C’était écrit/Chapitre 007

Traduction par Hephell.
Hachette (p. 24-28).

VII

Dans l’après-midi du même jour, Iris atteignit le village situé près de la ferme d’Arthur Montjoie.

La fièvre politique, c’est-à-dire la haine de l’Angleterre, sévissait jusque sur ce coin de terre. À la porte de la petite chapelle, un prêtre, un simple paysan, haranguait ses concitoyens. Tout Irlandais, disait-il, qui paye son propriétaire se rend coupable de lèse-patrie. Un Irlandais qui affirme son droit de naissance sur le sol qu’il foule, est un patriote éclairé. Tels étaient les principes que le révérend développait devant un auditoire attentif. Désirait-on qu’il fût plus explicite, ce chrétien modèle leur citait, à l’appui, Arthur Montjoie, mis à l’index sur toute la ligne : « Ne lui achetez rien, ne lui vendez rien, évitez tout contact avec lui, en un mot, forcez-le d’abandonner la place ; enfin, sans qu’il soit nécessaire de vous dire brutalement ma pensée, vous la comprenez, n’est-il pas vrai ?… »

Écouter cette péroraison sans protester, était une terrible épreuve pour Iris et, de plus, après ce qu’elle venait d’entendre, elle était convaincue qu’Arthur était perdu si l’on tardait à le secourir. Elle jette une pièce blanche à un gamin loqueteux et pieds nus, à qui elle demande le chemin de la ferme. Le petit Irlandais ébaubi s’empresse de se rendre utile à la généreuse étrangère, en se mettant à marcher devant elle : au bout d’une demi-heure, on arrive à destination. Ne voyant à la porte, ni heurtoir, ni timbre, ni sonnette, signes probants de civilisation, il frappa plusieurs petits coups secs. Dès qu’il entend le bruit d’un grincement de serrure, il décampe. Ah ! c’est que pour rien au monde, il n’eût voulu qu’on le surprît, parlant à l’un des habitants de la ferme évictée.

Une femme d’âge très respectable demande d’un accent anglais prononcé :

« Qu’y a-t-il pour votre service ?

M. Arthur Montjoie ?

— Il n’est pas ici, répondit-elle en essayant de refermer la porte.

— Attendez un moment, reprit Iris ; sans doute les années vous ont peu changée, mais il y a en vous quelque chose qui ne m’est pas complètement inconnu. Êtes-vous madame Lewson ? »

Après un signe affirmatif, la personne répliqua :

« Comment se fait-il alors, que vous soyez une étrangère pour moi ?

— Si vous êtes depuis longtemps au service de M. Arthur Montjoie, vous devez lui avoir entendu parler de miss Henley ? »

À ces mots, le visage de Mme Lewson s’illumine. Poussant un cri d’allégresse, elle ouvre la porte toute grande :

« Entrez ! miss, entrez ! Miséricorde ! je suis toute saisie de vous voir en cet endroit. Oui, j’étais, en effet, la servante chargée de surveiller vos jeux enfantins, lorsque vous et vos petits compagnons, MM. Arthur et Hugues, vous vous amusiez à jouer ensemble. »

En ce disant, les regards de la vieille femme se reposaient avec joie sur celle qui était naguère sa préférée. Miss Henley comprit l’expression de ce regard et tendit sa joue à baiser à la pauvre servante, dont les yeux se remplirent de larmes ; au demeurant, elle crut devoir s’excuser de ce mouvement d’attendrissement.

« Ah ! je me demande comment j’aurais pu oublier cet heureux temps, alors que vous vous en souvenez encore ! »

Une fois Iris entrée dans le parloir, le premier objet qui frappa ses regards fut sa lettre à Arthur Montjoie. Le cachet n’en n’avait pas été rompu.

« Dune, il est sûr et certain qu’il est parti ? demanda la jeune fille avec un sentiment de soulagement.

— Oui, il a quitté la ferme depuis une semaine au plus, répondit son interlocutrice.

— Ciel ! Dois-je en conclure qu’il a été invité par une lettre, à chercher le salut dans la fuite ? »

À ces mots, la physionomie de Mme Lewson exprima une si réelle stupeur que son interlocutrice se crut obligée de lui expliquer les motifs qui l’avaient déterminée à venir jusqu’à la ferme. Elle s’informa ensuite d’un ton anxieux si véritablement ce bruit qu’Arthur courait de grands périls méritait créance ?

