Carmosine
CarmosineCharpentierŒuvres complètes d’Alfred de Musset, tome V. Comédies, iii (p. 385-419).
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ACTE TROISIÈME


Un jardin. — À gauche, une fontaine avec plusieurs sièges et un banc. — À droite, la maison de maître Bernard. — Dans le fond, une terrasse et une grille.



Scène première


CARMOSINE, assise sur le banc ;
près d’elle PERILLO et MAÎTRE BERNARD, MINUCCIO,
assis sur le bord de la fontaine, sa guitare à la main.
Carmosine.

« Va dire, Amour, ce qui cause ma peine… » Que cette chanson me plaît, mon cher Minuccio !

Minuccio.

Voulez-vous que je la recommence ? Nous sommes à vos ordres, moi et mon bâton.

Il montre le manche de sa guitare.
Carmosine.

Ne te montre pas si complaisant, car je te la ferais répéter cent fois, et je voudrais l’entendre encore et toujours, jusqu’à ce que mon attention et ma force fussent épuisées, et que je pusse mourir en y rêvant ! — Comment la trouves-tu, Perillo ?

Perillo.

Charmante quand c’est vous qui la dites.

Maître Bernard.

Je trouve cela trop sombre. Je ne sais ce que c’est qu’une chanson lugubre. Il me semble qu’en général on ne chante pas à moins d’être gai, moi, du moins, quand cela m’arrive,… mais cela ne m’arrive plus.

Carmosine.

Pourquoi donc, et que reprochez-vous à cette romance de notre ami ? [Elle n’est pas bouffonne, il est vrai, comme un refrain de table ; mais qu’importe ? ne saurait-on plaire autrement ? Elle parle d’amour, mais ne savez-vous pas que c’est une fiction obligée, et qu’on ne saurait être poète sans faire semblant d’être amoureux ? Elle parle aussi de douleurs et de regrets, mais n’est-il pas aussi convenu que les amoureux en vers sont toujours les plus heureuses gens du monde, ou les plus désolés ?] « Va dire, Amour, ce qui cause ma peine… » Comment dit-elle donc ensuite ?

Maître Bernard.

Rien de bon, je n’aime point cela.

Carmosine.

C’est une romance espagnole, et notre roi don Pèdre l’aime beaucoup n’est-ce pas, Minuccio ?

Minuccio.

Il me l’a dit, et la reine aussi l’a fort approuvée.

Maître Bernard.

Grand bien leur fasse ! un air d’enterrement !

Carmosine.

Perillo est peut-être, quoiqu’il ne le dise pas, de l’avis de mon père, car je le vois triste.

Perillo.

Non, je vous le jure.

Carmosine.

Ce serait bien mal ; ce serait me faire croire que tu ne m’as pas entièrement pardonné.

Perillo.

Pensez-vous cela ?

Carmosine.

J’espère que non ; cependant je me sens bien coupable. J’ai été bien folle, bien ingrate ; et toi, pauvre ami, tu venais de si loin, tu avais été absent si longtemps ! Mais que veux-tu ! je souffrais hier.

Maître Bernard.

Et maintenant…

Carmosine.

Ne craignez plus rien ; cette fois mes maux vont finir.

Maître Bernard.

Hier tu en disais autant.

Carmosine.

Oh ! j’en suis bien sûre aujourd’hui. [Hier, j’ai éprouvé un moment de bien-être, puis une souffrance… Ne parlons plus d’hier, à moins que ce ne soit, Perillo, pour que tu me répètes que tu ne t’en souviens plus.

Perillo.

Puis-je songer un seul instant à moi quand je vous vois revenir à la vie ? Je n’ai rien souffert si vous souriez.

Carmosine.

Oublie donc tes chagrins, comme moi ma tristesse.] Minuccio, je voulais te demander…

Minuccio.

Que cherchez-vous ?

Carmosine.

Où est donc ta romance ? Il me semble que j’en ai oublié un mot.

Minuccio lui donne sa romance écrite ; elle la relit tout bas.



Scène II


Les Précédents, SER VESPASIANO, DAME PÂQUE, sortant de la maison.
Ser Vespasiano, à dame Pâque.

Que vous avais-je dit ? Cela ne pouvait manquer. Voyez quel délicieux tableau de famille !

Dame Pâque.

Vous êtes un homme incomparable pour accommoder toute chose.

Ser Vespasiano.

Ce n’était rien ; un mot, belle dame, un mot a suffi. Je n’ai fait que répéter exactement à votre aimable fille ce que Leurs Majestés m’avaient dit à moi-même.

Dame Pâque.

Et elle a consenti ?

Ser Vespasiano.

Pas précisément. Vous savez que la pudeur d’une jeune fille…

Carmosine, se levant.

Ser Vespasiano !

Ser Vespasiano.

Ma princesse.

Carmosine.

Vous faites la cour à ma mère, sans quoi j’allais vous demander votre bras.

Ser Vespasiano.

Mon bras et mon épée sont à votre service.

Carmosine.

Non, je ne veux pas être importune. Viens, Perillo, jusqu’à la terrasse.

