Bulletin de la société géologique de France/1re série/Tome IV/Séance du 3 février 1834


Séance du 3 février 1834.


présidence de m. constant prévost.


M. Virlet, vice-secrétaire, tient la plume comme secrétaire, et donne lecture du procès-verbal de la dernière séance, qui est adopté.

M. le président proclame ensuite membres de la Société :

MM.

Charles hartmann, docteur ès-sciences, professeur de géologie et de technologie, à l’Académie polytechnique de Brunswick ; présenté par MM. Delafosse et Boué ;

Pelletier, professeur à l’École de pharmacie ; présenté par MM. Brongiart et C. Prévost ;

Roussel, professeur au Val-de-Grâce à présenté par MM. Michelin et Rozet.


dons faits à la société.

La Société reçoit les ouvrages suivant :

1° De le part de M. Hartmann :

A. Sa Traduction allemande du Traité de géologie de M. Lyell (Lehrbuch der Geologie, etc.). 1er cahier du 3e vol., in-8o, 104 p., 13 pl.

B. Ses Annales de minéralogie, de géologie, et de l’art des mines (Jahrbucher der Mineralogie, Geologie, etc.) 1er cahier, in-8o.

2° De la part de M. Clemson :

A. The american Jaurnal of science and arts ; par M. Silliman. Vol. XV, n° 2. Janvier 1829.

B. Observations on the geology af the United-States of America ; with some remarlce on the efjêct produced on the nature and fertilily of soils, etc., par M. William Maclure. In-8°, 127 p., avec 2 cartes. Philadelphie, 1827.

The Magazine of natural history, etc. ; par M. Loudon. N° 19 et 20.

The Athenœum. N° 326.

L’Institut. N° 38.


correspondance.


M. le docteur Hartmann annonce qu’il va publier : 1° une géologie appliquée à la technologie, aux arts et à l’agriculture ; 2° un répertoire des progrès de la géologie et de la minéralogie, depuis 1828. Il écrit également qu’il a reçu le 1er demi volume des Mémoires de la Société, et qu’il va l’annoncer dans son journal.


mémoires et communications.

M. Fournet fit une note sur les phénomènes que présente l’argent tenu en fusion dans une atmosphère oxigénée, et leur application à la géologie.

« L’argent, tenu en fusion dans une atmosphère oxigénée, absorbe environ 22 fois son volume d’oxygène, qu’il laisse dégager pendant le refroidissement et seulement lorsque sa surface est figée. Il résulte de cette circonstance des phénomènes absolument identiques à ceux que nous offrent les accidens volcaniques. Rien n’y manque, soulèvemens avec épanchemens, trépidations du sol, fractures, dykes, volcans à cratères, déjections, dégagemens de gaz, coulées, et le tout avec une ressemblance frappante, surtout si l’on a opéré sur une masse d’environ 50 livres d’argent.

« Si l’on jette un coup d’œil sur les phénomènes analogues qu’offre la nature, on peut établir quelques rapprochemens qui ne sont pas dépourvus d’intérêt.

« En effet, la masse de la terre a été fluide ; c’est sous l’influence de cette fluidité, favorisée par la pression d’une atmosphère abondante, que la terre a absorbé les gaz environnans. Ceux qui sont doués d’affinités énergiques, tels que l’oxigène, se sont combinés directement avec une partie des métaux et des métalloïdes, et y sont restés unis ; mais ceux qui ne possèdent que des affinités faibles, tels que l’acide carbonique et la vapeur aqueuse, sont restés plus ou moins de temps condensés, et se sont dégagés ensuite par le déplacement occasionné par la cristallisation, et continuent encore à se dégager jusqu’à ce que la masse dans laquelle ils sont dissous, soit solidifiée, ou qu’ils soient totalement épuisés. Ce sont ces masses de vapeurs aqueuses et d’acide carbonique qui produisent les phénomènes volcaniques ; aussi voyons-nous ces deux corps dominer dans toutes les régions volcaniques.

« Parmi les gaz de l’atmosphère qui se dégagent ainsi, l’azote ne se présente que rarement ; était-il noyé dans une trop grande masse pour qu’il pût entrer en ligne de compte ; a-t-il formé des combinaisons qui ressortent actuellement avec les eaux minérales sous forme de glairines ; est-il resté avec les autres matières organiques que nous trouvons disséminées dans les roches, ou bien dans cet ordre de phénomènes qui se lie si intimement aux affinités ; la masse terreuse en fusion a-t-elle fait un triage des gaz en excluant l’azote, tout comme l’argent fondu dans le réverbère ne montre aucune tendance à s’unir à l’acide carbonique, ou bien enfin s’est-il dégagé plus rapidement que les autres gaz, tout comme dans le cuivre métallique on voit le gaz sulfureux se dégager avant la solidification, et produire une violente ébullition connue sous le nom de travaillement ? c’est ce que je laisse à décider.

« La masse énorme d’acide carbonique qui se dégage encore journellement avec ou sans les eaux minérales, pourrait, vu son abondance, être invoquée en témoignage de l’atmosphère ancienne riche en ce gaz que M. Adolphe Brongniart a admis, pour se rendre compte de la puissante végétation des époques primordiales, tout comme dans le foyer de raffinage d’argent toutes les circonstances concourent pour dénoter une atmosphère riche en oxigène.

« Il serait facile de tirer de plus amples conclusions de ces analogies entre la métaux fondus et la masse de la terre relativement aux atmosphères ambiantes ; mais la crainte de paraitre attacher à un petit phénomène de laboratoire plus d’importance qu’il peut paraître n’en mériter aux yeux de plusieurs personnes, doit nous faire borner à ces simples rapprochemens. »

M. Boubée communique l’extrait suivant d’une lettre de M. du Marhallac, membre de la Société, dans laquelle ce géologue décrit l’île de Mihau, remarquable par une belle superposition du granite aux schistes, qu’il a observée avec M. de la Fruglaye, auquel il en réfère la première découverte.

« Située sur le littoral du département des Côtes-du-Nord, l’île de Mihau est formée de schistes argileux et de granites dont les positions relatives présentent un fait géologique fort intéressant ; les couches de schiste constituent seules la base de l’île, et en forment toute la partie inférieure. Redressées presque verticalement, et autrefois recouvertes par le granite, elles ont été depuis en partie dénudées par les flots de la mer. Cependant l’action des courans sur elles ne doit pas remonter à une époque très ancienne, car elles opposent encore aux vagues des arêtes et des angles saillans. Elles se dirigent du N.-N.-E. au S.-S.-O., et s’étendent sur toute la baie de Saint-Michel. Près de ce bourg on les voit former, en se décomposant, une terne argileuse et noirâtre ; de l’autre côté de la baie, à Loquiére, elles fournissent à l’exploitation une ardoise lourde et grossière.

