Catherine Tekakwitha/2/7

Imprimerie du Messager (p. 155-173).


CHAPITRE SEPTIÈME


L’amour de Catherine pour les souffrances.
— Sa chasteté et son amour pour la Sainte Vierge.
— Le vœu de virginité.


Nous avons déjà dit que la mission du Sault était dans une très grande ferveur, quand la jeune Tekakwitha y arriva en 1677. Celle-ci trouva, chez les hommes et les femmes, la pratique des plus rudes pénitences. Elle les dépassa tous.

Ces nouveaux chrétiens avaient, comme s’exprime le P. Cholenec, « pris la foi d’une bonne façon ; ces braves et généreux néophytes y concevaient de si vifs sentiments de honte et de douleur de leurs péchés passés que, quoiqu’ils fussent déjà effacés par le baptême, ils en faisaient une rigoureuse pénitence ».

Les uns se mettaient le corps en sang plusieurs fois la semaine par de rudes et longues disciplines ; les autres bûchaient et portaient des charges de bois, des jours entiers, avec une ceinture de fer autour du corps ; le Grand Agnier en portait une tous les vendredis et la veille des grandes fêtes ; l’ancien dogique et premier chrétien du Sault en faisait autant. Plusieurs d’entre eux se disposaient de la sorte à subir vaillamment les tortures qui les attendaient dans leur pays.

La guerre, en effet, ne devait pas tarder à éclater entre Français et Iroquois. Ceux-ci invitèrent leurs compatriotes de la mission à venir se joindre à eux, leur promettant toute liberté de pratiquer leur religion. Le refus de cette invitation les transporta de fureur : les Iroquois chrétiens du Sault furent aussitôt déclarés ennemis de la patrie. Quelques-uns, saisis et emmenés captifs, furent brûlés à petit feu. Au milieu des plus cuisantes douleurs, ces hommes généreux prêchaient Jésus-Christ à ceux qui les tourmentaient et les conjuraient d’embrasser au plus tôt le christianisme pour échapper au feu éternel.

« Un entre autres, nommé Étienne, raconte le P. Cholenec, signala sa constance et sa foi : il était environné de flammes et de fers ardents : sans cesse il encourageait sa femme, qui souffrait le même supplice, à invoquer avec lui le saint Nom de Jésus. Étant près d’expirer, il ranima tout ce qu’il avait de force, et, à l’exemple de son saint Patron, il pria le Seigneur à haute voix pour la conversion de ceux qui le traitaient avec tant d’inhumanité. Plusieurs de ces barbares, touchés d’un spectacle qui leur était si nouveau, abandonnèrent leur pays et vinrent à la mission du Sault pour demander le baptême et y vivre selon les lois de l’Évangile ».

Voilà quels étaient les hommes, conclut le missionnaire. Il ajoute : « Les femmes, qui vont toujours dans l’excès, faisaient tout cela et bien davantage encore : les unes se roulaient dans la neige, comme fit une jeune femme trois nuits de suite dans les plus grands froids que j’aie vus en Canada ; une autre, dans un froid semblable mais accompagné d’une poudrerie de neige si grande qu’on ne pouvait voir à deux pas de soi et qu’on n’avait pas la force de se tenir à l’air, non seulement s’y tint, mais étant dépouillée jusqu’à la ceinture, s’exposa à toute la rigueur de la saison sur le bord de la grande rivière, et récita son chapelet dans cette posture si étrange ; où il faut remarquer que dans la langue des sauvages la salutation angélique est le double plus longue que dans la nôtre. »

D’autres pourtant allaient plus loin : après avoir rompu la glace avec leur hache, elles se plongeaient jusqu’au cou dans les étangs et les rivières ; elles avaient le courage de réciter plusieurs dizaines de chapelet dans cet effroyable tourment, d’où elles sortaient avec une chemise de glace autour du corps. L’une d’elles le fit trois nuits de suite ; elle y gagna une fièvre si violente qu’elle en pensa mourir. Une autre, non contente de s’immerger ainsi dans l’eau glacée, y plongea sa petite fille âgée de trois ans ; elle l’en retira à demi-morte. Au Père qui la reprenait de cette imprudence, elle répondit tout simplement que c’était en prévision des péchés que l’enfant commettrait un jour et qu’elle voulait lui faire expier par avance.