Elle s’éloigne avec Perillo.
Ser Vespasiano, à dame Pâque.

Vous le voyez, elle me lance des œillades bien flatteuses. Mais qu’est-ce donc que ce petit Perillo ? — Je vous avoue qu’il me chagrine de le voir ; il se donne des airs d’amoureux, et si ce n’était le respect que je vous dois, je ne sais à quoi il tiendrait…

Dame Pâque.

Y pensez-vous ? Se hasarderait-on ?… Vous êtes trop bouillant, chevalier.

Ser Vespasiano.

Il est vrai. Vous me disiez donc que pour ce qui regarde la dot…

Ils s’éloignent en se promenant.



Scène III


MINUCCIO, MAÎTRE BERNARD.
Maître Bernard.

Tu crois à tout cela, Minuccio ?

Minuccio.

Oui ; je l’écoute, je l’observe, et je crois que tout va pour le mieux.

Maître Bernard.

Tu crois à cette espèce de gaieté ? Mais toi-même, es-tu bien sincère ? Pourquoi ne veux-tu pas me dire ce qu’elle t’a confié hier, seul à seul ?

Minuccio.

Je vous ai déjà répondu que je n’avais rien à vous répondre. Elle m’avait chargé, comme vous le voyez, de lui ramener Perillo. À peine avait-il essayé son casque, l’oiseau chaperonné est revenu au nid.

Maître Bernard.

Tout cela est étrange, tout cela est obscur. Et ce refrain que tu vas lui chanter, afin d’entretenir sa tristesse !

Minuccio.

Vous voyez bien qu’il ne sert qu’à la chasser. Pensez-vous que je cherche à nuire ?

Maître Bernard.

Non, certes, mais je ne puis me défendre…

[Minuccio.

Tenez-vous en repos jusqu’à l’heure des vêpres.

Maître Bernard.

Pourquoi cela ? pourquoi jusqu’à cette heure ? C’est la troisième fois que tu me le répètes, sans jamais vouloir t’expliquer.

Minuccio.

Je ne puis vous en dire plus long, car je n’en sais pas moi-même davantage. La plus belle fille ne donne que ce qu’elle a, et l’ami le plus dévoué se tait sur ce qu’il ignore.

Maître Bernard.

La peste soit de tes mystères ! Que se prépare-t-il donc pour cette heure-là ? Quel événement doit nous arriver ? Est-ce donc le roi en personne qui va venir nous rendre visite ?

Minuccio, à part.

Il ne croit pas être si près de la vérité.

Haut.

Mon vieil ami, ayez bon espoir. Si tout ne s’arrange pas à souhait, je casse le manche de ma guitare.

Maître Bernard.

Beau profit ! Enfin, nous verrons, puisqu’à toute force il faut prendre patience ; mais je ne te pardonne point ces façons d’agir.

Minuccio.

Cela viendra plus tard, j’espère. Encore une fois, doutez-vous de moi ?

Maître Bernard.

Hé non, enragé que tu es, avec ta discrétion maussade ?] Écoute, il faut que je te dise tout, bien que tu ne veuilles me rien dire. Une chose ici me fait plus que douter, me fait frémir, entends-tu bien ? Cette nuit, poussé par l’inquiétude, je m’étais approché doucement de la chambre de Carmosine, pour écouter si elle dormait. À travers la fente de la porte, entre le gond et la muraille, je l’ai vue assise dans son lit, avec un flambeau tout près d’elle ; elle écrivait, et, de temps en temps, elle semblait réfléchir très profondément, puis elle reprenait sa plume avec une vivacité effrayante, comme si elle eût obéi à quelque impression soudaine. Mon trouble en la voyant, ou ma curiosité, sont devenus trop forts. Je suis entré : tout aussitôt sa lumière s’est éteinte, et j’ai entendu le bruit d’un papier qui se froissait en glissant sous son chevet.

Minuccio.

C’est quelque adieu à ce pauvre Antoine, qui s’est fait soldat, à ce qu’il croit.

Maître Bernard.

Ma fille l’ignorait.

Minuccio.

Oh ! que non. Est-ce qu’un amant s’en va en silence ? Il ne se noierait même pas sans le dire.

Maître Bernard.

Je n’en sais rien, mais je croirais presque… Voilà cet imbécile qui revient avec ma femme. — Rentrons ; je veux que tu saches tout.

Minuccio.

C’est encore votre fille qui a rappelé celui-là. Vous voyez bien qu’elle ne pense qu’à rire.

Ils rentrent dans la maison.



Scène IV


SER VESPASIANO et DAME PÂQUE viennent du fond du jardin.
Ser Vespasiano.

Pour la dot, je suis satisfait, et je vous quitte pour voler chez le tabellion, afin de hâter le contrat.

Dame Pâque.

Et moi, chevalier, je suis ravie que vous soyez de si bonne composition.

Ser Vespasiano.

Comment donc ! la dot est honnête, la fille aussi ; mon but principal est de m’attacher à votre famille.

Dame Pâque.

Mon mari fera quelques difficultés ; entre nous, c’est une pauvre tête, un homme qui calcule, un homme besoigneux.

Ser Vespasiano.

