Côtes et Ports français de la Manche/03

Côtes et ports français
de la Manche

III[1]
LA GRANDE FALAISE NORMANDE
HONFLEUR, LE HAVRE, ÉTRETAT

I

Tout à fait à l’embouchure de la Seine, sur la rive gauche du grand fleuve, vis-à-vis d’Harfleur et Lillebonne à peu près disparus aujourd’hui, la marine et le commerce fréquentent encore d’une manière active les deux ports de Pont-Audemer et de Honfleur. L’un et l’autre sont bien antérieurs au Havre, et le second en particulier avait encore, il y a cent ans à peine, une importance presque égale. Mais tous deux ont beaucoup souffert de la terrible concurrence de leur riche et puissant voisin.

Pont-Audemer, enfoncé dans une vallée fertile, boisée et tributaire du grand fleuve, a été de tout temps et restera toujours un port secondaire. Mais il est très heureusement situé au point même où les divers bras de la Riscle ou de la Rille, qui le traversent et alimentent plusieurs usines, se réunissent en un seul qui devient navigable, et où le courant fluvial commence à être soutenu par le flot de marée. Rien de bien certain sur le passé de ce petit port intérieur, d’accès assez facile, et qui a dû être très probablement connu et fréquenté par les Romains, peut-être même avant eux. Mais on sait qu’au moyen âge il était très prospère. On y armait alors sur une assez grande échelle pour la pêche du hareng. On y recevait en grande quantité du poivre, du gingembre et toutes sortes de produits exotiques, ce qui indique des relations régulières avec l’Orient. Au XIe siècle, Pont-Audemer fut mis à contribution par Guillaume le Conquérant et lui fournit un certain nombre de navires, qui prirent part à son expédition en Angleterre. Divers cartulaires normands du XIIIe siècle le mentionnent comme un centre industriel et commercial d’une sérieuse importance. La situation s’est beaucoup amoindrie. Le port actuel n’est, comme il l’a d’ailleurs toujours été, qu’un élargissement de la Riscle au milieu de la coquette ville qu’elle traverse, formant un petit bassin dans lequel peuvent évoluer les bateaux de faible tonnage qui font un service à peu près régulier entre Pont-Audemer et le Havre et Rouen. Son tirant d’eau n’est que de 3m, 50. Les petits caboteurs seuls peuvent y avoir accès. Le mouvement est cependant d’une trentaine de mille tonnes : des charbons anglais et les bois de Scandinavie, à l’entrée ; à la sortie, des pommes à cidre et des produits agricoles, presque toujours à destination de l’Angleterre, et surtout des peaux ouvrées et des cuirs fabriqués dans les nombreuses tanneries alimentées par la Riscle et qui jouissent en France et même à l’étranger d’une réputation méritée[2].

Il est peu de points de notre littoral que la nature ait mieux préparés que la gracieuse conche de Honfleur pour le développement d’un établissement maritime. Tout y est bien disposé. Un léger enfoncement de la côte entre deux coteaux boisés, un mouillage assez bien protégé contre les vents du large, l’embouchure d’un grand fleuve, l’ouverture d’une vallée profonde dans laquelle un petit ruisseau, la Claire, entretient naturellement un chenal à travers les sables, une crique sur un bon fond où l’on a trouvé de tout temps un échouage commode et un abri excellent. Bien qu’aucun des géographes classiques n’ait fait mention de Honfleur, il est impossible que la rive gauche de la Seine n’ait pas été aussi connue, aussi recherchée que la rive droite, et qu’en particulier la petite anse, dont la côte de Grâce et la côte Vassale forment les deux pylônes protecteurs, n’ait pas été fréquentée et appréciée dès les premiers temps de la navigation. On sait que les marins de Honfleur ont de très bonne heure traversé l’Atlantique à la recherche de terres inconnues ; mais cela nous reporte déjà à la fin du moyen âge, presque au commencement des temps modernes.

Alors que le Havre n’existait pas encore et qu’un marais pestilentiel occupait la place de la grande cité commerciale et maritime qui se développe tous les jours sous nos yeux, les marines de Dieppe et de Honfleur étaient en plein épanouissement, et on sait la part glorieuse qu’elles prirent dans toutes les grandes entreprises navales de la fin du XVe et du XVIe siècle. Ce sont les Honfleurois qui ont exploré les premiers le golfe de Saint-Laurent, fondé Québec, colonisé Terre-Neuve et le Canada ; et l’anse de Paraïbo au Brésil conserve en leur souvenir le nom de « Port des Français. » Ils ont doublé de très bonne heure le cap de Bonne-Espérance, connu la route de Madagascar, des îles de la Sonde, des Philippines, et très probablement abordé à la Nouvelle-Hollande.

Il y a trois siècles à peine, les marins de Honfleur pouvaient certainement compter parmi les plus entreprenans et les plus hardis du monde. Malgré le coup que leur porta la Compagnie des Indes en leur enlevant le commerce des produits exotiques, et bien qu’ayant perdu presque toutes leurs relations directes avec l’Orient, ils conservèrent pendant longtemps le contact avec l’Amérique du Nord et trouvèrent surtout dans l’exercice de la grande pêche un aliment à leur puissante activité et une source de grands profits. Toutes ces expéditions maritimes exigeaient, avec le concours d’un personnel d’élite et très entraîné, la création et le renouvellement d’un nombreux matériel. Les forêts qui couronnent la côte de Grâce et la côte Vassale fournissaient heureusement en abondance et continuent à fournir tous les bois que demande la marine ; et, malgré sa décadence actuelle, Honfleur est resté encore un chantier assez actif de constructions navales.

Au temps de sa plus grande prospérité, Honfleur ne possédait cependant pas le moindre bassin à flot ; et le port était réduit à un havre d’échouage de 120 mètres de longueur et de 50 mètres de largeur, communiquant avec la mer par un pertuis large au plus d’une vingtaine de mètres. L’entrée du chenal était défendue par deux tours, comme autrefois celle du Havre par la tour François Ier et la tour du Vidame, comme on le voit heureusement encore à la Rochelle. On y faisait déboucher, au moyen d’une écluse très rudimentaire, les eaux emmagasinées de la Claire, de manière à combattre par des chasses l’envasement produit par les crues de la Seine et les apports de la mer. Cet expédient, et surtout l’énergie des habitans, qui ne craignaient pas de rester des journées entières dans l’eau à mi-corps pour ameublir et draguer les vases au prix des plus grands efforts pendant les basses marées, permettaient d’assurer d’une manière à peu près continue une profondeur suffisante ; et le port pouvait ainsi se maintenir toujours en pleine prospérité.

La ville était déjà entourée de remparts au XIIe siècle, et jamais fortification ne fut moins justifiée et plus imprudemment conçue. Dominée, en effet, de tous côtés par des collines dont il était assez facile de se rendre maître, elle était presque toujours destinée à succomber dès qu’elle était investie ; et, en fait, les Anglais l’ont occupée quatre fois, tantôt avec leurs seules forces, tantôt avec la complicité des protestans. Malgré les désastres de la guerre, les incendies, les ruines, les épreuves de toute sorte, Honfleur renaissait toujours de ses cendres ; et, pendant près de trois siècles, on a vu ce petit havre d’échouage, à moitié envasé, d’une superficie à peine égale à la moitié d’un de ses quatre bassins à flot modernes, entretenir des rapports constans avec l’Afrique et l’Amérique, le Canada et la côte de Guinée, les Indes et presque l’Extrême-Orient, sans compter les expéditions guerrières pour lesquelles il ne marchandait jamais le sang de ses marins et où son pavillon a toujours figuré avec honneur.

La décadence de Honfleur a été moins la conséquence de l’envasement de son port, contre lequel d’ailleurs on luttait à peu près victorieusement au moyen de chasses, de dragages et d’une main-d’œuvre très énergique, que de l’éclosion rapide et du développement prodigieux de l’opulente voisine qui lui fait face de l’autre côté de la baie de la Seine.

Le port actuel présente cependant un aménagement parfait aujourd’hui ; et, si les bassins modernes avaient existé il y a seulement un siècle, Honfleur aurait été alors très certainement le premier établissement maritime de la Manche. Il se compose d’un avant-port, de quatre bassins à flot et d’un immense bassin de retenue destiné à produire des chasses dans l’avant-port. Celui-ci a une superficie de quatre hectares, 800 mètres de quais, et se divise en trois compartimens : le petit port, très animé, dit « des Passagers, » où accostent les bateaux à vapeur qui l’ont plusieurs fois par jour la navette avec le Havre et qui embarquent ou débarquent annuellement plus de 200 000 voyageurs ; l’ancien et le nouvel avant-port, précédés par des jetées qui s’avancent en mer à 400 mètres et assurent au chenal une largeur minimum de 60 mètres. Les trois bassins à flot de l’Ouest, du Centre et de l’Est communiquent chacun directement avec un des trois compartimens de l’avant-port et ont une superficie totale de quatre hectares et demi et un développement de quais accostables de 1 500 mètres. Le quatrième bassin à flot communique avec le bassin de l’Est et est spécialement affecté au débarquement des bois du Nord. Le bassin de retenue, enfin, est tout à fait conquis sur la baie de Seine et présente une superficie de près de 60 hectares. Une écluse de chasse située à son extrémité aval permet de dégager la passe de l’avant-port, lorsque les ensablemens commencent à l’obstruer.

