Bulletin du comité historique des arts et monuments/Tome 1/4

Comité historique des arts et monuments
Imprimerie nationale (Tome 1p. 97-128).

MINISTÈRE
DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE ET DES CULTES.

BULLETIN
DES
COMITÉS HISTORIQUES.

ARCHÉOLOGIE, BEAUX-ARTS.

ACTES OFFICIELS.


ARRÊTÉS.

I.

M. Amédée de Pastoret, membre de l’Institut (académie des beaux-arts), est nommé membre du comité historique des arts et monuments.


II.

M. Lassus, membre du comité historique des arts et monuments, est chargé de diriger la gravure des vignettes sur bois et planches exécutées pour le Bulletin (Archéologie, Beaux-Arts).

TRAVAUX DU COMITÉ.


Séance du lundi 23 avril 1849.

Présidence de M. d’Albert de Luynes.

Sont présents : MM. d’Albert de Luynes, Barre, Bottée de Toulmon, de Guilhermy, Jeanron, de Laborde, Lassus, Ferdinand de Lasteyrie, Lenoir, Lock, Mérimée, de Montalembert.

M. Lock donne lecture d’un arrêté par lequel le ministre de l’instruction publique et des cultes a nommé M. d’Albert de Luynes vice-président du comité, en remplacement de M. le Prevost, démissionnaire.

Le procès-verbal de la séance précédente est lu et adopté.

M. Lock propose au comité de décider qu’à l’avenir les diverses communications qu’il pourra recevoir de ses correspondants seront renvoyées à l’examen d’un ou de plusieurs de ses membres, et donneront lieu chacune à un rapport spécial sur l’intérêt des renseignements et le mérite du travail. Le Bulletin ne peut publier in extenso tous les documents adressés au comité. Il serait bon cependant que les communications des correspondants fussent exactement dépouillées, et qu’en attendant la publication arrêtée en principe d’un volume de mélanges, dans lequel les plus importantes de ces communications trouveront naturellement leur place, les indications, souvent très-curieuses qu’elles contiennent, fussent signalées à l’attention des archéologues. M. de Lasteyrie fait remarquer que parmi les travaux adressés au comité il s’en rencontre assez souvent dont l’examen demande des connaissances tout à fait pratiques, et qu’il y aurait, dans ce cas, un avantage réel à choisir un rapporteur spécial, plutôt que de laisser le secrétaire exclusivement chargé du soin de rendre un compte sommaire de toutes les communications faites, quelle qu’en puisse être d’ailleurs la nature. M. de Montalembert insiste sur l’exécution prochaine de la promesse faite au comité au sujet de la publication des Mélanges. On revient sur la discussion à laquelle a donné lieu, dans la dernière séance, le nouveau mode de rédaction du Bulletin et sur l’inconvénient très-grave de sacrifier la question de doctrine à l’enregistrement pur et simple des faits. Après une discussion à laquelle prennent part MM. d’Albert de Luynes, Lenoir, de Laborde, Mérimée, de Guilhermy, le comité décide :

1° Que toute communication sera renvoyée à un membre, qui devra faire connaître, dans un rapport, les résultats de l’examen auquel il se sera livré ;

2° Que le secrétaire sera invité à reprendre la rédaction du Bulletin dans le même esprit et avec les mêmes détails que par le passé, en conservant aux discussions intérieures toute leur valeur.

M. Mérimée s’excuse de ne pouvoir présenter de projet d’instructions à adresser aux correspondants pour la recherche des inscriptions qui devront faire partie de la publication épigraphique approuvée par le ministre. M. de Saulcy, chargé, conjointement avec M. Mérimée, du travail relatif aux inscriptions antiques, s’étant trouvé malade, M. Mérimée n’a pu s’entendre avec lui jusqu’à présent. M. Mérimée promet son rapport pour la prochaine séance. Il annonce qu’une grande simplification sera apportée dans les demandes de renseignements, et que la découverte faite en Angleterre d’une nouvelle substance propre à l’estampage rendra beaucoup plus facile le calque des inscriptions qui, par leur importance, mériteraient d’être reproduites au moyen de la gravure.

M. d’Albert de Luynes donne lecture de quelques notes additionnelles destinées à compléter une brochure publiée par M. Blanquard-Évrard sur l’emploi du daguerréotype. Le travail de M. Blanquard et les additions de M. de Luynes seront publiés dans le Bulletin, avec l’assentiment de MM. Lerebours et Secrétain, éditeurs de la brochure[1].

M. Albert Lenoir lit un rapport sur une demande de M. Jolivet, tendante à obtenir d’être chargé par le comité de la publication d’un travail sur l’abbaye de Jumiéges, en texte et dessins. Personne n’a été plus à même que lui d’étudier dans tous ses détails cet antique et curieux monastère. M. Jolivet connaît, non-seulement ce qui en est encore debout, mais il a suivi avec le plus grand soin les fouilles nombreuses exécutées sur le sol de l’abbaye, qui ont produit une quantité considérable de sculptures, d’inscriptions, de tombeaux, de faïences, de vitraux, d’étoffes anciennes et d’ornements sacerdotaux. La publication se composerait de quatre parties : 1° Histoire de la fondation au viie siècle, des reconstructions et additions successives, des sépultures ; chronologie des 82 abbés, liturgie particulière, biens et privilèges, légendes ; 2° Description détaillée de l’état actuel, et de tous les débris d’ornementation retrouvés dans les ruines ou dans les fouilles ; 3° Examen critique des divers styles de constructions et restaurations ; 4° Projet de restauration. L’histoire de l’abbaye, composée au xviie siècle par un religieux, et restée inédite, fournirait les renseignements les plus complets sur les sépultures, les dédicaces des chapelles, etc. etc.

M. Mérimée, tout en reconnaissant l’importance d’une pareille publication, pense qu’avant de publier un monument exceptionnel comme l’abbaye de Jumiéges, dont le style n’a exercé qu’une influence médiocre en Normandie, il serait plus utile de s’occuper de monuments d’un intérêt général, dont le style a fait école. Chacune de nos provinces a eu, en quelque sorte, son architecture spéciale. Un monument du xiiie siècle, élevé dans la Provence ou dans le Languedoc, ressemble assez peu à ceux qui se construisaient à la même époque en Flandre ou en Normandie. Il faudrait choisir, comme objets d’études et de publications, des églises qui ont servi de types, celle de Saint-Front de Périgueux, par exemple, d’où sont sorties cinquante ou soixante autres églises, ou bien celle de N.-D. du Port, à Clermont, dont le modèle s’est reproduit dans toute l’Auvergne.

Le comité examine avec un vif intérêt les dessins adressés par M. Jolivet, et approuve le plan proposé pour la publication, sauf ajournement à l’époque où la situation des autres travaux permettrait de donner suite à ce projet. Des remercîments seront faits à M. Jolivet.

M. Charles de l’Escalopier soumet à l’examen du comité le moulage d’un diptique en ivoire, du xive siècle. Il paraît que l’original, conservé autrefois dans le trésor de N.-D. de Noyon, aurait été aliéné en 1816. Les bas reliefs de ce petit monument représentent les scènes principales de la Passion. Le comité y remarque une certaine analogie de style et de composition avec les vitraux de la Sainte-Chapelle de Paris. Le Sauveur, insulté dans le prétoire par les soldats, a, dans le bas relief comme à la Sainte-Chapelle, la tête complètement couverte d’un voile, ce qui est d’un grand caractère. Les soldats endormis auprès du sépulcre sont identiques dans les deux monuments.

M. de Montalembert rappelle la demande faite par M. Danjou, pour obtenir que le comité se chargeât de la publication de l’antiphonaire de Montpellier, dit de saint Grégoire. M. Bottée de Toulmon pense que cette publication offrirait un grand intérêt, mais il croit que la dépense qu’elle nécessiterait dépasserait de beaucoup les ressources mises à la disposition du comité. M. de Toulmon donnera des renseignements ultérieurs sur cette question.

M. de Laborde fait hommage à la bibliothèque du comité d’un exemplaire de l’ouvrage qu’il vient de publier sous le titre de : les Ducs de Bourgogne, Études sur les lettres, les arts et l’industrie pendant le xve siècle, et plus particulièrement dans les Pays-Bas et le duché de Bourgogne. Ce magnifique sujet attendait un historien ; le comité se félicite qu’il en art trouvé un dans son sein. M. de Laborde renouvelle, à cette occasion, les observations qu’il a déjà présentées sur la nécessité d’avoir pour la bibliothèque du comité un catalogue et un fonds de reliure. Cette bibliothèque, déjà très-riche en œuvres archéologiques, demeure inutile pour l’étude, et dépérit chaque jour, privée qu’elle est d’un catalogue raisonné et d’un élément de conservation aussi indispensable que la reliure des volumes dont elle se compose.