Bah ! cela me regarde. Nous ferons des noces, si vous m’en croyez, magnifiques. Le roi y viendra.

Dame Pâque.

Est-ce possible !

Ser Vespasiano.

Il y dansera, mort-Dieu ! il y dansera, et avec vous-même, dame Pâque. Vous serez la reine du bal.

Dame Pâque.

Ah ! ces plaisirs-là ne m’appartiennent plus.

Ser Vespasiano.

Vous les verrez renaître sous vos pas. Je vole chez le tabellion.



Scène V


CARMOSINE et PERILLO viennent du fond.
Carmosine.

Il faut me le promettre, Antoine. Songez à ce que deviendrait mon père si Dieu me retirait de ce monde.

Perillo.

Pourquoi ces cruelles pensées ? vous ne parliez pas ainsi tout à l’heure.

Carmosine.

Songez que je suis ce qu’il aime le mieux, presque sa seule joie sur la terre. S’il venait à me perdre, je ne sais vraiment pas comment il supporterait ce malheur. [Votre père fut son dernier ami, et quand vous êtes resté orphelin, vous vous souvenez, Perillo, que cette maison est devenue la vôtre. En nous voyant grandir ensemble, on disait dans le voisinage que maître Bernard avait deux enfants. S’il devait aujourd’hui n’en avoir plus qu’un seul…

Perillo.

Mais vous nous disiez d’espérer.

Carmosine.

Oui, mon ami, mais il faut me promettre de prendre soin de lui, de ne pas l’abandonner… Je sais que vous avez fait une demande, et que vous pensez à quitter Palerme… Mais, écoutez-moi, vous pouvez encore… Il m’a semblé entendre du bruit.

Perillo.

Ce n’est rien ; je ne vois personne.

Carmosine.

Vous pouvez encore revenir sur votre détermination,… j’en suis convaincue, je le sais. Je ne vous parle pas de cette démarche, ni du motif qui l’a dictée ; mais] s’il est vrai que vous m’avez aimée, vous prendrez ma place après moi.

Perillo.

Rien après vous !

Carmosine.

Vous la prendrez, si vous êtes honnête homme… Je vous lègue mon père.

Perillo.

Carmosine !… Vous me parlez, en vérité, comme si vous aviez un pied dans la tombe. Cette romance que, tout à l’heure, vous vous plaisiez à répéter, je ne m’y suis pas trompé, j’en suis sûr, c’est votre histoire, c’est pour vous qu’elle est faite, c’est votre secret : vous voulez mourir.

Carmosine.

Prends garde ! Ne parle pas si haut.

Perillo.

[Et qu’importe que l’on m’entende si ce que je dis est la vérité ! Si vous avez dans l’âme cette affreuse idée de quitter volontairement la vie, et de nous cacher vos souffrances, jusqu’à ce qu’on vous voie tout à coup expirer au milieu de nous… Que dis-je, grand Dieu ! quel soupçon horrible ! S’il se pouvait que, lassée de souffrir, fidèle seulement à votre affreux silence, vous eussiez conçu la pensée…] Vous me recommandiez votre père… Vous ne voudriez pas tuer sa fille !

Carmosine.

Ce n’est pas la peine, mon ami ; la mort n’a que faire d’une main si faible.

Perillo.

Mais vous souhaitez donc qu’elle vienne ? Pourquoi trompez-vous votre père ? Pourquoi affectez-vous devant lui ce repos, cet espoir que vous n’avez pas, cette sorte de joie qui est si loin de vous ?

Carmosine.

Non, pas si loin que tu peux le croire. Lorsque Dieu nous appelle à lui, il nous envoie, n’en doute point, des messagers secrets qui nous avertissent. [Je n’ai pas fait beaucoup de bien, mais je n’ai pas non plus fait grand mal. L’idée de paraître devant le Juge suprême ne m’a jamais inspiré de crainte ; il le sait, je le lui ai dit ; il me pardonne et m’encourage.] J’espère, j’espère être heureuse. J’en ai déjà de charmants présages.

Perillo.

Vous l’aimez beaucoup, Carmosine.

Carmosine.

De qui parles-tu ?

Perillo.

Je n’en sais rien ; mais la mort seule n’a point tant d’attraits.

Carmosine.

Écoute. Ne fais pas de vaines conjectures, et ne cherche pas à pénétrer un secret qui ne saurait être bon à personne ; tu l’apprendras quand je ne serai plus. [Tu me demandes pourquoi je trompe mon père ? C’est précisément par cette raison que je ne ferais, en m’ouvrant à lui, qu’une chose cruelle et inutile. Je ne t’aurais point non plus parlé comme je l’ai fait, si, en le faisant, je n’eusse rempli un devoir. Je te demande de ne point trahir la confiance que j’ai en toi.

Perillo.

Soyez sans crainte ; mais, de votre côté, promettez-moi du moins…

Carmosine.

Il suffit. Songe, mon ami, qu’il y a des maux sans remède.] Tu vas maintenant aller dans ma chambre ; voici une clef, tu ouvriras un coffre qui est derrière le chevet de mon lit, tu y trouveras une robe de fête ;… je ne la porterai plus, celle-là, je l’ai portée aux fêtes de la reine, lorsque pour la première fois… Il y a dessous un papier écrit, que tu prendras et que tu garderas ; je te le confie,… à toi seul, n’est-ce pas ?