L’ensemble de tous ces ouvrages aurait largement suffi à maintenir à Honfleur son importance, et même aurait pu l’augmenter, si le redoutable voisinage du Havre et sa formidable puissance d’aspiration n’avaient déplacé les anciens courans commerciaux, absorbé au profit du nouveau-né toutes les grandes opérations maritimes, et monopolisé à peu près la navigation au long-cours. Malgré cette cause irrémédiable de décadence, Honfleur vit encore et présente même toujours une somme d’énergie et un mouvement sérieux. Ce n’est plus, à vrai dire, qu’une succursale du port qui lui fait face à une dizaine de kilomètres, de l’autre côté de la baie. Les laines, les cotons, les sucres bruts, les matières tinctoriales qu’il transmet toujours aux fabriques voisines, ne lui viennent plus directement de leurs pays de provenance, mais lui arrivent presque toujours par le crochet du Havre. La grande pêche elle-même a presque disparu ; mais la pêche côtière y est toujours très prospère. La riche culture maraîchère de tout le pays qui l’environne lui assure, en revanche, une exportation considérable de légumes, d’œufs, de beurre, de fruits, de volailles, de bestiaux, de céréales, de produits agricoles de toute nature, presque tous à destination de l’Angleterre. La grande consommatrice d’outre-Manche lui envoie en échange ses charbons et ses fontes ; et, comme tous les ports de la côte normande, Honfleur est en relations constantes avec la Suède et la Norvège, qui lui expédient leurs bois bruts et même à demi ouvrés. Ses chantiers de construction, en outre, conservent toujours une grande activité. Grâce à tous ces élémens, le mouvement commercial atteint et dépasse même quelquefois le chiffre considérable de 350 000 tonnes, et il paraît devoir longtemps se maintenir.

II

Tout change et se transforme en un très petit nombre de siècles à l’embouchure d’un grand fleuve. L’estuaire reçoit tous les jours un volume très appréciable de vases, de terres et de débris organiques provenant des érosions de la vallée principale, des vallées latérales et des moindres cours d’eau affluens qui les alimentent. Une partie de ces matières meubles, la plus grande heureusement dans les mers à marées, est entraînée par les mouvemens alternatifs du flot et du jusant, se perd dans les abîmes profonds de l’Océan, est dispersée par les courans des tempêtes ; mais il en reste toujours à peu près sur place une notable quantité, qui s’augmente tous les jours, exhausse le fond du lit et travaille sans discontinuité à construire des assises sous-marines qui doivent finir un jour ou l’autre par atteindre et même dépasser le niveau des basses eaux.

« Tous les fleuves vont à la mer, et la mer ne déborde pas ; et ils reviennent aux lieux d’où ils sont sortis pour couler de nouveau, » a dit l’Écriture dans un magnifique langage[3] ; ou aurait pu ajouter avec autant de raison que toutes les terres aussi vont à la mer, et que la mer qui les reçoit ne les rend plus, comme elle le fait de l’eau des fleuves, et qu’elle doit inévitablement se combler. Ce résultat sera sans doute l’œuvre d’un temps infini ; mais il s’accomplira un jour. Toutefois, sans sortir des limites relativement restreintes de notre époque historique et des quelques dizaines de siècles qui la précèdent ou qui la suivront et qui constituent peut-être notre vie et notre avenir sur la terre, il est certain qu’on peut apprécier déjà, dans toutes les baies au fond desquelles débouche une grande vallée, les effets de cette loi immuable de l’exhaussement et de l’atterrissement à laquelle les efforts et les travaux de l’homme ne peuvent apporter que des palliatifs temporaires. D’une manière générale, un fleuve remblaie fatalement son embouchure, et la profondeur de son estuaire tend toujours à diminuer. L’estuaire de la Seine, en particulier, a été, dans les temps anciens, plus profond, plus largement ouvert sur la mer, et surtout s’est enfoncé beaucoup plus loin en amont dans l’intérieur des terres que nous ne le voyons aujourd’hui. Mais les matières meubles charriées par le fleuve n’ont pas été les seuls ni même les principaux élémens de cet encombrement ; et les atterrissemens produits par les vents du large et les marées ont contribué pour une très large part à l’exhaussement du fond de l’atterrage[4]. Le grand courant de flot qui s’engouffre dans la baie de Seine, après avoir parcouru toute l’étendue de la Manche, a eu pour effet de ruiner peu à peu les parties les moins résistantes de la côte normande ; et les débris résultant de cette érosion, remaniés sans cesse par le va-et-vient des marées, ont fini à la longue par s’accumuler dans la région, relativement plus calme, de l’embouchure. Si la vitesse du jusant était supérieure à celle du flot, ces débris seraient à peu près tous entraînés dans les profondeurs lointaines de la mer ; mais c’est malheureusement le contraire qui a lieu. Les « instructions nautiques » publiées par le ministère de la Marine portent à cinq heures environ la durée moyenne du courant de flot et à sept heures celle du courant de jusant ; les vitesses sont donc naturellement en proportion inverse et à peu près dans le rapport de 100 à 70. Les pêcheurs du Havre, qui sont en contact permanent avec la mer et dont l’expérience est un gage de vérité bien supérieur à toutes les prétentions scientifiques, affirment même qu’au cours de certaines marées la vitesse du flot est quelquefois en certains points triple de celle du jusant. Dans ces conditions, l’atterrissement est inévitable. Cet atterrissement provient à la fois des érosions du talus sous-marin de la Basse-Normandie et des éboulemens des falaises du pays de Caux.

Le courant de flot qui rase toute la côte normande, du cap de Barfleur à l’embouchure de la Seine, n’a qu’une action destructive assez limitée sur les roches granitiques de la presqu’île du Cotentin ; mais, à partir de la baie des Veys, il corrode le pied des falaises marneuses qui forment le seuil de la baie de Caen, accomplit un lent travail de rescindement et d’alignement de toutes les saillies et de tous les promontoires du Bessin et du pays d’Auge et entraîne avec lui une partie des matières charriées par l’Orne, la Dives et la Touques et qui, mêlées à tous les détritus des falaises réduits à l’état de sable ou de vase, finissent par nourrir les bancs nombreux et mobiles qui encombrent l’estuaire du grand fleuve.

Mais le principal effort du courant qui traverse la Manche dans la direction de la mer du Nord se porte directement sur le rempart colossal de falaises qui court du Havre à l’embouchure de la Somme sur un développement de près de 150 kilomètres. Il attaque de front la saillie du cap d’Antifer. Là, il se divise en deux branches : l’une qui continue sa marche vers le Nord, l’autre qui descend au Sud jusqu’à l’embouchure de la Seine. Or, la roche crayeuse qui constitue l’énorme muraille n’a pas moins de 60 à 100 mètres de hauteur à pic et se compose de couches horizontales très régulières de 1 à 2 mètres d’épaisseur, séparées par des bandes de cailloux siliceux. Les fibres du massif calcaire sont verticales, et leur cohésion, qui, dans ce sens, est naturellement très faible, est encore diminuée par les petits lits de silex horizontaux qui le découpent en prismes. Ces prismes ne peuvent avoir entre eux qu’une assez faible adhérence, et la roche entière est en quelque sorte prédisposée à se fendre et à se désagréger sous l’action des agens physiques. Ces agens sont de deux sortes : d’une part, la morsure continue de la mer et le choc violent et alternatif des vagues ; de l’autre, la lente infiltration des eaux pluviales à travers toutes les fentes du plateau. Deux fois par jour la marée vient saper le pied de la falaise, et on peut dire en toute vérité que chaque vague en emporte quelque parcelle. L’escarpe de la roche poreuse est déchaussée ; celle-ci finit par surplomber et se détache par fragmens.

Par certaines hautes mers de syzygies, qui coïncident souvent avec des tempêtes du Nord et de l’Ouest, le travail de démolition prend des proportions formidables ; et on a vu s’effondrer dans une seule marée plusieurs centaines de mille, quelquefois même un million de mètres cubes[5]. Les blocs éboulés sur la grève forment tout d’abord une sorte de brise-lames protecteur ; mais ce socle ne résiste pas longtemps à l’action destructive des flots. La marne est, en effet, essentiellement friable ; elle se brise et se délite en menus fragmens, et le mur de la falaise est de nouveau exposé à l’assaut des vagues. Ses débris délayés et pulvérisés sont entraînés par les eaux de la mer qu’elles jaunissent à une assez grande distance au large ; et les rognons de silex, roulés et convertis en galets, cheminent le long de la grande muraille blanche, les uns remontant vers le Nord, les autres descendant du cap d’Antifer au Havre et venant s’échouer à l’embouchure même de la Seine.

Les eaux d’infiltration qui pénètrent dans la masse rocheuse de la falaise et glissent entre ses fontes, les pluies qui tombent sur le plateau et les gelées de l’hiver contribuent aussi à cette œuvre de destruction ; et peut-être leur puissance de désagrégation est-elle encore plus forte que l’ébranlement causé par les heurts violens de la mer. Les eaux météoriques ramollissent en effet la roche, la dissolvent, y creusent des vides ; et les coups de bélier des vagues achèvent alors la démolition de l’édifice crevassé et fracturé.

Il est sans doute impossible d’évaluer exactement la masse des dépôts entraînés ainsi et échoués depuis les temps historiques entre le Havre et Honfleur, les deux portes d’entrée de la Seine, par les deux courans littoraux qui viennent y converger. Mais le reculement des falaises est un phénomène presque visible à l’œil, d’une marche continue et qu’aucun travail de défense n’a jamais pu complètement enrayer. L’érosion est du reste beaucoup moindre aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a quelques siècles ; et, d’une manière générale, les éboulemens ont diminué sensiblement à mesure que les dentelures se sont émoussées, que les saillies rocheuses et les caps avancés, naturellement plus exposés aux assauts de la mer, se sont effondrés, et que la muraille, autrefois très dentelée, s’est peu à peu adoucie, dessinant un long alignement curviligne à peu près régulier.

