Catherine Tekakwitha/3/4

Imprimerie du Messager (p. 231-240).


CHAPITRE QUATRIÈME


Les premières guérisons.


Plus que jamais nous nous souvenons, au début de ce chapitre, du décret d’Urbain VIII. Loin de nous la pensée de prévenir en rien le jugement de la Sainte Église. Nous ne faisons que rassembler les faits que des auteurs sérieux, et souvent témoins oculaires, ont consignés dans leurs écrits. À ces faits il sied de n’accorder aujourd’hui qu’une foi purement humaine.


Le P. de Charlevoix, frappé par le nombre et l’éclat des miracles attribués à la « Geneviève du Canada », termine le chapitre qu’il lui consacre par cette sentence :

« C’est ainsi que la Nouvelle-France comme la capitale de l’Ancienne, voient éclater la gloire, l’une d’une pauvre Fille sauvage, et l’autre d’une Bergère, au-dessus de celle de tant d’hommes Apostoliques, de Martyrs et d’autres Saints de toutes les conditions ; Dieu voulant sans doute, pour notre instruction et pour la consolation des humbles, glorifier ses Saints à proportion de ce qu’ils ont été petits et obscurs sur la terre. »

Le P. Chauchetière, écrivant plusieurs années après la mort de Catherine Tekakwitha, s’exprime ainsi : « Enfin, une chose incroyable et sans exemple demande un témoignage plus grand que celui des hommes. Nous en avons un qui dure depuis quinze ans et qui a commencé à sa mort. Tout ce qui l’a touchée, comme un crucifix qu’on lui mit entre les mains lorsqu’on l’ensevelit, a opéré des guérisons ; sa couverte, la terre de son tombeau, son plat où elle mangeait ont rendu subitement la santé. »

La merveille durait encore vingt ans après, puisque le P. Cholenec pouvait écrire, en 1715 : « Dieu ne tarda pas à honorer la mémoire de cette vertueuse fille, par une infinité de guérisons miraculeuses, qui se sont faites après sa mort, et qui se font encore tous les jours par son intercession. C’est ce qui est connu, ajoute-t-il, non seulement des sauvages, mais encore des Français qui sont à Québec et à Montréal. »

Plus loin, il affirme, lui aussi, que tout ce qui a servi à la bienheureuse opère des guérisons, même la simple promesse d’un pèlerinage à son tombeau, ou encore la seule invocation de son nom. Il lui faudrait, dit-il, des volumes pour narrer tout ce qu’il voit. Il résume enfin et grave sa pensée en l’appelant la Thaumaturge du Nouveau-Monde.


Venons-en maintenant aux premières manifestations de ce pouvoir étonnant, renouvelé de nos jours — le parallèle s’impose à l’esprit — par la semeuse de miracles qu’est la jeune sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus.

Les missionnaires du Sault et leurs ouailles n’attendirent pas des miracles pour témoigner leur dévotion à Catherine Tekakwitha. On se porta à son tombeau pour la vénérer et l’invoquer.[1]

Le P. Chauchetière en était, mais non d’abord sans quelque scrupule. Chose étrange, malgré la première apparition dont il fut favorisé six jours après la mort de Catherine et dont il ne dit rien à personne à ce moment-là, il ne pouvait se débarrasser d’un certain doute à l’égard de Catherine. Ce doute venait de la calomnie que le P. Cholenec nous a racontée. Il se sentait intérieurement pressé d’écrire sur les vertus de la sainte ; il hésitait. Il y avait bien l’apparition, mais n’était-il pas la victime d’une illusion ? Allait-il y faire tomber les autres ? Dans ces moments, il désapprouvait en son âme les honneurs qu’on rendait à l’illustre défunte ; puis, emporté par le souvenir de ses vertus, il se rendait au tombeau et priait avec la plus grande confiance.

Ainsi flottant, perplexe, il fut appelé, en janvier 1681, neuf mois après la mort de Catherine, auprès d’un Français, Claude Caron, habitant de la Prairie de la Magdeleine, qui se mourait. Le Père en fut enchanté : il allait mettre à l’épreuve la vierge iroquoise que l’on disait déjà si puissante au ciel — puissance qui jusque-là ne s’était manifestée que par la guérison des âmes.

