait violemment quelque chose de la tête. Ce ne fut qu’un éclair : le mal avait disparu sans retour.

M. de Granville avait passé à Montréal tout l’été de la même année 1695, à la suite du gouverneur général, le comte de Frontenac. Il entendit souvent à Montréal l’éloge de notre bienheureuse. Ce qui lui fit prendre de la poudre de son tombeau et l’emporter à Québec, à l’automne. Il trouva mourante sa fille toute jeune encore. En le voyant entrer, Mme de Granville ne put s’empêcher de lui dire, au fort de sa douleur :

— Vous venez bien à propos, mon mari, pour voir mourir votre fille !

— Non, non, réplique-t-il sur le champ, elle ne mourra pas. J’apporte sa guérison avec moi. Et il montrait le sachet de poudre.

Tous deux se mettant à genoux recommandent leur fille à Catherine, et, ayant trempé de cette poudre dans de l’eau, ils en font prendre à la petite mourante. À l’instant même la parfaite guérison de leur fille récompensait la foi de ces parents chrétiens, qui ne se possédaient plus de joie.

— Miracle ! Miracle ! criait M. de Granville, et il sortit aussitôt pour en répandre la nouvelle par toute la ville.

Sur la fin de cette même année, Mlle de Martigny tomba dangereusement malade dans un village près de Québec. On envoya aussitôt chercher M. Testu, curé de l’endroit, pour lui administrer les derniers sacrements.

Ce prêtre avait accompagné M. de la Colombière au Sault. Il en avait rapporté une belle confiance en la bienheureuse. Il n’eut pas de peine à l’inspirer à la malade. Avec son consentement et en son nom, il promit de faire dire une messe au Sault en l’honneur de Catherine. La promesse était à peine formulée que la mourante guérissait intégralement.


Il était juste que Montréal, si près de la mission, eût sa bonne part.

Madame de Tonty, in extremis, fut guérie subitement par une seule prise de la poudre, en présence de sa famille, de M. Dollier de Casson, grand vicaire à Montréal de l’évêque de Québec et Supérieur des Messieurs de St-Sulpice.

C’est à Montréal que le capitaine du Luth fut guéri. Nous en avons déjà reproduit l’attestation juridique.

Une dame Potier fut délivrée de la pierre, après avoir invoqué Catherine.

Tourmentée par un furieux hoquet qui résistait à tous les remèdes, une pauvre orpheline fut envoyée par MM. Dollier et de Belmont aux Jésuites de Montréal, pour en obtenir un peu de la poudre miraculeuse. Elle en prit dans de l’eau ; à l’instant le hoquet cessa. Le lendemain, M. Dollier l’envoya communier à l’église du Sault, en action de grâces de sa guérison.

Un enfant de trois ans, qu’une écaille fixée dans le gosier étranglait, fut délivré dès que sa mère l’eut voué à Catherine. Un autre fut guéri par la simple imposition sur sa tête d’une image de la bienheureuse. Un autre faillit trépasser à cause de l’imprudence de sa mère : elle se moquait de ceux qui lui conseillaient de s’adresser à Catherine pour son enfant malade et tournait en ridicule ce qu’on disait à la gloire de cette sauvagesse… Elle en fut punie sur le champ : son fils commença d’empirer à vue d’œil. La femme reconnut sa faute : se jetant à genoux, elle implora celle qu’elle avait méprisée. La bonne Catherine, plus débonnaire que jamais, lui pardonna aussitôt et guérit son enfant.

Trois autres enfants de la même ville, fort malades de la fièvre, guérirent soudainement en buvant de l’eau dans l’écuelle de Catherine.

L’un d’eux était le fils d’un M. Boisseau, pour lors rongé par un chancre. Il crut que son cas n’était pas au-dessus du pouvoir de la bienheureuse. Il dut s’y prendre à trois fois. Les deux premières neuvaines n’obtinrent rien. Sans se décourager, il attaqua la troisième. Elle eut son effet : les parties affectées se desséchèrent, et peu de temps après, il n’en restait plus que la cicatrice.

Le P. Cholenec observe ici que, pour ne pas fatiguer le lecteur par la répétition des mêmes choses, il laisse de côté un grand nombre d’autres guérisons, survenues dans la ville et dans toute l’île de Montréal.

Il ne se défend pas cependant de rappeler deux interventions spéciales de la bienheureuse, en les faisant précéder de cette remarque : « Je ne dirai rien qui ne soit vrai, que le pouvoir de Catherine s’est étendu jusque sur les animaux même. »

Nous laisserons le missionnaire nous raconter lui-même ces deux guérisons.

« Une femme de la Chine étant venue au Sault honorer Catherine avec les autres paroissiens, me vint trouver après la grand’messe pour me dire que n’ayant qu’une seule vache, cette bête devint un jour si enflée sans qu’on sût la cause, qu’on la tint pour perdue ; que, là-dessus, elle s’était adressée au refuge ordinaire de la Chine, en lui disant avec une grande simplicité : « Ô bonne sainte Catherine, ayez pitié de moi, sauvez ma pauvre vache ! »

« Elle n’eut pas plutôt proféré ce peu de paroles que toute l’enflure disparut à ses yeux, et la vache s’est bien portée du depuis.

