Bulletin de la société des sciences historiques et naturelles de la Corse, fasc. 352-354, février 1913/BIOLOGIE


BIOLOGIE




La bibliothèque médicale de la Corse s’est enrichie récemment de trois études de grand intérêt, très documentées, pleines de renseignements et d’enseignements.

Ces études, de lecture attachante sont dues à M. Marcel Léger, médecin-major des Troupes Coloniales, à qui l’Insitut Pasteur a confié le soin d’apporter des notions précises sur l’intensité du Paludisme en Corse, sur sa répartition dans les diverses parties de la Côte Orientale et d’étudier les mesures pratiques qu’il conviendrait de prendre pour restreindre les ravages causes par la maladie.

I


LE PALUDISME EN CORSE. RECHERCHES MICROBIOLOGIQUES. ÉTUDES PROPHYLACTIQUES. — Léger (Marcel, médecin-major de 2e classe des Troupes Coloniales). — Publication de l’Institut Pasteur. Laval, L. Barnéoud et Cie, 1913 br. in-8°, 60 p., plan du domaine de Casabianca, tableaux ; h. t., carte de la région orientale de la Corse.

Introduction. — Première Partie : p. 7. Index endémique du paludisme. Essai de dénombre- ment des gîtes à anophélines. Bastia. Plaine orientale de Bastia au Golo. Plaine orientale du Golo à l’Alesani. Plaine orientale de l’Alesani à l’étang d’Urbino. Plaine orientale de l’étang d’Urbino au Travo. Plaine orientale de Travo à Bonifacio. Vallée du Golo. Région d’Ajaccio. Tableaux et conclusions. — Deuxième Partie : p. 36. De l’antipaludisme tel qu’il est pratiqué et tel qu’il devrait l’être. Diminution du réservoir de virus par la quininisation. Lutte contre les anophélines. Protection mécanique contre les Anophélines. — Troisième Partie : p. 49. Fonctionnement de champs de quininisation. Résultats obtenus. Quininisation préventive à Casabianda ; à Paludone ; à Marchigliani ; au Lago ; à Biguglia-village. — Conclusions, p. 57.

Le Paludisme avec ses modalités cliniques variées, fièvres continues ou rémittentes, fièvres intermittentes, accès pernicieux, domine la nosologie de la Corse.

La Côte orientale est malsaine sur toute son étendue de Bastia à Bonifacio ; la durée de la vie humaine est de 23 ans à Aleria.

Le pourcentage des individus trouvés parasités par l’hématozoaire du paludisme, ou index hématologique varie dans d’assez fortes proportions suivant la saison. Il subit une ascension marquée pendant les mois les plus chauds de l’année ; ainsi à Fort-Aleria, il passe de 15 en mai, à 53 en août. Le maximum d’intensité se révèle dans la région comprise entre Alistro et Aléria-gare, puis à Ghisonaccia ; l’intensité est moindre dans la région de Biguglia (index de 7 à 10). La poussée épidémique de l’été est d’ordinaire la règle en pays paludéen.

Le moyen communément employé en Corse pour lutter contre le Paludisme est l’exode annuel sur les hauteurs dès l’apparition des chaleurs. Mais les paysans n’échappent pas ainsi à l’infection palustre dont la période endémo-épidémique dure près de la moitié de l’année.

La Ligue Corse contre le Paludisme a porté la question de prophylaxie sur le terrain scientifique. L’emploi de quinine à titre préventif a été préconisé ; des installations de treillis métallique ont été aménagées aux portes et fenêtres de quelques maisons dans les localités insalubres. Ces efforts de la Ligue ont été couronnés de quelques succès ; le taux de la morbidité palustre a diminué dans certaines collectivités ; les accès pernicieux sont devenus plus rares. Mais la Corse paie encore un lourd tribut à l’endémie palustre. La quinine est généralement mal prise. Sans demander conseil au médecin, les fiévreux absorbent au moment de leurs accès des doses parfois excessives. L’accès enrayé, ils arrêtent toute médication ; la récidive se produit fatalement. La quininisation à titre préventif ne se pratique pour ainsi dire pas. Le plus grand nombre des treillis métalliques installés gratuitement par les soins de la Ligue sont dans un état lamentable. Enfin la lutte contre le Paludisme est d’autant moins facile en Corse qu’un certain nombre de médecins ne croient pas à la transmission par les anophélines ou ne font jouer à ces insectes qu’un rôle secondaire, le rôle principal revenant à l’eau de boisson.

