La Verdure dorée/La vie est douce encore à ceux qui savent vivre

La Verdure doréeÉditions Émile-Paul frères (p. 201-202).

CXXI


La vie est douce encore à ceux qui savent vivre
Et tirent de leurs maux de puissantes liqueurs ;
Suspendez ce fracas, ce tambour et ce cuivre :
Il n’est besoin de cris pour émouvoir nos cœurs.

Ne me reprochez pas de vivre solitaire ;
Mais dans ce bleu jardin au feuillage léger
Où la rose fleurit près de la serpentaire
Pour un songe amical j’ai de quoi vendanger.

Je fume sagement ma vieille pipe à l’ombre
D’un arbre blanc et vert, sonore et japonais ;
Eh ! pourquoi penserais-je à quelque heure plus sombre,
À d’anciens printemps qui sont déjà fanés ?

Celui-ci me déchire et cet autre me loue ;
Mais qu’importe ? Demain, les grappes mûriront.
Laissez-moi dans ces jours que le destin m’alloue
De funèbres rameaux ne pas ceindre mon front.

Dois-je encore pleurer ? Qui faut-il que j’envie ?
Cette glycine en fleur s’enroule au cyprès noir ;
Amie aux beaux cheveux dont l’amour est ma vie,
N’ai-je pas les bras nus qui m’enivrent le soir ?


Bientôt, les escargots endormis sous les fraises,
Un chœur de rossignols charmera mon loisir ;
Mais déjà renversée et dans l’ombre tu baises
Les roses de juillet en riant de plaisir.