Perillo.

Votre testament, Carmosine ?

Carmosine.

Oh ! cela ne mérite pas d’être appelé ainsi. De quoi puis-je disposer au monde ? C’est bien peu de chose que ces adieux qu’on laisse malgré soi à la vie, et qu’on nomme dernières volontés ! Tu y trouveras ta part, Perillo.

Perillo.

Ma part ! Dieu juste, quelle horreur !… Et vous pensez qu’il est possible…

Carmosine.

Épargne-moi, épargne-moi. Nous en reparlerons tout à l’heure, [dans ma chambre, car je vais rentrer ;] il se fait tard, [voici l’heure des vêpres4.]



Scène VI


CARMOSINE, seule.

Ta part ! pauvre et excellent cœur ! — Elle eût été plus douce, et tu la méritais, si l’impitoyable hasard ne m’eût fait rencontrer… Dieu puissant ! quel blasphème sort donc de mes lèvres ! Ô ma douleur, ma chère douleur, j’oserais me plaindre de toi ? Toi mon seul bien, toi ma vie et ma mort, toi qu’il connaît maintenant ? Ô bon Minuccio, digne, loyal ami ! il t’a écouté, tu lui as tout dit, il a souri, il a été touché, il m’a envoyé une bague…

Elle la baise.

Tu reposeras avec moi ! Ah ! quelle joie, quel bonheur ce matin quand j’ai entendu ces mots : Il sait tout ! Qu’importent maintenant et mes larmes, et ma souffrance, et toutes les tortures de la mort ! Il sait que je pleure, il sait que je souffre ! [Oui, Perillo avait raison ; — cette joie devant mon père a été cruelle, mais pouvais-je la contenir ? Rien qu’en regardant Minuccio, le cœur me battait avec tant de force ! Il l’avait vu, lui, il lui avait parlé !] Ô mon amour ! ô charme inconcevable ! délicieuse souffrance, tu es satisfaite ! je meurs tranquille, et mes vœux sont comblés. — L’a-t-il compris en m’envoyant cette bague ? A-t-il senti qu’en disant que j’aimais, je disais que j’allais mourir ? Oui, il m’a comprise, il m’a devinée. Il m’a mis au doigt cet anneau qui restera seul dans ma tombe quand je ne serai plus qu’un peu de poussière… Grâces te soient rendues, ô mon Dieu ! je vais mourir, et je puis mourir !

On entend sonner à la grille du jardin.

On sonne à la grille, je crois ? — Holà ! Michel ! personne ici ? Comment m’a-t-on laissée toute seule ?

Elle s’approche de la maison.

[Ah ! ils sont tous là, dans la salle basse, ils lisent quelque chose attentivement, et paraissent se consulter. Minuccio semble les retenir… Perillo m’aurait-il trahie ?

On sonne une seconde fois.

Ce sont deux dames voilées qui sonnent. Michel, où es-tu ? Ouvre donc.]



Scène VII


CARMOSINE, LA REINE, MICHEL, ouvrant la grille.
Une femme, qui accompagne la reine, reste au fond du théâtre.
La Reine.

N’est-ce pas ici que demeure maître Bernard, le médecin ?

Michel.

Oui, madame.

La Reine.

Puis-je lui parler ?

Michel.

Je vais l’avertir.

La Reine.

Attends un instant. Qui est cette jeune fille ?

Michel.

C’est mademoiselle Carmosine.

La Reine.

La fille de ton maître ?

Michel.

Oui, madame.

La Reine.

Cela suffit, c’est à elle que j’ai affaire.



Scène VIII


CARMOSINE, LA REINE.
La Reine.

Pardon, mademoiselle…

À part.

Elle est bien jolie.

Haut.

Vous êtes la fille de maître Bernard ?

Carmosine.

Oui, madame.

La Reine.

Puis-je, sans être indiscrète, vous demander un moment d’entretien ?

Carmosine lui fait signe de s’asseoir.

Vous ne me connaissez pas ?

Carmosine.

Je ne saurais dire…

La Reine, s’asseyant.

Je suis parente… un peu éloignée… d’un jeune homme qui demeure ici, je crois, et qui se nomme Perillo.

Carmosine.

Il est à la maison, si vous voulez le voir…

La Reine.

Tout à l’heure, si vous le permettez. — Je suis étrangère, mademoiselle, et j’occupe à la cour d’Espagne une position assez élevée. Je porte à ce jeune homme beaucoup d’intérêt, et il serait possible qu’un jour le crédit dont je puis disposer devînt utile à sa fortune.

Carmosine.

Il le mérite à tous égards.

Maître Bernard et Minuccio paraissent sur le seuil de la maison.
Maître Bernard, bas à Minuccio.

Qui donc est là avec ma fille ?

Minuccio.

Ne dites mot, venez avec moi.

Il l’emmène.
La Reine.