« La partie supérieure de l’ile est formée de masses granitiques jetées la sans ordre ; elles ne laissent soupçonner aucun indice de stratification ; mais du côté de l’est elles augmentent considérablement d’épaisseur et semblent plonger dans cette direction. Une ligne parfaitement franche les sépare des schistes sur lesquels elles reposent, et ces deux formations si distinctes, appartenant à des époques bien différentes, sont là, superposées sans transition, sans intermédiaire : au-dessus de la ligne de démarcation que je viens de vous indiquer, nulle trace de schistes ne se montre au milieu des granites ; au contraire des filons, des veines, des veinules granitiques tantôt pénètrent largement entre les couches de schistes, tantôt s’épanchent à la superficie, et enfoncent à des profondeurs diverses, comme l’indique la coupe ci-après.

Superposition du granite aux schistes argileux dans l’île de Muhau, département du Finistère.

« Ainsi le granite se trouvait encore à un état fluide, lorsqu’il est venu recouvrir les schistes et s’insinuer dans toutes les cavités et les fissures qu’ils pouvaient lui offrir en s’appuyant sur eux ; ce poids énorme dut les faire céder, et l’extrémité des couches schisteuses s’est infléchie sur une hauteur de 18 pouces de l’est à l’ouest, suivant un angle d’une trentaine de degrés ; cet effet sur toute la masse est trop uniforme pour ne pas avoir été instantané et produit par une même cause. On est donc en droit de conclure que les granites ont été portés subitement à la partie la plus élevée de l’île. L’agent de ce phénomène paraîtrait avoir redressé en même temps les schistes ; cette opinion deviendra du moins vraisemblable, si l’on observe qu’ils inclinent encore à l’est de quelques degrés, que leur direction est perpendiculaire à la direction présumable des granites, et qu’enfin le sommet des couches est justement infléchi de l’est à l’ouest. Ces hypothèses me semblent expliquer d’une manière naturelle la formation curieuse de l’île de Mihau ; mais c’est un devoir pour moi de vous dire que le savant naturaliste qui me suggéra la plupart des observations ci-dessus, n’a pas trouvé cette interprétation des faits complètement satisfaisante. M. le comte de la Fruglaye pense qu’ils contrarient sur quelques points les systèmes aujourd’hui reçus, et ne sauraient se concilier avec les données actuelles de la science.

« La forêt sous-marine dont il a depuis long-temps révélé l’existence, repose en partie dans cette baie de Saint-Michel sur les schistes de l’île Mihau. Des masses d’humus éparses sur la grève, arrondies comme des galets, attestent les combats que la mer livre encore aux vieux chênes qu’elle a ensevelis autrefois dans ses abîmes. Ces derniers débris d’une végétation prête à s’effacer viennent confirmer ce fait indiqué déjà par l’aspect des roches du rivage, que la dernière invasion des eaux sur cette côte ne remonte pas à une époque très reculée ; au milieu des ruines de cette vie d’un autre âge, le flot roule çà et là des syénites, des schistes maclifères, des grenats, des agates, des opales, trophées de ses victoires sur la montagne voisine qui deux fois chaque jour doit soutenir un nouvel assaut. Toutes ces richesses sont entassées là, dans un rayon de quelques toises, et rarement le pied d’un géologue daigna venir les fouler !… »

M. Rozet fait observer que les granites signalés par M. Dumarallach dans l’île de Mihau, ne sont peut-être pas de véritables granites, mais bien des eurites granitoïdes, fait qu’il serait, selon lui, assez important de constater.


Notes sur les sources et mines d’asphalte ou bitume minéral de la Grèce, et de quelques autres contrées, par M. Virlet.

La discussion qu’a fait naître le mémoire de M. de Reichenbach, sur l’origine des pétroles, m’a engagé, dit M. Virlet, à réunir quelques notes, sur les sources de goudron minéral de la Grèce ; ces notes réunies à d’autres, relatives aux différentes contrées du globe, pourront peut-être servir à jeter quelque jour sur la question encore incertaine de l’origine des bitumes minéraux, que je regarde comme de véritables produits volcaniques.

le dirai d’abord que presque tous les calcaires de la Grèce, même les plus anciens, quoique pour la plupart entièrement dépourvus de fossiles, sont très fétides, et quelques uns de ceux qui sont les plus grenus et les plus blancs dégagent souvent par le choc ou le frottement une odeur empyreumatique très prononcée ; mais c’est surtout dans la formation crayeuse qu’on rencontre les véritables calcaires bitumineux. Ainsi, je citerai en Morée certains calcaires gris brunâtres des environs de Nauplie et de quelques autres points de l’Argolide, et les calcaires bruns noirâtres des collines situées entre Navarin et Nisi, calcaires dépourvus de fossiles, et d’où j’ai vu suinter, dans quelques crevasses, un peu de bitume. Pausanias cite une source d’eau bitumineuse qui existait de son temps à Modon.

Sources de naphte ou asphalte de l’île de Zante. Plusieurs voyageurs, et entre autres le comte Marsigli, Grasset-St-Sauveur, Spallanzani, Lechevalier, etc., ont parlé de ces sources. Elles sont situées dans une petite plaine marécageuse, d’environ deux lieues de circonférence, bornée d’un côté par la mer, et de l’autre par des collines de calcaires schisteux et bitumineux de la formation crayeuse. En traversant cette plaine, on sent sur quelques points la terre trembler sous les pieds, comme lorsqu’on marche au-dessus de certaines tourbières ; l’on assure même qu’on y entend parfois un bruit sourd, comme si le dessous du sol était creux. L’huile de pétrole s’y recueille dans plusieurs bassins, dont le principal a environ 50 pieds de circonférence ; et, quand on vient à creuser le terrain aux environs, il en jaillit aussitôt une source d’eau d’où l’huile de pétrole s’élève aussi en bouillonnant.

Ces sources remontent la plus haute antiquité ; et Hérodote, qui les avait visitées, dit : « que l’île de Zacinthe renferme plusieurs lacs, où, en enfonçant une perche à l’extrémité de laquelle est attachée une branche de myrthe, on la retire chargée de poix qui a l’odeur du bitume, et qui est préférable à pelle de la Puerrie, province de Macédoine, qui en fournissait également. » Les parois et le fond de ces étangs se recouvrent continuellement d’un enduit épais de pétrole que l’on amène encore la surface, comme du temps d’Hérodote, en agitant l’eau avec quelques branches d’arbre. Suivant le docteur Holland (Travels in the Iona isles, Albanian, etc.), on en recueille environ 100 barils par an, que les habitans de Zante emploient au calfatage des bâtimens, en le mélangeant avec du goudron de résine pour lui donner plus de consistance.

Mines de bitume de l’Albanie. Les fameuses mines de malte ou de poix minérale du Condessi, où se répètent en partie les phénomènes de Barigazzo et Pietra-Mala en Toscane, et qui déjà étaient exploitées du temps de Pline, sont situées vers la base septentrionale des fameux monts Chimariots (Akrocérauniens), et occupent la partie comprise dans l’angle que forme la rivière de Voïoussa (Aoüs) avec celle de Souchista. L’étendue de ces mines, qu’on n’a cessé d’exploiter depuis un grand nombre de siècles pour en extraire cette substance réputée excellente pour calfater les vaisseaux, paraît se prolonger très loin vers le S.-E. ; et la quantité de malte que l’on pourrait en retirer suffirait à l’approvisionnement de l’Europe entière. On trouve aux environs, suivant M. Pouqueville, le soufre mélangé avec d’autres substances minérales, telles que du gypse, de l’alun, etc., et les habitans assurent qu’on voit encore presque toutes les nuits des flammes bleuâtres voltiger à la surface de la terre.