On peut s’étonner que de pareils excès pussent s’accomplir quelque temps sans être réprimés. Mais les missionnaires ne les apprenaient qu’après coup, parce que ces bons chrétiens, non moins humbles que pénitents, les pratiquaient hors du village, dans les bois. Par ailleurs, ils croyaient bonnement que dans le bois tout leur était permis en fait de mortifications.


Ces diverses pénitences des hommes et des femmes ne pouvaient échapper longtemps à la clairvoyance de Catherine. Elle en découvrit une partie et devina le reste. Son amour de la souffrance allait se satisfaire, du moins en partie, car l’obéissance dut souvent intervenir.

Le P. Chauchetière, qui sera notre guide en cette étude, ouvre le chapitre des austérités de la néophyte par ces mots : « Nous sommes ici dans un grand champ dont on n’a pas encore vu le bout. » De fait, il écrivait quelque temps après la mort de la servante de Dieu : des faits nouveaux lui étaient peu à peu révélés sur elle, par des personnes de la mission et d’ailleurs, notamment au sujet de ses mortifications.

Catherine Tekakwitha avait une notion exacte de l’amour de la souffrance. Après avoir signalé l’inaltérable douceur, la patience, la joie même qu’elle témoigna dans les maux qu’elle avait eus à souffrir sur la fin de ses jours, le P. de Charlevoix fait cette juste réflexion : « Il semble que rien ne doive moins coûter à ceux qui portent la mortification aussi loin que faisait cette sainte fille. Cela est pourtant assez rare : on est souvent étonné de voir les personnes qui pratiquent les plus grandes austérités, plus sensibles que d’autres à ce qui leur arrive de fâcheux et d’humiliant. » Puis il ajoute avec infiniment de sens : « C’est qu’en cela il n’y a rien de leur choix. La volonté propre est toujours la dernière victime, et elle manque souvent à l’holocauste. Catherine comprenait ce que les croix, qui sont présentées de la main du Seigneur, ont de préférable à celles que nous nous imposons nous-mêmes, et les souffrances, où sa volonté avait le moins de part, étaient toujours le plus selon son cœur. »

Il nous a déjà été donné, au cours de ce récit, de constater le bien-fondé de cette réflexion, nous avons vu la jeune Iroquoise, dès ses années d’adolescence, puis après son baptême là-bas et enfin au Sault Saint-Louis, nous l’avons vue en butte à la persécution, aux mauvais traitements, à la calomnie, à des projets qu’elle abhorrait, et toujours nous avons admiré sa vertu, la paix de son âme, la douceur, la patience avec lesquelles elle recevait la croix (présentée de la main du Seigneur. »

En ce moment, nous voulons rappeler quelques-unes des mortifications qu’elle s’imposa elle-même.

Comme un bienheureux Jean de la Croix, animée d’une sainte haine pour son corps, elle lui avait déclaré la guerre, elle voulait, ainsi que saint Paul le conseillait aux Corinthiens, « porter toujours avec elle dans son corps la mortification de Jésus-Christ ». Elle pouvait dire avec sainte Thérèse : « Ou souffrir, ou mourir », ou même peut-être avec sainte Marie-Madeleine de Pazzi : « Ne pas mourir, mais souffrir. »

Plus près de nous, Jésus encourageant la jeune et sainte sœur Benigne-Consolata Ferrero, lui disait : « Plus tu avances dans le chemin de la mortification, plus tu te rapproches de Dieu. » Et encore : « Rien n’augmente l’amour comme la croix. » Il disait encore des âmes qui ont peur du sacrifice : « Je les compare à ceux qui se privent de cueillir une rose dans la crainte de se piquer. L’amour ne fait pas ainsi : là où il voit un sacrifice, il s’élance comme sur une proie, il l’étreint, l’embrasse, et plus le sacrifice est caché, intime, connu de Dieu seul, plus il le fait volontiers. »[1]

Une chose que ses biographes ont bien marquée, c’est que la jeune Tekakwitha, malgré sa vie vraiment austère, avait une sainteté des plus aimables, douce, enjouée, prévenante. On pourrait dire d’elle, en se reportant à la gracieuse comparaison du Sauveur, qu’elle cueillait pour elle-même les épines, afin de ne laisser au prochain que les roses.

