Anonyme
Bulletin bibliographique, 1849
Revue des Deux Mondes, Nouvelle périodetome 4 (p. 1123-1126).
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BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.

Les Ducs de Bourgogne, Études sur les lettres, les arts et l’industrie, pendant le quinzième siècle, par M. Léon de Laborde[1]. — L’historien des ducs de Bourgogne, M. de Barante, nous a sans nul doute présente le tableau le plus fidèle des mœurs publiques et des habitudes privées des peuples de l’Europe centrale du XIVe au XVIe siècle, Tout étendu que soit son livre, tout complet qu’il paraisse, il présente cependant quelques lacunes. Les grandes fêtes populaires, les cérémonies publiques, les entrevues des souverains et des princes, leurs noces, leurs funérailles, les ambassades, les tournois et pas d’armes, y sont décrits avec une laborieuse et attrayante minutie. Comment se fait-il donc que tout un côté de ces cérémonies ait été laissé de côté, et que l’art qui présidait à ces pompes, et qui sous ces princes intelligens et magnifiques, avait élu domicile non-seulement dans l’atelier des peintres, des verriers et des imagiers, mais aussi dans la boutique de l’orfèvre et du ciseleur et près du métier du brodeur et des tapissiers, comment se fait-il que l’art, particulièrement en ce qui touche à son histoire intime, ait été complètement mis en oubli ? L’historien nous apprendra, par exemple, que, lors des conférences de Lelinghen entre les ducs de Bourgogne et de Lancastre le premier fit au duc anglais de magnifiques présens, consistant surtout en beaux tapis de Flandre, comme on en faisait alors seulement dans les états du duc. Ces tapis représentaient, pour la plupart, des histoires de la Bible à grands personnages ; d’autres figuraient le roi Clovis ou Charlemagne avec les douze pairs de France. Il y en avait deux dont l’un offrait l’image des sept Vertus avec les sept rois ou empereurs vertueux, l’autre les sept Vices, avec les rois et empereurs qui s’en étaient souillés. Tous ces ouvrages étaient rehaussés de bel or de chiffre. Une autre fois, M. de Barante nous racontera que, pour l’anniversaire que le duc Jean-sans-Peur célébra à Paris de sa victoire sur les Liégeois, il commanda à Arras cinq grandes tapisseries rehaussées d’or et d’argent représentant les principaux événemens de cette guerre, si glorieuse pour lui. Nous apprenons par là qu’il y avait dans les Flandres des tapisseries historiques, analogues de nos peintures historiques ; mais des artistes qui exécutaient ces beaux ouvrages, du caractère de leurs compositions et des procédés d’exécution, pas un mot. — Quand le boucher Legoix, en 1411, fait une sortie de Paris et va brûler le magnifique château de Bicêtre, que le duc de Berry avait passé sa vie à embellir, l’historien nous apprend que rien n’était plus magnifique que cette demeure, surtout pour les peintures. On admirait particulièrement le portrait du pape Clément, de plusieurs empereurs d’Orient et d’Occident, de beaucoup de rois et de princes français. Les plus habiles peintres du temps disaient qu’on n’en pourrait trouver de pareils ni mieux faits. Quels étaient donc ces artistes auteurs de ces belles peintures ? quels étaient leurs appréciateurs enthousiastes ? M. de Barante ne nous fait pas connaître le nom d’un seul d’entre eux, et ne hasarde même pas une seule conjecture à leur égard.

Ce sont ces oublis qu’un de nos plus ingénieux archéologues M. Léon de Laborde, s’est proposé de réparer, ce sont ces lacunes qu’il tente de combler. Sous le titre modeste d’Études sur les lettres, les arts et l’industrie, pendant le quinzième siècle, il n’entreprend rien moins « qu’une histoire des arts au moyen-âge dans les pays situées au nord de l’Italie, histoire négligée par les contemporains, et qu’il appartenait à notre époque d’écrire. » M. de Laborde partage l’opinion d’Émeric David sur l’espèce de filiation non interrompue de l’art depuis les Grecs jusqu’à nos jours. Aux époques où on nie l’existence de l’art parce que, dit-il, on ne trouve pas son histoire toute faite et tout imprimée, l’art n’en a pas moins occupé une place importante dans les goûts et les habitudes des hommes ; « mais, ajoute M. de Laborde, sa trace ne se retrouve plus que sous la poussière des archives et dans les collections éparses. La recherche des documens inédits, l’étude critique des monumens originaux, telle est donc la base d’une histoire vraie des arts en Europe, et particulièrement en France pour l’époque qui précéda, qui prépara ce qu’on est convenu d’appeler la renaissance au XVIe siècle. »