Il est impossible de méconnaître à tous ces caractères le Nymphœum des anciens, d’où s’échappaient sans cesse des sources de feu, sans nuire à la verdure environnante. Plutarque, dans sa Vie de Sylla, dit que dans le voisinage d’Apollonia est situé le Nymphœum, terre sacrée, où des sources perpétuelles de feu coulent su milieu d’une vallée riante et de belles prairies, sans les endommager ; Aristote, en parlant de ce phénomène, ajoute que l’huile que l’on présentait à la flamme qui se dégageait de la terre s’enflammait facilement ; Elien, qui avait observé lui-même le phénomène, dit aussi que le bitume, auquel Dioscoride, et avec lui tous les auteurs de l’antiquité, ont donné le nom de Pissasphalte, nom qui s’est conservé jusqu’à nos jours, était mêlé avec des substances sulfureuses et alumineuses, et que l’odeur qu’exilaient au loin les feux du Nymphœum ressemblait à celle de l’alun et du soufre.

Si, de nos jours, comme au temps de Dion-Cassius, qui parle aussi de ces phénomènes en témoin oculaire, des torrens de feux ne roulent plus au milieu des champs, une partie des circonstances qui les accompagnaient se sont perpétuées. Ainsi, il s’en dégage encore des gaz méphitiques qui s’y enflamment souvent, et avec le malte, il se forme, par suite de ces émanations gazeuses, du soufre, du gypse, de l’alun, et autres produits chimiques.

L’île de Koraka, qui fait partie du petit archipel, situé en face de Salagora, dans le golfe Ambracique (d’Arta) contient aussi des mines de pétrole et des concrétions bitumineuses ; et enfin, le bitume se rencontre encore en abondance dans le calcaire compacte à Vergoraz en Dalmatie, et dans l’ile de Bua.

Lorsqu’on réfléchit que partout où les bitumes minéraux ont été rencontrés avec quelque abondance, ils sont presque toujours en rapport plus ou moins direct avec les phénomènes volcaniques ; que dans le plus grand nombre de cas ils semblent se lier intimement avec les dépôts salifères ; que là c’est avec des gypses, du soufre ; ailleurs avec des sels ammoniacaux ; que beaucoup-de roches dites ignées, ou volcaniques, telles que certains granites, des vakites, des basaltes, etc., en contiennent ; qu’un grand nombre de sources minérales et thermales en produisent quelquefois du quantités très considérables ; on est conduit à les regarder eux-mêmes comme des produits volcaniques, qui se forment dans des circonstances toutes particulières, sans qu’il soit besoin de recourir à la décomposition de corps organiques pour expliquer la formation de ces carbures d’hydrogène.

En effet, si l’on passe en revue quelques uns des principaux phénomènes géologiques qui accompagnent ordinairement les bitumes, on voit que la plupart tendent à confirmer cette hypothèse. En Auvergne, c’est dans les vakites à pépérites qu’on rencontre le plus ordinairement le bitume malte ; au Puy de la Poix, par exemple, il s’écoule de cette roche de l’eau salée, accompagnée d’une quantité d’autant plus grande de bitume, d’après M. Lecoq, que la température est plus élevée ; on nous a assuré, quoique nous n’ayons pas eu occasion de vérifier le fait, que Milo, île presque entièrement volcanisée, produisait en plusieurs points du naphte ; cette substance se trouve souvent nageant à la surface des eaux dans les contrées volcaniques, comme autour du Vésuve, des îles du Cap-Vert, etc., et l’on sait que Vauquelin a trouvé du bitume dans le soufre, et qu’il a conclu des différentes analyses qu’il a faites de cette substance, que le bitume devait se rencontrer dans la plupart des mines de soufre, et que de là vient sans doute que les soufres qui paraissent les plus purs donnent du gaz hydrogène sulfuré, toutes les fois qu’on les fond avec des carbonates alcalins parfaitement secs. Aux faits rapportés par M. Fournet, on peut ajouter encore les filons de bitume et de spath calcaire qu’on rencontre au Mont Caltonhil, près d’Édimbourg en Écosse, dans une roche trappéenne. Enfin, M. Persoz, en voulant extraire le brôme des eaux-mères de Souls-sous-Foréts, a trouvé un produit particulier, brun, très riche en hydrogène et en carbone, ayant de l’analogie avec le succin.

Le bitume connu dans le commerce sous le nom de bitume de Judée, et qui provient du lac Asphaltite (mer Morte), ce qui lui a valu le nom d’asphalte, paraîtrait se rattacher également à des phénomènes volcaniques, car, suivant le docteur Clarke, savant voyageur anglais, l’une des montagnes qui bordent cette mer n’est autre chose qu’un volcan éteint qui ressemble parfaitement par sa forme au cône du Vésuve, et qui présente à son sommet un cratère très visible, circonstance qui rendrait peut-être naturelle l’explication de la destruction de Sodome et Gomorrhe, par suite d’une éruption volcanique qui aurait eu lieu depuis les temps historiques… Quoi qu’il en soit, si les descriptions des auteurs de l’antiquité sont exactes, les quantités d’asphalte que reçoit aujourd’hui la mer Morte, des différentes sources qui l’y conduisent, paraissent bien moins considérables qu’autrefois. Les anciens ont fait usage de l’asphalte dans leurs constructions (à la tour de Babel, à Babylone, etc.) ; en Égypte, ils l’employaient aussi, principalement pour embaumer les corps ; c’est lui qui forme la matière de la couleur qu’on appelle momie. Les îles de Lipari fournissent aussi avec du soufre, de l’alun, une grande quantité de bitume ; et déjà du temps des Carthaginois qui venaient l’y chercher pour le transporter au loin, il était le sujet d’un commerce important.

Les bitumes se trouvent très souvent en rapport avec les dégagemens de gaz hydrogène, qui produisent les feux perpétuels ou sacrés, comme au Nymphæum ; ainsi les pseudo-volcans de Barigazzo et Pietra-Mala, dont Montaigne avait déjà parlé dans son voyage en Italie en 1580, paraissent indirectement liés avec les salces, les gypses et les sources de pétrole qui existent, suivant M. Bertrand-Geslin, un peu plus au nord, à la base du terrain tertiaire.