C’est précisément sur ce point que je désire être éclairée, [et je vous demande encore une fois pardon de ce que ma démarche peut avoir d’étrange.

Carmosine.

Elle est toute simple, madame, mais mon père serait plus en état de vous répondre que moi ; je vais, s’il vous plaît…

La Reine.

Non, je vous en prie, à moins que je ne vous importune. Vous êtes souffrante, m’a-t-on dit.

Carmosine.

Un peu, madame.

La Reine.

On ne le croirait pas.

Carmosine.

Le mal dont je souffre ne se voit pas toujours, bien qu’il ne me quitte jamais.

La Reine.

Il ne saurait être bien sérieux, à votre âge.

Carmosine.

En tout temps, Dieu fait ce qu’il veut.

La Reine.

Je suis sûre qu’il ne veut pas vous faire grand mal. — Mais la crainte que j’ai de vous fatiguer me force à préciser mes questions, car je ne veux point vous le cacher, c’est de vous, et de vous seulement, que je désirerais une réponse, et je suis persuadée, si vous me la faites, qu’elle sera sincère.] Vous avez été élevée avec ce jeune homme ; vous le connaissez depuis son enfance. — Est-ce un honnête homme ? est-ce un homme de cœur ?

Carmosine.

Je le crois ainsi ; mais, madame, je ne suis pas un assez bon juge…

La Reine.

Je m’en rapporte entièrement à vous.

[Carmosine.

D’où me vient l’honneur que vous me faites ? Je ne comprends pas bien que, sans me connaître…

La Reine.

Je vous connais plus que vous ne pensez, et la preuve que j’ai toute confiance en vous, c’est la question que je vais vous faire, en vous priant de l’excuser, mais d’y répondre avec franchise. Vous êtes belle, jeune et riche, dit-on.] Si ce jeune homme [dont nous parlons] demandait votre main, l’épouseriez-vous ?

Carmosine.

Mais, madame…

La Reine.

En supposant, bien entendu, que votre cœur fût libre, et qu’aucun engagement ne vînt s’opposer à cette alliance.

Carmosine.

Mais, madame, dans quel but me demandez-vous cela ?

La Reine.

C’est que j’ai pour amie une jeune fille, belle comme vous, qui a votre âge, qui est, comme vous, un peu souffrante ; c’est de la mélancolie ou peut-être quelque chagrin secret qu’elle dissimule, je ne sais trop, mais j’ai le projet, si cela se peut, de la marier, et de la mener à la cour, afin d’essayer de la distraire ; car elle vit dans la solitude, et vous savez de quel danger cela est pour une jeune tête qui s’exalte, se nourrit de désirs, d’illusions ; [qui prend pour l’espérance tout ce qu’elle entrevoit, pour l’avenir tout ce qu’elle ne peut voir ; qui s’attache à un rêve dont elle se fait un monde, innocemment, sans y réfléchir, par un penchant naturel du cœur,] et qui, hélas ! en cherchant l’impossible, passe bien souvent à côté du bonheur.

[Carmosine.

Cela est cruel.

La Reine.

Plus qu’on ne peut dire.] Combien j’en ai vu, des plus belles, des plus nobles et des plus sages, perdre leur jeunesse, et quelquefois la vie, pour avoir gardé de pareils secrets !

Carmosine.

On peut donc en mourir, madame ?

La Reine.

Oui, on le peut, et ceux qui le nient ou qui s’en raillent, n’ont jamais su ce que c’est que l’amour, [ni en rêve ni autrement. Un homme, sans doute, doit s’en défendre. La réflexion, le courage, la force, l’habitude de l’activité, le métier des armes surtout, doivent le sauver ; mais une femme ! — Privée de ce qu’elle aime, où est son soutien ? Si elle a du courage, où est sa force ? Si elle a un métier, fût-ce le plus dur, celui qui exige le plus d’application, qui peut dire où est sa pensée pendant que ses yeux suivent l’aiguille, ou que son pied fait tourner le rouet ?]

Carmosine.

Que vous me charmez de parler ainsi !

La Reine.

C’est que je dis ce que je pense. C’est pour n’être pas obligé de les plaindre qu’on ne veut pas croire à nos chagrins. Ils sont réels, et d’autant plus profonds, que ce monde qui en rit nous force à les cacher ; notre résignation est une pudeur ; nous ne voulons pas qu’on touche à ce voile, nous aimons mieux nous y ensevelir ; de jour en jour on se fait à sa souffrance, on s’y livre, on s’y abandonne, on s’y dévoue, on l’aime, on aime la mort… Voilà pourquoi je voudrais tâcher d’en préserver ma jeune amie.

Carmosine.

Et vous songez à la marier ; est-ce que c’est Perillo qu’elle aime ?

La Reine.

Non, mon enfant, ce n’est pas lui ; mais s’il est tel qu’on me l’a dit, bon, brave, honnête (savant, peu importe), sa femme ne serait-elle pas heureuse ?

Carmosine.

Heureuse, si elle en aime un autre !

La Reine.

Vous ne répondez pas à ma question première. [Je vous avais demandé de me dire si, à votre avis personnel, Perillo vous semble, en effet, digne d’être chargé du bonheur d’une femme. Répondez, je vous en conjure.]