Pour amener l’extinction du Paludisme dans une région donnée, il faut :

1° Diminuer de façon sensible par la quininisation le nombre des sujets dans le sang desquels les anophélines peuvent puiser les parasites.

2° Combattre les moustiques en livrant une lutte implacable à leurs larves.

3° Protéger contre les piqûres des anophélines et les malades et les

gens sains.

La quinine est le seul spécifique du Paludisme. La distribution quotidienne du médicament devrait être appliquée en Corse pendant la mauvaise saison dans les prisons, dans les écoles, dans les diverses administrations de l’État situées dans les régions paludéennes. La distribution doit être faite par un agent responsable dont la conscience doit être la qualité primordiale.

La lutte contre les anophélines adultes est pratiquement impossible ; c’est au stade aquatique qu’il faut détruire les anophélines.

La lutte doit être entreprise au moyen de grandes mesures antilarvaires relevant de l’art de l’ingénieur : 1° Régularisation du lit des cours d’eau dans la partie basse ; 2° Fixation des foci ou embouchures ; 3° Comblement, débroussaillement et égouttement des marais ; 4° Régularisation des cuvettes des étangs ; 5° Adduction d’eau potable.

Les étangs en communication avec la mer ne sont nullement dangereux, les larves d’Anophèles ne pouvant vivre dans l'eau salée.

L’adduction d’eau potable est une mesure d’hygiène générale ; mais elle offre aussi ses dangers. En pays paludéen, toutes les fontaines doivent être munies de fermetures automatiques permettant de puiser l’eau seulement au moment du besoin. L’écoulement du liquide doit être prévu, pour éviter les divagations à travers le maquis ou les champs et la création de nouveaux gîtes de larves d’Anophélines.

Les petites mesures antilarvaires doivent toujours accompagner les précédentes. Il faut supprimer toutes les collections d’eau stagnante au voisinage des localités palustres. La création d’une brigade de cantonniers antimoustiques rendrait les plus grands services. Ces agents fureteurs opéreraient autour des localités habitées, faisant disparaître par le balayage ou un coup de pioche donné à propos les petites flaques d’eau, répandant du pétrole sur les gîtes plus étendus, signalant la présence de ceux pour lesquels des travaux de quelque importance seraient nécessaires.

La protection contre les anophélines doit être mécanique. Elle a pour but d’empêcher les anophélines de puiser dans le sang des paludéens l’hématozaire spécifique et d’inoculer la maladie aux sujets sains. La moustiquaire de lit assure la protection individuelle. Les treillis métalliques forment une défense mécanique collective. En 1905, 28 maisons des communes de Ghisonaccia et d’Aleria ont été partiellement grillagées ; elles abritaient 151 personnes. Le nombre des cas de fièvre tomba chez ces habitants de 80 en 1904 à 18 en 1905. Mais cette prophylaxie mécanique, très efficace, exige une attention soutenue ; les treillis endommagés ou déchirés n’assurent aucune protection.

L’antipaludisme en Corse doit :

1° Entreprendre dans les écoles une énergique campagne de vulgarisation par des planches murales, des Projections, des conférences.

2° Réglementer la vente de la quinine par des textes analogues à ceux en vigueur en Algérie depuis le 1er Janvier 1910. Mettre entre les mains des médecins de l’Assistance le médicament spécifique directement, en quantité suffisante, et sous une forme facile à prendre.

3° Faire des distributions régulières de quinine à titre préventif dans les écoles, les prisons, les services de l’État installés dans des localités palustres.

La prophylaxie médicamenteuse, l’absorption de quinine préventive permet aux travailleurs de passer la saison dangereuse sans émigrer et en échappant aux atteintes du mal. Il suffit de s’astreindre à l’absorption régulière de doses faibles de sels de quinine. Les résultats obtenus dans les champs de quininisation préventive ont été excellents, notamment à Biguglia-village.

Il est hors de conteste que le peu d’essor économique de la Corse est dû en grande partie au Paludisme, qui ne permet par exemple de cultiver que 20.000 des 200.000 hectares de terrains de la Plaine Orientale. Dès 1848, Blanqui a poussé le cri d’alarme : « L’assainissement est une question de vie ou de mort pour le pays ».

La lutte contre le Paludisme repose actuellement sur des données scientifiques bien établies, et le moment est propice pour entreprendre en Corse une prophylaxie raisonnée, puisque l’État a décidé d’apporter généreusement une aide pécuniaire importante au Département et que d’importants travaux vont être commencés pour assainir la Côte Orientale.

On n’aura garde d’oublier que la prophylaxie du Paludisme est particulièrement difficile. La maladie est déconcertante par ses formes larvées passant aisément inaperçues, et ses récidives parfois à échéances très longues.