Ces élémens d’une histoire vraie des arts au moyen-âge, M. de Laborde les a cherchés, et retrouvés en partie, dans les archives des ducs de Bourgogne. Les inventaires, si fréquemment renouvelés dans ces époques de troubles incessans ; les correspondances ; d’autant plus actives qu’elles étaient le seul remède de publicité aux XIIIe, XIVe et XVe siècles, lorsque la presse n’existait pas encore ; les comptes, cette source d’informations authentiques et incontestées, toutes ces diverses séries de documens compulsées par lui avec un zèle et une patience qu’on ne saurait trop louer, lui fournissent une multitude de renseignemens précieux et jusqu’alors inédits. Nous avons surtout remarqué un passage relatif à Jehan Van-Eick, — l’éminent promoteur de l’école naturaliste des Flandres, qui n’inventa pas la peinture à l’huile, comme on l’a prétendu, mais qui en simplifia et en popularisa l’emploi. Chacun des paragraphes de ce passage est justifié par quelque article, souvent fort détaillé, parfois même motivé, des comptes tenus par Guy Guillaut, Gautier Poulain, Jehan Abonnel, Guillaume Pouppet ou autres, trésoriers où receveurs des finances des ducs de Bourgogne, et qui sont déposés aux archives de Lille. Il est impossible de restituer d’une façon plus authentique les points ignorés ou douteux de la vie du peintre fameux du rétable de Saint-Bavon, et de mieux faire comprendre combien la protection que ces redoutables ducs de Bourgogne accordaient à leur peintre favori était à la fois généreuse et délicate.

C’est donc avec raison que M. de Laborde attribue à la protection souvent intelligente de ces princes fastueux, et à l’impulsion donnée par eux dans le XIVe siècle et continuée dans tout le cours du XVe, plutôt qu’aux influences locales du sol, de la race et du climat, le développement d’un art original dans, les Flandres. M. de Laborde, a fort heureusement caractérisé cette originalité qui procède, avant tout, de l’imitation de la nature, en disant de l’art flamand qu’il n’est qu’un portrait, mais, après nous avoir révélé ses origines, n’exagère--t-il pas quelque peu son importance, et ne se montre-t-il pas disposé à étendre la portée de son influence ? Cette manifestation de l’art flamand, qu’il appelle la renaissance du XVe siècle, se répandit tout d’abord dans toute l’Europe occidentale ; elle envahit même l’Espagne, où elle imprima sur plus d’une œuvre son caractère d’individualité, et gagna bientôt l’Italie, qui lui emprunta des procédés ; mais bientôt, énergiquement refoulé par l’irrésistible mouvement de la grande renaissance du XVIe siècle, l’art flamant-bourguignon dut céder le terrain à un art bien autrement élevé, élevé de toute la supériorité de l’intelligence sur la matière. Il rentra chez soi et se cantonna dans ses limites naturelles, c’est-à-dire dans les provinces comprises entre le Rhin inférieur, l’Yssel, la Scarpe et l’Océan. La même il eut à soutenir une lutte sérieuse contre l’invasion ultramontaine, qui l’y poursuivit, et dont il ne put triompher sans faire bien des concessions et des sacrifices.