Il eut soin de passer par le tombeau de Catherine, suppliant Notre-Seigneur de vouloir bien l’éclairer en cette occasion sur ses doutes. Il se releva avec plus de confiance. Le malade, qu’il trouva réduit à l’extrémité par une violente oppression de poitrine, après une troisième rechute, put à peine se confesser. Lui ayant administré les derniers sacrements, le Père lui proposa de se vouer à la bonne Catherine et de l’aller prier sur son tombeau si elle le guérissait. Le moribond promit tout de grand cœur. Le missionnaire lui mit alors au cou le crucifix que Catherine mourante tenait entre ses mains. Il se retira en promettant de revenir le lendemain.

Un moment après, le malade, par un faux mouvement de ses gardiens, tomba lourdement sur le plancher. On crut qu’il allait rendre l’âme. On le remit tant bien que mal sur son lit, pour qu’il pût au moins mourir plus doucement. C’est tout le contraire qui arriva. Il s’endormit paisiblement. Pendant son sommeil il eut l’impression qu’une grosse pierre lui était enlevée de dessus la poitrine. À son réveil, il était parfaitement guéri.

Le lendemain, un médecin de Montréal qui était venu le voir avant l’arrivée du P. Chauchetière et était retourné à la ville chercher un remède pour contenter son client plutôt que pour le guérir, revint et, entrant dans la maison, l’aperçut près de son poêle, frais et dispos, sans trace de maladie. Il déclara en partant que, à sa connaissance, jamais homme n’avait été si malade sans en mourir.

Ce n’est que trois ou quatre jours après que le P. Chauchetière put revenir à son malade. Jugez de sa surprise et de sa joie à la vue du prodige. La puissance au ciel de Catherine s’était vraiment affirmée. Ce fut sa première guérison. Elle s’était produite à la Fourche, une des côtes de la Prairie.

La seconde eut lieu dans le village même de la Prairie. Le P. Cholenec, qui le raconte, a soin de nous avertir que les circonstances sont telles que le tout « semblerait une fable ou un conte fait à plaisir, si la chose ne s’était passée à la vue de tous les habitants de la Prairie de la Magdeleine. »

Dans le même mois de janvier 1681, peu de temps après la première guérison, la femme de François Roaner, âgée de soixante ans, tomba gravement malade et bientôt se trouva à l’article de la mort. Le P. Chauchetière, appelé encore cette fois, l’administra et lui mettant entre les mains le crucifix de Catherine qui avait servi à l’autre guérison, la pressa de se recommander à elle avec confiance. La mourante le suspendit à son cou. Elle l’y avait à peine placé, qu’elle se trouva subitement guérie, en présence des personnes qui la gardaient.

Ainsi guérie par le crucifix, elle ne voulait plus s’en dessaisir. Pour l’y résoudre, le P. Chauchetière lui donna un petit sac contenant un peu de poudre du tombeau de Catherine. C’est cette poussière du tombeau qui devait opérer tant et tant de guérisons. La femme le mit à son cou à la place du crucifix.

Quelque temps après, se sentant si bien, elle l’ôta. Dans l’instant même elle retomba malade, avec tant de violence qu’elle allait mourir, si on n’eût remis en place la poudre miraculeuse. La guérison fut aussi subite que l’autre. La femme Roaner, instruite par l’expérience, continua de porter la poudre à son cou, autant peut-être par crainte d’une rechute que par dévotion à sa bienfaitrice.

Il arriva pourtant, un an après, que son mari fut saisi d’un violent mal de reins accompagné de rhumatisme. Dans un élan de charité, elle enleva le précieux sachet et le suspendit au cou du malade. Il guérit aussitôt, mais son mal revint à la femme, qui se mit à crier que son mari la tuait. Il fallut donc reprendre à l’homme la poudre et la rendre à la première propriétaire. Pour la troisième fois la malade guérit instantanément, sans préjudice néanmoins du mari qui demeura depuis ce temps, comme elle, parfaitement guéri.

Jusque-là, c’étaient des Français qui avaient été l’objet des attentions de la servante de Dieu. Peut-être l’occasion ne s’était-elle pas encore présentée, pour lui demander une guérison parmi les siens.

L’occasion survint au mois de mars suivant. Un sauvage du Sault était à l’agonie, après avoir reçu les derniers sacrements. On n’attendait plus que sa mort. Le P. Chauchetière lui fit prendre un peu de la poudre du tombeau. Le mourant se trouva à l’instant hors de danger.