La séance est levée à deux heures.

DOCUMENTS.


DES PAPIERS PHOTOGRAPHIQUES[2].

AVERTISSEMENT

PAR M. D’ALBERT DE LUYNES.

Les correspondants du comité qui s’occupent d’expériences photographiques trouveront beaucoup de profit à suivre les procédés de M. Blanquart-Évrard et autres consignés dans la publication ci-jointe.

À une économie considérable s’ajoute l’avantage inappréciable de pouvoir tirer une vingtaine de bonnes épreuves des types obtenus et de produire des dessins inaltérables que l’on peut conserver dans un album. De cette manière, une seule épreuve négative permettra aux correspondants d’envoyer au comité des épreuves positives très-satisfaisantes et d’en garder pour eux-mêmes.

Le temps exigé pour la photographie sur papier est un peu plus long que si l’on opère sur des plaques, surtout à l’intérieur des édifices ; mais si le ciel est clair, les résultats sont assurés. On a, de plus, l’avantage de préparer son papier d’avance et de pouvoir l’employer après de très-courtes manipulations. Il sera utile de consulter les notes jointes à la brochure pour simplifier ou perfectionner les opérations.


CHAPITRE I.

Procédés de M. Blanquart-Évrard.

(Extrait des comptes rendus de l’Institut.)

« À l’admiration que fit naître la belle découverte de M. Daguerre, se joignit bientôt un vœu : les artistes surtout firent appel à la science et lui demandèrent les moyens de fixer sur le papier les images de la chambre noire, que M. Daguerre obtenait sur plaqué d’argent. Cet appel fut entendu : grand nombre de savants firent bientôt connaître les propriétés photogéniques de beaucoup de produits chimiques ; les recettes se multiplièrent à l’infini : d’où vient qu’elles restèrent sans résultat ?

« Certes, on ne pourrait l’attribuer à l’inaction des amateurs ; car, outre le piquant qu’offre toujours une nouveauté, cette nouvelle branche de photographie présentait trop d’intérêt sous le double rapport de l’art et de ses applications à l’industrie, pour ne pas réclamer tous leurs efforts. Si leurs travaux sont restés stériles, c’est qu’il y avait au fond de l’opération, telle qu’elle se pratiquait, une cause permanente d’insuccès ; en d’autres termes, l’absence d’un principe pour la préparation du papier.

« Dirigeant dès lors mes recherches vers ce but, j’arrivai bientôt à reconnaître que, si les résultats qu’on obtenait étaient inconstants et défectueux, donnant les images sans puissance et sans finesses, sans dégradations lumineuses et sans transparence dans les clairs-obscurs, la cause était due à une préparation incomplète et trop superficielle du papier. En effet, procédant par analogie avec la préparation sur plaqué, on se contentait de déposer sur une des surfaces du papier les principes photogéniques. Cette opération chargeant inégalement la surface du papier, celle-ci était inégalement impressionnée à la lumière, lors de l’exposition à la chambre noire. Les réactions chimiques qui suivaient cette exposition accusaient toutes ces inégalités ; en outre, la préparation étant trop superficielle, l’image manquait de ton dans les parties lumineuses, et de transparence dans les demi-teintes. Cette analyse me conduisit donc à reconnaître ce principe, qu’il fallait rendre la pâte du papier photogénique, en procédant à sa préparation par absorption, de manière qu’elle recelât les principes chimiques des dissolutions, et qu’elle devînt ainsi le milieu dans lequel doivent s’accomplir les réactions chimiques, qui finalement constituent l’image photographique.

« Ce principe posé, chaque praticien peut, à son gré, choisir ses substances[3]. De même que, pour le plaqué d’argent, les uns préfèrent les bromures aux chlorures, de même, pour le papier, ils seront libres dans leur préférence : les résultats seront relatifs, mais le principe devra être observé dans la préparation.

« Afin de faciliter les premiers travaux de ceux qui voudraient se livrer à l’étude de la photographie sur papier, je vais leur indiquer ici les moyens de préparations des épreuves que j’ai produites, et dont l’emploi leur donnera un résultat propre à les encourager à de nouvelles études.

« Pour opérer promptement, il faut employer le papier mouillé : c’est là une condition qui rend l’opération très-difficile ; car, à peine le papier est-il déposé sur la planchette du châssis, qu’il se boursoufle. Pour parer à ce grave désagrément, on a conseillé l’ardoise humide ; mais cela ne retarde l’inconvénient que de quelques minutes, et, par suite, ne dispense pas de procéder à ces opérations préliminaires sur les lieux mêmes où l’on veut prendre une épreuve. À la recherche d’un moyen, je commençai à me servir d’une glace sur laquelle je déposais le papier et que je garantissais par la planchette pour former mon châssis. Un jour, par distraction, je plaçai cette glace dans mon châssis, dans le sens opposé, c’est-à-dire le papier en dedans et la glace faisant face à l’objectif dans la chambre noire. J’obtins également mon épreuve. Ce fut un trait de lumière : l’image pouvant venir derrière une glace, en pressant le papier entre deux glaces, recouvrant auparavant un des côtés du papier photogénique de deux ou trois feuilles de papier bien mouillé, je pouvais entretenir l’humidité pendant un temps considérable, et mon papier, par son adhérence à la glace, conservait toujours une surface parfaite. Je pus ainsi aller au loin prendre une épreuve et venir la terminer dans mon cabinet. Ce moyen, on le voit, lève une des plus grandes difficultés de la photographie sur papier, et rendra son exécution plus facile que celle sur plaqué[4].

« Toutes les préparations que je vais décrire se feront à froid, non parce que cela est préférable, mais parce que ce mode est moins assujettissant, et qu’il devient ainsi à la portée du plus modeste préparateur, auquel un coin d’appartement, bien garanti de toute lumière, pourra servir de laboratoire. Elles seront faites à la lueur d’une bougie ou d’une lampe ordinaire.

Du papier négatif.

« L’opération se divise en deux parties : la première est celle qui doit donner l’épreuve de la chambre noire ; elle est négative, les parties éclairées étant représentées par les noirs, et vice versâ.

« Pour cette épreuve, on fera choix d’un papier de la force des plus beaux papiers à lettres, glacé, de la plus belle pâte possible (a). Je me suis trouvé très-bien de celui de M. Marion, marqué n° 10.

« I[5]. On versera dans une cuvette une dissolution de 1 partie de nitrate d’argent[6] et 30 parties d’eau distillée[7] (toutes les parties sont désignées au poids), sur la surface de laquelle on déposera le papier, en ayant soin de ne pas enfermer de bulles d’air entre la masse du liquide et le papier (cette recommandation s’applique à toutes les préparations ultérieures). Après une minute sur ce bain, on retirera le papier en le faisant égoutter par un des angles, puis on le déposera à plat sur une surface imperméable, telle qu’un meuble verni, une toile cirée, etc. le laissant ainsi sécher lentement, en ayant soin d’éviter tout dépôt de liquide par place, ce qui serait une cause de taches aux épreuves.

« II. Dans un autre vase où l’on aura versé une dissolution de 25 parties d’iodure de potassium, 1 partie de bromure de potassium et 560 parties d’eau distillée, on plongera entièrement ce papier pendant une minute et demie ou deux minutes, s’il fait froid, en laissant au-dessus le côté nitraté ; on le retirera de ce bain, en le prenant par deux coins, et on le passera, sans le lâcher, dans un vase plus grand rempli d’eau distillée, afin de le laver et d’enlever tout dépôt cristallin qui pourrait, sans cela, rester à la surface ; puis, sur un fil qu’on aura tendu horizontalement à cet effet, on suspendra le papier en faisant une corne à l’un des coins, et on le laissera ainsi s’égoutter et sécher complètement[8].

« Ce papier, ainsi préparé, sera recueilli dans une boîte de carton à l’abri de la lumière, et, sans être tassé fortement, il pourra se conserver pendant des mois entiers. On peut donc, dans une seule journée, se préparer le papier nécessaire à une excursion de plusieurs mois. On recueillera les excédants des liquides dans des flacons recouverts de papier noir : ils pourront servir jusqu’à épuisement.

« III. Lorsqu’on voudra prendre une épreuve, on versera sur une glace bien plane, et bien calée sur un support qu’elle débordera[9], quelques gouttes d’une dissolution de 6 parties de nitrate d’argent, 11 parties d’acide acétique cristallisable et 64 parties d’eau distillée[10] (on ne prendra que la moitié de la quantité d’eau pour dissoudre le nitrate, on versera ensuite l’acide acétique, et, après une heure de repos, on ajoutera la seconde partie d’eau)[11].