L’antipaludisme ne peut donc être qu’une œuvre de longue durée, nécessitant des efforts persévérants, des dépenses assez fortes et une surveillance technique méticuleuse.

Mais les difficultés de la lutte ne doivent pas rebuter les bonnes volontés car il s’agit d’une question primordiale pour la Corse. Nos compatriotes doivent avoir tous à cœur, suivant l’expression de P. Zucarelli, de faire de « l’Île de Beauté » une « Île de Santé ».

II


FOYER DE MELITOCOCCIE EN CORSE

Léger (Marcel) et Dominici-Urbani (Ch.). — Bull. Soc. Pathol. exot., Paris, 9 Octobre 1912, T. V., N° 8, p. 657-667.

Une épidémie de Fièvre de Malte sévit depuis une dizaine de mois dans les cantons du N. de la Corse. La maladie qui a été précédée et est accompagnée d’une épizootie sur les chèvres, a entraîné une morbidité relativement élevée et causé quelques décès.

La région infestée, à l’extrémité septentrionale du Cap-Corse, est une des parties les plus riches de toute l’Île, grâce la variété de ses cultures et à l’industrie de ses habitants. Elle exporte en particulier à Bastia, du lait, du fromage frais et du broccio à la réputation méritée.

Il est dangereux de consommer le lait de chèvre cru. Les fromages de chèvres ou de brebis peuvent aussi transmettre le germe de la maladie. À notre avis, le bruccio peut également être dangereux. Certes il est fabriqué avec du lait de chèvre que l’on fait bouillir à petit feu, après l’avoir additionné d’une certaine quantité de petit lait et d’eau. Mais lorsqu’il n’est pas consommé de suite, il tend à se dessécher, et pour le rendre plus moelleux, les marchands ajoutent, au moment de la vente, une nouvelle quantité de lait, cette fois cru. D’ailleurs, le bruccio peut être souillé par les germes pathogènes dans les manipulations après la cuisson. Les bergers, qui fabriquent eux-mêmes ce produit, négligent le plus souvent de se laver les mains après avoir effectué la traite de leurs animaux.

Dans la presque totalité des cas de Fièvre de Malte observés au Cap Corse, la contamination par les chèvres infectées est absolument certaine. Mais le contage direct, pendant la traite, au niveau d’éraillures des mains a été plus fréquent que l’infection par ingestion de produits alimentaires contenant le microcoque pathogène. Un autre mode de transmission paraît être le transport à la bouche du germe infectieux par les sujets négligeant absolument de se laver les mains après avoir trait leurs chèvres.

L’importance de ce foyer de Fièvre de Malte mérite qu’on y prête attention. Des mesures sévères devront être prises pour enrayer la propagation de la maladie.

III


FIÈVRE DE PAPPATACI EN CORSE

Léger (Marcel) et Séguinaud (J.). — Bull. Soc. Pathol. exot., Paris, 13 Nov. 1912, T. V. n° 9, p. 710-713.

La Fièvre de pappataci, état fébrile éphémère, à virus transmissible par le Phlebotomus pappatasii et qui sévit en Dalmatie, en Herzégovine, en Crête, à Malte, en Calabre, à Messine et à Parme, vient d’être caractérisée en Corse.

Tous les ans, durant les mois chauds, sévissent à Bastia de véritables épidémies de fièvres de courte durée, étiquetées paludisme ou courbature fébrile. Ces fièvres, d’après les croyances locales, se contractent tout particulièrement à Toga. Elles sont toujours d’un pronostic bénin quoiqu’elles puissent entraîner après elles une grande lassitude et une forte dépression intellectuelle. La quinine paraît n’avoir aucune action sur l’évolution ou la durée de cette fièvre éphémère qui disparaît au bout de 4 à 7 jours.

Le Phlebotomus pappatasii, est un petit diptère facilement reconnaissable au revêtement dense de poils recouvrant le corps et les ailes et qui lui donne l’aspect d’un petit papillon de nuit. Il doit être incriminé[1] comme agent de transmission de la « Fièvre de Toga » qui n’est autre que la Fièvre de pappataci.

J. Mansion.
  1. Pendant l’automne de 1912, je n’ai pas pu trouver les Phlébotomes adultes ; mais j’ai observé, le 1er Juin 1913, dans ma propriété située sur les premières collines qui dominent la plage de Toga, une éclosion très importante. Ces Phlébotomes ne paraissent pas devoir être rapportées à l’espèce « pappatasii ». Une étude de ces diptères sera publiée prochainement. — J. M.