Catéchisme d’économie politique/1881/27
CHAPITRE XXVII.
Des consommations publiques.
Quel est le but des consommations publiques ?
De satisfaire des besoins communs à plusieurs citoyens ou à plusieurs familles.
Quels objets consomme-t-on dans ce but ?
Des armes, des munitions pour les armées ; des provisions, des médicaments pour les hôpitaux ; mais principalement les services de plusieurs classes nombreuses d’hommes qui dirigent les affaires publiques : administrateurs, juges, militaires, prêtres, qui font leur profession de servir les peuples.
Qu’entendez-vous par consommer le service de ces diverses classes ?
Leurs travaux, tant intellectuels que manuels, ont une valeur que le public paye et qu’il consomme parce qu’il en jouit ; et cette consommation a l’effet de toutes les autres ; elle détruit la valeur achetée et payée, en ce qu’un service payé et consommé ne peut plus être employé de nouveau ; il faut qu’un nouveau service soit rendu pour qu’on en puisse tirer un nouvel avantage.
Est-ce le public qui consomme le service des fonctionnaires publics ?
C’est le public, ou du moins c’est dans l’intérêt du public que ce service est consommé ; et les fonctionnaires publics consomment, pour leur usage particulier, les valeurs qu’en échange de leurs services ils reçoivent du public.
Il y a donc là-dedans une double consommation ?
Oui, de même qu’à la suite de tous les échanges ; mais, dans ce cas-ci, l’un des deux produits échangés est un produit immatériel (celui du fonctionnaire public) et, par conséquent, il se trouve consommé à mesure que le service est rendu.
Qu’en concluez-vous ?
Que, bien que les fonctionnaires publics soient des travailleurs productifs lorsqu’ils rendent de véritables services, leur multiplicité n’augmente en rien la richesse nationale. L’utilité qu’ils produisent est détruite à mesure qu’elle est produite, comme celle qui résulte pour le particulier du travail des médecins et des autres producteurs de produits immatériels.
Qui est-ce qui décide de l’utilité du service des fonctionnaires publics, et du prix qu’il convient d’y mettre ?
Ce ne peut être, comme dans les autres consommations, le consommateur lui-même ; car ici le consommateur est le public, c’est-à-dire un être composé d’une multitude d’individus, et qui ne peut en général exprimer ses besoins et ses volontés que par des fondés de pouvoirs.
Par qui sont institués ces fondés de pouvoirs ?
Par la constitution politique de l’État dont l’examen n’est pas de notre sujet. Nous pouvons seulement remarquer que la constitution politique est meilleure là où le même avantage est acquis au public, au moyen des moindres sacrifices.
Quel est le principal avantage qu’une nation puisse retirer de ses dépenses publiques ?
La sûreté des personnes et des propriétés, parce que sans cela il n’existe pas de société.
Quelles sont les dépenses qui pourvoient à cette sûreté ?
Ce sont les dépenses relatives aux forces de terre et de mer destinées à repousser les attaques des ennemis du dehors ; les dépenses des tribunaux criminels qui répriment les attentats coupables des particuliers, et celles des tribunaux civils qui repoussent les prétentions injustes qu’un citoyen peut élever contre les droits et les propriétés d’un autre citoyen.
Quel avantage retire le public des dépenses relatives à l’instruction publique ?
L’instruction, en adoucissant les mœurs, rend plus douces les relations des hommes entre eux ; en nous apprenant quels sont nos vrais intérêts, elle nous montre ce que nous devons rechercher ou fuir ; elle donne de l’ascendant à la raison sur la force ; elle enseigne à respecter les droits d’autrui, en éclairant chacun en particulier sur les siens ; enfin, par son influence sur la production des richesses, elle est favorable à la prospérité publique dont chaque famille prend sa part.
Est-il nécessaire que toute espèce d’instruction soit donnée au dépens du public ?
Nullement : les particuliers ont soin d’acquérir à leurs frais celle qui peut leur être utile dans les fonctions sociales qu’ils sont appelés à remplir ; cependant, la classe qui ne vit que de son travail manuel, ne pouvant donner à ses enfants la première instruction (celle qui enseigne à lire, à écrire et à compter), et la société étant intéressée à ce que cette classe soit civilisée, il lui convient, dans bien des cas, de fournir à ses frais cette première instruction.
N’y a-t-il pas quelque autre genre de connaissances qu’il importe aux nations de protéger spécialement ?
Les hautes connaissances, par la nature des choses, ne rapportant pas à ceux qui les cultivent un revenu proportionné aux services qu’elles peuvent rendre à la société, il importe peut-être aux nations d’en favoriser les progrès dans quelques écoles spéciales.
Quel avantage le public se flatte-t-il d’obtenir en salariant un corps de prêtres ?
Il se flatte de trouver en eux des personnes désintéressées, qui prêchent la vertu par leurs paroles et par leur exemple, qui exhortent les hommes à l’indulgence les uns envers les autres, et les consolent dans leurs adversités.
Quels avantages une nation retire-t-elle des établissements de bienfaisance, tels que les hospices, les hôpitaux ?
C’est déjà une satisfaction et un honneur que de venir au secours de l’humanité souffrante ; mais de plus il faut considérer les hospices qui admettent la vieillesse et l’enfance dénuées d’appui, et les hôpitaux ouverts aux malades indigents, comme des maisons au maintien desquelles on contribue quand on est dans un état d’aisance, pour les trouver au besoin dans les moments de détresse. Il faut seulement prendre de suffisantes précautions pour que ces établissements ne favorisent pas le développement de la classe indigente et ne multiplient pas les besoins en même temps que les secours.
Quels sont les avantages que les nations retirent des travaux et des édifices publics ?
Les uns, comme les grandes routes, les ponts, les ports, facilitent les communications, les rapports des hommes entre eux, et développent tous les avantages qui résultent de ces rapports, avantages que je vous ai fait remarquer en plusieurs endroits de cette instruction.
D’autres établissements publics, tels que les embellissements des villes, les promenades publiques, sont favorables à la santé des citoyens, ajoutent aux douceurs de leur existence et les entourent d’objets riants et agréables qui contribuent à leur bonheur. Quant aux monuments purement de luxe, ils flattent la vanité nationale et, sous ce rapport, on ne peut nier qu’ils ne soient productifs de quelques plaisirs ; mais ce qui flatte le plus la vanité d’un peuple judicieux et éclairé, c’est de montrer que chez lui rien n’est négligé de ce qui est utile, et qu’il met la commodité et la propreté fort au-dessus du faste.
En quoi consiste l’économie de ceux qui gouvernent et administrent les nations ?
Elle consiste à renoncer pour le pays à ces avantages qui coûtent plus qu’ils ne valent, à obtenir ceux qui sont précieux aux meilleures conditions possibles, et surtout à ne point employer les deniers publics au détriment du public et au profit des intérêts particuliers.