« On y déposera le papier du côté qui aura été soumis, dans la première préparation, à l’absorption du nitrate d’argent ; on étendra avec la main le papier, de manière que, bien imbibé partout de la dissolution, il adhère parfaitement à la glace, sans laisser de plis ni de bulles d’air. Ceci fait, on le couvrira de plusieurs feuilles de papier bien propres, trempées à l’avance dans l’eau distillée (une seule pourrait suffire si l’on avait un papier d’une très-grande épaisseur) ; sur ces feuilles de papier trempées, on déposera une seconde glace (b), de la même dimension que la première, et l’on pressera fortement dessus pour ne former qu’une seule masse. On déposera le tout dans un châssis de la chambre noire, qu’on aura préalablement fait disposer à cet effet, et l’on ira ensuite procéder à l’exposition, comme si le châssis renfermait une plaque daguerrienne[12].

« Cette préparation exige une durée d’exposition qui pourra être calculée par les daguerréotypeurs au quart de celle nécessaire pour les plaques préparées au chlorure d’iode. Ils tiendront compte, toutefois, de la température, et remarqueront qu’elle est une cause d’accélération non moins puissante que l’intensité lumineuse.

« IV. L’exposition terminée, on déposera l’épreuve sur un plateau de verre ou de porcelaine qu’on aura légèrement mouillé, afin que le papier y adhère plus facilement. On versera dessus une dissolution saturée d’acide gallique ; à l’instant, l’image apparaîtra. On laissera agir l’acide gallique, afin que la combinaison soit plus profonde dans le papier et que tous les détails arrivent dans les parties des clairs-obscurs ; mais on arrêtera, toutefois, l’action de l’acide gallique, avant que les blancs qui doivent former les noirs de l’épreuve positive n’éprouvent de l’altération.

« V. À cet effet, on lavera l’épreuve en versant de l’eau dessus, pour la débarrasser de l’acide gallique.

« VI. Puis, la déposant de nouveau sur le support, on y versera une couche d’une dissolution de 1 partie de bromure de potassium et de 40 parties d’eau distillée[13] qu’on laissera dessus pendant un quart d’heure, en ayant bien soin qu’elle en soit toujours couverte.

« VII. Après quoi on lavera l’épreuve à grande eau, et on la séchera entre plusieurs feuilles de papier buvard. Elle sera alors achevée, et pourra donner un nombre considérable d’épreuves positives, après que, pour la rendre plus transparente, on l’aura imbibée de cire, en en râpant une petite quantité sur le papier et la faisant fondre avec un fer à repasser, à travers plusieurs feuilles de papier à lettre, qu’on renouvellera suffisamment, afin d’enlever tout dépôt de cire à la surface de l’épreuve[14].

Du papier positif (d).

« On fera choix, pour cette épreuve, du papier de la plus belle pâte, le plus épais possible et parfaitement glacé.

« VIII. Dans un vase où l’on aura versé une solution de 3 parties d’eau saturée de sel marin, dans 10 parties d’eau distillée[15], on déposera la feuille de papier sur une seule surface et on l’y laissera jusqu’à ce qu’elle s’aplatisse parfaitement sur l’eau (2 ou 3 minutes). On la séchera sur du papier buvard, en passant fortement et à reprise répétée, dans tous les sens, la main sur le dos du papier, renouvelant le papier buvard jusqu’à ce qu’il n’accuse plus aucune humidité fournie par le papier salé.

« IX. Il sera alors déposé sur un autre bain composé d’une solution de 1 partie de nitrate d’argent et de 5 parties d’eau distillée[16] ; on l’y laissera tout le temps qu’exigera l’assèchement, comme il vient d’être dit, d’une seconde feuille de papier, qui aura remplacé la première sur le bain salé ; alors, ôtant celle du bain d’argent, on l’égouttera avec soin par un de ses angles, et on la déposera sur une surface imperméable, comme pour la première préparation de papier négatif. On voit qu’en passant ainsi le papier du bain salé au bain d’argent, le préparateur ne perd pas une minute, et qu’il peut en quelques heures préparer une assez grande quantité de papier.

« Parfaitement sec, on l’enfermera dans une boîte ou carton, sans le tasser. Il sera bon de n’en pas préparer pour plus de huit à quinze jours à l’avance, car, au bout de ce temps, il se teinte, et, quoique propre encore à la reproduction des images, il n’accuse plus les blancs avec le même éclat, que lorsqu’il est nouvellement préparé.

« Pour faire venir une épreuve positive, on placera l’épreuve négative du côté imprimé sur la surface préparée du papier positif ; on pressera les deux papiers réunis entre deux glaces qu’on déposera sur un châssis (planche rebordée) couvert d’un drap noir. On aura soin que la glace du dessus soit assez forte et assez lourde pour que son poids fasse pression sur l’épreuve négative, de manière qu’elle soit parfaitement adhérente au papier positif. Ceci fait, on exposera à la grande lumière, au soleil autant que possible, en cherchant à faire tomber ses rayons à angle droit sur la glace. Pour avoir de belles épreuves, il faut pousser cette exposition à son degré extrême ; elle devra être arrêtée, avant que les vives lumières de l’image puissent être altérées. Il suffira d’une seule expérience, pour déterminer approximativement le temps d’exposition, qui sera, terme moyen, de vingt minutes au soleil, selon la vigueur de l’épreuve négative.

« Après cette exposition, on rentrera l’épreuve dans le cabinet noir, et quelle qu’elle soit, on la laissera tremper un quart d’heure dans un bain d’eau douce, puis dans un autre d’hyposulfite de soude, de 1 partie d’hyposulfite de soude et de 8 parties d’eau distillée[17]. À partir de ce moment, on pourra la regarder au jour et suivre l’action de l’hyposulfite ; on verra alors les blancs de l’épreuve prendre de plus en plus d’éclat ; les clairs-obscurs se fouilleront ; la nuance de l’épreuve, d’abord d’un vilain ton roux et uniforme, passera à une belle nuance brune, puis au bistre, puis enfin au noir des gravures de l’aqua-tinta. L’opérateur arrêtera donc son épreuve au ton et à l’effet qui lui conviendront. Elle sera parfaitement fixée ; mais, afin de la dégorger de l’hyposulfite dont l’action se prolongerait, on la lavera à grande eau ; après quoi, on la laissera dans un grand vase rempli d’eau pendant tout un jour ou au moins cinq à six heures : on séchera ensuite entre plusieurs feuilles de papier buvard.

« Ce bain, comme celui de l’hyposulfite, peut recevoir en même temps autant d’épreuves que l’on voudra.

« Les épreuves qui ne pourraient supporter l’action de l’hyposulfite au moins pendant deux heures devront être rejetées. Ce serait une preuve qu’elles n’auraient point été exposées assez longtemps à la lumière, et elles ne seraient pas suffisamment fixées.

« Quelque compliquées que puissent paraître les préparations ci-dessus décrites, on les reconnaîtra excessivement faciles, lorsqu’on sera à l’œuvre, et, si on les compare aux préparations des plaques, on sera étonné de leur simplicité.

« L’avantage de pouvoir préparera l’avance le papier des épreuves négatives facilitera singulièrement les excursions daguerriennes, en dispensant l’amateur d’un bagage toujours fort embarrassant, et en lui économisant le temps et le travail qu’exige le polissage des plaques, qui ne peut être fait à l’avance. La facilité de ne faire venir les épreuves positives qu’au retour d’un voyage, et de les multipliera l’infini, ne contribuera pas peu au développement de cette branche de photographie, qui réclame aussi la sympathie des artistes, puisque les résultats ne sont point, comme sur le plaqué, en dehors de leur action, et qu’ils peuvent, au contraire, les modifier au gré de leur imagination.

« Ainsi la facilité d’exécution, la certitude de l’opération, l’abondante reproduction des épreuves, voilà trois éléments qui doivent, dans un temps prochain, faire prendre à cette branche de photographie une place importante dans l’industrie ; car, si elle est appelée à donner à l’homme du monde des souvenirs vivants de ses pérégrinations, des images fidèles des objets de ses affections, elle procurera aux savants des dessins exacts de mécanique, d’anatomie, d’histoire naturelle ; aux historiens, aux archéologues, aux artistes enfin, des vues pittoresques, des études d’ensemble et de détail, des grandes œuvres de l’art antique et du moyen âge, dont les rares dessins ne sont le partage que du petit nombre. »


Quoique les procédés de M. Blanquart nous paraissent être ce qu’il y a de mieux parmi ceux qui ont été publiés jusqu’à ce jour, nous donnerons à la suite, très-succinctement il est vrai, deux procédés employés en Angleterre. Les artistes photographistes verront par là combien on peut varier les préparations. C’est uniquement dans ce but que nous les avons fait entrer dans cette brochure ; les personnes qui voudraient en essayer devront, pour tout ce qui regarde les détails pratiques, consulter les excellentes indications données par M. Blanquart.