On peut d’ailleurs avoir une impression saisissante de la marche progressive de la corrosion et de l’empiétement considérable de la mer sur la terre par un fait historique relativement récent et qui constitue en quelque sorte un repère précieux. On sait d’une manière certaine qu’au commencement du XIIe siècle, le banc de l’Éclat, aujourd’hui noyé dans la petite rade du Havre, à 1 400 mètres environ de la côte, constituait la saillie extrême de la falaise elle-même. C’était le promontoire du plateau, effondré et disparu depuis. Sur ce cap avancé du pays de Caux, était bâti un petit hameau consacré à saint Denis, qu’on appelait naturellement Saint-Denis-Chef-de-Caux et dont l’église était placée sous l’invocation de sainte Adresse Une charte de 1295 mentionne qu’elle était « chue en mer ; » et, depuis le XVIIe siècle, église et village ont été engloutis.

La puissance de corrosion a donc été beaucoup plus forte au cap de la Hève que partout ailleurs ; et l’on peut estimer qu’il y a trois ou quatre siècles, le taux annuel du reculement de la falaise y était de 2 mètres environ, soit sept et huit fois plus que la moyenne de nos jours. La petite rade du Havre, dans laquelle la sonde trouve sur beaucoup de points des profondeurs de 6 à 8 mètres, était donc autrefois un plateau assez élevé au-dessus des eaux et faisait partie du continent. L’éternelle traînée de galets roulés par le courant, et dont les mille froissemens, les heurts et les oscillations continues sous l’action incessante du flot et du jusant produisent un bruit strident et caractéristique qui perce comme une note aiguë à travers le sourd mugissement des vagues, vient s’étaler comme une longue écharpe sous-marine dans la rade du Havre et a fini par entrer dans la large bouche de la Seine, dessinant, au-devant d’Harfleur, un seuil recourbé en forme de bec, auquel on a donné le nom anglo-saxon de Hoc (Hoc, Hook, crochet). C'est la pointe du Hoc.

En arrière de cette pointe se trouvaient autrefois les mouillages de Grande-Heure et de Petite-Heure ou de Notre-Dame-des-Neiges. C’était une sorte d’avant-port d’Harfleur, dans lequel venait déboucher la vieille Lézarde. Au commencement du XIVe siècle, il s’était même formé, à l’extrémité de la digue du Hoc un établissement que l’on désignait sous le nom de Port-au-Hoc. On y voyait, il y a quelque temps encore, d’anciennes fortifications en maçonnerie qui indiquaient l’entrée de la Lézarde. On sait que les Anglais s’en emparèrent en 1415 ; mais la situation était déjà très compromise par les atterrissemens que favorisait l’abri de la pointe de galets qui avançait toujours. Harfleur et Port-au-Hoc étaient donc menacés dès l’année 1500 environ, à la veille de la création du port du Havre. L’ancienne baie s’est transformée d’abord en lagune, puis s’est complètement atterrie ; et la Lézarde se fraye aujourd’hui un lit tortueux à travers les alluvions. La plaine de l’Heure n’est, en somme que le principal dépôt des débris des falaises qui s’élevaient autrefois sur remplacement où se trouve aujourd’hui la petite rade du Havre et que les courans et le flot ont à peu près refoulés dans la grande bouche de la Seine où ils ont trouvé un abri définitif.

III

Il n’était et il ne pouvait être question du Havre il y a quatre cents ans à peine, et rien ne semblait moins indiqué, pour la création, en quelque sorte artificielle, d’un grand établissement maritime, que cette pointe extrême de la rive nord de la Seine, menacée de trois côtés à la fois par des apports de toute nature, ceux du fleuve, ceux des falaises émiettées du pays de Caux, ceux enfin que lui amène le grand courant littoral qui longe la côte de la Basse-Normandie. Elle paraissait devoir être abandonnée à tous les caprices des élémens. On sait en outre combien les bancs formés à l’embouchure de la Seine sont nombreux, encombrans et mobiles encore aujourd’hui. On a évalué que dans une vingtaine d’années, l’excès des dépôts sur les affouillemens, des atterrissemens sur les corrosions avait dépassé un million de mètres cubes ; et on a constaté qu’en certains endroits l’exhaussement de l’atterrage avait été de 70 centimètres, et qu’une seule marée pouvait apporter sur certains bancs une couche nouvelle de près de 30 millimètres de dépôts[6]. Il faut encore aujourd’hui toute la vigilance des ingénieurs et l’emploi successif des chasses et des dragages pour maintenir, dans les bassins du Havre, un certain état d’équilibre du fond et assurer la hauteur d’eau nécessaire pour la flottaison des grands navires.

Il est probable cependant que le mouillage assez médiocre, abrité par la digue de galets qui courait du cap de la Hève à la pointe du Hoc, était connu et peut-être fréquenté aux premiers siècles de notre ère ; et c’est là que certains archéologues placent un établissement militaire et maritime, un peu douteux sans doute, puisque les itinéraires officiels de l’empire n’en parlent pas, qu’on n’en trouve qu’une mention assez vague dans Ammien Marcellin sous le nom de Castra Constantiana, et qu’il n’en est pas resté la moindre trace.

Quoi qu’il en soit, une plage pestilentielle et à peu près déserte, fréquentée seulement par quelques pêcheurs, privée d’eau potable et de voies de communication la reliant avec la vallée de la Seine, dont elle était séparée par des marécages, battue par les vents de tempête du Nord et de l’Ouest, devait dans quelques années devenir notre premier port de la Manche ; et cette éclosion rapide fut entourée de circonstances qui empruntent à la personne de François Ier quelque chose d’improvisé, de chevaleresque et presque de théâtral.

C’était en 1515, immédiatement après la glorieuse journée de Marignan. Beau, jeune, ardent, ivre de gloire et de succès, le roi de France fut avisé que, pendant qu’il guerroyait brillamment en Italie, les côtes septentrionales de son royaume étaient menacées à la fois par les Anglais et les Espagnols. Il repassa les Alpes à la hâte et envoya le grand amiral de France Bonnivet sur les côtes de la Normandie avec la mission de lui désigner sans retard l’emplacement le plus favorable pour la création d’un port dans lequel il pourrait « recueillir, loger et maréer les grands navires, tant du royaulme que aultres des alliés. » Barfleur et Honfleur, les deux ports d’entrée de la Seine, étaient l’un à peu près comblé, l’autre toujours menacé par les envasemens. Bonnivet hésita d’abord entre l’embouchure de la Touques et le petit golfe naturel d’Etretat. Un accident imprévu attira son attention sur le Havre, qui n’était alors qu’un très médiocre hameau de pêcheurs. La longue traînée de galets, que le courant avait déposée au large comme une digue ou un bourrelet, affleurait au-dessus des grandes eaux entre le cap de la Hève et la pointe du Hoc, et protégeait contre les coups de mer les lagunes à demi envasées de l’Heure, dans lesquelles on ne pouvait pénétrer que difficilement en doublant le crochet du Hoc.

Une de ces terribles marées, qui de siècle en siècle bouleversent les côtes de la Manche, vint changer brusquement la situation. Le bourrelet fut surmonté, et la lagune complètement noyée. L’énorme masse d’eau emmagasinée par le flot ne put s’écouler à marée basse par la Seine ; elle creva la digue de retenue contre laquelle elle exerçait une pression formidable, et s’ouvrit de force une issue directe vers la mer. Un chenal nouveau venait de se former, alimentant la cuvette intérieure située en arrière du bourrelet protecteur. Cette transformation subite fut considérée presque comme un prodige, on disait même un avertissement du ciel ; et on ne put moins faire que d’appeler le « Havre-de-Grâce » le chenal navigable qui venait de s’ouvrir ainsi. Ce fut un trait de lumière, une sorte de révélation et, pratiquement, un véritable programme. L’emplacement du nouveau port était trouvé. L’homme n’avait plus qu’à compléter par des travaux d’art l’œuvre commencée par la nature.

Le Havre continua cependant à n’être affecté pendant quelque temps qu’à la pêche à peu près exclusivement ; mais les premiers travaux d’amélioration de son chenal donnèrent assez rapidement d’excellens résultats ; et, lorsque François Ier vint, en 1520, visiter la ville naissante, qui était déjà entourée d’une première enceinte et dont le chenal était défendu à son entrée par la magnifique tour qui devait porter son nom, les plus grands navires de l’époque pouvaient facilement y accoster aux bonnes heures de la marée. Des chantiers de construction y furent bientôt installés et y prirent tout de suite une telle importance que le roi y fit armer, en 1533, un navire de 1 200 tonneaux, le plus grand type de l’époque, auquel on donna le nom de la Grande Françoise, et qui était destiné à aller guerroyer contre les Turcs. La Grande Françoise malheureusement ne devait pas tenir ce qu’on avait attendu d’elle. Elle ne put dépasser les jetées du port. Mais, dix ans après, une flotte, composée de plus de 150 vaisseaux de fort tonnage, appareillait au Havre même pour aller attaquer la flotte anglaise, près de l’île de Wight. L’élan était donné. On poussait en mer la jetée du Nord destinée à arrêter l’invasion des galets, ce qui ne pouvait être d’ailleurs qu’un expédient temporaire. On commença, bientôt après, la construction d’écluses de chasse assez rudimentaires qui devaient retenir et lâcher tour à tour les eaux des fossés de la ville et maintenir tant bien que mal une certaine profondeur dans le chenal. Les habitans étaient en outre réquisitionnés et organisés en compagnies pour une corvée spéciale qu’on appelait le « pionnage » et dont le travail consistait à piocher les « poulies » de gravier amoncelées à l’entrée du port, opération indispensable, presque continue et qu’on renouvelait après toutes les fortes marées.

Malgré tous ces inconvéniens, et bien que le Havre ne fût encore qu’un port d’échouage, son développement excita rapidement la jalousie des Anglais, toujours en éveil sur les progrès que nous faisions sur nos côtes, et qui profitèrent des guerres de religion et du concours que leur donnèrent les protestans pour s’emparer de la ville (1562). Elle fut reprise deux ans après par le maréchal de Villars, et l’entrée du port fut fortifiée par une seconde tour, la tour du Vidame, qui faisait pendant à celle de François Ier. Les deux grandes forteresses, aujourd’hui démolies, commandaient ainsi la passe du chenal et lui donnaient cet aspect pittoresque et militaire que le vieux port de la Rochelle a conservé.