On pria alors le même Père de s’intéresser à une jeune femme de la mission, percluse de tous ses membres à chaque retour du printemps, et cela depuis l’âge de huit ans. Le missionnaire s’y rendit aussitôt, lui mit au cou le crucifix de Catherine et lui fit commencer une neuvaine en son honneur. Première neuvaine qu’on lui ait faite, dit le P. Cholenec. Elle eut son plein effet : au neuvième jour, la percluse se releva entièrement guérie, et depuis lors ne ressentit jamais son mal. Elle rompit aussi avec sa passion du jeu : ce qu’elle avait d’ailleurs promis à Catherine. Et à ce sujet, il est remarquable que la bienheureuse faisait toujours coup double, quand l’âme avait aussi besoin d’une guérison.

En voici un autre exemple.

Le mari de la femme dont nous venons de raconter la guérison et qui était le propre fils aîné d’Anastasie, se vit malade à son tour, et du même mal. Il s’empressa naturellement d’appeler Catherine à son secours. Elle accourut sans tarder et le guérit.

Mais voici que peu de jours après, il fut blessé d’un mot de sa mère. Très irascible de tempérament, il s’emporta et, dans un accès de désespoir, courut vers le fleuve pour s’y précipiter. Il lui fallait passer devant le tombeau de la sainte. Il y fut arrêté net : ses pieds se fixèrent au sol sans possibilité aucune de les remuer, jusqu’à ce qu’il eût reconnu sa faute et en eût demandé pardon au bon Dieu. Il alla de ce pas se confesser, racontant avec larmes ce qu’il devait à sa céleste bienfaitrice.

Nous sommes encore en l’an de grâce 1682. Le premier capitaine du Sault était alors notre ancienne connaissance, la Cendre-Chaude, celui, on s’en souvient, qui avait organisé la fuite de Catherine Tekakwitha. Pendant l’été, sa femme tomba gravement malade à la suite d’une couche laborieuse. Plusieurs femmes, dont une Française bien au courant des choses, s’empressaient autour d’elle, mais sans succès. On s’avisa alors de lui apporter la couverte de Catherine que Marie-Thérèse conservait précieusement. Sur l’entrefaite, la cloche de la chapelle sonna pour la messe. Tous y allèrent afin de prier Dieu pour elle. Restée seule, elle étendit la couverte sur son corps en conjurant Catherine d’avoir pitié d’elle. À l’instant même elle se sentit guérie. Hommes et femmes, au retour de l’église, purent constater cette nouvelle preuve des mérites et du pouvoir de la sainte.

Le lecteur aimera peut-être à savoir ce qu’il advint de notre sympathique Cendre-Chaude. Plus que tout autre il contribua à maintenir la ferveur dans la mission. Son éloquence, sa prudence, ses exemples entraînaient tout le monde. Il put de la sorte convertir un grand nombre d’Iroquois venus des bords de la Mohawk. Quand la guerre menaça d’éclater entre Iroquois et Français, il s’offrit comme ambassadeur pour apaiser les esprits. Il ne voulut point partir sans aller prier sur le tombeau de Catherine, d’en prendre un peu de poussière pour la suspendre à son cou, priant la sainte de l’accompagner et de le ramener sain et sauf. Elle le fit en effet.

Mais quand, en 1687, la hache de guerre fut déterrée par les Tsonnontouans, il comprit que son heure était arrivée. Il eut un si clair pressentiment de sa mort prochaine qu’il l’annonça à sa femme, lui recommandant, comme dernier adieu, d’être toujours bonne chrétienne. Il partit avec un détachement de Français et de sauvages. Le P. Chauchetière, qui nous rapporte ces faits, dit que dans cette campagne des Tsonnontouans il n’y eut que deux hommes de leur village tués à l’ennemi : Cendre-Chaude était l’un d’eux.

Frappé à mort, il s’offrit à Dieu en sacrifice ; sa pensée revenait sans cesse à Jésus mourant sur la croix. C’est aussi en priant Dieu qu’il rendit son âme vaillante, le 14 juillet 1687.

Dans cette nouvelle guerre qui porta la désolation à Lachine et sur toute l’île de Montréal, nous verrons tout-à-l’heure la protection accordée par Catherine à sa petite famille du Sault Saint-Louis.

  1. Le chapitre septième fera l’historique du tombeau de Catherine Tekakwitha.