On se souvient qu’elle eut pour première institutrice la bonne Anastasie. Elle lui demanda un jour, quelle était la chose la plus rude que l’on pût offrir en sacrifice à Notre-Seigneur pour lui prouver son amour.

— Ma fille, répondit l’ancienne, je ne vois rien au monde de plus horrible que le feu.

— Ni moi non plus, répliqua Catherine.

Elle n’en dit pas alors davantage. Mais le soir, quand tout le monde fut couché, elle passa un long espace de temps à se brûler les jambes avec un tison, comme on faisait aux esclaves chez les Iroquois : elle voulait par là se déclarer l’esclave de son Sauveur, à qui elle alla ensuite se présenter à la porte de l’église, au milieu des ténèbres, avec ses belles livrées de la croix.

« On voyait Catherine au milieu de l’été, note le P. Chauchetière, toujours tête couverte, tandis que les autres sauvagesses n’ont que leurs cheveux qui leur servent de coiffure, et sont habillées fort à la légère. » Quand on lui demandait la raison de sa conduite, elle répondait « qu’elle croirait être superbe si on la voyait tête levée et sans couverte ».

Lorsqu’elle apprit l’usage de la discipline et des ceintures de fer chez les gens de son village, elle n’eut de cesse qu’elle n’obtint de son directeur ces instruments de pénitence. On imagine bien qu’ils ne restèrent point enfouis sous sa natte. Elle s’en servit pour étancher quelque peu sa soif de souffrances. Outre ces expiations de commune occurrence, elle s’en infligeait d’autres plus spéciales.

Allant au bois avec sa sœur et d’autres femmes, elle se plaçait derrière elles, ôtait sa chaussure et marchait pieds nus dans la neige et sur les glaces. Aussitôt qu’on pouvait la découvrir, elle se rechaussait : par humilité, elle se serait plutôt abstenue d’une mortification que de paraître mortifiée.

À la fête de la Purification, elle crut bon d’imiter en quelque sorte les cérémonies de l’Église dans la procession de ce jour, et donner à Notre-Dame une marque de son affection. Après la messe, elle fit le tour de son champ en récitant plusieurs fois son chapelet, nu-pieds et dans la neige jusqu’aux genoux.

Elle était un jour au bois avec Thérèse. Elle portait sa ceinture de fer aux pointes acérées. Revenant avec une grosse charge de bois sur ses épaules, elle glissa dans une descente et tomba lourdement ; les pointes de sa ceinture pénétrèrent fort avant dans sa chair. Elle se releva en souriant. Sa compagne voulait qu’elle laissât là sa charge. Elle n’en fit rien et rentra au village en cachant si bien son mal que personne ne s’en aperçut.

On remarqua que les mercredis et samedis elle ne mangeait rien. Elle les passait au bois en bûchant tout le jour. On ne voulut plus la laisser partir avant que la soupe ne fût servie et absorbée. Elle se dérobait quelquefois, disant à celle qui faisait chauffer la marmite, de demeurer au logis pour avoir soin de ses enfants, tandis qu’elle-même n’avait rien qui pût la retenir. Lorsqu’elle n’y réussissait point, elle se dédommageait en mêlant de la cendre à sa soupe, surtout en carême ; ce qu’elle faisait encore tous les vendredis de l’année.

Thérèse et elle se confessaient chaque semaine, après le salut qui avait lieu le samedi soir.

Un jour que Catherine était allée voir sa compagne pour causer des choses de Dieu, le discours tomba sur la préparation à la confession. C’était un samedi. Elle demanda à sa compagne ce qu’elles pourraient bien faire pour se mieux préparer. Thérèse suggéra une bonne flagellation mutuelle avec des verges. Tout de suite, Catherine partit, alla au cimetière qui était tout près, empoigna un paquet de verges, et, rentrant à la cabane, les dissimula adroitement sous une natte.