Nous ne pouvons, on le voit, entièrement partager l’opinion de M. Léon de Laborde en ce qui touche l’importance de l’art flamand, mais nous devons reconnaître l’intérêt et la nouveauté des recherches destinées à soutenir sa thèse. Le volume qu’il publie aujourd’hui renferme une masse singulièrement compacte de documens originaux, tous relatifs aux arts, aux lettres et à l’industrie, et qu’il a extrait des archives de plus de vingt villes des Flandres ou dépendantes de l’ancien duché de Bourgogne. Ces documens sont choisis et classés avec une intelligence qui n’appartient qu’à l’homme qui sait, et, par cela seule qu’ils existent et qu’ils sont réunis, ils prennent un grand intérêt. L’introduction qui précède ces extraits, les notes qui les accompagnent, les tables chronologiques, méthodiques et alphabétiques, qui les expliquent, jettent les plus vives lumières sur cette époque de l’art, jusqu’à ce jour si pleine de ténèbres, dont M. de Laborde doit nous présenter le tableau, et nous font augurer favorablement du résultat de sa vaste entreprise.



Le Buffon de la jeunesse, zoologie, botanique, minéralogie, par P. Banchard, revu, corrigé et augmenté par M. Chenu[2]. — Il ne faudrait point juger cette publication par son titre, beaucoup trop modeste. C’est l’œuvre d’un homme réfléchi, positif, et pour s’adresser surtout à la jeunesse, le Buffon de Pierre Blanchard n’en mérite pas moins l’attention des lecteurs d’un autre âge. M. Blanchard était un débris de ce XVIIIe siècle qui ramena l’esprit humain l’étude des phénomènes de la nature, et s’illustra par tant ’et de si mémorables découvertes. Il savait beaucoup de choses, et il les a consignées dans ses livres avec une bonhomie confiante, qui n’est pas sans charme. Le Buffon de P. Blanchard a été revu par M. le docteur Chenu, qui s’est fait connaître par d’importans travaux sur l’histoire naturelle Le texte original a été soumis à un scrupuleux examen ; on a tenu compte des faits récemment acquis à la science ; on a redressé les assertions erronées, éclairci les explications embarrassées, beaucoup ajouté aux renseignemens incomplets. Une classification méthodique des corps organisés et inorganisés couronne toutes les modifications heureusement introduites dans l’œuvre primitive de P. Blanchard. Au reste, ceux qui ont lu les Leçons élémentaires d’histoire naturelle adressées à M. François Delessert par M. le docteur Chenu savent assez tout ce que le Buffon de la Jeunesse a pu gagné entre ses mains de valeur scientifique. Un traité de zoologie, de botanique et de minéralogie à l’usage des gens du monde, un livre où la science se fait claire et attrayante, sans concession à des goûts puérils ou frivoles, nous paraît convenir de tout point au temps présent. N’est-il pas opportun de rappeler quelle action bienfaisante peut exercer l’étude de la nature, quelles douces émotions, quels utiles enseignemens on peut y puiser ? C’est cet intérêt moral de l’étude des sciences naturelles que le Buffon de Pierre Blanchard met heureusement en relif. On n’a reculé toutefois ni devant les descriptions, ni devant les détails techniques, mais on a su éviter la sécheresse trop ordinaire dans les livres de ses explications et les richesses de sa terminologie. Il y a cette juste mesure qui satisfait à l’exactitude, et ne tombe pas dans l’inconvénient d’une nomenclature rebutante. En un mot, ce livre suffira aux hommes qui ne sont pas exclusivement voués à l’étude des sciences naturelles ; ils y trouveront assez de notions pour l’ornement de leur esprit en cette matière spéciale, assez de motifs de réflexions sur les merveilles de l’univers, assez de détails enfin pour en retirer plaisir et profit dans une foule de circonstances ; car les élémens de l’histoire naturelle se rencontrent partout et à chaque pas, et il n’y a ni promenade, ni voyage qui ne puisse offrir de l’intérêt et du charme à quiconque aura lu un peu attentivement le Buffon de la Jeunesse.




V. de Mars.
  1. Un volume in-8o, chez Crapelet. Paris, 1849.
  2. Un beau volume grand in-8, illustré de 100 planches. Paris, 1849, Belin-Leprieur et Morizo, libraires-éditeurs, 5, rue Pavée-Saint-André-des-Arts.