Le port consistait simplement alors en une longue fosse qui correspondait à peu près à l’avant-port actuel, se prolongeait du côté où l’on devait plus tard creuser le bassin de la Floride, et communiquait avec une autre fosse qui devait devenir bientôt le Bassin du Roi, auquel on a eu le bon goût de conserver son nom et qui a gardé à peu près son ancienne forme et ses premières dimensions.

Presque tous ces travaux furent l’œuvre de Sully et de Richelieu, et on voit que les installations étaient en somme très rudimentaires. C’est en réalité de Colbert que datent les transformations les plus sérieuses et la création du premier bassin à flot. Vauban, dont le bon sens, le coup d’œil et le génie pratique ont pour ainsi dire préparé la plupart de nos avant-projets de ports de la Manche et de l’Océan, fit protéger le Bassin du Roi par une écluse busquée contre la mer. Il tenta même de ranimer Harfleur de sa décadence irrémédiable en ouvrant un canal latéral à la Seine, qui reliait les fossés de la ville déchue avec ceux du Havre, dont la prospérité augmentait tous les jours. Le canal de Vauban, qui amenait les eaux de la Lézarde, accrut bien un peu la puissance des chasses dans l’avant-port, contribua utilement au dessèchement de la lagune de l’Heure ; ce fut en quelque sorte l’ancêtre ou le précurseur du canal de Tancarville. Mais Harfleur ne put être sauvé.

En revanche, le Havre continuait à progresser d’une manière rapide, et la Compagnie des Indes en fit bientôt le siège d’un de ses principaux établissemens. A la fin du XVIIe siècle, il entretenait les relations les plus actives avec toutes les colonies françaises, la Louisiane, Saint-Domingue, l’île de France, le Canada et même l’Extrême-Orient. Le Bassin du Roi devint bientôt insuffisant, et on creusa les bassins de la Barre et du Commerce. En 1802, dans une de ces rapides visites qui passaient comme des éclairs et qui étaient toujours accompagnées d’ordres impérieux et suivies de quelques résultats pratiques, le Premier Consul déclarait que le Havre devait être le « Port de Paris, » ce qu’il est devenu en fait aujourd’hui, et ordonnait le creusement du bassin de la Floride.

Ce dernier était à peine terminé que de nouveaux besoins se faisaient sentir. Ce fut successivement le tour des bassins de Vauban, de l’Heure, de la Citadelle et, de nos jours, enfin des bassins des docks, du bassin à pétrole, des bassins Bellot, qui finiront peut-être par devenir à leur tour insuffisans. La ville étouffait dans ses remparts. On les a démolis ; et de magnifiques boulevards, des avenues grandioses lui permettent de s’agrandir désormais indéfiniment. De nouveaux bassins seront sans doute nécessaires encore ; mais il sera facile de les creuser à la suite des derniers nouvellement construits. L’avant-port actuel sera prochainement prolongé en mer et défendu par deux grandes jetées dont la construction est poussée avec rapidité. Tout est donc prévu et en cours d’exécution pour l’agrandissement à peu près indéfini des installations actuelles.

Le mouvement du Havre est comparable à celui de Marseille. On n’y trouve pas sans doute le magnifique décor de la ville phocéenne, son acropole noyée dans l’éblouissante lumière, sa mer bleue, son ciel éclatant, encore moins ces pittoresques costumes et ces indéfinissables figures de Levantins, un peu fausses peut-être, mais toujours séduisantes et qui donnent tant d’intérêt et de couleur à tous les ports échelonnés sur les rivages de la grande mer gréco-latine. Mais le commerce, pour être moins agité et moins bruyant, a des horizons aussi étendus et des débouchés aussi lointains.

Le Havre est l’un des plus grands marchés de coton du monde. Les cotons bruts des Etats-Unis, les cafés et les bois de teinture des Antilles, le salpêtre et les guanos du Pérou, les peaux de la Plata, le sucre de la Havane, les thés de la Chine, les soies du Japon, l’indigo et les épices de l’Orient constituent les principaux élémens de son importation, auxquels il faut naturellement ajouter, comme dans tous les ports de la Manche et de l’Océan, les houilles d’Angleterre et les bois du Nord. Presque tous les produits naturels du monde débarquent sur ses quais.

A la sortie, ce sont des objets de consommation de toute nature, des denrées agricoles et surtout des produits ouvrés et manufacturés par toutes les industries françaises. Ce mouvement a dépassé, certaines années, cinq millions de tonnes, et les travaux d’agrandissement projetés et en voie d’exécution permettent d’espérer qu’il s’accroîtra encore. L’ensemble des ouvrages actuels du port du Havre paraît cependant suffire pour le moment à tous les besoins du commerce et même à son expansion. Il comprend un magnifique chenal d’entrée d’une largeur de près de 80 mètres entre ses deux jetées, un avant-port, dix bassins à flot présentant ensemble une superficie de plus de 80 hectares, quinze écluses de navigation, six formes de radoub et des docks dont l’outillage ne laisse absolument rien à désirer.

L’entrée du chenal sera très prochainement prolongée en mer par deux grandes jetées d’un kilomètre chacune : l’une, celle du Nord, enracinée à la plage sur la côte de Frascati, l’autre, celle du Sud, en prolongement de la jetée actuelle et devant constituer ainsi une rade d’abri de près de 60 hectares. Tout est donc prévu pour assurer au Havre un avenir indéfini.


IV

Du fond de la baie de Seine à Dunkerque, presque à la frontière de la Belgique, la côte de la Manche et du Pas de Calais présente une magnifique ondulation d’une régularité et d’une harmonie parfaites. Nulle part en Europe, peut-être même dans le monde entier, le dernier travail géologique qui a façonné le relief de nos rivages et déterminé la limite toujours un peu variable et mobile entre la terre et la mer n’a dessiné une ligue d’une plus élégante courbure. Cette courbure est double. Convexe au départ du Havre, la côte commence à courir à peu près du Sud-Ouest au Nord-Est, présentant une saillie très prononcée au cap d’Antifer. Elle s’infléchit ensuite peu à peu et devient concave jusqu’à l’embouchure de la Somme, qui marque exactement le point où renfoncement atteint son maximum. Elle se redresse alors insensiblement et finit par remonter presque directement vers le Nord jusqu’au cap Gris-Nez, dont la falaise à pic fait face à la côte anglaise. Immédiatement après, elle tourne brusquement à l’Est et suit un alignement interminable de dunes grisâtres, d’une implacable monotonie. C’est la barrière, tantôt naturelle, tantôt artificielle, mais toujours soigneusement entretenue, qui protège les basses terres des Flandres et se perd à l’horizon dans les brumes de la mer du Nord.

De la Seine à la Somme, ou, plus exactement, de la colline de Sainte-Adresse, où finit la luxuriante végétation de la banlieue du Havre et qui domine à la fois la rade, la ville, les docks et le bassin de notre grand établissement maritime de l’Océan, jusqu’à l’ancien petit port du bourg d’Ault, assez fréquenté, il y a deux siècles à peine, par tous les pêcheurs de la Haute-Normandie et qui est aujourd’hui complètement comblé par les galets et les sables, toute la côte est rocheuse sans discontinuité, et dresse fièrement en face de l’Océan la paroi verticale de sa falaise crayeuse éclatante de blancheur, régulièrement striée de bandes horizontales de silex presque noirs. Au-dessus et à la suite de l’énorme muraille, la plaine s’étend à perte de vue, immense plateau qui présente une série de larges ondulations à une altitude variant de 60 à 100 mètres. C’est le pays de Caux, l’un des plus cultivés et des plus plantureux de la France : près de 100 000 hectares d’une seule venue, découpés en un nombre infini de grandes terres labourées ou verdoyantes, présentant une succession de champs de colza et de céréales, de prairies et de pâturages, de petits bois d’arbres fruitiers et surtout de pommiers, le tout d’une merveilleuse fécondité et d’un rendement à peu près certain et presque invariable.

Malgré sa richesse et sa puissance de production, l’aspect général de ce pays fortuné serait d’une fatigante monotonie, si les paysans normands, sans rien sacrifier à leurs intérêts matériels, qui, chez eux, plus encore peut-être que chez tous les campagnards, tiennent une place presque exclusive dans tous les actes de la vie, n’avaient eu l’ingénieuse idée d’entourer leurs vergers et leurs fermes de hautes futaies de hêtres et de chênes très serrés et qui les défendent de tous côtés contre les rafales de vent qui soufflent de la terre ou de la mer. Les « herbages » ainsi protégés par leurs « brise-vents » constituent des milliers d’oasis qui émergent au-dessus du plateau presque horizontal comme de grands îlots de verdure, et lui donnent un peu du relief qui lui manque, quelquefois même un aspect assez pittoresque. De distance en distance, ce grand plateau est d’ailleurs coupé par une série de dépressions, de brèches profondes, au fond desquelles s’écoulent les eaux des rivières et des torrens alimentés par les pluies qui pénètrent la couche végétale supérieure et filtrent peu à peu à travers les pores de la roche crayeuse. Petites ou grandes, vallées ou simples couloirs, on les désigne sous le nom générique de « valleuses » et elles sont toutes à peu près orientées dans le même sens, de l’Est à l’Ouest, divisant ainsi toute la plaine cauchoise en grands parallélogrammes réguliers, subdivisés eux-mêmes par tous les champs de culture, bien nettement délimités en une infinité de rectangles et de carrés. C’est le pays classique de la viande et du fromage, des boissons et des liquides d’un produit sûr, mais toujours un peu grossiers, huile de colza, cidre, eau-de-vie[7]. Tout y est gras, tranquille, abondamment nourri, presque repu : la terre, les hommes et les animaux. Bêtes et gens y respirent la force, la santé, la richesse. Le paysan normand est presque toujours sérieux, réfléchi, sait calculer et surtout discuter. Il travaille, il gagne et garde soigneusement son gain, l’augmente et le place avec prudence et profit. Rien, chez lui, de gai ou de frivole, d’entraîné ou de bruyant, encore moins de désintéressé. L’amour exclusif de la terre est d’ailleurs en général assez peu compatible avec le sentiment de l’art et même avec toute idée de générosité et de sacrifice. Tout est donc subordonné aux exigences et aux jouissances matérielles. A l’inverse de la Provence, on mange et on boit plus qu’on ne chante et ne danse. C’est le pays du bénéfice et du rendement.