Quand le premier coup du salut sonna, elles pressèrent tout le monde de la cabane de se rendre à l’église et fermèrent soigneusement la porte. Alors Catherine, à genoux, les épaules nues, demanda à sa compagne de ne la point épargner. L’autre aurait voulu passer devant, dans la crainte de n’avoir pas le temps de recevoir sa part. Les supplications de Catherine prévalurent. Au reste toutes deux purent contenter leur besoin de souffrir en se mettant les épaules en sang. Elles allèrent ensuite à l’église, remplies de joie, goûtant plus que jamais les prières, les chants, la bénédiction du très saint Sacrement.

Ce mode de discipline à deux parut plein de charmes. Il ne fallait donc pas en rester là. Où se retireraient-elles pour échapper aux regards ? Leur choix se porta sur une cabane ouverte, située dans le cimetière et que possédait un Français de la Prairie. Elles choisirent le samedi pour se préparer de cette sorte à la confession.

La méthode qu’elles suivaient consistait à réciter d’abord l’acte de foi que les sauvages disaient communément à l’église, puis un acte de contrition. Catherine, toujours la première pour la pénitence, se mettait à genoux et recevait les coups de verges. Elle se plaignait que les coups n’étaient pas assez fermes : elle exhortait sa compagne à frapper plus fort. Et pourtant celle-ci déclara plus tard que le sang sortait au troisième coup.

Lorsque toutes deux avaient satisfait aux premières ardeurs de leur dévotion, elles commençaient le chapelet de la Sainte Famille. Elles l’avaient divisé en plusieurs pauses, et à chaque pause elles se donnaient un coup de verges. « Mais, sur la fin, ajoute le P. Chauchetière, leur dévotion n’avait point de mesure. C’était alors que Catherine découvrait les sentiments de son cœur en ces termes : Mon Jésus, il faut que je risque avec vous : je vous aime, mais je vous ai offensé ; c’est pour satisfaire à votre justice que je suis ici ; déchargez, mon Dieu, sur moi votre colère… Quelquefois elle n’en pouvait dire davantage, mais ses yeux baignés de larmes achevaient le reste. »

Le biographe raconte que, après la mort de Catherine, Thérèse affirmait que cette sainte fille, lorsqu’elle rappelait dans ces moments de ferveur tous ses péchés, ne trouvait rien de plus grave que de n’avoir pas résisté, après son baptême chez les Agniers, à ceux qui la menaient aux champs les dimanches et les fêtes, pour l’y faire travailler malgré elle, de n’avoir pas plutôt souffert le martyre, d’avoir plus craint la mort que le péché.

Ces pénitences durèrent longtemps. À la fin, Catherine tomba gravement malade. Thérèse eut scrupule de laisser mourir sa compagne, sans prévenir le missionnaire de leurs mortifications. Le P. Cholenec blâma fort ces excès. Il les trouvait en même temps bien pardonnables en de nouvelles chrétiennes. Mais il leur donna pour l’avenir un règlement très net.

Le P. Chauchetière se joint au P. Cholenec pour excuser Catherine au sujet de ses pénitences : « Elle a été prudente, dit-il, dans ses excès mêmes, qui ne répondaient qu’aux violentes attaques que le péché fait aux sauvages, dont elle croyait ou plutôt dont elle appréhendait les souillures ; elle allait donc dans les excès non pas pour y persévérer opiniâtrement, mais pour trouver le milieu qu’elle gardait quand le Père le lui avait enseigné. »

Catherine recouvra la santé, si on peut appeler santé un état de faiblesse et d’infirmité continuel. Comme si la maladie eût été pour elle une lâcheté plutôt qu’une défaillance, elle se mit à importuner son confesseur, le priant avec une candeur charmante d’avoir pitié d’elle, de lui permettre quelque chose, afin que son corps ne prit pas le dessus. On lui permit, en effet, quelque chose. Mais ce peu de chose, elle l’étendait le plus qu’elle pouvait.


On sait que c’est parmi les épines de la mortification que fleurit excellemment le lis de la pureté.