M. Ravergie a fait connaître par une lettre adressée le 26 décembre 1828 à M. de Férussac, que le prétendu nouveau volcan de Bakou n’est qu’une répétition sur une échelle un peu plus grande du phénomène de Pietra-Mala ; ce fut en 1827 que ce pseudo-volcan s’ouvrit, à environ 12 verstes à l’ouest. de Bakou, comme ceux de la Toscane, au milieu d’un sol argileux qui semble être une condition de leur existence. Ces éruptions de gaz et de boues y paraissent liées à l’existence des nombreuses sources de naphte qu’on rencontre aux environs, ainsi qu’aux nombreux lacs salins dont tout le canton est presque couvert ; à environ 30 verstes du pseudo-volcan, sur le cap Abchéron et près du temple des Guèbres, existent des feux perpétuels ; il en existe aussi, dit-on, dans les îles situées vis-à-vis de Bakou, ainsi qu’à l’embouchure du Koura (le Cyrus) dans la mer Caspienne ; enfin, l’on assure qu’on voit souvent, dans les environs, sortir des flammes de la mer elle-même.

« D’après d’autres renseignemens, on sait qu’il existe à Bakou, à Sallian et sur les îles, des salces de naphte qui ressemblent à celles de la Krimée. À un quart d’heure du feu éternel, situé au N.-O. de Bakou à Ssarachain, il y a une fente d’où il s’échappe des vapeurs brûlantes. Tout le sol de la contrée est tertiaire, et le plus souvent pénétré de bitume ; à quelques ventes au sud de Bakou, il y a des sources de naphte dans de l’argile sélénifère. L’île de Tschélé-Kaen en offre également, et les puits en donnent dans une eau salée, chaude et sulfureuse ; ils n’en fournissent ordinairement que pendant vingt à quarante ans, et l’eau des étangs qu’on exploite pour en extraire le sel est chaude.

À Gromaja, entre le Sundsha et le Therek, dans le Caucase, il y a sept sources chaudes, sulfureuses et salines, et des sources de naphte. À Bashkiri-Ural, près Sulp-Oul sur le Mangishlak, et sur le mont Klashna près Lepaten, sur le Slanika en Valachie, il y a aussi des feux perpétuels que les traditions du pays disent avoir été allumés par la foudre. On recueille annuellement pour 200,000 roubles (environ 800,000 fr.) de naphte dans les environs, et les moines qui habitent près des ruines du temple de Parsis se servent du gaz hydrogène qui s’y dégage pour leur éclairage.

En Bavière, il existe une montagne brûlante, celle de Duttweiler, et, d’après M. Glaser, il y a plus de cent vingt ans que dans cette contrée on connaît aussi des pseudo-volcans, qui déposent de l’alun, du sel ammoniac, etc., et il y a dans les environs plusieurs sources salées.

Les travaux de MM. Abel de Rémusat, Klaproth et de Humboldt, nous ont fait connaître l’existence de phénomènes semblables dans l’intérieur de l’Asie[1] ; des feux perpétuels s’y trouvent en rapport avec la production de sels ammoniacaux, de sources de pétrole et d’eaux salées. C’est ordinairement en forant un puits pour la recherche de ces eaux qu’on rencontre les sources de pétrole dont on se sert pour l’éclairage, et bien souvent même pour l’exploitation des sources salées. En Perse, depuis Mossul jusqu’à Bagdad, le peuple ne se sert pas d’autre chose pour l’éclairage ; et dans les différens lieux où le naphte, plus ou moins chargé d’asphalte se dégage en abondance de la terre, on emploie la chaleur produite par son inflammation, pour cuire la chaux, et même pour les usages domestiques : c’est ce qui se pratique particulièrement en Perse et aux environs de Bakou, où il suffit d’enfoncer dans la terre un tuyau d’un pied de long, pour en faire jaillir avec violence des vapeurs lumineuses auxquelles on met ensuite le feu. Les jets de gaz hydrogène carboné sont quelquefois utilisés de la même manière dans les lieux où ils sont abondans. C’est ainsi que sur les pentes des Apennins, on emploie les feux naturels qu’ils produisent, pour faire cuire les alimens, calciner la pierre à chaux, cuire la poterie, évaporer les liquides, etc.

En Chine, le plus grand nombre des sources salées et jets de gaz inflammable sont dans les districts de Young-Hian et Wei-Hian dans le département de Kia-Ting-Fou. Il y en a encore dans d’autres districts de ce département, et à l’est de la grande chaîne neigeuse qui traverse la partie orientale du Szu-Tchouan du sud au nord. Suivant M. Imbert, il y a plusieurs milliers de puits salés sur un espace de dix milles sur cinq autour de Ou-Thouang-Kino. Chaque trou coûte de 7 in 8,000 fr., et a de 15 a 1,800 pieds de profondeur, sur 5 à 6 pouces de diamètre. L’eau de ces puits donne un cinquième à un quart de sel par l’évaporation, et contient du nitre. Les mêmes puits exhalent souvent du gaz inflammable, servant, près Thsee-Lieou-Tsing, où l’on a creusé à 3,000 pieds de profondeur, à évaporer le sel commun. Dans le forage pour le sel, on trouve souvent en abondance une huile bitumineuse.

C’est de la montagne de Ho-Chan et Aghie (montagne du Feu), province de Kou-Tché, dans la petite Boukharie, que les Boukhars apportent en Sibérie le sel ammoniac ; et, suivant leurs récits, la montagne au sud de Korgors est si abondante en cette espèce de sel, que souvent les habitans du pays l’emploient pour payer leur tribut à l’empereur de la Chine. M. de Humboldt cite à ce sujet le passage suivant tiré d’une nouvelle Description de l’Asie centrale, publiée à Péking en 1777, « La province de Kou-Tché produit du cuivre, du salpêtre, du soufre, du bitume et du sel ammoniac. Cette dernière substance vient d’une montagne au nord de la ville de Kou-Tché, qui est remplie de cavernes et de crevasses. Au printemps, en été et en automne, ces ouvertures sont remplies de feu, de sorte que pendant la nuit la montagne paraît comme illuminée par des milliers de lampes. Alors personne ne peut s’en approcher. Ce n’est qu’en hiver, lorsque la grande quantité de neiges a amorti le feu, que les indigènes travaillent à ramasser le sel ammoniac, et pour cela ils sont obligés de se mettre tout nus. Le sel se trouve dans les cavernes sons forme de stalactites, ce qui le rend difficile à détacher. » M. de Humboldt ajoute que le nom de sel tartrique, donné anciennement dans le commerce au sel ammoniac, aurait du diriger depuis long-temps l’attention des géologues sur les phénomènes volcaniques de l’Asie intérieure.

Je pourrais citer encore ici un grand nombre de faits analogues, notamment dans l’Inde et dans plusieurs parties de l’Amérique, lesquels viendraient également appuyer l’hypothèse qui doit faire regarder les bitumes comme des produits naturels résultant de phénomènes volcaniques, et non de la décomposition de débris organique ; mais j’ai du me borner à signaler et à rappeler les faits les plus saillans, ceux qui font mieux voir les rapports qui existent entre tous les carbures d’hydrogène et le soufre, les gypses, le muriate de soude, l’alun, l’hydrogène d’ammoniac, le gaz hydrogène carboné, etc. ; et ceux qui existent également entre eux et certaines roches volcaniques, ainsi qu’avec les sources thermales et minérales : tandis que si, comme semble porté à le croire M. de Reichenbach, les sources de pétrole étaient dues à la seule distillation lente, et à une basse température de la houille, loin de durer comme celle de l’Albanie, de Zante, du lac Asphaltite, de la mer Caspienne, de l’Auvergne, etc., pendant un grand nombre de siècles, sans paraitre avoir rien perdu de leur abondance première, elles seraient bientôt taries, et n’auraient qu’une durée limitée au plus ou moins d’abondance de combustible minéral qui leur aurait donné lieu.