A l’extrémité de cette terre prodigue de biens, le sol manque tout à coup sous les pieds. L’abîme se découvre subitement sans que rien ait annoncé sa présence ; et cet abîme est l’Océan, aussi dur, aussi impitoyable souvent que le magnifique plateau qui le longe et le domine est généreux et hospitalier. Cette brusque transition est un des contrastes les plus saisissans que la nature offre quelquefois à la frontière de la terre et de la mer.

Les embouchures de toutes les valleuses formaient autrefois d’assez larges échancrures qui pénétraient dans le rempart continu de la falaise et constituaient ainsi une série de havres naturels très précieux pour les pêcheurs des premiers temps historiques. Elles se sont comblées peu à peu, à l’exception des quatre principales, celles de la Béthune, de la rivière de Fécamp, de la Bresle, de la Somme, où on ne se lasse pas d’entretenir par des dragages et des travaux de toute nature la profondeur nécessaire à la navigation. Ce ne sont pas seulement les apports que tous les cours d’eau, — le plus grand fleuve comme le plus petit ruisseau, — charrient en plus ou moins grande quantité qui atterrissent ainsi tous les fiords de la côte et ont même complètement obstrué ceux dont le courant n’a pas eu par lui-même la force de s’ouvrir un lit permanent et ne s’écoule à la mer que d’une manière intermittente par un passage souterrain au-dessous du remblai des dépôts amoncelés ; ce sont encore et surtout les débris arrachés à la falaise elle-même par le heurt des vagues et transportés ensuite parallèlement à la côte par le flot de marée et le courant littoral.

Nous avons dit plus haut quelques mots du phénomène qui se produit sans interruption depuis l’origine de notre période géologique dans la baie de Seine, et qui tend à modifier et à déformer sans cesse toute la zone littorale du Cotentin et de la Normandie. C’est ici le lieu d’entrer dans quelques détails sur la destruction des falaises, qui en est une conséquence directe. Le flot de marée qui entre dans la Manche vient directement de l’Ouest, parallèlement à l’équateur ; il est attiré dans sa course par deux grandes dépressions de la surface marine que l’on a comparées quelquefois à deux vastes entonnoirs et qui sont, au Sud, la baie du Calvados, au Nord, le couloir du Pas de Calais ; et, au cours de sa marche, il s’épanche naturellement dans ces deux dépressions latérales et tend à les remplir. Mais la masse principale du courant de flot, qui passe devant la rade de Cherbourg, traverse directement toute la baie de Seine et va frapper le cap d’Antifer. C’est là qu’il se brise et se bifurque en deux branches, l’une qui descend vers l’embouchure de la Seine et pénètre dans l’avant-port du Havre, l’autre qui remonte vers le Nord bien au-delà de Dunkerque.

La blanche falaise calcaire de près de 100 mètres de hauteur et de 140 kilomètres de développement, qui se dresse comme un mur vertical en face de l’Océan, commence à la sortie même du Havre et se termine aux approches de l’embouchure de la Somme. Mais cette roche est loin de présenter une résistance durable à la morsure incessante des vagues ; et, depuis le jour où l’immense plateau qu’on appelle le pays de Caux est sorti du sein des eaux, à la suite des derniers soulèvemens qui ont donné à la surface de notre écorce le relief que nous lui voyons aujourd’hui, il ne cesse d’être assailli et rongé par la mer, et il se démolit un peu tous les jours.

Tout le monde sait que la falaise anglaise qui fait face à la falaise normande présente exactement la même structure minérale, le même aspect monumental, mais aussi la même friabilité ; qu’elle venait très certainement autrefois rejoindre la côte de France ; et que la brèche qu’on appelle le Pas de Calais n’est qu’une fracture, une sorte de perforation mécanique, bien antérieure sans doute aux premiers temps historiques ou même légendaires, mais d’un âge géologique relativement récent[8]. Le frottement continu des eaux de la mer, les coups de bélier des vagues de tempête, la violence des courans littoraux, la désagrégation lente résultant des actions atmosphériques ont ensuite découpé peu à peu par tranches les deux grandes murailles qui se font face, et dont les escarpes sont comme les bajoyers d’une écluse gigantesque faisant communiquer les eaux de la Manche avec celles de la mer du Nord. Cette dislocation qui frappe tous les yeux s’accentue tous les jours et l’on ne saurait l’arrêter.

Il est fort probable aussi que le sol de la Haute-Normandie et celui de la Grande-Bretagne, sa voisine, se sont soulevés peu à peu, laissant la mer, au fond de laquelle la craie et les silex se sont alternativement déposés en longues stratifications parallèles, maîtresse de tout l’espace intermédiaire. Les couches de tourbe et de lignite, que l’on retrouve au large à plus de 4 000 mètres au-devant du Tréport et de Criel, vis-à-vis des embouchures de la Bresle et de l’Yères, et que la sonde rencontre à une profondeur relativement assez faible, prouvent d’une manière irrécusable que l’épais banc crayeux, noyé depuis une longue période de siècles, a été recouvert autrefois par une puissante végétation.

Quoi qu’il en soit, la brèche existe aujourd’hui. Depuis l’origine de notre période géologique, elle ne cesse de s’agrandir, et il est même possible de se rendre compte, dans une certaine mesure, de ce que la mer a dévoré pendant la durée des derniers siècles qui viennent de s’écouler. Il résulte, en effet, des constatations très précises faites par les ingénieurs des ponts et chaussées, que la saillie rocheuse sur laquelle est établi le phare d’Ailly, à une dizaine de kilomètres environ à l’Ouest de Dieppe, a reculé de 0m, 80 par an dans la période de 1800 à 1847. En certains points, le recul de la falaise a été beaucoup plus rapide ; et nous avons déjà parlé de la petite église de Sainte-Adresse, qui dressait encore, au commencement du XIIe siècle, la pointe de son clocher à l’endroit même où se trouve aujourd’hui l'écueil sous-marin désigné sous le nom de « banc de l’Éclat » et qui peut être considéré comme la limite extérieure de la petite rade du Havre. Ce banc, qui faisait autrefois partie de la côte, avait probablement, comme toute la falaise normande, une hauteur de près de 100 mètres ; il est aujourd’hui noyé à plus de 2 kilomètres au large, à près de 8 mètres de profondeur. La falaise a donc reculé en ce point de 2m, 60 en moyenne par an.

On ne saurait prendre ce fait particulier comme la mesure exacte du taux de reculement. Le cap de la Hève est très vraisemblablement le point de la côte qui a supporté les plus rudes assauts. Toutefois on peut, sans crainte d’erreur trop grande, admettre, avec l’ingénieur Lamblardie, que la corrosion annuelle a été en moyenne depuis plusieurs siècles d’un « pied de roi, » sur tout le développement de la falaise entre l’embouchure de la Seine et celle de la Somme[9]. C’est à peu près une trentaine de mètres par siècle. La mer a donc dévoré, depuis deux mille ans, une bande de près de 600 mètres de largeur sur toute la côte normande, correspondant à une surface de près de 9 000 hectares ; et, si l’on considère que la hauteur de la falaise varie entre 50 et 100 mètres, soit en moyenne 70 mètres, sur un développement de 140 kilomètres, on peut évaluer à près de 6 milliards de mètres cubes le volume qui a été emporté par les vagues seulement depuis l’origine de notre ère. Cela fait en moyenne plus de 3 millions de mètres cubes par an.

Or, on compte à peu près une soixantaine de couches de silex interposées dans le massif crayeux de la falaise, formant une série de tranches parallèles semblables aux feuilles d’un livre et dont l’épaisseur totale serait environ de 5 mètres. Ces bandes de cailloux, d’autre part, ne sont pas aussi compactes que la craie ; et les vides peuvent être évalués sensiblement aux 3/5 de leur masse totale. D’après tous ces élémens, il est facile de voir que les 3 millions de mètres cubes arrachés annuellement à la falaise normande peuvent contenir de 100 à 150 000 mètres cubes de silex. Tout le reste est de la marne et de la craie, qui se brisent et se dissolvent rapidement, formant une pâte onctueuse qui donne aux eaux de cette partie de la Manche, dans le voisinage de la côte, cette teinte grise, un peu laiteuse, si différente de la magnifique couleur verte de la mer de Bretagne et de l’admirable azur des mers méridionales, et en particulier de la Méditerranée. Quant aux cailloux, roulés et frottés sans cesse sur l’estran par les vagues, ils s’amoindrissent, s’émoussent, s’arrondissent et se réduisent d’abord en petits galets ronds, puis en sable. Le flot les pousse à la terre ; le jusant les ramène au large. Mais la prédominance du flot sur le jusant et l’action à peu près continue des courans littoraux les fait cheminer lentement tout le long de la côte. Une très faible partie descend du cap d’Antifer vers le Havre, qui n’en est distant que d’une quinzaine de kilomètres. La plus considérable remonte la falaise jusqu’à la baie de Somme ; et l’éternelle traînée de galets, de plus en plus petits à mesure qu’ils s’éloignent de leur point de départ, finit par se déposer en longues digues parallèles qui barrent les vallées et dont le bourrelet, à chaque instant rechargé par des apports nouveaux, prend naturellement la forme et le profil qui représentent le maximum de résistance ; c’est celui d’un talus régulier de 6 ou 7 de base pour 1 de hauteur. Ce talus est devenu une véritable muraille, dont la crête a fini par dépasser quelquefois le niveau des plus hautes marées. Le sable projeté par les vagues s’infiltre à travers tous les vides, accroissant la résistance de la digue, qui devient une sorte de brise-lames, marquant la limite entre le domaine de la mer et celui de la terre, et derrière lequel les eaux continentales viennent s’arrêter et déposer leurs troubles. A l’abri de cette barrière, la plaine d’alluvions s’exhausse peu à peu. L’industrie et l’agriculture, et aussi la spéculation, ont pu en prendre possession et la transformer assez rapidement en champs de culture ou en terrains à bâtir.