La facilité d’exécution, l’avantage énorme qui résulte d’un tirage qui n’a pas de limites, et enfin le prix peu élevé du papier préparé, comparé à celui des plaques, donnent à penser que tous les photographistes emploieront alternativement les deux procédés, procédés rivaux qui ne peuvent se nuire, car à l’un appartient l’effet, la couleur, les tons chauds de la sépia de Rome, tandis que les détails microscopiques restent encore l’apanage des plaques de doublé.

Comme la préparation du papier négatif nous semble encore assez difficile et très-minutieuse, nous croyons être agréable aux amateurs en le leur fournissant tout préparé.

Pour les images sur papier comme pour celles sur doublé, il faut d’excellents objectifs, dans lesquels surtout le foyer chimique corresponde exactement au foyer apparent[18].

RÉSUMÉ DES OPÉRATIONS SUR PAPIER.

Toutes les opérations sur papier ayant une grande analogie avec les opérations daguerriennes, pour en faciliter le travail aux photographistes et classer dans la mémoire l’ensemble des opérations, nous donnons ci-dessous un tableau comparatif des deux procédés :

I. La préparation composée de nitrate d’argent étendu d’eau correspond au polissage de la plaque.
II. Le bain d’iodure de potassium. — à l’iodage.
III. Le nitrate d’argent et l’acide acétique — à la liqueur accélératrice.
IV. L’acide gallique, qui fait paraître l’épreuve — aux vapeurs mercurielles.
V. Le lavage — à l’hyposullite.
VI. Le bromure de potassium, qui fixe l’épreuve — au chlorure d’or.
VII. Le dernier lavage — au lavage après le chlorure d’or.

CHAPITRE II.

À notre dernier voyage à Londres, nous avons vu opérer avec succès par les deux procédés ci-contre, qui ne sont en définitive que des variantes du procédé de M. Talbot.

PREMIER PROCÉDÉ.

I. On marque d’un trait au crayon la face du papier dont on veut se servir, et l’on applique sur cette face, avec un pinceau très-doux et de la manière la plus uniforme, la solution suivante :

Nitrate d’argent 3 gr. 25 centièmes.
Eau distillée 31

Quand le papier est sec, on le plonge pendant 3 minutes dans une solution composée de

II. Iodure de potassium 31 gr.
Eau 567

Après cela on le lave à grande eau dans une cuvette, puis on sèche : c’est là le papier iodé.

Le papier préparé ainsi doit être conservé à l’abri de la lumière, dans une boîte ou un carton, car il est important qu’il ne soit pas pressé.

Avant de l’exposer à la chambre noire, et pour exalter sa sensibilité, on le place sur la glace du support à caler, et l’on enduit sa surface de l’une des solutions ci-après ; puis on le met, soit dans le cadre décrit par M. Blanquart, soit sur une ardoise, soit sur la planchette elle-même si l’objectif est à court foyer[19].

Pour portraits.
III. Solution de nitrate d’argent, 3 gr. 25 cent, dans 31 gr. d’eau distillée, ou 1 partie en vol.
Solution saturée d’acide gallique 2
Acide acétique cristallisable 1

Puis on enlève l’excès de liquide avec le papier buvard et on expose à la chambre noire.

Pour vues.
Solution de nitrate d’argent 3 gr. 25 centigr. dans 31 gr. d’eau 1 partie.
Acide acétique cristallisable 2
Solution saturée d’acide gallique 10

Le papier pour vues est un peu moins sensible que celui pour portraits, mais il se conserve plus longtemps.

IV. Quand le papier est retiré de la chambre noire, on ne voit encore aucune trace de l’image ; on enduit la face impressionnée avec un nouveau pinceau très-doux trempé dans la solution suivante :

Nitrate d’argent 3 gr. 25 centigr., 31 gr. d’eau 1 partie
Acide gallique 3

Peu à peu on voit l’image se former, et l’on arrête l’opération quand elle est arrivée à point.

V. Puis on lave l’épreuve à grande eau.

Toutes les opérations précédentes doivent être faites à la lumière d’une bougie ou d’une lampe.

VI. Pour fixer l’épreuve, on la plonge pendant 10 minutes environ dans le mélange suivant, à la température de l’eau bouillante[20] :

Hyposulfite de soude 31 gr.
Eau 372

VII. Enfin, lavez à grande eau et séchez.

DEUXIÈME PROCÉDÉ.

I. Mouillez le papier avec un pinceau enduit de la solution suivante :

Nitrate d’argent 2 gr.
Eau distillée 31

II. Quand il est à moitié sec, laissez flotter environ une demi-minute la face qui doit être impressionnée sur une solution composée de :

Iodure de potassium 13 gr.
Sel 3 25
Eau 28

Après l’avoir retiré, laissez-le sécher à moitié ; puis faites-le flotter de nouveau sur l’eau pendant environ 10 minutes ; enfin, faites sécher et gardez.

III. Faites deux solutions :

Solution n° 1. Solution n° 2.
Nitrate d’argent 3 gr. 25 Acide gallique saturé.
Acide acétique 3 54
Eau 1 77
Prenez 15 gouttes de la solution n° 1.
Prenez 5 gouttes de la solution n° 2.
Prenez Eau, 90 gouttes.

Passez un large pinceau très-doux sur la surface du papier avec cette solution ; enlevez l’excès de liquide avec le papier buvard ; mettez à la chambre noire et laissez à l’exposition un peu plus longtemps que pour une plaque daguerrienne préparée au chlorure d’iode.

IV. En sortant de la chambre noire, mouillez au pinceau avec la solution suivante :

Solution n° 1 30 gouttes.
Solution n° 2 30
Eau 60

Après cela, exposez sur une boîte en fer-blanc contenant de l’eau bouillante, jusqu’à ce que l’image soit suffisamment venue.

V. Lavez à grande eau et épongez au papier buvard.

VI. Passez dans la dissolution d’hyposulfite de soude chaude, ou froide en l’y laissant plus longtemps.

VII. Lavez de nouveau à grande eau et séchez.

Dans les deux méthodes précédentes, comme pour celle de M. Blanquart, les préparations nos I, VIII, IX[21], se font dans des bassines très-peu profondes, ou mieux encore dans de grands plats.

Celles nos II, V, VI, VII, se font dans des cuvettes en porcelaine ou en faïence ; enfin, les opérations III et IV se font sur la glace du support à caler.

USTENSILES ET SUBSTANCES CHIMIQUES.
Ustensiles.

Deux plats en faïence pour préparer le papier au nitrate d’argent et au sel marin.

Quatre cuvettes en faïence pour l’iodure de potassium, l’hyposulfite, l’eau distillée et l’eau filtrée.

Deux terrines pour laver les glaces, pour laver le papier, après le bain d’iodure de potassium.

Un support avec vis à caler pour préparer le papier avant l’exposition à la chambre noire.

Un verre gradué.

Une balance de précision pour faire les pesées.

Papier brouillard.

Papier à lettre ordinaire, pour absorber l’excès de cire.

Papier fort, pour entretenir l’humidité.

Papier à lettre glacé (négatif).

Papier fort, glacé (positif).

Fer à repasser.

Substances chimiques.

Nitrate d’argent.

Iodure de potassium.

Bromure de potassium.

Acide gallique.

Acide acétique cristallisable.

Ammoniaque.

Eau distillée.

Hyposulfite de soude.

Cire vierge.

Plusieurs flacons bouchés à l’émeri.

PRIX-COURANT.
Papier négatif, prêt à subir la troisième opération, laquelle doit être faite au moment de s’en servir (la feuille pour grandeur normale, 16 centimètres sur 22) 
 0f 50s
Papier positif, prêt à servir (la feuille, idem
 0f 50s
Support à vis à caler 
 12f 00s
Châssis à glaces pour la chambre noire, normal 
 12f 00s
Idem, 1/2 
 10f 00s
Presses à glaces pour le papier positif 
 12f 00s
Idem, 1/2 
 10f 00s
Portraits sur papier, grandeur normale, une épreuve positive 
 15f 00s
Idem, deux épreuves positives 
 22f 00s
Idem, trois épreuves positives 
 25f 00s
Idem, chaque épreuve en sus 
 2f 00s
Idem, une épreuve sur 1/2 
 10f 00s
Idem, deux épreuves sur 1/2 
 15f 00s
Papier non préparé pour négatif, la main 
 1f 50s
Papier anglais non préparé pour positif, la main 
 5f 00s
Première préparation pour papier négatif, le flacon de 90 grammes 
 1f 25s
Iodure de potassium, le flacon de 550 grammes 
 5f 00s
Préparation pour mettre à la chambre noire, le flacon 
 3f 50s
Acide gallique saturé, le flacon de 250 grammes 
 12f 00s
Préparation pour fixer l’épreuve, le flacon de 500 gr 
 2f 50s
Deuxième préparation pour le papier positif, le flacon de 90 grammes 
 5f 00s


Notes communiquées au comité des arts et monuments par M. Albert de Luynes, vice-président du comité.
Note A (voir page 104).