Un simple calcul appliqué aux sources de l’ile de Zante, démontrera mieux que tous les raisonnemens l’impossibilité d’admettre une telle hypothèse. Ces mines existaient déjà du temps d’Hérodote, qui vivait dans le cinquième siècle avant notre ère ; comme elles fournissent 100 barils de 100 livres environ par année, 2,300 ans × 100 × 100 sera approximativement la quantité de livres d’huile qu’elles ont dû fournir depuis que cet historien les a décrites : or, M. Reichenbach ayant reconnu que chaque quintal de houille donnait au plus deux onces d’huile, il n’aurait pas fallu moins de 2,300 × 100 × 100 × 8 = 174,000,000 quintaux de houille pour produire cette masse effective de pétrole. Si l’on ajoute que ces sources existaient bien avant Hérodote ; qu’elles sont loin de paraître épuisées ; que la quantité de pétrole recueillie est également loin de correspondre à la quantité qui est produite, ces sources n’étant probablement qu’un point fourni à son écoulement, Il est facile de voir que toutes les mines de houille de l’Angleterre réunies n’auraient pu suffire à alimenter, par leur distillation lente, les seules sources de Zante : cependant elles ne sont pas, à beaucoup près, les plus abondantes ; et l’Albanie, la Valachie, les environs de Bakou, la Perse, etc., en fournissent des quantités tellement considérables, que toutes les masses houillères du globe ne fourniraient pas un cube capable d’alimenter les mines de chacune de ces provinces en particulier.

L’hypothèse de MM. Reichenbach et Turner ne pouvant se concilier avec les faits, il faut donc chercher dans d’autres causes l’origine des bitumes, et en pensant aux rapports qu’ils semblent avoir constamment avec les phénomènes volcaniques, tels que les feux perpétuels, les sources thermales et minérales, les émanations gazeuses, on ne peut raisonnablement leur assigner une origine différente de celle qui produit ces phénomènes ; car si les débris organiques ont pu donner, dans quelques cas, naissance, par leur décomposition, à certains carbures d’hydrogène, il me paraît bien démontré qu’ils n’auraient jamais pu produire la grande quantité de bitume qui se trouve répandue avec tant de profusion sur toute la surface de la terre.

M. Rozet continue ensuite ses communications verbales sur les Vosges ; et, dans cette séance, il développe ses observations sur le Kaiserstuhl, dans le Brisgau, dont il présente différentes roches à la Société.

Cette communication donne lieu à quelques observations.

M. Deshayes rappelle que M. Lyell lui a communiqué des coquilles provenant du Lehm (argiles marneuses et glaiseuses de la vallée du Rhin), qui sont parfaitement identiques à celles qui vivent encore aujourd’hui.

M. Prévost demande à M. Rozet s’il place les éruptions volcaniques de la vallée du Rhin entre les cailloux roulés et le Lehm, ou s’il regarde ces deux dépôts comme contemporains ; et enfin s’il exclut de la formation basaltique les coulées de basalte de l’Auvergne, et notamment celle de Gergovia.

M. Rozet répond d’abord à M. Deshayes qu’il a annoncé, il y a quatre ans, que les coquilles du Lehm étaient identiques avec les coquilles vivantes de la vallée du Rhin ; mais qu’il n’en est pas moins vrai que le dépôt qui les renferme est d’une époque antérieure à la nôtre. Il répond ensuite à M. Prévost que, dans la vallée du Rhin, les éruptions volcaniques ont très probablement eu lieu à la fin de l’époque tertiaire, et sont contemporaines des cailloux roulés ; que quant au dépôt de ceux-ci et du Lehm, leur production était le résultat d’une grande époque de troubles, pendant laquelle les cailloux avaient bien pu se déposer, tandis que les marnes avaient eu besoin d’un repos presque complet. Il ajoute qu’il ne comprend, sous la dénomination de basalte, aucune roche qui ait coulé, quelle qu’en soit la nature minéralogique ; que les véritables basaltes ne sont pour lui que des masses qui ont pu être soulevées à l’état pâteux, mais qui n’ont généralement pas coulé ; qu’il ne désigne, par l’expression basaltique, qu’une époque géognostique ; et enfin, qu’il ne regarde les basaltes, qui, dans l’acception minéralogique, auraient coulé, que comme des laves.

M. Brongniart donne quelques explications sur ce que l’on a entendu jusqu’ici par le mot basalte ; et pense que la nouvelle acception donnée à ce mot par M. Ilozet ne servirait qu’à jeter la diffusion dans les nomenclatures minéralogiques et géologiques, pour lesquelles on a déjà eu tant de peine à bien s’entendre. Il fait la même observation sur ce que M. Rozet a appelé amygdaloïdes, et ajoute que jusqu’à présent on n’a généralement appelé amygdaloïdes que les roches à base de feldspath, et noyaux de même nature, mais de couleurs différentes (variolithes de la Durance) ; tandis qu’on a désigné sous le nom de spilithes, blatterstein, etc., les roches à base d’aphanite, ou d’autre nature, avec des noyaux calcaires, ou différens de la masse (variolithes du Drac). Il cite comme exemple que, dans la Corse, on ne rencontre aucune spilithe, et beaucoup d’amygdaloïdes, tandis que dans le Hartz, on ne rencontre que des roches de blatterstein, à noyaux bien différens de ceux de la base.

M. Rozet répond que, pour lui, les amygdaloïdes ne sont que des modifications des roches, de même que la ponce n’est que la modification de certaines laves ; et que, suivant les roches, on peut avoir différentes espèces d’amygdaloïdes, qu’on peut distinguer minéralogiquement, comme l’a fait M. Brongniart.

M. Virlet fait observer à M. Rozet qu’il est bien essentiel, dans une science comme la géologie, qui n’a pas encore de nomenclature établie sur des règles invariables, de bien formuler l’acception que l’on donne à telle ou telle expression, afin d’éviter les erreurs qui pourraient en résulter plus tard dans les citations ; que les amygdaloïdes sont des roches indépendantes de toute autre formation, comme les mélaphyres, les porphyres, les prasophyres, etc., lesquels ont pu donner lieu, par leur contact avec d’autres roches, à des spilithes ou blatterstein ; mais que ces dernières ne sont jamais que le résultat de l’action de roches ignées sur d’autres roches ; et que, comme l’a fort bien fait observer M. Rozet, elles doivent différer suivant la nature des roches qui les ont produites : par exemple il a observé en Morée, dans l’Argolide, des ophiolithes qui ont produit, par leur contact avec des calcaires, de véritables spilithes à base de serpentine, et à noyaux calcaires.

On lit un mémoire de M. Marcel de Serres, intitulé : Observations sur les puits artésiens ; pratiqués récemment dans la bassin du Rousillon ou des Pyrénées Orientales. Ce Mémoire, dont l’analyse suit, traite particulièrement des puits de Bages et Rivesaites.