Carmosine.

Mais, si elle en aime un autre, madame, il lui faudra donc l’oublier ?

La Reine, à part.

Je n’en obtiendrai pas davantage.

Haut.

Pourquoi l’oublier ? Qui le lui demande ?

Carmosine.

Dès qu’elle se marie, il me semble…

La Reine.

Eh bien ! achevez votre pensée.

Carmosine.

Ne commet-elle pas un crime, si elle ne peut donner tout son cœur, toute son âme ?…]

La Reine.

Je ne vous ai pas tout dit. Mais je craindrais…

Carmosine.

Parlez, de grâce, je vous écoute ; je m’intéresse aussi à votre amie.

La Reine.

Eh bien ! supposez que celui qu’elle aime, ou croit aimer, ne puisse être à elle ; supposez qu’il soit marié lui-même.

Carmosine.

Que dites-vous ?

La Reine.

Supposez plus encore. Imaginez que c’est un très-grand seigneur, un prince ; que le rang qu’il occupe, que le nom seul qu’il porte, mettent à jamais entre elle et lui une barrière infranchissable… Imaginez que c’est le roi.

Carmosine.

Ah ! madame ! qui êtes-vous ?

La Reine.

Imaginez que la sœur de ce prince, ou sa femme, si vous voulez, soit instruite de cet amour, qui est le secret de ma jeune amie, et que, loin de ressentir pour elle ni aversion ni jalousie, elle ait entrepris de la consoler, de la persuader, de lui servir d’appui, de l’arracher à sa retraite, pour lui donner une place auprès d’elle dans le palais même de son époux ; imaginez qu’elle trouve tout simple que cet époux victorieux, le plus vaillant chevalier de son royaume, ait inspiré un sentiment que tout le monde comprendra sans peine ; figurez-vous qu’elle n’a aucune défiance, aucune crainte de sa jeune rivale, non qu’elle fasse injure à sa beauté, mais parce qu’elle croit à son honneur ; supposez qu’elle veuille enfin que cette enfant, qui a osé aimer un si grand prince, ose l’avouer, afin que cet amour, tristement caché dans la solitude, s’épure en se montrant au grand jour, et s’ennoblisse par sa cause même.

Carmosine, fléchissant le genou.

Ah ! madame, vous êtes la reine !

La Reine.

Vous voyez donc bien, mon enfant, que je ne vous dis pas d’oublier don Pèdre.

Carmosine.

Je l’oublierai, n’en doutez pas, madame, si la mort peut faire oublier. Votre bonté est si grande, qu’elle ressemble à Dieu ! Elle me pénètre d’admiration, de respect et de reconnaissance ; mais elle m’accable, elle me confond. Elle me fait trop vivement sentir combien je suis peu digne d’en être l’objet… Pardonnez-moi, je ne puis exprimer… Permettez que je me retire, que je me cache à tous les yeux.

La Reine.

Remettez-vous, ma belle, calmez-vous. Ai-je rien dit qui vous effraie ?

Carmosine.

Ce n’est pas de la frayeur que je ressens. Ô mon Dieu ! vous ici ! la reine ! Comment avez-vous pu savoir ?… Minuccio m’a trahie sans doute… Comment pouvez-vous jeter les yeux sur moi ?… Vous me tendez la main, madame ! Ne me croyez-vous pas insensée ?… Moi, la fille de maître Bernard, avoir osé élever mes regards !… Ne croyez-vous pas que ma démence est un crime, et que vous devez m’en punir ?… Ah ! sans nul doute, vous le voyez ; mais vous avez pitié d’une infortunée dont la raison est égarée, et vous ne voulez pas que cette pauvre folle soit plongée au fond d’un cachot, ou livrée à la risée publique !

La Reine.

À quoi songez-vous, juste ciel !

Carmosine.

Ah ! je mériterais d’être ainsi traitée, si je m’étais abusée un moment, si mon amour avait été autre chose qu’une souffrance ! Dieu m’est témoin, Dieu qui voit tout, qu’à l’instant même où j’ai aimé, je me suis souvenue qu’il était le roi. Dieu sait aussi que j’ai tout essayé pour me sauver de ma faiblesse, et pour chasser de ma mémoire ce qui m’est plus cher que ma vie. Hélas ! madame, vous le savez sans doute, que personne ici-bas ne répond de son cœur, et qu’on ne choisit pas ce qu’on aime. [Mais croyez-moi, je vous en supplie ; puisque vous connaissez mon secret, connaissez-le du moins tout entier. Croyez, madame, et soyez convaincue, je vous le demande les mains jointes, croyez qu’il n’est entré dans mon âme ni espoir, ni orgueil, ni la moindre illusion.] C’est malgré mes efforts, malgré ma raison, malgré mon orgueil même, que j’ai été impitoyablement, misérablement accablée par une puissance invincible, qui a fait de moi son jouet et sa victime. Personne n’a compté mes nuits, personne n’a vu toutes mes larmes, pas même mon père. Ah ! je ne croyais pas que j’en viendrais jamais à en parler moi-même. J’ai souhaité, il est vrai, quand j’ai senti la mort, de ne point partir sans un adieu ; je n’ai pas eu la force d’emporter dans la tombe ce secret qui me dévorait. Ce secret ! c’était ma vie elle-même, et je la lui ai envoyée. Voilà mon histoire, madame, je voulais qu’il la sût, et mourir.