Le meilleur papier photographique est celui que l’on prépare exprès en Angleterre. On en trouve rue Vivienne, n° 10.

Note B (page 106).

Il est facile d’éviter l’emploi des deux glaces de la manière suivante : On trempe une feuille de papier ordinaire dans de l’eau distillée ; on l’étend sur la plaque de verre, en ayant bien soin qu’il ne reste pas de bulles d’air dessous ; puis, le papier négatif étant préparé au nitrate d’argent et à l’iodure de potassium, on l’humecte du côté non nitraté, en le déposant sur un bain d’eau distillée. Quand il est bien imbibé, on le dépose sur le papier ordinaire encore humide et déjà étendu sur la glace. Ensuite, on verse l’acéto-nitrate sur le papier négatif, et on l’étend légèrement, au moyen d’une bande de papier, au lieu de pinceau.

Note C (page 107, note 2).

Si l’on veut obtenir de très-bonnes épreuves, il est utile de faire satiner les types négatifs obtenus, et même de les cirer, au moyen d’un peu de cire étendue avec un fer chaud à repasser. Le procédé Martens doit être ainsi un peu modifié.

Note D (page 107).

Le papier positif, étant préparé, si on le fait satiner dans l’obscurité ou à la lueur d’une chandelle, donne des épreuves beaucoup plus fines que si on se dispense de cette opération.

DOCUMENTS HISTORIQUES.


I.

Crosse de saint François de Salles.

(Communiqué par M. Génestet de Chairac, de Bayonne.)
On conserve au trésor de la cathédrale de Bayonne une crosse fort curieuse par sa simplicité même, et qu’on croit avoir appartenu à saint François de Salles.

Cette crosse, en fer creux, uni et doré, bien moins grande que les crosses modernes, n’est accompagnée, ainsi que l’indique le dessin ci-contre, d’aucun des ornements qui décorent ces dernières ; ce qui semblerait lui assigner une date antérieure au xiiie siècle. Sa forme est octogonale, à quatre faces alternées de quatre autres d’une largeur moindre de moitié. Sa hauteur, à partir du nœud, est de 18 centimètres, sa circonférence à la base, au-dessus du nœud, de 8 centimètres, et à l’extrémité supérieure, terminée par une tête de serpent tenant dans sa gueule une pomme, de 3 centimètres.

Le bâton, en bois doré et de forme toute moderne, a été fait en 1820.

En 1771, disent les procès-verbaux authentiques qui l’accompagnent, cette crosse appartenait depuis plus de quarante ans « à Messire Pierre-Charles de Moncrif, prêtre docteur de la maison et société de Sorbonne, doyen et chanoine de la cathédrale d’Autun, grand-vicaire de l’évêque de Rieux, etc. qui avait eu occasion, par la grande confiance qu’il s’était acquise, de se procurer la crosse de ce saint évêque (François de Salles), né à Genève, en l’an 1567, évêque dudit lieu le 3 décembre 1602, mort en odeur de sainteté le 28 décembre 1622, et canonisé en 1665. »

Charles de Moncrif la légua à son frère « Pierre-Louis de Moncrif, écuyer, conseiller du roi et auditeur ordinaire en sa chambre des comptes de Paris », qui, le 9 avril 1777, en fit don à l’église d’Arudy en Béarn, son pays natal.

En 1820, le conseil de fabrique d’Arudy, sur la proposition du curé, en fit hommage à monseigneur d’Astros, évêque de Bayonne, qui, depuis lors, la porta chaque année le second dimanche après Pâques, jour de la fête du bon pasteur, et le premier dimanche après la fête de saint François de Salles, jour où se faisait une quête générale pour l’œuvre du séminaire, placée sous l’invocation de ce saint.

Promu à l’archevêché de Toulouse en 1830, monseigneur d’Astros donna cette crosse au chapitre de la cathédrale de Bayonne, dans le trésor duquel elle est déposée depuis cette époque, sans que messeigneurs d’Arbon et Lacroix, successeurs de monseigneur d’Astros, s’en soient jamais servis.


II.

Denis Faucher, peintre.

(Communiqué par M. J. B. Porte, correspondant, à Aix.)

C’est principalement comme savant, réformateur, littérateur et poète, que le moine Denis Faucher est connu en Provence. Le P. Bougerel[22], dans la savante notice qu’il a donnée sur ce religieux, le considère sous ces points de vue ; M. l’avocat Mouan[23], sous-bibliothécaire, l’envisage de même. Mais l’un et l’autre n’en parlent que fort peu comme peintre en miniature. Il mérite cependant d’être connu sous ce dernier rapport, et c’est ce que nous allons entreprendre de faire.

Ce fut à Arles que Denis Faucher reçut le jour, en 1480. Son goût pour l’étude et la vie monastique lui fit rejeter les instances de sa famille, qui désirait vivement qu’il restât dans le monde. Il prit l’habit religieux au monastère de Saint-Benoît de Polcion, situé sur le territoire de Mantoue, et prononça ses vœux le 3 mai 1508. Faucher se retira dans l’abbaye de Lérins, dont il fut le réformateur, comme, plus tard, il fut celui de l’abbaye de Saint-Honorat, à Tarascon. Le P. Bougerel donne des détails curieux sur les traverses que lui suscitèrent les religieuses qui étaient l’objet de ses réformes. Faucher cultiva les belles-lettres avec succès, ainsi que la poésie et la peinture en miniature. Il mourut à Lérins, au commencement de l’année 1562. « Il fut enterré, dit le P. Bougerel, à Lérins, dans la chapelle de Saint-Léonard, dédiée aujourd’hui à saint Benoît. On trouve encore dans cette belle solitude bien des peintures de sa façon. Barralis (Lerin. Chronol.) parle surtout d’un livre de prières, écrit de sa main et orné de belles vignettes, légué à son frère. »

Nous devons la communication de ce livre à M. Mercier, curé du Tholonet, territoire d’Aix, lequel en est devenu propriétaire ; nous y avons puisé les documents nécessaires à l’appréciation de ce personnage comme peintre. Parmi les nombreuses miniatures qui entrent dans ce manuscrit, nous citerons, comme peintes avec un vrai talent, le saint Jean de la page 25[24], placé dans un paysage et écrivant son évangile ; la figure du moine, page 72 ; l’annonce aux bergers, page 102, remarquable par le caractère des têtes, la bonté du travail et le fini de la peinture ; la miniature de la page 265, pleine de vérité dans les expressions des têtes, et d’une grande finesse de touche.

Nous signalerons aussi les formes données aux vases de toute espèce qui très-souvent entrent dans la composition des ornements, de même que la fermeté du pinceau. Parmi ces représentations, nous citerons celles qui entourent la miniature du mois d’octobre et des pages 20-77-90 et 265.

Nous désignerons encore, comme peints avec un rare talent, les ornements de la page 90, où l’on voit, entre autres choses, de jolies fleurs et des oiseaux ; ceux de la page 127, dans lesquels se trouvent un oiseau et une libelluline ; les objets entourant la page 152, parmi lesquels on voit une poule et un coq, peints avec une rare délicatesse ; ceux de la page 197, où est un oiseau parfaitement exécuté ; enfin, les ornements de la page 225, principalement remarquables par le grand degré de finesse avec lequel sont représentés des petits pois et un papillon posé sur une fleur.

