La Verdure dorée/Les nuages légers comme une laine grise

La Verdure doréeÉditions Émile-Paul frères (p. 243-244).

CXLIV


Les nuages légers comme une laine grise
Qui flottaient dans l’air frais frôlaient la lune rose,
Et sous les arbres noirs de ce beau crépuscule
Je baisais tristement ton visage tranquille,
Et les mains sur tes yeux je regardais la ferme
Qui fumait et voguait sur les flots de luzerne.

Image des départs vers d’autres aventures !
Cieux inconnus ; baisers nouveaux ; vieilles guitares.
Les trois ruches dormaient, mais des meules de paille
Les étoiles montaient comme un essaim d’abeilles
Ou comme d’une enclume un bouquet d’étincelles ;
Et notre amour n’était plus qu’ombre et feuilles sèches.

Pourquoi voulais-je fuir, déjà plein d’amertume
Et de regrets, moi qui t’aimais et moi qui t’aime,
Mais avide en mes bras de presser d’autres rêves,
Quoique assuré du vain voyage vers des rives
Vaines ? Le soir sentait la verdure et les pommes
Et tes cheveux se dénouaient sur tes épaules.

Le navire fleuri m’allait porter à l’île
Élue : arbres légers, eau lente, libellules.

Mais je pleurais sur le morose embarcadère
Ces soirs qui sentaient les pommes et la verdure
Et pressant sur mon cœur le paquet de tes lettres
En songe je buvais mes larmes sur tes lèvres.

Je ne reviendrai pas rêver dans la luzerne
Ni boire amèrement la tristesse nocturne
Dans le verger paisible à côté des trois ruches
Où je baisais ta bouche en tenant tes mains fraîches,
Je ne reviendrai pas, et coule la rivière
Et le vent souffle, à moins qu’un soir je ne revienne…