Après avoir parlé des vertus de Catherine Tekakwitha, le P. Cholenec ajoute : « Enfin, rien ne fut plus remarquable en elle que cette pureté angélique dont elle fut si jalouse et qu’elle conserva jusqu’au dernier soupir. Ce fut un miracle de la grâce qu’une jeune Iroquoise ait eu tant d’attrait pour une vertu si peu connue dans son pays, et qu’elle ait vécu dans une si grande innocence de mœurs pendant vingt années qu’elle a demeuré dans le centre même du libertinage et de la dissolution. »

Il y revient dans un autre endroit, où il affirme qu’elle n’avait « jamais ressenti la moindre chose contraire à cette vertu, ni dans son corps ni dans son âme ; cela, dis-je, paraît incroyable et est pourtant très véritable. Je l’avais déjà su d’elle-même, mais voulant nous en assurer davantage d’une chose si merveilleuse, je l’interrogeai encore là-dessus la veille de sa mort, après lui avoir donné le saint Viatique. Et quoiqu’elle eût de la peine à parler, elle fit un effort pour me répondre d’un ton de voix ferme : « Non, non », et avec un geste qui témoignait de la peine qu’on l’interrogeât encore à la mort sur un péché qu’elle avait eu si fort en horreur pendant sa vie. »

Le culte de la pureté ne va jamais sans un grand amour de la Vierge très pure. Nous en avons un bel exemple en notre bienheureuse.

Dès qu’on lui eut appris ce qu’était la sainte Vierge, elle l’aima de tout son cœur. Peu de temps après son arrivée au Sault, son institutrice, Anastasie, ayant remarqué quelques grains de porcelaine disposés dans sa chevelure, elle lui demanda si elle était prête à sacrifier ces vanités pour imiter mieux l’humble Marie ; tout de suite elle les retira. Et même, si elle n’eût craint une trop grande singularité, elle se fût coupé les cheveux, pour se déclarer ainsi l’esclave de la Reine du ciel.

Lorsqu’elle parlait de la Sainte Vierge, elle le faisait avec transport ; tout son cœur y passait. Des Iroquois et même des Français, frappés de sa sainteté, l’interrogèrent parfois sur la manière d’être plus agréable à Dieu. Dès que, dans sa réponse, elle touchait à la pureté, elle y mêlait aussitôt le nom et les exemples de Notre-Dame.

Elle avait appris par cœur ses litanies ; elle les disait tous les soirs privément, après les prières communes de la cabane. Son chapelet toujours à la main, elle le récitait partout chemin faisant.

Le P. Chauchetière remarque qu’il n’y a pas à signaler son exactitude à dire l’Angélus en quelque endroit qu’elle fût, même dans la forêt, « parce que, dit-il, c’est la louable coutume de tous les sauvages du Sault de le dire trois fois le jour sans manquer ». Belle leçon pour les blancs de tous pays.

Les samedis et les autres jours dédiés à la Madone, elle les marquait par quelque mortification ou quelque acte de vertu extraordinaire. Elle se disposait aux fêtes les plus solennelles de la Bienheureuse Vierge par un redoublement de ferveur. Ces grands jours étaient pour elle un temps de rénovation spirituelle, tant elle y trouvait de goût, tant elle y recevait de grâces. Nous l’avons déjà vue solenniser à sa manière la fête de la Purification. Une autre fête de la Sainte Vierge va être choisie par elle pour l’acte le plus parfait de sa vie.


On se rappelle le double assaut qu’elle eut à soutenir pour faire avorter les beaux projets de mariage qu’on formait pour elle.

Après sa victoire, elle voulut s’en assurer à jamais le fruit. Elle n’avait pas oublié sa visite chez les religieuses de Ville-Marie, leur vie de pauvreté, de dévouement, surtout le vœu qu’elles faisaient de leur virginité : ce vœu lui paraissait si beau, si grand. Et combien n’avait-elle pas raison, puisque le Fils de Dieu lui-même n’a pas cru pouvoir mieux relever la splendeur et le mérite de cet état, qu’en le comparant à celui des anges dans le ciel, erunt sicut angeli Dei in coelo !