V

Cette corrosion de la falaise rocheuse, qui se détache peu à peu et s’éboule dans la mer, est fatale. Partout, sur toute sa hauteur et sur une épaisseur profonde, le mur vertical est ébranlé ; les eaux de filtration qui pénètrent dans le massif agissent comme de véritables coins qui tendent à le renverser ; les actions atmosphériques le désagrègent lentement ; les vagues en minent le pied ; les gelées le disloquent ; et on peut dire en toute vérité que, depuis le jour où le plateau crayeux de la Normandie a émergé du sein de l’Océan, chaque seconde en a vu tomber quelques parcelles, chaque année a vu reculer la muraille d’une quantité plus ou moins grande, mais très appréciable, devant son infatigable agresseur. La destruction est continue, le travail de dislocation apparent ou caché ne cesse jamais ; et, au cours des grandes tempêtes, il se manifeste quelquefois par de véritables cataclysmes.

Sans rappeler les épisodes dramatiques des vieilles légendes, qui, à tout prendre, ne sont le plus souvent que des traductions poétiques de la vérité, la génération actuelle a conservé le souvenir de terribles éboulemens. L’ingénieur Frissard parle d’un formidable effondrement qui eut lieu le 11 janvier 1830 à la Hève et forma, au pied de la falaise, un barrage qui interrompit pendant longtemps la marche des galets. Nouvel éboulement l’année suivante. Dès 1814, un naturaliste havrais d’un certain talent, qui portait un nom déjà célèbre, Lesueur, se plaisait à retracer d’un crayon habile les effondremens successifs de la falaise de la Hève, et on trouve dans les notes de son père le récit d’un éboulement général qui eut lieu le 2 février 1785 et dont le bruit et la commotion furent perçus jusqu’au Havre même. Le 4 décembre 1841, Lesueur constatait, pendant cinq heures consécutives, un mouvement d’affaissement général accompagné d’éboulemens successifs.

L’année suivante fut encore plus terrible ; et, le 3 septembre, la falaise s’écroulait dans la mer, avec un épouvantable fracas, sur une longueur de plus de 2 kilomètres et une largeur moyenne de 30 mètres.

Le 14 juin 1860, presque au même endroit, un glissement général refoula lentement vers la mer le sable et le galet, qui furent soulevés en certains points de 4 à 5 mètres au-dessus de l’eau. Ce mouvement produisit dans le mur d’escarpe de grandes fissures qui s’élargirent rapidement. Minée à son pied, la falaise qui surplombait ne tarda pas à s’écrouler ; et ses débris, que l’on put évaluer à plus de 50 000 mètres cubes, couvrirent une surface de plus de 30 000 mètres carrés.

Six ans après, une nouvelle tranche de la falaise glissait à la mer sur sa base d’argile ; près de 8 hectares étaient disloqués et fendus sur le plateau. La crête surplombait de nouveau et s’effondrait bientôt avec fracas ; et plus d’un million de mètres cubes de terres et de rochers venaient s’étaler sur l’estran, formant un petit promontoire en saillie sur la ligue du rivage de plus de 40 mètres[10].

Le cap de la Hève est sans doute un des points les plus attaqués ; mais les mêmes dislocations se reproduisent partout. En temps normal et par les mers les plus calmes, la grande muraille crayeuse continue à se désagréger peu à peu et pour ainsi dire moléculairement ; il en tombe toujours quelques menus fragmens, et il est aussi dangereux d’en suivre la crête, qui peut à chaque instant céder sous les pas, que d’en longer le pied, toujours menacé de la chute de quelques blocs ébranlés. Pendant ou après chaque tempête, à la suite de pluies persistantes, au cours des fortes gelées, il se produit toujours quelque effondrement, dont les conséquences peuvent être désastreuses. La liste serait interminable de toutes les brusques dislocations qui se sont produites dans le cours des siècles ; et il nous suffira de rappeler celle, toute récente, qui a fait craindre un moment de voir disparaître en partie les magnifiques rochers avancés qui font le charme et la fortune d’Étretat, et, hier encore, ce terrible glissement de la falaise de Dieppe entraînant à la mer, au cours d’une nuit, l’une des plus élégantes villas de la côte.

Si tous les débris qui proviennent de cette destruction séculaire de la falaise restaient sur place, ils auraient formé depuis longtemps une longue digue de protection, ce que les ingénieurs appellent une risbenne, qui défendrait le pied de la muraille et lui permettrait de résister un peu à de nouvelles attaques de la mer ; mais les vagues et la marée ne tardent pas à les disperser et à les entraîner au large. Le va-et-vient continu des eaux les ramène sans cesse ; et tous les matériaux éboulés, d’une consistance, d’un volume et d’une dureté très différentes, sont l’objet d’une immense opération de triage. La plus grande partie, qui est aussi la plus tendre, — la marne et la craie, — se délaye et est en général emportée très rapidement à plusieurs kilomètres au large. Les sables sont aussi charriés assez loin. Les galets seuls restent dans le voisinage de la côte ; mais, incessamment poussés par le flot et ramenés par le jusant, ils cheminent parallèlement au rivage, entraînés par les deux courans qui longent toute la côte, l’un descendant sur le Havre, l’autre remontant vers le Nord. Le courant qui descend vers la Seine ne rase la falaise que sur 24 kilomètres seulement de longueur ; mais celui qui remonte vers la baie de Somme a un parcours de près de 120 kilomètres ; et on conçoit très bien que l’entrée des criques et des ports au devant desquels il chemine soit un réceptacle naturel pour les galets qu’il entraîne avec lui. Ces galets s’y arrêtent fatalement ; et, à la suite d’un certain nombre de siècles, tous les débris ainsi charriés doivent combler les issues de toutes les vallées, former, à toutes les embouchures, dans tous les enfoncemens de la côte, dans tous les fiords, dans toutes les valleuses, des dépôts plus ou moins considérables, et donner naissance à des bancs sous-marins qui finissent un jour ou l’autre par émerger au-dessus des eaux. Telle est l’origine ; et la loi de formation des deux plaines d’alluvions situées à chaque extrémité, au Nord et au Sud de la grande falaise normande : l’une, à l’embouchure de la Somme, dans la baie triangulaire qui commence à Cayeux, remonte jusqu’à l’embouchure de la Canche, et dont le nom de « Marquenterre, » — Mar-en-terre, — semble bien rappeler l’ancien état hydraulique ; l’autre, dans l’estuaire de la Seine, où le mélange des alluvions marines et des apports du grand fleuve a peu à peu causé la perte des atterrages de Lillebonne, de Granville et d’Harfleur ; c’est la plaine de l’Heure, qui peut être considérée comme le principal dépôt des débris des falaises qui s’élevaient autrefois sur l’emplacement de la petite rade du Havre et qui ont depuis longtemps disparu dans la mer.

Le rapport entre le développement de la falaise du cap d’Antifer au Havre et du cap d’Antifer à la Somme est de 1 à 5. Comme le phénomène d’érosion est à peu près le même partout et que les circonstances locales sont peu différentes, le volume des matériaux entraînés et celui des dépôts doivent être à peu près dans la même proportion. C’est ce qui a lieu, en effet. La plaine de l’Heure a 1 800 hectares ; les Bas-Champs et la plaine basse de la Somme près de 10 000. Rien ne se perd dans la nature. L’Océan ne démolit que pour reconstruire. Comme un prodigieux excavateur, il sape et creuse le pied de la falaise ; mais les débris pulvérisés de la roche, bien qu’ils soient presque tous entraînés au large et considérés pour nous comme perdus, finiront un jour par reparaître ; et l’éternelle traînée de galets qui roule toujours le long de la côte modifie lentement, sous nos yeux mêmes, l’appareil littoral.

VI

Tout comme la légendaire ville d’Ys, que les récits bretons placent un peu partout sur la côte de la vieille Armorique, et qu’une marée formidable ou un cataclysme inexpliqué aurait engloutie dans l’Océan, il existait autrefois aux abords de Dieppe un centre de population très important, une véritable cité sur l’âge de laquelle on est loin d’être fixé et dont plus de la moitié s’est écroulée avec la falaise qui la portait, une faible partie restant encore suspendue au-dessus de l’abîme et pouvant s’effondrer au premier jour. On l’appelait, on continue à l’appeler la « cité de Limes. » Quelques restes de fossés semblent indiquer qu’elle était entourée d’un mur de circonvallation quadrangulaire. C’était une sorte d’oppidum, dont la plus petite moitié, encore apparente, mais très ruinée, a la forme d’un triangle rectangle. La crête toujours branlante de la falaise marque à peu près l’hypoténuse de ce triangle.

