Caliste ou Lettres écrites de Lausanne/Le Barbet
On voit que madame de Staël n’était pas en reste d’avances flatteuses avec madame de Charrière, et que c’était celle-ci qui se retirait. Notez qu’à la date de ces lettres Benjamin Constant n’était pas encore entre elles deux. Il ne connut madame de Staël qu’en septembre 1794. C’est deux ou trois mois après, je le conjecture, que madame de Charrière écrivait la petite fable suivante, dont le sens est assez transparent. Nous savons déjà que le Barbet, c’est elle, et, quant au nouveau venu de race précieuse, le signalement le fait assez reconnaître.
Chien caressant et dévoué,
S’il se voyait quelquefois rabroué,
Se consolait, tout prêt à reconnaître
Que c’était là le droit du jeu.
Chacun de bile a quelque peu,
Et qui reçoit tous les jours des caresses
Peut bien parfois supporter des rudesses.
De l’amitié les hauts et bas
Valent mieux que l’indifférence
Décidément moi je le pense,
Et le Barbet aussi. Mais ne voilà-t-il pas
Qu’un jour son maître fait l’emplette
D’un petit chien (bichon, levrette,
L’un ou l’autre, il importe peu) :
Son allure est vive et brillante,
Son poil luisant, son œil de feu,
Et sa manière en tout charmante ;
Car, sans compter que pour l’esprit
Il est de race précieuse,
Dans l’école la plus fameuse
Pour les tours on l’avait instruit.
Le maître à l’excès s’en engoue,
Et sans merci le flatte et loue
En présence du vieux Barbet,
Lequel, d’abord tout stupéfait,
Baisse l’oreille, fait la moue,
Puis de l’humble rôle qu’il joue
Se dégoûte enfin tout-à-fait.