La Reine.

Eh bien ! mon enfant, il la sait, car c’est lui qui me l’a racontée ; Minuccio ne vous a point trahie.

Carmosine.

Quoi ! madame, c’est le roi lui-même…

La Reine.

Qui m’a tout dit. [Votre reconnaissance allait beaucoup trop loin pour moi.] C’est le roi qui veut que vous repreniez courage, que vous guérissiez, que vous soyez heureuse. Je ne vous demandais, moi, qu’un peu d’amitié.

Carmosine, d’une voix faible.

C’est lui qui veut que je reprenne courage ?

La Reine.

Oui ; je vous répète ses propres paroles.

Carmosine.

Ses propres paroles ? Et que je guérisse ?

La Reine.

Il le désire.

Carmosine.

Il le désire ? Et que je sois heureuse, n’est-ce pas ?

La Reine.

Oui, si nous y pouvons quelque chose.

Carmosine.

Et que j’épouse Perillo ? Vous me le proposiez tout à l’heure ; … car je comprends tout à présent,… votre jeune amie, c’était moi.

La Reine.

Oui, c’était vous, c’est à ce titre que je vous ai envoyé cette bague. Minuccio ne vous l’a-t-il pas dit ?

Carmosine.

C’était vous ?… Je vous remercie,… et je suis prête à obéir.

Elle tombe sur le banc.
La Reine.

Qu’avez-vous, mon enfant ? Grand Dieu ! quelle pâleur ! Vous ne me répondez pas ? je vais appeler.

Carmosine.

Non, je vous en prie ! ce n’est rien ; pardonnez-moi.

[La Reine.

Je vous ai affligée ? Vous me feriez croire que j’ai eu tort de venir ici, et de vous parler comme je l’ai fait.

Carmosine, se levant.

Tort de venir ! ai-je dit cela, lorsque j’en suis encore à comprendre que la bonté humaine puisse inspirer une générosité pareille à la vôtre ! Tort de venir, vous, ma souveraine, quand je devrais vous parler à genoux ! lorsqu’en vous voyant devant moi, je me demande si ce n’est point un rêve ! Ah ! madame, je serais plus qu’ingrate en manquant de reconnaissance. Que puis-je faire pour vous remercier dignement ? je n’ai que la ressource d’obéir. Il veut que je l’oublie, n’est-ce pas ?… Dites-lui que je l’oublierai.

La Reine.

Vous m’avez donc bien mal comprise, ou je me suis bien mal exprimée. Je suis votre reine, il est vrai, mais si je ne voulais qu’être obéie, enfant que vous êtes, je ne serais pas venue. Voulez-vous m’écouter une dernière fois ?

Carmosine.

Oui, madame ;] je vois maintenant que ce secret qui était ma souffrance, et qui était aussi mon seul bien, tout le monde le connaît. Le roi me méprise, [et je pensais bien qu’il en devait être ainsi, mais je n’en étais pas certaine.] Ma triste histoire, il l’a racontée ; ma romance, on la chante à table, devant ses chevaliers et ses barons. Cette bague, elle ne vient pas de lui ; Minuccio me l’avait laissé croire. À présent, il ne me reste rien ; ma douleur même ne m’appartient plus. Parlez, madame, tout ce que je puis dire, c’est que vous me voyez résignée à obéir, ou à mourir.

La Reine.

Et c’est précisément ce que nous ne voulons pas, et je vais vous dire ce que nous voulons. Écoutez donc : oui, c’est le roi qui veut d’abord que vous guérissiez, et que vous reveniez à la vie ; c’est lui qui trouve que ce serait grand dommage qu’une si belle créature vînt à mourir d’un si vaillant amour ; — ce sont là ses propres paroles. — Appelez-vous cela du mépris ? — Et c’est moi qui veux vous emmener, que vous restiez près de moi, que vous ayez une place parmi mes filles d’honneur, qui, elles aussi, sont mes bonnes amies ; c’est moi qui veux que, loin d’oublier don Pèdre, vous puissiez le voir tous les jours ; qu’au lieu de combattre un penchant dont vous n’avez pas à vous défendre, vous cédiez à cette franche impulsion de votre âme vers ce qui est beau, noble et généreux, car on devient meilleur avec un tel amour ; c’est moi, Carmosine, qui veux vous apprendre que l’on peut aimer sans souffrir, lorsque l’on aime sans rougir, qu’il n’y a que la honte ou le remords qui doivent donner de la tristesse, car elle est faite pour le coupable, et, à coup sûr, votre pensée ne l’est pas.

Carmosine.

Bonté du ciel !

La Reine.

