La Gazette des campagnes (p. 14-16).

III


Mon enfant ! mon enfant ! cri de désespoir de cette pauvre Alexandrine qui tombe de son lit sur le plancher et se jette sur le berceau vide de son enfant. Ce cri, poussé avec la force qu’a une lionne lorsque ses petits sont en danger, est entendu d’Hermine, sa fidèle servante. Elle arrive à la hâte, à peine vêtue. Elle ne peut en croire ses yeux. Elle se sent faiblir ; mais faisant un effort suprême, elle court, criant, demandant aide et protection.

On arrive, le curé en tête. La pauvre mère est là, à genoux ; elle semble privée de sentiment. Le pasteur, entouré de villageois, n’ose parler. La voilà qui se lève. Ses yeux ont perdu leur éclat, et peine horrible ses cheveux ont grisonné aux tempes. Écartant les rideaux en mousseline du berceau : Dors mon enfant, dit elle ; dors en paix, ton père va venir. Oh ! ne pleure donc pas ; si tu savais comme ces cris me serrent le cœur. Dors donc en paix. Je suis là, moi ta mère.

Elle pleure toujours ! mon Dieu, et elle se cache la figure. Pauvre mère ! On aurait dit que les sanglots de son enfant exposée sur la mer résonnaient aux oreilles de son cœur. Elle se mit à balancer le berceau vide, ce nid désert dont un vautour maudit a ravi le trésor. Allons ! elle repose, cette chère enfant. Elle regarde d’un air hébété le pasteur ; elle le fixe des pieds à la tête. Ce n’est pas George ? Oh ! non, il serait dans mes bras.

— Non, ma fille, je ne suis pas George, je suis votre pasteur qui vient vous consoler.

— Tu viens enlever mon Armande. À moi ! à moi ! s’écrie la malheureuse mère, et elle se jette sur les langes du berceau désert ; elle presse sur son cœur les vestiges de ce qui n’est plus. Elle croit avoir son enfant, son Armande entre les bras.

Mes enfants, sortez, dit le curé. Il y a eu un crime de commis ici cette nuit. Laissez à la Justice le soin de cette affaire. Gardez vous de blesser la charité chrétienne par des soupçons non fondés. Dieu qui punit les coupables et récompense les bons, saura bien déchiffrer cette affaire. Cette pauvre mère a été victime d’un rapt aussi lâche que sans cœur !

La douleur d’Alexandrine, de cette pauvre mère privée de son enfant, a été si intense, qu’en un seul instant, comme un éclair qui passe, sa raison s’était obscurcie d’un voile épais, opaque, ténébreux. Désormais, dans la vie, elle allait marcher sans but, sans désir, n’ayant qu’une idée fixe, véritable monomanie : son enfant ! Or là, rien, le néant, la nuit, le cahot, les ténèbres. Parfois le voile se déchirera, et son intelligence semblera s’éclaircir ; mais ce ne sera que comme ces éclairs subits qui éblouissent dans la nuit noire qui nous enveloppe, et augmente l’épaisseur des ténèbres après leur disparition.

Pauvre mère ! pauvre femme ! combien de cœurs vont souffrir ! Que de sanglots tu vas soulever ! Que de larmes tu vas faire couler ! Ton George, qui est si loin, il va revenir pour te presser, toi et ton enfant. Que trouvera-t-il ? Mieux vaudrait y trouver un cercueil noir, surmonté d’une petite tombe blanche, où reposeraient la mère et l’enfant. Mais patience ! Dieu est là ; et sa justice suit son cours même ici-bas.