Camille Flers (Th. Gautier, 1866)
CAMILLE FLERS
Camille Fiers, paysagiste de beaucoup de talent,
fut le maître de Cabat et l’un des premiers alla étudier la nature chez elle ; il précéda dans cette voie
Jules Dupré, Théodore Rousseau et la phalange
romantique du paysage, et son nom, un peu moins
sonore aujourd’hui, eut alors son retentissement.
C’était un coloriste tendre et frais, amant des ombrages humides, des étangs bordés de joncs, des
petites rivières barrées par des vannes de moulin,
des grasses prairies, où les vaches ont de l’herbe
jusqu’au poitrail ; des chaumières dardant leurs tire-bouchons de fumée à travers les arbres, des sentiers
bordés de haies où brille comme un coquelicot la
jupe rouge d’une paysanne ; des ponts rustiques du
haut desquels, jambes pendantes, un enfant jette
sa ligne, et pour horizon il se contentait d’un humble
coteau, mettant son ourlet bleuâtre au bord du ciel.
Sur tout cela il faisait flotter des ciels légers, pommelés de fins nuages blancs, dorés de lumière. Quand il cherchait un site pour peindre, il allait à
travers les prés et s’arrêtait là où il avait entendu
« chanter les grenouilles. » — c’était son expression, — sûr d’y trouver toujours un endroit pittoresque : de l’eau, des roseaux et des arbres. Il a
peint beaucoup aux environs d’Aumale, dont la
nature lui plaisait, et c’est là qu’il est mort, quoique
sa dépouille ait été ramenée à Paris pour être descendue au tombeau de famille. Les tableaux de
Camille Flers se recommandent par l’aimable vérité
du ton, la finesse du pinceau et un délicat sentiment de la campagne qu’on n’avait pas avant lui. Il
est bien important de fixer cette date qui est sa
gloire. Dès 1830, il avait quitté le bois sacré du paysage historique et ne voulait plus avoir d’autre modèle que la nature. Une place honorable doit lui être
faite parmi les novateurs de cette belle époque, qui,
tous, plus ou moins, ont profité de lui.
- (Moniteur, 6 juillet 1866.)