Quelque incontestable que soit le mérite de Denis Faucher comme miniaturiste, on s’exposerait cependant à porter une opinion erronée sur l’étendue de son talent, si elle provenait d’une inspection rapidement faite des peintures que son livre renferme, parce que beaucoup d’entre elles sont exécutées à la hâte ou négligemment, et que l’on reconnaît de la sécheresse dans d’autres. Pour se faire une idée exacte du degré de talent de Denis Faucher, il est, à notre avis, très-nécessaire de remarquer que ce travail a été exécuté sous l’empire d’un défaut commun aux amateurs qui entreprennent des labeurs considérables, et dont, par conséquent, la confection entraînerait un long travail ; nous voulons parler de la précipitation avec laquelle ils exécutent. Ils croient, en se hâtant, gagner un temps qu’ils s’imagineraient perdre, s’ils consacraient tous leurs soins à leur œuvre ; ils oublient que cette précipitation donne nécessairement à leur ouvrage un aspect lâché, toujours nuisible à la peinture et à l’artiste. Les nombreuses miniatures qui ornent ce livre, les lettres initiales qui y sont répandues avec abondance, jusqu’à l’écriture du texte, qui est fort soignée, selon l’usage du temps, et, d’autre part, les occupations pieuses et littéraires qui remplissaient la majeure partie des moments de l’auteur, tout cela explique suffisamment la cause de la négligence apportée à la confection d’un grand nombre des peintures. Toutefois, à côté de peintures défectueuses, provenant de la précipitation du pinceau, surgissent de temps à autre des morceaux exécutés avec soin et qui commandent l’estime. Ajoutons que Denis Faucher a montré un rare talent dans la représentation des objets d’ornements qui entourent les sujets historiques peints dans le manuscrit. Ces ornements se recommandent par la fermeté et la finesse du pinceau, ainsi que par l’éclat du coloris. Les oiseaux, les insectes, les fleurs et fruits, sont généralement traités avec une délicatesse de touche peu commune ; les urnes et les vases de toute sorte, que le peintre aimait à y placer, présentent des formes variées et de bon goût. Cette dernière observation, en établissant le talent du miniaturiste, est également utile à l’histoire de l’art, en ce qu’elle sert à prouver que la peinture commençait à s’affranchir du mauvais goût qui l’avait dominée jusqu’alors.


III.

Pierre sépulcrale découverte dans les travaux de démolition de l’église du couvent des Cordeliers, de Perpignan.

(Communication de M. Henry, correspondant, à Perpignan.)

Dans les travaux de démolition de l’église du couvent des Cordeliers de Perpignan, opérée par le génie militaire, à qui elle appartenait, pour l’augmentation de l’hôpital militaire fondé déjà sous Louis XIV sur une partie du vaste emplacement de ce monastère, on a découvert une pierre sépulcrale représentant un chevalier, de plein relief, assez bien conservé dans l’ensemble et de grandeur naturelle. Cette figure m’a paru assez remarquable, par certains détails de son armure et par l’espèce de mystère qui semble avoir présidé à sa conservation, pour mériter d’être signalée à l’attention du comité.

Quoique assez grossièrement exécutée, cette figure est bien dans ses proportions, et la face du chevalier, sans barbe ni moustaches, quoique les traits de la figure accusent un homme d’une quarantaine d’années, ne manque pas de caractère, malgré l’absence du nez, qui a été cassé. Le guerrier est représenté couché, la tête appuyée sur un carreau à peine indiqué, et la jambe gauche croisée sur la droite. De ses deux mains, l’une tient le fourreau de son épée, que la droite est en attitude de rengainer. Cette épée, déjà toute dans le fourreau, est attachée à la ceinture par un ceinturon, comme en offrent toutes les figures de guerriers du moyen âge. Le vêtement du chevalier consiste en une robe longue ou surcot, ouverte par devant, exactement comme une robe de chambre, descendant jusqu’à mi-jambe et qui paraît rembourrée, ce qu’indiquent des lignes longitudinales qu’on remarque, à de courts intervalles les unes des autres, dans toutes les parties de ce vêtement. La profondeur de ces lignes de points de couture fait juger de l’épaisseur du rembourrage, qui devait être considérable. Les manches de cette tunique, qui viennent jusqu’au pli du bras, sont piquées comme le corps de la robe et sont très-évasées à l’ouverture. La pose de la jambe gauche sur la droite a motivé l’écartement des bords de ce vêtement, de la ceinture en bas, ce qui fait que, pendant que le pan qui couvre la cuisse et la jambe droite est engagé sous la jambe gauche, l’angle que fait le genou gauche, en s’éloignant de la ligne verticale, a rejeté de côté le pan qui couvrait ce genou, et montré ainsi l’envers de cette partie du vêtement, où les lignes de couture pour fixer la matière du rembourrage se voient aussi bien qu’à l’endroit. Sous cette tunique, le guerrier porte des brassards et des jambières avec genouillères, et ses talons sont munis de très-longs éperons dont l’extrémité est cassée, ce qui empêche de savoir s’ils finissaient en pointe ou s’il y avait une molette. Un hausse-col couvre le haut de la tunique et monte droit jusqu’au menton, qu’il recouvre, différent en cela des hausse-col dont le gorgerin se creusait sous le menton pour s’accommoder à la forme du cou. La tête est couverte d’un domino rembourré comme la tunique, mais dont les lignes de couture sont moins espacées et le rembourrage moins épais. Ce domino descend sous le hausse-col, et il se trouve serré autour du cou par une espèce de cravate dont on aperçoit le bord supérieur. Au haut du front on voit, autour du domino, un bourrelet cordé, peu saillant, et faisant le tour de la tête : est-ce là cette corona linea que Pierre, évêque de Rhodez, par ses constitutions de 1313, défendait aux clercs de porter comme les militaires laïques (Vide Du Cange) ? Est-ce un moyen d’empêcher le heaume de porter directement sur le crâne ? Le comité est plus en mesure que moi de résoudre la question. L’épée de ce guerrier, large et courte, est du genre de celles qu’on appelait bragamarti, braquemart, et suivant l’usage espagnol, la poignée en est munie d’une demi-coquille plate, parallèle à la lame et recouvrant le haut du fourreau : cette poignée est sans garde.

Quel est le personnage que représente cette figure ? J’ai dit qu’une sorte de mystère avait présidé à sa conservation : en effet, elle a été trouvée dans une espèce de niche ogivale de 80 centimètres de largeur sur 60 de profondeur, ayant dû, à une époque primitive, servir de porte de communication entre deux pièces du couvent, au rez-de-chaussée et hors de l’église, porte dont on boucha les deux ouvertures, et qu’en aucun cas on ne peut supposer avoir servi de tombeau, puisque cette pierre tombale était dressée et simplement appliquée contre le mur, sans y être scellée. Quelles ont été les vicissitudes de la vie ou du tombeau de ce personnage, pour que sa représentation, d’abord placée honorablement sur sa sépulture, en ait été arrachée ensuite ignominieusement, à ce qu’il semble, et pour que plus tard, après un séjour assez prolongé au milieu de décombres (ce qu’on reconnaît aux mutilations qu’offrent les mains, les pieds et le nez, aux écaillures du marbre sur divers points, aux taches rouges occasionnées par les débris de briques qu’on jeta par-dessus, et aux incrustations de mortier entraîné par l’infiltration des eaux pluviales tombant sur l’amas des décombres dans tous les creux), on l’ait soustraite à cette humiliation et dérobée à tous les regards, en la plaçant dans ce passage, dont on se privait en en murant l’ouverture des deux côtés ? Malheureusement, aucune trace d’inscription ni d’écusson ne vient nous aider à pénétrer ce mystère. L’une des pièces auxquelles ce passage, orné de colonnettes sur les côtés, dans la baie, servait de communication, appartenait à l’hôpital depuis son établissement ; l’autre était restée partie du monastère. On ne peut pas supposer que le placement de cette pierre dans ce passage soit de l’époque de l’établissement de l’hôpital. Quel intérêt aurait-on eu alors à l’y reléguer ? les moines l’auraient placée dans leur église ou dans le cloître. Les colonnettes qui décoraient ce passage, et qu’on a retrouvées brisées et en partie détruites, indiqueraient-elles une niche tombale ? Mais ces niches s’élevaient sur un massif de maçonnerie dont l’intérieur était le tombeau : jamais elles n’étaient de plain-pied avec le sol ; et, dans l’hypothèse contraire, le marbre aurait été scellé contre le mur, au lieu d’être simplement appuyé ; et, d’ailleurs, ces mutilations, ces traces évidentes d’un séjour sous des décombres, comment pourraient-elles s’expliquer ?