« Entre les Pères de l’Église, observe ici le P. Cholenec, qui disputent avec une sainte émulation pour savoir laquelle des vertus de Notre-Dame l’a rendue plus agréable aux yeux de Dieu et digne d’être sa mère, il y en a qui pensent avec raison que c’est la virginité, virginitate placuit ; et que pour avoir été la première entre toutes les pures créatures qui, par un vœu exprès, a levé le divin étendard de la virginité dans le monde, que par cette seule action, dis-je, elle a passé toutes les grâces, toute la perfection et toute la sainteté de tous les autres saints ensemble. Je dis de même à proportion qu’une action si héroïque que cette jeune vierge a faite à l’exemple de la Reine des Vierges, a fait aussi sa plus grande gloire devant Dieu, et qu’à ne la regarder que par cet endroit seulement, on ne doit pas s’étonner si elle a mérité de recevoir tant de grâces durant sa vie et de faire de si grands miracles après sa mort. »

À la suite donc de l’assaut et de la victoire ci-haut mentionnés, Catherine demanda au missionnaire la faveur de consacrer sa personne à Jésus-Christ par un engagement irrévocable.

Nulle demande ne pouvait être plus agréable au Père. D’autre part, la chose était si nouvelle, si apparemment incompatible avec le caractère sauvage, absolument inouïe jusque-là. Le P. Cholenec ne voulut rien précipiter dans une affaire de cette conséquence. Il éprouva quelque temps la néophyte, examina sa vie, les grands progrès qu’elle ne cessait de faire dans toutes les vertus et surtout avec quelle profusion Dieu se communiquait à sa servante.

Tout pesé, il en conclut que le dessein de la jeune Iroquoise ne pouvait venir que du ciel. Il lui permit donc de le mettre à exécution. Le Père admira avec quelle ferveur, ayant choisi la fête de l’Annonciation pour prononcer son vœu de virginité, elle se prépara à ce jour tant souhaité, qui devait être le plus heureux, le plus beau des jours de sa vie.

Témoin de cet événement, voici comment le P. Cholenec nous le raconte :

« Ce fut le jour de l’Annonciation, 25 mars 1679, sur les huit heures du matin, que Catherine Tegakouita, un moment après que Jésus-Christ se fut donné à elle dans la communion, se donna aussi toute à lui, et que renonçant pour toujours au mariage, elle lui promit virginité perpétuelle, et qu’enfin avec un cœur tout embrasé de son amour, elle le conjura de vouloir bien être son unique Époux et de l’agréer pareillement pour son épouse. Elle pria Notre-Dame pour qui elle avait une tendre dévotion, de la présenter à son divin Fils. Puis, voulant faire un double sacrifice dans une seule action, en même temps qu’elle se dévoua à Jésus-Christ, elle se consacra tout entière à Marie, lui demandant très instamment de vouloir bien être sa mère et la prendre pour sa fille.

« C’est ainsi, continue le missionnaire, que se passa cette grande action, qui causa sans doute bien de la joie à tout le Paradis, et qui la mit elle-même au comble de tous ses désirs. Aussi est-il vrai que depuis ce sacrifice héroïque, Catherine ne tenait plus à la terre et que toute sa conversation était au ciel. Son âme en goûtait toutes les douceurs, pendant qu’elle affligeait son corps par de nouvelles austérités, qui, jointes à cette contention si profonde de son esprit à se tenir toujours unie à Dieu, épuisèrent enfin ses forces. »

Il ne restait plus à la bien-aimée de Jésus et de Marie qu’un an à vivre loin de son Époux et de sa Mère.

Les saints sont des avares bien avisés : ils amassent trésors sur trésors, mais pour le ciel, suivant le précepte de Jésus-Christ. Et plus ils sentent que le temps va leur échapper, plus ils accumulent les pièces d’or, se demandant d’abord, comme saint Louis de Gonzague, devant chacune d’elles, c’est-à-dire devant chaque pensée, chaque parole, chaque action : « Quid hoc ad aeternitatem, que vaut-elle pour l’éternité ? »

C’est exactement ce que fit notre bienheureuse dans les derniers mois de sa vie. Le chapitre suivant va nous en fournir la démonstration.

  1. Sœur Bénigne-Consolata Ferrero. Vie abrégée, Lyon, 1920, pp. 83, 86, 91.