« Peu de contrées semblent plus propres à permettre d’obtenir des eaux jaillissantes, que la plaine du Roussillon ; formée presque entièrement de terrains tertiaires immergés, recouverts par des masses de diluvium plus ou moins épaisses, le forage y est des plus faciles, lorsque l’on a enlevé le terrain le plus superficiel, composé de dépôts diluviens, parmi lesquels se montre une immense quantité de cailloux roulés. Les essais faits sur la Place Royale de Perpignan n’ont été infructueux que parce qu’on n’enleva pas entièrement ce dépôt de cailloux roulés, et qu’on appliqua immédiatement la sonde, qui s’y engagea de telle manière qu’on ne put pas la retirer, et que les travaux furent tout-à-fait abandonnés.

« MM. Durand ayant bien pensé que le non-succès de cette entreprise tenait plutôt à l’impéritie des ouvriers qu’à des circonstances défavorables, ont fait creuser deux puits artésiens dans la commune de Bages, située la deux lieues de la Méditerranée, et à une lieue et demie au S.-O. de Perpignan, dans une vaste plaine jadis occupée par un étang, qui a été desséché à l’aide de canaux ; elle est composée d’un sol d’alluvion, d’environ 3 mètres de puissance, entre les deux plus grands cours d’eau du bassin du Roussillon, le Tet et le Thec.

« Sur la demi-hauteur du bassin de Bages existent des sources jaillissantes naturelles très abondantes et très profondes, connues dans le pays sous le nom d’A    -Mata ; cachées souvent par une brillante végétation, elles offrent quelque danger au voyageur qui visite sans guide cette contrée. La commune de Bages avait tenté d’utiliser ces sources, en faisant construire à grands frais une fontaine ; mais, par l’effet de différentes causes, elle s’est tarie, et la commune était restée depuis long-temps privée d’eau potable.

« C’est dans ces circonstances que MM. Durand père et fils ont entrepris sur leur propriété de Bages, deux sondages, dont les journaux quotidiens ont fait connaître les heureux résultats. Ces deux puits fournissent maintenant à la commune toutes les eaux nécessaires à ses besoins, et lui permettent de pouvoir encore les faire servir aux irrigations.

« Le premier sondage n’a été poussé que jusqu’à 25 mètres 98 c. au-dessous du sol. Il a procuré une source jaillissante dont la température a offert, le 4 décembre 1833, 15° 80 centigrades, exactement celle des sources jaillissantes naturelles, pendant que la température de l’air à l’ombre marquait seulement 11°. Cette source fournit une eau limpide, bonne à boire, qui dissout bien le savon, et cuit parfaitement les légumes ; elle est assez abondante pour subvenir aux besoins du village. Après ce premier succès, M. Eugène Durand pensa qu’en poussant le sondage plus avant, on rencontrerait probablement des eaux plus abondantes et s’élevant avec une force ascensionnelle plus considérable : mais pour ne pas compromettre ce premier succès, il fit pratiquer un second trou de sonde à deux mètres seulement du premier, par lequel il rencontra, à 47 m. 10, un niveau d’eau très abondant, qui s’éleva avec une force si grande que les ouvriers en furent épouvantés. Depuis cette époque (28 août 1833) elle s’écoule avec la même abondance et la même rapidité, et sa force ascensionnelle est très grande ; on pense qu’elle pourrait s’élever à plus de 50 pieds ; jusqu’à présent elle s’est toujours élevée plus haut que les tuyaux qu’on a placés au-dessus de la colonne.

« Le diamètre du trou de sonde est de 0 m. 108 (4 pouces), et la colonne fournit 2,000 litres cubes d’eau par minute, ou 2,880 mètres cubes par jour. Aussi donne-t-elle lieu à un ruisseau assez considérable. La température de cette source, plus profonde que la première de 21 m. Il est aussi plus élevée ; elle est de 17° 10 centigrade ; l’eau en est claire et limpide ; mais lorsqu’on la boit au moment où elle sourde de terre, elle présente une légère fadeur qu’elle perd bientôt après par son exposition à l’air. L’analyse faite par M. Ballard de l’eau de ces sources, prouve qu’elles sont de la meilleure qualité.

« Les sondages de Bages et de là Rivesaltes ont été confiés à MM. Fabre et Joseph Espérïquette, serruriers de Perpignan. Ils étaient dirigés par M. Fraisse ainé, qui avait déjà obtenu une médaille d’encouragement pour un autre puits foré qu’il avait exécuté à Soulange, près de Perpignan. Le soin que M. Fraisse a mis à recueillir des échantillons des couches traversées par la sonde, a mis M. Marcel de Serres à même d’en déterminer la nature ; ils appartiennent aux terrains tertiaires et aux terrains de transition qui forment les montagnes qui entourent le bassin du Roussillon.

« Immédiatement au-dessous de la terre végétale, on a rencontré les couches suivantes, appartenant aux terrains tertiaires :

« 1° Calcaire marno-sableux, analogue au calcaire-moellon ;

« 2° Calcaire marneux, moins chargé de sable fluviatile que le précédent, mais comme lui, à pâte évidemment marine ;

« 3° Calcaire marneux, plus argileux et plus chargé de mica ;

« 4° Sables marno-calcaires, avec quantité de petits galets quarzeux ;

« 5° Marne argilo-calcaire, tenace, compacte ;

« 6° Argile un peu marneuse ;

« 7° Argile grisâtre, peu ou point effervescente, douce et grasse au toucher comme l’argile plastique ;

« 8° Argile marneuse grisâtre ;

« 9° Calcaire marneux jaunâtre ;

« 10°, 11° Marnes argilo-calcaires jaunâtres, avec paillettes de mica ;

« 12°, 13° Marnes argilo-sableuses, mêlées de beaucoup de sables de rivière et de cailloux roulés ;

« 14° Marne argilo-calcaire, jaunâtre, happant à la langue ;

« 15° Calcaire marneux jaunâtre, compacte ;

« 16° Argile jaunâtre, tendre, ductile, happante ;

« 17°, 18° Marnes argilo-sableuses, mélangées de petits galets de feldspath et de quartz ;

« 19° Argile bleuâtre, qui semble se rapprocher beaucoup des marnes bleues subapennines ;

« 20° Argile d’un gris noirâtre ;

« 21° Calcaire marneux et sableux ;

« 22° Argile sableuse, jaunâtre ;

« Les numéros 23, 24 et 25, de la coupe traversée paraîtraient se rapporter aux schistes argileux de transition.

M. Marcel de Serres donne ensuite quelques détails sur le puits qui a été creusé sur l’une des places de la ville de Rivesaltes, située à l’extrémité orientale de la plaine du Roussillon, sur la rive droite de l’Agly, et dont le succès a également été des plus satisfaisans. Il se trouve très rapproché de la grande source de Salces, qui n’est elle-même qu’un grand puits artésien naturel.