« L’hiver passé, un bœuf tomba sur la glace au Montréal, et il en eut le corps si froissé qu’on le condamnait à passer tout l’hiver dans l’étable ; ce qui devait être d’un grand préjudice à son maître et à sa famille. Une fille de la maison, fort dévote à Catherine, s’avisa de prendre de la poudre de son tombeau qu’elle conservait, et d’en mettre dans l’eau qu’elle fit boire en secret à ce bœuf, disant tout bonnement : « Pourquoi Catherine ne guérirait-elle pas les bêtes aussi bien que les hommes ? » Et le lendemain matin, le bœuf se trouva sur pied, et il alla traîner à l’ordinaire, au grand étonnement de tout le monde. Et alors la jeune fille, voyant la merveille qui était arrivée, publia ce qu’elle avait fait à la gloire de celle qui l’avait bien voulu opérer en leur faveur. »


Ces diverses guérisons sont pour le corps. La servante de Dieu en a fait de bien plus précieuses, à savoir celles des âmes. « Je trouve, dit le même missionnaire, plus de trente personnes qu’elle a aidées à se remettre dans le bon chemin, et entre autres, elle en a délivré plusieurs de tentations furieuses de la chair, et leur a obtenu le don de chasteté. C’est surtout dans cette matière qu’elle a opéré des merveilles dans les âmes. »


Le P. Cholenec termine la biographie de sa sainte fille spirituelle en insistant sur une grâce obtenue par elle et qui peut passer, dit-il, « pour la plus grande de ses merveilles ». « Cette grâce, ajoute-t-il, est la conservation de la mission du Sault, que nous ne pouvons attribuer qu’à ses prières et à ses précieux ossements que nous possédons. »

Il rappelle les fréquentes incursions des Iroquois dans les possessions françaises. On sait en effet qu’après le guet-apens de Cataracouy et la campagne de Denonville chez les Tsonnontouans, en 1687, la guerre s’était rallumée dans les quatre autres cantons.

Les sauvages du Sault demeurèrent fidèles aux Français. Aussi étaient-ils détestés à l’égal des Français et déclarés traîtres à leur patrie. Faits prisonniers, ils étaient voués à la mort la plus horrible. Ils n’étaient qu’une poignée comparés aux cinq cantons. La mission pourtant échappa à la ruine. Elle perdit une centaine d’hommes, mais elle en tua à l’ennemi plus de sept cents parmi ses plus braves.

Lors du massacre de Lachine, en 1689, l’armée iroquoise, forte de quinze cents guerriers, passa le long des terres de la mission, avant de traverser le fleuve. Ils auraient pu ruiner les belles moissons de nos sauvages. Pas un épi ne fut perdu.

Ils annonçaient tous les ans leur détermination d’en finir avec le Sault Saint-Louis. Une main mystérieuse rompait toujours leurs projets.

Cette protection se fit très spécialement sentir à l’été de 1696, alors que les guerriers du Sault accompagnaient un convoi au fort Frontenac. Les Iroquois des cantons le savaient, et pourtant ils n’osèrent attaquer la mission laissée sans défense. Bien plus, ils n’inquiétèrent nullement les missionnaires, les femmes, les vieillards et les enfants qui restaient, et qui, en ce même été, accomplissaient une troisième migration du village, charriant, portant, traînant à qui mieux mieux tout ce qu’ils pouvaient, du vieux village au nouveau.

Un fort parti d’Iroquois vint un jour à l’ancien village, mais à distance seulement. Ils en étaient là, lorsqu’ils aperçurent cinq ou six canots que montaient une trentaine de femmes des plus considérables de la mission et de la bande de Catherine. Elles venaient débarquer où se dressait encore la croix du tombeau de Catherine.

Aussitôt les Iroquois se précipitent vers le fleuve et font pleuvoir une grêle de balles sur les femmes et les embarcations. Une des plus anciennes et des plus braves se met alors à réciter les litanies de Notre-Dame, et, sur son geste, les canots s’éloignent tranquillement du rivage, pendant que les ennemis furieux continuent de tirer et que plusieurs de rage se jettent à la nage pour saisir les canots.

Au milieu de cette fusillade, aucune femme ni aucune embarcation n’avait reçu la moindre atteinte. Merveilleuse préservation, déclare le P. Cholenec, et due, sans doute, à Catherine, près du tombeau où les Iroquois, aveuglés par elle, s’étaient montrés tireurs si maladroits.

Après avoir rappelé deux ou trois autres interventions de ce genre, le Père conclut en ces termes :

« Nous regardons tout cela comme autant de merveilles de notre ange tutélaire, de notre puissante protectrice et patronne, la brave Catherine Tegakouita, qui depuis tant de temps a conservé sa chère mission du Sault et, comme nous espérons, la conservera et l’augmentera de plus en plus, malgré toute la rage de ses ennemis visibles et invisibles, les Irokois et les démons. »

Il nous reste à faire connaître un certain nombre de guérisons, consignées par l’abbé Pierre Remy, dans une lettre au P. Cholenec, en mars 1696. Nous leur consacrons le chapitre suivant.