Louis Boulanger (Th. Gautier, 1867)

Histoire du romantismeG. Charpentier et Cie, libraires-éditeurs (p. 226-230).






LOUIS BOULANGER


NÉ EN 1806. — MORT EN 1867




Louis Boulanger était professeur de l’académie de dessin de Dijon, une place qu’occupa quelque temps Ziégler. Encore un des vaillants soldats de l’armée romantique qui est tombé loin du champ de bataille, — car, hélas ! le temps de ces belles luttes est passé, — et qui s’est éteint presque obscurément, après avoir commencé dans les éclairs et les rayons. À cette époque, les peintres et les poètes vivaient familièrement ensemble, et c’étaient d’un art à l’autre d’incessants et profitables échanges. Le poëte prenait quelquefois le crayon et le peintre la plume. On causait vers dans l’atelier et tableaux dans le cabinet. Louis Boulanger était un esprit artiste et un esprit littéraire, et la nouvelle école ne comptait pas de plus fervent adepte. On comptait beaucoup alors sur son avenir, et ses brillants débuts autorisaient toutes les espérances.

Son premier tableau, Mazeppa, avait obtenu un grand succès. C’était une peinture fougueuse, pleine de hardiesse et de fierté, d’une couleur superbe, d’un maniement de brosse très-habile qui cherchait Rubens et Titien, et dont l’aspect éblouissait les yeux habitués aux pâleurs de l’école classique. Il avait fait aussi deux grandes lithographies, sans doute difficiles à trouver maintenant, l’une qui représente le Massacre de la Saint-Barthélemi, et l’autre la Ronde du sabbat d’après la célèbre ballade. La scène d’histoire n’était pas moins bizarre et fantastique que la scène légendaire, mais dans l’une et l’autre il y avait cette transformation de la réalité en chimère et cette entente des terreurs nocturnes qu’on ne rencontre que dans les Caprices de Goya. La Mort de Bailly, gigantesque tableau, de composition singulière et d’exécution farouche, dont le sujet moderne prêtait moins au talent moyen âge de Boulanger, suscita des critiques assez violentes. L’on cria à la laideur, à la monstruosité, et nous eûmes beau répondre comme les sorcières de Macbeth : « L’horrible est beau, le beau horrible, » le tableau n’eut pas le succès de Mazeppa. Il est vrai que l’artiste avait donné d’assez atroces têtes aux bourreaux de Bailly. Devéria, Boulanger, Delacroix, étaient encore des noms d’égale valeur. Mais seul Delacroix poursuivit sa route jusqu’au bout. Eugène Devéria s’arrêta après la Naissance de Henri IV, son début et son chef-d’œuvre, et Boulanger, plus tard, se prit à douter de lui-même et revint sur ses pas comme pour chercher une autre voie.

Louis Boulanger avait un défaut bien rare, l’admiration portée à l’excès. Il aimait tant les maîtres qu’il en oubliait sa propre individualité. Il passait de longues heures à les contempler, à les copier, à en parler. Tantôt c’était Rubens, tantôt c’était Véronèse, et puis Titien ; d’autres fois, franchissant les monts, il allait à Velasquez et à Goya. Les œuvres de l’art lui cachaient un peu les œuvres de la nature. Mais quelle finesse, quel tact, quel sentiment, quelle compréhension en face d’un tableau ou d’une pièce de poésie ! comme il en savourait les qualités et quelle joie sincère et lumineuse à la vue d’une belle chose !

On a été un peu injuste envers Boulanger, et s’il a trop admiré, on ne l’a pas admiré assez. C’était pourtant une magnifique peinture que le Triomphe de Pétrarque, — et l’artiste méritait bien quelques-unes des fleurs que les jeunes filles effeuillaient devant le char du poëte. Renaud dans les jardins d’Armide, les Noces de Gamache et les peintures faites pour la salle à manger de Froment-Meurice, étaient pourtant des merveilles de grâce et de couleur.

Un instant Boulanger eut la maladie du style, cette maladie qui prend les peintres à l’âge critique et les fait rougir des audaces de la jeunesse ; mais un voyage en Espagne, où nous eûmes le plaisir de passer quelques jours avec lui, l’avait retrempé et ramené aux saines doctrines romantiques, et, au dernier Salon, la Cour des Miracles et la Fête chez les bohémiens firent voir qu’il était bien toujours le Louis Boulanger de 1830. C’était, en outre, un causeur charmant, un poëte délicat et un linguiste habile ; il parlait le plus pur castillan et avec lui s’en est allé un des plus aimables compagnons de notre jeunesse.

11 mars 1867.



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Puisque nous avons prononcé le nom de Louis Boulanger, rectifions une petite erreur que nous avons commise à propos d’une œuvre du célèbre peintre romantique. Ce n’est pas dans la salle à manger de Froment-Meurice, mais bien dans celle de madame Malher, sœur du grand orfèvre, que Boulanger exécuta cette charmante décoration, d’une invention si spirituelle et d’une si riche couleur, à laquelle notre article faisait allusion.

Louis Boulanger est remplacé à Dijon par Célestin Nanteuil[1], un autre romantique, qui illustra de ses vignettes et ses frontispices les œuvres de la nouvelle école, talent d’une inépuisable fécondité, absorbé comme Achille Devéria par la lithographie, à laquelle il donna une couleur, un effet et un caprice qu’on n’a pas dépassés. Célestin Nanteuil, s’il ne s’est pas révélé tout entier comme peintre, a, par ses trop rares tableaux, montré qu’il était un artiste de race merveilleusement doué, à qui seulement le loisir a manqué pour développer ses qualités précieuses ; mais ce qu’il a fait suffit pour le mettre au rang le plus honorable. On n’a pas oublié la Source, Dans les Vignes, un Rayon de Soleil, une Tentation, Souvenirs du passé, Ivresse, Phœbé, toiles d’une composition ingénieuse, d’une couleur exquise et d’un effet original. On ne pouvait faire un meilleur choix et la nomination de Célestin Nanteuil sera accueillie avec faveur par tout le monde de l’art.

1er mars 1867.
  1. Au moment où nous mettons sous presse cette trop courte notice, nous apprenons la mort de Célestin Nanteuil (septembre 1875). Il était né en 1815.