Au cours d’une visite célèbre que Louis XIII enfant vint faire à Dieppe, le vieux castrum celtique fut baptisé du nom de « Camp de César. » Le jeune roi était accompagné des premiers personnages de sa cour, les ducs d’Orléans, de Mayenne, de Nemours, MM. de Rohan, de Vitry, de Luynes, et une foule de gentilshommes très braves et très brillans sans doute, mais assez médiocrement au fait des choses de l’art, de l’histoire et de l’archéologie. Entre deux parties de pêche et de promenade, la noble compagnie décida que les Romains seuls avaient pu exécuter sur la falaise des travaux d’installation durables, que Jules César y avait fait camper ses légions, qu’il y avait établi un grand poste d’observation pour surveiller les débarquemens des hommes du Nord et protéger sa flotte abritée dans la vallée de l’Arques, et que, pour toutes ces raisons, le vieil oppidum celtique devait être un camp romain. Par respect pour la majesté du roi et l’autorité de son brillant entourage, le nom lui est resté dans le langage populaire et sur certaines cartes modernes[11]. C’est toujours le « Camp de César. » La vieille cité de Limes est cependant beaucoup plus ancienne et paraît être essentiellement gauloise. Elle renferme quelques grottes qui ont servi d’habitations primitives. On y a retrouvé des tombelles, des tunuli caractéristiques de l’époque celtique, des débris d’os, de coquillages abandonnés après le repas, des fragmens de poteries grossières, quelques anneaux de fer, des poids qui devaient servir de monnaies, et de nombreux fragmens de tout le matériel rudimentaire qui caractérise les époques primitives de la civilisation sur notre sol[12]. César peut bien y avoir établi plus tard ses légions, puisqu’il est passé à peu près partout sur la partie du littoral de la Gaule qui fait face à la grande île de Bretagne ; mais il y a été certainement précédé ; et son campement n’a dû être que temporaire, sur un oppidum déjà régulièrement constitué.

Il est en outre très intéressant de remarquer que le nom de la « cité de Limes » se retrouve de l’autre côté de la Manche, sur la côte anglaise. Il y a eu, en effet, de tout temps un lien continu entre la Bretagne et la Gaule. Ce lien était le druidisme, dont les pratiques étaient très profondément enracinées dans le cœur de la race celtique. La population, assez clairsemée d’ailleurs, de la côte de Bretagne n’était pour ainsi dire qu’une colonie avancée des peuplades continentales, beaucoup plus denses, du Belgium. L’observation de César est sur ce point, comme sur tant d’autres, d’une parfaite justesse. « L’intérieur de la Bretagne, dit-il, est habité par des peuples que la tradition représente comme indigènes. La partie maritime est occupée par des peuplades belges que la guerre ou l’appât du butin ont fait sortir de leurs pays ; elles ont presque toutes conservé le nom des lieux dont elles étaient originaires lorsqu’elles vinrent, les armes à la main, se fixer dans la Bretagne et en cultiver le sol[13]. »

Rien n’est en effet plus facile, même à de petits bateaux, que de traverser le canal de la Manche avec un temps favorable et de venir atterrir par un léger vent du Midi sur les côtes de la grande île voisine, qui présentent avec celles du continent des analogies frappantes, — même structure minéralogique, même production agricole, même climat, même ciel. Les blanches falaises de l’ancienne Albion se profilent quelquefois à l’horizon avec une netteté et une pureté parfaites, en tout semblables à celles de la Haute-Normandie ; et, par certains temps clairs, il y avait certainement dans cette vision, dans cette sorte d’appel aérien, quelque chose qui devait frapper l’imagination et exciter l’esprit d’aventure des chasseurs de l’époque primitive, poursuivant leurs rennes et leurs chevreuils jusqu’à la limite même où le plateau surexhaussé s’arrête brusquement à pic et tremble quelquefois sous les coups répétés des vagues. Le vol des oiseaux de passage était d’ailleurs par lui-même une première indication ; et, poussés par leur sang un peu marin, les habitans des côtes du Belgium ont dû de tout temps se confier à leurs bateaux de cuir et d’osier et tenter la fortune de l’autre côté du détroit. Bien avant que le Marseillais Pythéas ait accompli son prodigieux voyage et remonté les côtes de l’Océan depuis le détroit de Gadès jusqu’aux îles Cassitérides, les premiers occupans de cette partie du littoral de la Celtique avaient donc dû franchir la Manche et très certainement coloniser la partie de la côte de la Grande-Bretagne qui leur faisait face et était baignée par la même mer que celle de leur pays. La moindre voile latine et un peu de beau temps suffisaient pour faire l’expédition. C’est d’ailleurs la marche générale de toutes les migrations humaines depuis l’origine des temps, allant toujours de l’Orient vers l’Occident ; et il est curieux de remarquer qu’en franchissant ainsi le détroit, les gens du Belgium donnèrent aux villes qu’ils fondèrent sur leur nouvelle patrie les noms mêmes de la terre gauloise qu’ils venaient de quitter et dont ils s’exilaient peut-être pour toujours, entraînés par cet irrésistible attrait de l’inconnu qui est sans doute le principal élément de toutes les grandes aventures et des plus fécondes opérations coloniales. Londres même, a-t-on pu dire avec raison, n’est que la fille d’un bourg de notre continent. Ce bourg paraît avoir été Londinières, Londinum, qui se trouve à quelques kilomètres de Dieppe, dans la vallée de l’Eaulne. Douvrend, qui dans la même vallée est encore plus rapproché de la mer, semble de même avoir donné son nom à Douvres, Dubris[14]. On retrouve donc les mêmes désignations pour trois villes des deux côtés du détroit. Limes, Douvres et Londres. On pourrait peut-être en retrouver d’autres ; et il semble qu’il y ait là tout à la fois une indication d’origine, un lien généalogique, une preuve de descendance directe, une sorte de parenté.

Quoi qu’il en soit, il est intéressant de remarquer que c’est par la vallée de la Béthune et de l’Eaulne, dont le confluent formait autrefois l’ancien port de Dieppe, qu’a passé de tout temps, et bien avant notre ère, l’un des grands courans qui ont porté les hommes du continent vers l’île de la Grande-Bretagne. Londinières et Douvrend, sur la côte normande, ne sont plus aujourd’hui que de bien modestes villages ; mais on y retrouve cependant encore quelques débris de l’époque celtique ; et il est curieux de constater que leurs premiers enfans ont été les ancêtres et les colonisateurs de l’un des ports les plus animés de l’Angleterre et de la monstrueuse capitale qui est devenue la métropole maritime d’un empire plus vaste aujourd’hui que l’empire romain. Quant à la vieille cité de Limes, transformée peut-être par César en camp d’observation au moment de la guerre des Gaules, elle a presque complètement disparu, s’est écroulée en grande partie avec la falaise, et les deux retranchemens qui en restent peuvent seuls donner une idée de leur ancienne importance. La mer continue à battre le pied de la roche que couronnaient les tours de la ville gallo-romaine, et sa disparition complète n’est qu’une question de peu d’années.


VII

La mer qui brise contre la falaise normande est presque toujours mauvaise, et rapproche de ce rempart escarpé de près de 150 kilomètres de développement est à bon droit redouté. Les courans y changent quelquefois de sens à chaque heure de la marée. Les vents du large venant frapper violemment contre la muraille et ceux de terre tombant en rafales furieuses de la crête, leur rencontre donne lieu à des remous formidables ; et il est toujours prudent aux navires de se tenir à une certaine distance au large. Nulle part des ports de refuge ne rendraient de plus grands services. On n’en compte malheureusement que quatre, du cap d’Antifer à l’embouchure de la Somme : Dieppe, Saint-Valery-en-Caux, Fécamp et le Tréport ; le premier seul accessible aux bateaux de fort tonnage ; les trois autres aux navires moyens. Deux autres petits havres, Étretat et Yport, ne sont que des ports de pêche et d’échouage. Tous sont naturellement situés à l’entrée d’une rivière ou d’une de ces longues gorges, appelées valleuses, qui découpent le pays de Caux en parallélogrammes à peu près réguliers.

Étretat est à 3 kilomètres à peine du cap d’Antifer, Il reçoit directement, comme le cap, le choc du flot qui vient du large ; et les terribles coups de bélier ont découpé sa falaise d’une manière invraisemblable. Il n’existe peut-être sur aucune côte du monde de décor à la fois plus grandiose, plus élégant et d’une originalité de lignes plus pittoresque. C’est ce décor merveilleux qui fait depuis un demi-siècle la fortune mondaine d’Étretat. Les parties les plus friables du rempart de craie ont été perforées par les vagues, et leur écume tapisse la paroi verticale de la roche comme une immense draperie d’argent qui s’abaisse et remonte sans cesse. Au pied de l’escarpe, des grottes profondes, presque toutes impraticables, dans lesquelles l’eau s’engouffre et bouillonne avec un bruit de tonnerre. Plus haut, à près de 100 mètres au-dessus du niveau de la mer, de grandes cavernes accessibles seulement par des sentiers dangereux suspendus au bord de l’abîme. Au-devant, un contrefort gigantesque troué par les lames et dessinant une arcade d’une envolée superbe, la porte d’Orient. Tout autour, découvrant à presque toutes les basses marées, des gouffres insondables, béans comme des gueules de monstres à demi noyés ; et, un peu plus au large, isolé de tous côtés, le plus magnifique obélisque qui se puisse voir, dressant fièrement sa pointe de près de 80 mètres de hauteur, semblable à un repère colossal laissé par des terrassiers géans dans le sol qu’ils auraient excavé pour donner la mesure de leurs prodigieux déblais. La mer qui a disloqué toute cette côte depuis l’origine de notre époque géologique y a laissé ce merveilleux « témoin » de son immense travail. Sur près de 3 kilomètres, ce ne sont que déchirures, escarpemens abrupts, saillies aiguës, fiords profonds, ténébreux, impénétrables. Nulle part la falaise ne présente des lignes plus hardies, un caractère plus imposant, un aspect plus terrible, et presque plus tragique.