Le monastère de Saint-François fut fondé à Perpignan en 1214. À partir de cette époque, le Roussillon a éprouvé bien des désastres par l’effet des guerres cruelles dont il a été le théâtre. Mais à laquelle de ces grandes calamités rattacher la sépulture violée de notre chevalier ? À vingt-huit années de distance, l’histoire locale offre deux circonstances auxquelles pourrait bien se lier l’événement qui fit du personnage inconnu dont nous nous occupons un héros peut-être et bientôt un proscrit. En 1326, l’infant de Majorque, don Philippe, frère du feu roi don Sanche, s’était rendu à Barcelone pour défendre les intérêts de son neveu et pupille, Jacques II, successeur au trône de Majorque de don Sanche, et que le roi d’Aragon voulait déposséder de la couronne. Pendant son absence de Perpignan, une ligue se forme entre la noblesse de la province et celle du Languedoc, soutenue par le comte de Foix, pour enlever à don Philippe la tutelle du jeune roi. L’infant d’Aragon, qui se trouvait en Roussillon à la tête d’une armée, combat les révoltés, que le roi de France prive du concours de la noblesse de Languedoc, et Perpignan est forcé de se soumettre. En 1344, quand Pierre IV eut détrôné le roi de Majorque, un complot, à la tête duquel étaient plusieurs grands seigneurs, François d’Oms, Jean de Saint-Jean, Richaume de Vernet et Guillot de Clayra, ourdirent dans Perpignan un complot contre le roi d’Aragon en faveur du roi de Majorque ; mais, trahis par la femme de l’un des chefs, les conjurés furent arrêtés et périrent de divers supplices. C’est probablement l’un des chevaliers qui dans l’une ou l’autre, et plutôt la dernière que la première de ces circonstances, avaient attiré sur leur tête la vengeance royale, que représente la pierre monumentale dont il s’agit. Enseveli honorablement d’abord, et poursuivi jusque dans sa sépulture par une implacable rancune, le monument élevé sur ses restes a pu être détruit et jeté comme à la voirie, jusqu’à ce que les religieux de Saint-François, dont ce personnage aurait été un des bienfaiteurs, relevèrent sa statue, qu’ils eurent l’attention de soustraire à tous les regards, en l’enfermant dans cet étroit passage, condamné dès ce moment, et que personne ne soupçonnait.


IV.

Tombeau de Marie Maignart, conservé dans l’église de Vernon (Eure).

(Communication de M. A. Benoît, correspondant, à Joigny.)

Il existe, dans l’une des chapelles de l’église de Vernon (Eure), un tombeau élevé à la mémoire de Marie, fille de Maignart de Bernières, conseiller du roi et président au parlement de Normandie, par son mari, Jubert d’Arcquenay, aussi conseiller du roi et président en la cour des aides de la même province.

Marie Maignart, qui mourut le 10 octobre 1610, à l’âge de vingt-trois ans, est représentée par une statue en marbre blanc, de grandeur naturelle, agenouillée sur un coussin devant un prie-Dieu sur lequel est un petit livre ; et l’on remarque, dans son riche costume, l’immense collerette droite et les paniers du commencement du xviie siècle.

Le côté droit du tombeau présente les trois strophes suivantes, destinées à célébrer les vertus de la défunte :

« ÉPITAPHE.

« Peintres dont l’artiste pinceau
« Va dépeignant sur le tableau
« Les vertus en habit de femme,
« Pour en tirer le uray pourtraict
« Il faudroit l’exemple parfaict
« Quy est gisant soubz ceste lame.

« C’est celle dont les actions
« Ont faict veoir les perfections
« Des vertus contraires aux vices ;
« Mais sur toultes la piété
« Et les œuures de charité
« Estoient ses communs exercices.

« A peyne l’apuril de ses iours
« Auoit encore borné son cours
« Quand la parque nous l’a rauie ;
« Chacun plainct son funeste sort,
« Et quy ne regrette sa mort
« Il n’a pas bien connu sa vie. »

On lit également, sur le côté gauche du tombeau, trois autres strophes où s’exhale la douleur du mari :

« TOMBEAV.

« La flamme d’amour coniugale
« Les cœurs et volontés égalle
« Faisant vne ame de deux corps.
« Son ardeur saintement emprainte
« Par la mort ne peut estre estainte
« Dedans le sepulchre des mortz.

« Car bien que les parques cruelles
« Divisent l’une des parcelles
« Et la réduisent au tombeau,
« Ceste divine entelechie
« Montre encor en l’autre partye
« Les rais de son luisant flambeau

« Passant, tu vois ceste sculpture,
« Ces lettres d’or, ceste figure,
« Ce sont autant d’esfectz d’amour
« Pour les regretz d’une belle ame
« Dont le corps gist dessoubz la lame
« Privé de la clarté du iour. »

Ces deux pièces, dont l’auteur ignoré était contemporain de Malherbe, méritaient d’être conservées ; et, en les copiant moi-même à Vernon, j’ai eu soin d’en conserver l’orthographe.

En face du tombeau de Marie Maignart, se trouve appendue contre un pilier de la nef une petite pierre tumulaire érigée en l’honneur de Jean Le Cauchois et de Madeleine Sezille, sa femme, en 1596. Cette pierre est couronnée par un médaillon dans lequel est sculptée en bas-relief la Résurrection de Notre-Seigneur en présence de deux gardes effrayés. Le Cauchois et sa femme sont représentés sous le costume du temps, de chaque côté du médaillon ; ils sont l’un et l’autre agenouillés, et paraissent contempler la résurrection du Sauveur. Cette sculpture, quoique fort inférieure à celle du tombeau de Marie Maignart, est cependant remarquable par sa naïveté.


V.

Notes sur l’église de la Coudre, à Parthenay.

(Communication de M. l’abbé Auber, correspondant, à Poitiers.)

Cette église n’avait pas plus de dix-sept mètres de long dans œuvre, depuis le fond de l’abside jusqu’à la porte d’entrée, ouverte à l’occident ; sa largeur, d’un tiers à peu près de la longueur totale, ne laissait pas d’être partagée en trois nefs. Les débris qu’on a dernièrement découverts sous le sol dépavé de l’intérieur, ceux qui gisent épars dans les environs, et notamment quelques chapiteaux conservés dans la communauté voisine, ne peuvent être comparés au magnifique travail de la façade, sans rappeler deux époques différentes de la construction de ce monument. Le xie siècle paraît avec son caractère plus grave dans certaines sculptures pénibles et tâtonnées qui appartenaient à la portion orientale. Le frontispice, au contraire, dénote, par la noble hardiesse de son dessin, par la perfection du plan et le fini des détails, une époque plus avancée, mais qu’on ne peut guère placer que dans le premier quart du xiie siècle, si l’on y observe l’absence complète de l’ogive, qui se fit peu attendre en Poitou, et la beauté prématurée que la sculpture chrétienne y avait déjà acquise.

L’abside principale, où des religieuses donnent l’instruction à de petites filles pauvres, et la façade élevée sur une rue actuellement déserte et silencieuse, sont les deux seuls vestiges restés debout de ce petit chef-d’œuvre byzantin. La tradition, que nous ne chercherons pas à éclairer ici par les preuves historiques, puisqu’il ne s’agit encore que de l’édifice en lui-même, attribue la fondation de cette église au comte de Poitou, Guillaume VIII, qui, après son retour à l’unité catholique, voulut expier, par cette œuvre de piété, l’appui trop longtemps donné à l’anti-pape Anaclet. Si cette tradition, qui ne peut s’étayer d’aucune charte ni écrit quelconque, n’est pas, comme tant d’autres, une erreur consacrée sans examen, elle fortifierait notre opinion sur l’époque de la façade, puisque Guillaume mourut en 1137.

Notre-Dame-de-la-Coudre appartenait à une communauté d’Ursulines au xviie siècle, d’après le Gallia christ. Le Pouillé du diocèse de Poitiers, imprimé en 1782, la range au nombre des cures à la nomination de l’évêque et lui donne une population de deux cents âmes. C’est peu après cette date qu’un malheureux prêtre, que les jours mauvais entraînèrent dans une apostasie trop célèbre à Parthenay, l’acheta comme bien national, et, uniquement pour démolir une église, s’empressa d’en faire des ruines. Il semble que ce qui échappa au marteau ne soit resté debout qu’afin de protester plus énergiquement contre ce scandale du vandalisme.

En effet, ces dernières traces offrent aux antiquaires l’un des deux ou trois plus beaux spécimens de l’art chrétien, conservé dans un pays qui, l’un des premiers, s’honora de ses architectes et de ses sculpteurs. Sur un front, où les trois nefs sont indiquées par une triple arcade romane, l’artiste a prodigué toutes les richesses d’un ciseau ingénieux. À chaque extrémité, l’œuvre est borné par un de ces contre-forts plats et étroits qui sont un caractère du temps. De chaque côté de la porte, ces contre-forts sont remplacées par deux colonnes accouplées, qui saillissent hors du mur des trois quarts de leur diamètre, reposant leur base sur un stylobate continu et se reliant par une sorte d’anneau intermédiaire à une corniche qui règne à cette hauteur dans toute l’étendue de la façade, forme une séparation entre son premier et son second ordre, et s’unit aux impostes de la porte centrale. Cette porte, ainsi encadrée, se développe sur un fond de moyen appareil régulier et, dans les quatre compartiments de la voussure plein cintre, nous offre une suite de scènes variées dont l’étude présente un grand intérêt. Le dernier de ces compartiments (je désigne ainsi le plus bas), expose le symbolisme connu des vertus chrétiennes domptant les vices : ces vertus sont des femmes armées du bouclier long et pointu, et de la longue épée à deux tranchants, évidée au milieu depuis la garde jusqu’à la pointe, armure ordinaire de nos paladins du xiie siècle. Des monstres, à figures hideuses, frappés de l’épée, expirent sous leurs pieds en de violentes contorsions. Au-dessus de ces héroïnes symboliques, deux autres personnages foulent d’autres monstres percés de flèches, et désignent de la main étendue un médaillon qui occupe la partie centrale du cintre : ce médaillon était garni d’un sujet qu’on regrette de n’y plus voir, car sans doute il complétait cet épisode.