« Hélas ! à coup sûr, l’on en veut à sa vie ; mais vous devez assez connaître M. Arthur, pour savoir qu’alors même que tous les land leagueurs seraient ligués contre lui il ne broncherait pas ! sa manière à lui, c’est de braver le danger et non de le fuir ; de tenir tête à l’ennemi et non de lui tourner le dos. Il a quitté sa ferme pour aller voir des amis établis dans le voisinage. De fait, je soupçonne même une jeune personne qui demeure chez eux, d’être l’attache qui retient aussi longtemps M. Arthur dans ces parages. En tout cas, ajouta-t-elle, il doit revenir demain. Je voudrais qu’il fît plus attention à lui et qu’il allât chercher refuge en Angleterre pendant que cela se peut. Ah ! si les sauvages qui nous entourent doivent tuer quelqu’un, eh bien ! je suis là. Mon temps sera bientôt fini, ils peuvent m’expédier !

— Arthur est-il en sûreté chez ses amis ? interrogea Iris.

— Dame ! je ne saurais vous le dire. Tout ce que je sais, c’est que, s’il persiste à revenir ici, il court de réels dangers,… on peut l’assassiner sur la route ! Oh ! le pauvre jeune homme, il n’ignore pas plus que moi ce qui l’attend, mais que voulez-vous, avec des hommes comme les land leagueurs, il n’y a rien à faire, rien ! Il se promène à cheval tous les jours, malgré mes remontrances ; il n’a garde, naturellement, d’écouter les avis d’une femme d’expérience comme votre servante. Quant aux amis dont il pourrait prendre conseil, le seul, pour notre malheur, qui ait franchi le seuil de notre porte, est un coquin qui eût mieux fait de restez chez lui ; vous n’êtes probablement pas sans avoir entendu parler de ce bandit. Son père, de son vivant, était connu sous un nom odieux. Or, le fils justifie le proverbe : tout chien chasse de race.

— Ce n’est pas de lord Harry qu’il s’agit ? »

La camériste, tout en écoutant en silence ce dialogue, ne laissa pas d’observer l’agitation à laquelle miss Iris était alors en proie.

D’autre part, la femme de charge, loin de dissimuler s’a pensée, s’adressa en ces termes à miss Henley :

« Il n’est pas de Dieu possible que ce bandit soit l’une de vos connaissances ? Vous le confondez probablement avec son frère aîné, homme très honorable, paraît-il. »

Miss Henley se dispensa de répondre à ces questions, mais l’intérêt que lui inspirait l’homme qu’elle aimait, perçait malgré elle ; Iris reprit :

« Les liens d’amitié qui unissent votre maître avec lord Harry font-ils courir des risques au banquier ?

— Il n’a rien à redouter des misérables qui infestent le pays ; le seul danger qui le menace, est la police et ses agents, si ce que l’on dit de lui, est vrai. Toujours est-il, que lors de sa dernière visite à M. Arthur, il est venu ici la nuit, subrepticement, comme un voleur. J’ai entendu mon maître reprocher à son ami une certaine action qu’il avait faite, mais laquelle ? je l’ignore. Ah ! miss Henley, de grâce, brisons là, et qu’il ne soit plus question de lord Harry entre nous. Toutefois, j’ai une prière à vous adresser : Tenez ! en supposant que je vous garantisse confort et sécurité sous notre toit, consentiriez-vous à y venir demain, afin d’avoir un entretien avec M. Arthur ? ah ! s’il est une personne qui puisse avoir de l’influence sur lui, c’est vous. »

Iris acquiesça volontiers à ce désir. Elle fit la remarque que tout en vaquant à ses occupations, Mme Lewson semblait très préoccupée.

« Voyons, Rhoda, ne commencez-vous pas à vous repentir de m’avoir suivie dans ce lieu retiré ? » demanda miss Henley à sa femme de chambre. D’une nature calme et aimable, cette dernière ébaucha un timide sourire, et reprit :

« Oh ! non ; je songeais, à l’instant même, à un gentleman de haute naissance, tout comme celui dont a parlé Mme Lewson ; il a mené, paraît-il, la vie la plus dissolue, la plus scandaleuse du monde. C’est du moins ce que j’ai lu dans le journal avant notre départ de Londres. »