C’est encore moi qui veux qu’un époux digne de vous, qu’un homme loyal, honnête et brave, vous donne la main pour entrer chez moi ; qu’il sache comme moi, comme tout le monde, le secret de votre souffrance passée ; qu’il vous croie fidèle sur ma parole, que je vous croie heureuse sur la sienne, et que votre cœur puisse guérir ainsi, par l’amitié de votre reine, et par l’estime de votre époux… Prêtez l’oreille, n’est-ce pas le bruit du clairon ?

Carmosine.

C’est le roi qui sort du palais.

La Reine.

Vous savez cela, jeune fille ?

Carmosine.

Oui, madame ; nous demeurons si près ! nous sommes habitués à entendre ce bruit.

La Reine.

C’est le roi qui vient, en effet, et il vient ici.

Carmosine.

Est-ce possible ?

La Reine.

Il vient nous chercher toutes deux. Entendez-vous aussi ces cloches ?

Carmosine.

Oui, et j’aperçois derrière la grille une foule immense qui se rend à l’église. Aujourd’hui,… je me rappelle,… n’est-ce pas un jour de fête ? Comme ils accourent de tous côtés ! Ah ! mon rêve ! je vois mon rêve !

La Reine.

C’est l’heure de la bénédiction.

Carmosine.

Oui, en ce moment le prêtre est à l’autel, et tous s’inclinent devant lui. Il se retourne vers la foule, il tient entre ses mains l’image du Sauveur, il l’élève… Pardonnez-moi !

Elle s’agenouille.
La Reine.

Prions ensemble, mon enfant ; demandons à Dieu quelle réponse vous allez faire à votre roi.

On entend de nouveau le son des clairons. Des écuyers et des hommes d’armes s’arrêtent à la grille, le roi paraît bientôt après.



Scène IX


Les Précédents, LE ROI, PERILLO, près de lui,
MAÎTRE BERNARD, DAME PÂQUE, SER VESPASIANO, MINUCCIO.
[Le Roi.

Vous avez là un grand jardin, cela est commode et agréable.

Maître Bernard.

Oui, Sire, cela est commode, et, en effet…]

Le Roi.

Où est votre fille ?

Maître Bernard.

La voilà, Sire, devant Votre Majesté…

[Le Roi.

Est-elle mariée ?

Maître Bernard.

Non, Sire, pas encore,… c’est-à-dire,… si Votre Majesté…]

Le Roi, à Carmosine.

C’est donc vous, gentille demoiselle, qui êtes souffrante et en danger, dit-on ? [Vous n’avez pas le visage à cela.

Maître Bernard.

Elle a été, Sire, et elle est encore gravement malade. Il est vrai que, depuis ce matin à peu près, l’amélioration est notable.

Le Roi.

Je m’en réjouis. En bonne foi, il serait fâcheux que le monde fût sitôt privé d’une si belle enfant.]

À Carmosine.

Approchez un peu, je vous prie.

[Ser Vespasiano, à Minuccio.

Voyez-vous ce que je vous ai dit ? Il va arranger toute l’affaire. Calatabellotte est à moi.

Minuccio.

Point, c’est une simple consultation, qu’ils vont faire en particulier. Les Espagnols tiennent cela des Arabes. Le roi est un grand médecin ; c’est la méthode d’Albucassis.]

Le Roi, à Carmosine.

Vous tremblez, je crois. Vous défiez-vous de moi ?

Carmosine.

Non, Sire.

Le Roi.

Eh bien ! donc, donnez-moi la main. Que veut dire ceci, la belle fille ? Vous qui êtes jeune et qui êtes faite pour réjouir le cœur des autres, vous vous laissez avoir du chagrin ? Nous vous prions, pour l’amour de nous, qu’il vous plaise de prendre courage, et que vous soyez bientôt guérie.

Carmosine.

Sire, c’est mon trop peu de force à supporter une trop grande peine qui est la cause de ma souffrance. Puisque vous avez pu m’en plaindre, j’espère que Dieu m’en délivrera.

Le Roi.

Voilà qui est bien, mais ce n’est pas tout. Il faut m’obéir sur un autre point. Quelqu’un vous en a-t-il parlé ?

Carmosine.

Sire, on m’a dit toute la bonté, toute la pitié qu’on daignait avoir…

Le Roi.

Pas autre chose ?

À la reine.

Est-ce vrai, Constance ?

La Reine.

Pas tout à fait.

Le Roi.

Belle Carmosine, je parlerai en roi et en ami. Le grand amour que vous nous avez porté vous a, près de nous, mise en grand honneur ; et celui qu’en retour nous voulons vous rendre, c’est de vous donner de notre main, en vous priant de l’accepter, l’époux que nous vous avons choisi.

Il fait signe à Perillo, qui s’avance et s’incline.

Après quoi, nous voulons toujours nous appeler votre chevalier, et porter dans nos passes d’armes votre devise et vos couleurs, sans demander autre chose de vous, pour cette promesse, qu’un seul baiser.

La Reine, à Carmosine.

Donne-le, mon enfant, je ne suis pas jalouse.

Carmosine, donnant son front à baiser au roi.

Sire, la reine a répondu pour moi.

FIN DE CARMOSINE.




4. Il se fait tard. Va, mon ami, fais ce que je t’ai dit.

Perillo, en sortant.

Ah ! cela est horrible !