La seconde gorge contient six anges tellement disposés, que la tête des deux inférieurs se réunit à celle des deux supérieurs. Ces derniers se trouvent au-dessous de deux autres qui, s’allongeant comme eux, mais jusqu’à la clef de l’arc, y soutiennent un médaillon dépouillé aussi de toute sculpture et dont la mutilation semble plus récente.

Dans la troisième gorge sont deux statuettes fort endommagées, placées de côté et d’autre dans une niche que surmonte une petite maison dont le toit est couronné par un pignon triangulaire. Sur chacun de ces pignons se dresse un ange qui, de ses bras élevés, supporte l’image, encadrée dans un disque, du Sauveur bénissant d’une main, et de l’autre tenant un livre qui repose sur sa poitrine.

Enfin, six des vieillards de l’Apocalypse, à longues barbes, à robes flottantes, tenant d’une main une longue fiole, de l’autre une viole à trois cordes, garnissent la gorge supérieure. C’est la traduction plastique du livre sacré : Seniores… habentes singuli citharas et phialas aureas, plenas odoramentorum, quæ sunt orationes Sanctorum. (Apoc. v, 8.)

Et toute cette voussure est entourée d’une archivolte où se dessine une guirlande composée d’enroulements enlacés dont les vides sont garnis de perles.

Ce bel ensemble, d’un travail délicieux, d’une délicatesse encore rare à cette époque, est remarquable par la profondeur et le relief de ses différents détails. Il repose sur des tailloirs qu’ornent des entrelacs et des feuillages variés, et que supportent de chaque côté trois colonnes en retrait, séparées par de petits pilastres triangulaires. Leurs chapiteaux, richement historiés, et sur lesquels on distingue des personnages, des oiseaux et des quadrupèdes, ont beaucoup souffert, comme quelques autres menues portions de ce charmant ouvrage.

De droite et de gauche n’ont jamais été ouvertes ni même simulées les portes latérales qui ailleurs flanquent presque toujours le portail du centre. Là, le plan d’élévation est partagé en deux ordres, dont l’un comprend la moitié de la façade, entre le stylobate et une corniche que soutiennent des modillons à têtes saillantes d’hommes et d’animaux. Cet espace inférieur est vide et laisse l’appareil entièrement nu. Cette corniche est ornementée à gauche d’entrelacs et de perles ; à droite, les perles se mêlent à des moulures flabelliformes également enlacées, et dont la reproduction, commune dans le Poitou, est rare dans les provinces limitrophes. Dans l’ordre supérieur, saillit une arcade plein cintre qui en occupe toute l’étendue ; sa surface, que décorent des palmettes, s’encadre dans une archivolte à enroulements délicats, toujours entrelacés. Un double tailloir, épais et uni, reçoit cette double retombée, et porte sur de petites colonnes trapues, appliquées à des jambages sans ornements, et dont les chapiteaux, en cône renversé, se divisent en deux portions égales et simulent, l’un des feuilles grasses, l’autre des crochets. Le tympan avait été destiné à reproduire un de ces faits architectoniques multipliés dans notre contrée, et dont l’explication a maintes fois préoccupé les antiquaires ; il sert comme de niche à une statue équestre dont on n’a plus que les débris du cheval. En un mot, ces deux appendices du portail se ressemblent presque entièrement par leurs motifs. La partie supérieure de cette façade, où devait être l’oculus ou la fenêtre, n’existe plus, et celle que je viens de décrire s’arrête à une seconde corniche qui règne, sans modillons, sur toute la ligne horizontale de l’édifice, en moulures très-bien refouillées.

D’autres vestiges du monument, dispersés sur le sol qui l’entoure, font regretter l’état de ruine où il se trouve. Des chapiteaux historiés, des bas-reliefs, conservent des scènes élégamment sculptées de l’Ancien et du Nouveau Testament : Satan terrassé par saint Michel, l’entrée du Sauveur à Jérusalem, sont d’un faire très-soigné ; le sacrifice d’Abraham est fort original par les détails du fait et la pose des personnages.

Tels sont les souvenirs qui nous restent de ce joli temple, au front duquel l’art de nos pères avait écrit si admirablement le témoignage de leur habileté.

  1. Le travail de M. Blanquart-Évrard et les notes de M. d’Albert de Luynes sont insérés dans le présent numéro du Bulletin.
  2. Voir le Procès-verbal de la séance du 23 avril 1849, page 99.
  3. Voir les procédés ci-après. L’opérateur emploiera à son gré la méthode par absorption de M. Blanquart, ou l’application du liquide au pinceau, tel qu’il est indiqué pages 111 et 113.
  4. Nous croyons devoir faire observer ici que l’emploi des glaces n’est indispensable que pour les grands appareils. Ainsi, nous avons parfaitement réussi avec les appareils demi-plaque, et quart de plaque, en faisant adhérer nos papiers photogéniques sur la planchette par l’humidité seulement. Par ce procédé, l’opération gagne de vitesse et permettrait en plein soleil, l’été, d’opérer en une seconde ; mais, pour un appareil plaque normale, nous le répétons, les glaces, comme le dit M. Blanquart, sont essentielles, indispensables.
  5. Pour faciliter le souvenir des diverses opérations, nous les avons numérotées I, II, III, IV, etc.
  6. « Toutes les préparations de nitrate seront conservées dans des flacons à l’abri de toute lumière. » (Note de l’auteur.)
  7. 3 gr. de nitrate d’argent.
    90 gr. eau distillée.
  8. M. Martens se trouve très-bien de le laisser sécher sur un carton-pâte légèrement incliné.
  9. Support avec vis à caler.
  10. 6 gr. nitrate d’argent ;
    32 gr. eau distillée ;
    21 gr. acide acétique.
    Laissez reposer une heure, et ajoutez 32 gr. eau distillée.
  11. Cette préparation sera conservée dans un flacon bouché à l’émeri. Si, après un repos de quelque temps, il se formait un dépôt à la surface, il faudrait s’en débarrasser à chaque opération, en versant le liquide à travers un linge bien fin, ou par tout autre moyen. (Note de l’Auteur.)
  12. Le châssis qui contient le papier étant formé de deux glaces épaisses, les opérateurs comprendront facilement la nécessité d’une deuxième glace dépolie, parfaitement en rapport, relativement a l’objectif, avec la feuille de papier sensible.
  13. 6 gr. bromure de potassium ;
    240 gr. eau distillée.
  14. Pour rendre le papier transparent, M. Martens s’y prend de la manière suivante : il fait fondre de la cire vierge sur une vieille plaque ; il applique dessus l’épreuve par le côté non impressionné, puis, la retirant de suite, il la laisse égoutter devant le feu (c).
  15. 18 gr. eau saturée de sel marin ;
    60 gr. eau distillée.
  16. 6 gr. nitrate d’argent ;
    30 gr. eau distillée.
  17. 100 gr. hyposulphate de soude ;
    800 gr. eau distillée.
  18. Voyez dans notre Traité de Photographie, octobre 1816, p. 115, l’extrait de notre communication à l’Institut.
  19. Voici le moyen que nous avons employé pour opérer sans glace avec les appareils à court foyer.
    Après avoir préparé le papier, ainsi qu’il est dit III, nous plaçons sur une planchette ordinaire, servant pour les plaques, une feuille de papier très-fort et fortement mouillé ; puis, prenant avec beaucoup de soin le papier photogénique par deux de ses coins, nous plaçons le côté non préparé sur le premier papier. Noous opérons de même avec les appareils panoramiques.
  20. L’opérateur fera peut-être mieux de se guider sur la nuance de son épreuve ; il arrêtera l’opération quand elle aura atteint le ton qui lui plaira le mieux.
  21. Autant que possible, chaque vase et chaque pinceau devront être consacrés à une opération spéciale.
  22. Vies des Provençaux illustres, ms.
  23. Études sur Denis Faucher, moine de Lérins. Notice insérée dans les volumes des Mémoires de l’Académie d’agriculture, sciences, belles-lettres et arts de la ville d’Aix.
  24. Nous profitons de la récente pagination faite à ce livre pour désigner les miniatures remarquables que nous y avons découvertes, afin d’en faciliter la recherche, et de laisser la partie du public, qui pourra y avoir recours, juge du degré de foi que l’on doit ajouter à notre opinion.