Les travaux commencèrent le 4 novembre 1833, et furent poussés avec une telle activité, que, le 27 du même mois, l’on atteignit, à 52 m. 30 de profondeur, une nappe d’eau qui jaillit avec impétuosité ; arrivée à cette profondeur, la sonde s’enfonça tout-à-coup de 6 à 7 pieds. La colonne d’eau s’est élevée à l’aide de tuyaux à 15 pieds au-dessus de son orifice à la surface du sol ; l’eau qui s’en écoule est parfaitement limpide et d’une excellente qualité ; la température est la même que celle du grand puits de Bages, 17° 10 ; la quantité qu’elle fournit n’a pas été calculée, on peut l’évaluer approximativement à 900 litres par minute, ou 1,296 mètres cubes par joui. La dépense n’a été que de 379 fr. 50 c. Le terrain traversé offre la plus grande analogie avec celui de Bages.

En résumé, dit M. Marcel de Serres, « les puits artésiens pratiqués dans la plaine du Roussillon semble nef prouver, comme je l’ai déjà dit ailleurs, que la masse de liquide fournie par les différentes nappes d’eau, comme leur force ascensionnelle et leur température, sont proportionnelles à leur profondeur ; c’est-à-dire que plus les réservoirs sont éloignés de la surface du sol, plus l’abondance et la force ascensionnelle des eaux fournis par ces réservoirs sont considérables, et plus aussi leur température est élevée. » L’auteur pense que les différentes nappes d’eau n’ont pas la même origine ; que, par exemple, celle de la partie supérieure de la plaine du Roussillon provient des infiltrations à travers le sol ; tandis que l’inférieure, et en général toutes celles qui fournissent une grande quantité d’eau, ne seraient autre chose que des couches qu’il appelle aquifères, « lesquelles devraient avoir leur place déterminée dans la série des roches qui composent la surface du globe ; ainsi l’abondance du liquide qu’elles présentent ne proviendrait pas, selon lui, d’infiltrations, mais serait le reste des eaux qui ont tenu en suspension et en dissolution les terrains de sédiment. Ces nappes sont donc intarissables, comme les sources dont elles proviennent. » Voir, pour plus de développemens des opinions de l’auteur, sa Notice sur les puits artésiens du Midi, insérée dans les Mémoires de la Société royale de Lille, pour 1829-1830.

Au sujet de ce Mémoire, M. Underwood fait connaître à la Société que M. Héricart de Thury a lu le même jour, à l’Institut, une note, que nous reproduisons ici, sur les résultats obtenus à Tours, par M. de Gouzée, ingénieur civil.

« Le nouveau puits pratiqué sous la direction de cet habile ingénieur donne 1,500,000 litres d’eau par vingt-quatre heures ; l’ascension de l’eau est de 27 mètres au-dessus du niveau de la Loire, et de 4 à 5 mètres au-dessus du niveau du sol. Il y a trois ans, la ville de Tours n’avait que des fontaines, qui souvent étaient à sec dans l’été ; maintenant ses quatre puits forés lui donnent un volume d’eau tel ; que chaque habitant en à 149 litres à dépenser par jour. La quantité d’eau fournie par les puits a été en augmentant dans un rapport très rapide, le premier ayant donné 50,000 litres d’eau par vingt-quatre heures, le second 75,000, le troisième 175,000, et le quatrième 1,500,000.

« La force d’ascension de l’eau dans le dernier puits est très considérable. On l’avait vu rejeter, dans les premiers jours, de nombreux fragmens de grès vert d’une forme cubique. Un boulet de quatre livres, qu’on voulut alors y faire descendre, fut rejeté avec force : il en fut de même pour des boulets de six et de huit livres ; enfin, un cylindre de fer-blanc, contenant vingt-deux boulets de huit, fut introduit et rejetés. »

M. Deshayes fait connaître à la Société que M. Hardie lui ayant fait voir les fossiles qu’il a recueillis dans l’Inde, à l’île de Java, dans un terrain tertiaire très moderne, il a reconnu que, parmi les vingt espèces environ qui lui ont été communiquées, dix sont rigoureusement déterminables, et ont certainement leurs analogues dans les mers de l’Inde. Elles sont dans un calcaire très compacte, où elles paraissent avoir été calcinées ; mais quelques moules sont assez bien conservés pour être déterminés. M. Deshayes pense que cette formation doit être rapportée à l’époque sicilienne ou subapennine.

M. Boué communique aussi, de la part de M. le docteur Hardie, qui a long-temps résidé aux Indes et a visité l’île de Java, la notice suivante, à l’appui des échantillons et des fossiles présentés par lui à la Société. (Voy. pl. 2, fig. 6.)

« L’île de Java n’offre que deux genres de terrains ; savoir, des dépôts volcaniques, et des dépôts tertiaires très récens. Le sol volcanique est formé presque entièrement de roches feldspathiques et de couches fragmentaires de même genre, qui se présentent, tantôt sous la forme de tufa, tantôt sous celle d’argile plus ou moins smectique. Ces argiles jouent surtout un grand rôle dans l’ile, et paraissent être le produit d’éruptions pulvérulentes ; ce sont encore elles qui forment en partie le sol le plus récent du district de Bantam, qu’on pourrait comparer aux dépôts d’alluvion dans d’autres contrées.

« En outre, l’île de Java contient un bon nombre d’anciennes solfatares et de volcans dont l’activité se décèle de temps à autre par de grandes éruptions de cendres, ou de matières pulvérulentes, qui, quelquefois mêlées avec de l’eau, forment de véritables coulées boueuses : ce sont les moya de l’île de Java.

« Une particularité remarquable de tous ces volcans anciens et modernes de Java, c’est l’absence totale de coulées pyroxéniques, ou basaltiques, le pyroxène n’existant que dans quelques masse ; trachytiques.

« Quant à ces dernières roches, elles offrent dans cette île toutes les variétés connues ailleurs, et sont tantôt micacées, tantôt amphiboliques ; les domites rosâtres ou grisâtres y sont fréquentes, et il y a aussi des phonolites.

« Les trachytes sont en coulées, en massifs, et assez souvent en dômes accumulés sur un point, ce qui donne à certaines parties de l’île un aspect mamelonné tout particulier.

« La roche est souvent à nu sans aucune terre végétale, et sans l’humidité de l’air, la végétation si belle des tropiques ne pourrait recouvrir ce sol desséché.

« Parmi les montagnes trachytiques visitées par M. le docteur Hardie, son attention a été surtout fixé par celle de Jasinga, située sur les bords du district de Bantam, à une vingtaine de milles au sud de Batavia ; elle à la forme d’un dôme bas et isolé, et porte en Malsy le nom de Guning-Kopak. Sa hauteur est entre 2 à 300 pieds.

Le trachyte qui la compose est gris, à structure lamellaire, passant à la structure schistoïde, et d’un aspect terreux. La pesanteur spécfique de la roche est de 2,472, et son analyse a donné 58,4 de silice, 16,4 d’alumine, 8,2 de protoxyde de fer, 6,16 de chaux, 0,9 de magnésie, 6 de potasse et de soude, et 3,45 d’eau.

