Texte établi par L’Auteur Éditeur (p. 75-81).

ÉPITAPHE


Ci-gît Durand, de Saint-Henri.
Mort en mil-huit-cent-quatre-vingt-treize.
Un mardi, le douze d’avril,
Un siècle après l’œuvre française.

Cet homme eut vécu sous les rois.
Qu’il n’en aurait pas pris de peine ;
Lui qui dissipait ses émois
Aux clartés d’une âme sereine.

Il se disait ami de Job.
Il le vantait pour sa souffrance :
Frugal en tout, jamais Jacob.
Pour un plat, n’eut eu, par lui, de chance.


Il aimait le monde et les cieux.
Il aimait la mort et la vie ;
Il trouvait tout délicieux,
N’ayant jamais connu l’envie

Il mourut fier d’avoir vécu,
Ayant vécu plein de constance,
La mort ne peut l’avoir vaincu.
C’était pour lui la délivrance.

Il garda le peu qu’il avait,
Jamais on ne lui fit l’aumône :
Son plus grand bien il le rêvait.
Il était homme entre les hommes ;

L’homme qui s’accoutume à tout,
Pourvu que tout soit politesse.
Fut enterré dans un grand trou,
Lui qui bravait la nuit épaisse.


On releva tous les tombeaux.
Vingt-ans après sa sépulture :
Il resta seul dans son repos.
Bravant encore l’aube future !

Bon père, bon époux chrétien.
Il dort sans peur de la revise
Du dernier jugement ; il tient
Le ciel dans sa constance admise.

Durand, l’homme aux cheveux épais,
Bien digne qu’on le canonise,
Vécut sans crainte et sans regrets.
À nul ne fit mal, ni traîtrise.

Ci-gît Durand, ci-gît son corps.
Il fut l’ami de mon grand’père :
Depuis longtemps tous deux sont morts.
Que la terre leur soit légère !


Quand à leur âme elle est au ciel,
Avec d’autres âmes pareilles
Qui n’ont jamais versé le fiel
Contre le prochain, dans leurs veilles.

Ci-gît Durand, humble en son trou,
Dans son tombeau, comme sur terre,
Il souriait au dernier coup.
Dans l’agonie et la prière.

Il doit sourire encore un peu
Dans sa récompense éternelle :
Il aima tant ce beau ciel bleu
Qu’il nommait « rinceur de prunelles. »

« J’aime à visiter mes amis »
Disait-il « qu’il pleuve ou qu’il vente. »
Ici-bas comme en paradis,
Son âme fut toujours contente.


Il priait souvent le bon Dieu,
En suivant le chemin de ligue :
Il doit prier encor, s’il peut,
Pour « Saint-Henri » dont il est digne.

Il doit visiter Louis Rondeau.
Et ses voisins de gauche et droite :
Xavier Doucet et Jos. Nadeau,
Fidèle aux amitiés étroites.

Ci-gît Durand, « l’homme aux cailloux »
Dont il écrivait son histoire :
Roche ici, caillou là, partout
Afin d’aider à sa mémoire :

C’était son livre et son passé
Écrit au bord de la savane ;
Malgré maint chapitre effacé,
Au moins, son souvenir y plane.


Ci-gît Durand, dans son trou noir,
Mais son corps seul est en poussière ;
Lui qui ne vivait que d’espoir
À son âme dans la lumière !

Elle y voltige, sans ennui,
À travers l’immensité fine,
Au delà du jour et des nuits.
Au delà des « roches divines. »

Durand médite comme aux jours
De ses rêves sur la planète ;
Il aime ses nouveaux séjours,
On l’y connaît, puis on le fête ;

Mais il se souvient bien du temps
Qu’il marchait pieds nus sur la neige ;
Plus d’hiver, voilà son printemps,
Durand suit le divin cortège.


Cortèges d’anges et d’élus
Parmi toute vision belle,
Où l’on aime de plus en plus,
Dans une harmonie immortelle !

Visions des horizons grands,
Visions et béatitudes
Sont le partage de Durand,
L’ancien Durand des solitudes !