Il est sans doute impossible, en l’absence de cartes et de documeus anciens d’une certaine exactitude, de donner une chronologie même approximative du recul de toute cette côte ; mais on voit très clairement que l’œuvre de démolition est géologiquement récente, et que la falaise a été rongée sur une profondeur de plusieurs centaines de mètres, très inégale sans doute et pouvant varier, en des points assez rapprochés les uns des autres, de 150 à 600 mètres. Il est certain, d’ailleurs, que le travail est continu, qu’il s’accentuera dans les siècles à venir, et que le décor changera sans qu’il soit possible de dire à l’avance quelles seront ses nouvelles lignes et ses transformations. Grand démolisseur et grand architecte à la fois, l’Océan offre à Etretat un spectacle véritablement grandiose, d’une incomparable majesté, et devant lequel, par certains jours de tempête, on reste frappé de stupeur et d’admiration.

Il y a quelques siècles, Etretat n’était pas seulement le modeste village de pêcheurs et l’élégante station de bains que nous voyons aujourd’hui, presque complètement fermé du côté de la mer par une énorme baie de galets qu’on a renoncé à enlever. C’êtait un véritable port naturel dans une anse assez profonde, estuaire d’une petite rivière qui arrosait une jolie vallée normande. La rivière a disparu sous le sol. Les débris de la falaise ont comblé son embouchure. Elle s’écoule maintenant à mer basse, entre deux terres, au moyen d’un petit canal artificiel creusé au-dessous du plan incliné de galets qui ferme la vallée. Ce barrage arrête les eaux douces qui suintent lentement dans le sous-sol ; et il suffit de creuser à quelques mètres pour les y recueillir dans de petits réservoirs naturels que les femmes des pêcheurs utilisent pour les usages quotidiens de leur vie ménagère. Une ancienne carte de Mercator figure la rivière et sa large embouchure. Au XVIe siècle donc, le petit havre existait encore. Le flot, qui atteint près de 9 mètres à l’époque de l’équinoxe, y remontait le cours d’eau sur une assez grande longueur ; et, pendant les marées moyennes, le fond de la vallée était accessible aux navires d’un petit tonnage. Il parait à peu près certain qu’à l’époque romaine, Etretat était utilisé comme port d’échouage, et peut-être même comme refuge. On y a trouvé d’assez nombreux débris gallo-romains, poteries, briques, mosaïques, des monnaies, des tombeaux, des substructions que les antiquaires croient avoir appartenu à d’anciens bains, les ruines d’un aqueduc, et, dans les environs, les vestiges d’une chaussée qui paraissait se diriger vers Lillebonne[15]. Ces traces d’un passé qui remonte à près de 2 000 ans ont conduit quelquefois à placer à Etretat la station maritime de Caracotinum de l’Itinéraire d’Antonin. Cette assimilation est, à vrai dire, un peu douteuse ; mais l’existence d’Etretat à l’époque romaine est absolument certaine ; et il est même assez probable que les navires pouvaient y faire escale. Au moyen âge, le petit bourg maritime portait le nom d'Oistertat, qui est devenu successivement, Strutat, Estrutal, Étretat. Le nom primitif semble indiquer que les récifs qui bordent la côte étaient plus ou moins recouverts de dépôts d’huîtres ; et on sait que les peuples primitifs faisaient du savoureux coquillage une abondante consommation. L’huître a presque complètement disparu aujourd’hui de ces parages ; et la baie où elle pouvait se développer à l’abri des coups de mer est, comme nous l’avons dit plus haut, à peu près comblée. Mais cette baie a été longtemps considérée comme pouvant devenir, avec quelques transformations, un établissement maritime d’une certaine importance. Avant d’avoir arrêté définitivement son choix sur le port du Havre, l’amiral Bonnivet avait, paraît-il, jeté les yeux sur Etretat. Les commissaires du cardinal de Richelieu, qui firent cette fameuse reconnaissance des côtes de l’Océan et la Manche en vue de trouver le meilleur emplacement « pour y bastir et construire un port afin de retirer les vaisseaux du roy[16], » furent tout d’abord séduits par la petite anse naturelle, aujourd’hui complètement obstruée, dont l’entrée s’ouvrait alors entre les deux promontoires en saillie qui font maintenant l’admiration de tous les artistes. Mais la violence des coups de mer leur parut bientôt être un obstacle insurmontable.

L’ingénieur Lamblardie fut plus hardi. Il remarqua fort judicieusement. qu’une profondeur de plus de 6 mètres d’eau existait à mer basse à 40 mètres à peine du rivage, et que cette profondeur atteignait près de 12 mètres à deux encablures un peu plus loin ; que la traînée de galets arrachés aux falaises ne commençait qu’au cap d’Antifer, à moins de 4 kilomètres à l’Est d’Etretat ; que le volume de tous les débris charriés par le courant littoral et contre lesquels tous les ports de la côte ont à se défendre était naturellement en raison inverse du chemin qu’ils ont parcouru, bien moindre par conséquent à Etretat qu’à Fécamp, à Dieppe et surtout dans la baie de Somme, qui est le grand réceptacle où ils finissent par se déposer ; et qu’il suffisait dès lors de mettre artificiellement la petite anse à l’abri des gros coups de mer du large. En conséquence, il n’hésita pas, en 1789, à proposer l’établissement tout d’une pièce d’un avant-port de près de 40 hectares, protégé par deux grands môles enracinés aux pointes extrêmes de la baie et dans lequel les vaisseaux de ligne auraient pu trouver un abri toujours sûr. En arrière, dans la vallée même, il était d’avis de creuser un bassin à flot de 14 hectares, auquel il aurait été possible de donner ultérieurement toute l’extension nécessaire. L’époque n’était réellement pas favorable à la réalisation de grands travaux qui sont des œuvres de longue haleine, demandant à la fois du temps, de l’argent et la confiance dans l’avenir. Le projet fut abandonné. Le premier Empire essaya de le reprendre ; mais de plus graves préoccupations en détournèrent l’esprit du maître souverain dont la volonté commandait tout en France ; et on se contenta de quelques améliorations locales, en vue de créer un abri temporaire à de très faibles embarcations à l’Ouest de la baie. La mer, cependant, continuait son œuvre, et les galets comblèrent bientôt l’ancien port naturel, jusque-là encore refuge très apprécié pendant les gros temps pour les barques des pêcheurs et même pour les petits caboteurs.

Étretat n’est plus aujourd’hui qu’une plage d’échouage sans le moindre mouvement commercial. Les pêcheurs tirent leurs bateaux sur le plan incliné de la grève avec d’énormes cabestans et les halent à grands renforts de cordages et de bras sur le talus de galets, suivant la mode antique, tout comme on faisait du temps d’Homère et d’Horace, et comme on le voit encore sur presque toutes les plages de la Méditerranée. L’effet est des plus pittoresques ; et c’est, pendant trois mois de l’année, avec la contemplation des magnifiques falaises qui encadrent la baie, la distraction favorite des étrangers. Etretat, si gai, si animé pendant l’été, n’est plus en hiver qu’un hameau de pêcheurs silencieux, à peu près désert et souvent attristé par ces deuils cruels qui frappent à coups répétés les gens de mer. La population active comprend à peine 200 hommes montés sur une cinquantaine de petits bateaux non pontés. Pendant la belle saison, au contraire, c’est une des plus séduisantes villégiatures de la côte normande, un brillant rendez-vous d’artistes, de touristes et de baigneurs.

CHARLES  LENTHERIC.

  1. Voyez la Revue des 15 juillet et 1er août.
  2. Canet, Essai historique, archéologique et statistique sur l’arrondissement de Pont-Audemer. Paris, 1833.
  3. Ecclésiaste, I, 7.
  4. Belleville, Note sur le régime des courans et des matières alluvionnaires dans l’estuaire de la Seine. Congrès scientifique de Rouen (1883).
  5. El. Reclus, Géographie universelle, t. II, ch. XI, IV.
  6. Minard, De l’Avenir nautique du Havre, 1856 ; Delesse, Lithologie du fond des mers, 1871.
  7. La Normandie est peut-être la province de France qui produit l’alcool en plus grande quantité, de plus médiocre qualité, à plus bas prix, et où les hommes, les femmes surtout, et même les enfans en consomment le plus. L’alcool, si on n’y prend garde, y deviendra dans peu de temps le poison de la race. Cf. à ce sujet l’enquête publiée dans le Bulletin Médical par le docteur Brunon. Revue Scientifique, Journal des Débats, 13 mars 1899.
  8. « Les eaux de la Manche ont ainsi rencontré celles de la mer du Nord à une époque qui, suivant un géologue anglais, M. Philipps, remonterait à 60 000 ans, et l’isthme de jonction rattachant l’Angleterre à la France aurait été alors rompu par la pression des deux mers. » — J. Girard, les Soulèvemens et les dépressions du sol sur les côtes de la France. Bulletin de la Société de géographie, sept. 1875.
  9. Lamblardie, Mémoire sur les côtes de la Haute-Normandie.
  10. G. Lennier, L’estuaire de la Seine. Mémoires, notes et documens pour servir à l’étude de la baie de la Seine, t. I, chap. III. Le Havre, 1885.
  11. Vitet, Histoire de Dieppe, 1833.
  12. Voir les découvertes de M. Féret en 1827.
  13. De Bello Gallico, liv. V, XII.
  14. Cf. E. Maison, Civilisation et religions. Une explication sur l’étymologie de Londres. — Il y a aussi un Douvres, tout près de la mer, dans le Calvados.
  15. L’abbé Cochet, Voie romaine de Lillebonne à Étretat, — Etretat souterrain. — Sépultures gauloises, romaines, franques et normandes.
  16. Bibl. Nat. Mss., petit in-folio, S.-E., 87.