« Cette roche paraît former le passage du trachyte à la phonolithe du district. À l’air, elle se couvre d’une croûté pulvérulente blanche, d’un toucher savonneux, et faisant pâte avec l’eau. Cette matière paraît surtout composée d’alumine, probablement mélangée de magnésie.

« Le monticule en question est parfaitement régulier ; ses flancs offrent une forte pente, et sont couverts d’arbres ; la végétation y est rare, et la cime en est presque entièrement privée. Aux deux tiers de sa hauteur, et sur le côté N.-E., il y a une crevasse ressemblant à l’entrée d’une retraite d’animaux carnassiers. Cette ouverture est à peine assez grande pour permettre qu’on y entre en se couchant ; mais la grandeur du canal augmente très promptement, et à la distance de quelques pieds depuis son ouverture, on se trouve dans une grande cavité voûtée, qui occupe entièrement le centre de la montagne.

« Cette caverne peut être considérée comme le segment d’un ellipsoïde ; le plafond et les côtés sont parfaitement unis et réguliers, et sont formés par des couches concentriques, semblables aux enveloppes d’un oignon.

« À l’extérieur, comme à l’intérieur, il n’y a pas la moindre trace d’un cratère ou d’une ouverture correspondant avec la sommité de la montagne, et aucune coulée de lave ne s’est échappée d’aucune partie de cette boursouflure naturelle.

« Le sol de cette caverne forme une pente assez forte, terminée par une mare d’eau. La partie à sec, ou la moitié environ du sol est formée par une argile plastique humide, onctueuse et si glissante, qu’on ne peut s’y tenir qu’avec difficulté. L’épaisseur de ce dépôt est inconnue.

« Le plus grand diamètre de la caverne du N.-E. au S.-O, est de 132 pieds, et le plus petit diamètre de 96 pieds ; la hauteur de la voûte au milieu, peut avoir 30 pieds, et la plus grande profondeur de l’eau de la mare 12 pieds. N’ayant pas les instrumens pour sonder la couche argileuse, la profondeur originaire de la cavité n’a pu être appréciée.

« Dans les environs de cette montagne et dans les plaines de Bantam, il y a plusieurs autres dômes surbaissés semblables ; ils sont tous isolés, dispersés sans régularité apparente, et jusqu’ici aucune de ces protubérances n’a été reconnue pour être creusé intérieurement, ce qui ne veut pas dire qu’elles ne le soient pas en partie, vu notre peu de connaissances géologiques sur cette île.

« Quant aux roches neptuniennes récentes, elles forment une espèce de ceinture tout autour de l’île, sont composées d’argile, de grès calcarifères et de calcaires, et alternent avec des argiles et des tufas volcaniques.

« Les argiles sont assez souvent foncées ou brunes ; les grès calcarifères sont pétris, çà et là, de grains verts ou de débris de roches feldspathiques verdâtres ou brunâtres, et les calcaires sont plus ou moins compactes, cristalline ou désagrégés ; toutes ces roches calcaires et ces argiles foncées sont coquillières ; maos les fossiles sont, à l’exception des Huîtres, des Vénus (Venus polestra), des Arches, des Peignes, des Bucardes, et de quelques autres bivalves ou univalves (Natica, etc.) dans un état de calcination qui empêche leur conservation.

« Les calcaires sont le plus souvent à polypiers, Astrées, Caryophyllées ; ils rappelleraient minéralogiquement les calcaires tertiaires du Vicentin, comme les grès calcaires particules volcaniques se rapprochent par la nature de la roche et le genre des fossiles, des molasses du Bellunois.

« Outre les coquilles citées, parmi lesquelles la Venus polastra est la plus commune, il y a des Pinnes, des Lucines, des Troques, des Cônes, des Pyrules, etc., des Crustacés ou Crabes ; enfin, il y a aussi des coquilles microscopiques voisines du genre des miliolithes, des rotalithes ; et M. Sowerby a cru y reconnaître des cypris.

« La succession des assises tertiaires dans la partie occidentale de l’île de Java, est à peu près la suivante de bas en haut :

« 1o Calcaire coquillier et argile pyrogène foncée, avec fossiles marins, et quelquefois des fragmens du calcaire précédent ;

« 2o Agglomérat trachytique ou tufa à gros blocs de trachyte ;

« 3o Argile savonneuse passant à la lithomarge, appelée dans le pays, Chardus, et formant un sol aride et non cultivable dans les plaines de Bantam ;

« 4o Argile volcanique, noire, plus légère, contenant des boules volcaniques, et acquérant quelquefois une puissance de 200 pieds. Elle forme les plaines fertiles de Batavia, et se prolonge jusqu’à recouvrir les argiles précédentes. Ces trois derniers dépôts sont sans fossiles marins : on a donc ainsi deux formations distinctes ; l’une sous-marine, l’autre produite sur un continent émergé par les éruptions pulvérulentes et boueuses des volcans.

« Dans le district de Chidoriam, près de Jasinga, il y a entre, deux rangées de collines de calcaire coquillier une petite crête courant du N.-E. à S.-O., ayant 2 à 3 milles de longueur, et dont la coupe transversale aurait la figure d’un toit, à cause des pentes douces des deux côtés. Cette crête se trouve composée de couches verticale son fort inclinées au N.-O., qui se succèdent de haut en bas de la manière suivante : agglomérat feldspathique fin, blanc ou rouge ; domite fine, réduite la une espèce de pâte argiloïde ; agglomérat feldspathique : les parties supérieures ont une tendance à se diviser en prismes. Un espace couvert d’alluvion sépare cette singulière arête du sol calcaire, dans lequel elle forme peut-être un filon, à moins qu’on ne puisse la supposer soulevée déjà toute formée à travers une crevasse du calcaire.

« Les échantillons de bois fossile siliceux de Java, qui ont été examinés par M. Nicol (voy. Bulletin, tom. IV, pag.) n’appartiennent pas aux dépôts tertiaires ; mais ils proviennent de grands blocs trouvés à la surface du sol et détachés des argiles savonneuses, qui forment la partie inférieure du sol du district de Bantam. Ces argiles ne contiennent point de restes marins. Les botanistes de Java prétendent que ces bois sont ceux du Colbertia obovata, et veulent y avoir vu des fougères et des feuilles d’arbre• existant encore dans le pays.

« L’île de Java contient enfin, près des sources minérales, des amas très considérables de tufa calcaire, ou travertin qui atteignent quelquefois 19 pieds de hauteur. »



  1. Quelques personnes se sont peut-être trop empressées de s’appuyer sur les faits signalés par les deux premiers de ces savans, pour combattre des théories volcaniques, auxquelles la chimie, autant que la grande masse de faits géologiques eux-mêmes, semblent devoir nous ramener ; j’ai lu avec assez d’attention les passages des auteurs chinois, rapportés par ces savans orientalistes, et j’avoue que jusqu’à ce que nous ayons obtenu une description mieux circonstanciés, je ne puis voir dans les phénomènes qui y sont signalés, que des pseudo-volcans et des feux perpétuels, analogues a ceux du Nymphæum, de Bakou, de l’Italie et de la Sicile.