Collection des Orties blanches (Jean Fort) (p. 269-275).

LETTRE II

Une lettre de dame. Nous en supprimons le commencement, malgré le grand intérêt qu’il présente ; mais certains passages ne peuvent être reproduits intégralement. De même que les appréciations concernant nos livres, appréciations qui ne font qu’en répéter d’autres, déjà publiées partiellement en leurs temps et émanant de non moins aimables correspondants.

Les passages que nous donnons n’ont été modifiés en rien. Nous ne nous serions pas pardonné d’en altérer la haute saveur par la moindre adjonction, ne fût-ce que d’un mot.

Tous nos remerciements et combien sincères, ainsi que nos chauds compliments à Madame Myriam.

… J’ai fouetté beaucoup de jeunes filles et de jeunes dames. Vous avez vu que je n’ai pas peur des mots, moi non plus et que je ne recule pas devant la franchise d’aveux que beaucoup de femmes n’osent faire.

Je déclare qu’elles ont tort ; notre époque s’est à bon droit affranchie de pudibonderies surannées. Pour moi, je n’hésite pas à déclarer mes goûts, mes préférences et, en toute conscience, je ne crois pas être à blâmer. Les hypocrites sont, seuls, haïssables, quel que soit leur sexe. S’il faut vous dire toute ma pensée, cher Monsieur, je crois que c’est chez vous, les hommes, qu’on en trouve le plus. Je suis heureuse de voir que mes congénères s’émancipent de plus en plus et s’arrachent à la séculaire tutelle qui les a opprimées jusqu’ici. La jupe courte, les cheveux courts sont deux signes, n’en doutez pas, qui marquent le réveil de la femme. Enfin, consciente de ses droits, elle va se faire, au soleil, la place à laquelle elle a droit et dont elle a été écartée si longtemps, on se demande pourquoi.

Mais ne croyez pas que les rapports entre les deux sexes seront moins aisés, moins agréables. Au contraire, ils n’en seront que meilleurs et plus faciles, du fait de cette égalité réalisée.

Mais, laissons cela. Si je me suis laissée aller à sortir un peu de notre sujet, c’est que je sens en vous une telle sympathie et si profonde pour notre sexe, en même temps qu’une compréhension bien rare de ce qui nous est propre et en quelque sorte constitutionnel, que je me suis étendue sans y songer un peu plus que je n’en devais espérer la permission de votre bienveillante patience. La faute vous incombe un peu, permettez-moi de le dire. Vous engagez de façon si pressante et si aimable vos lectrices à vous écrire franchement, que j’ai saisi par les cheveux cette occasion de vous faire part de mes appréciations sur votre œuvre, à laquelle je m’intéresse depuis votre premier ouvrage.

Voici donc quelques notes de voyage. Vous le savez, j’ai pas mal couru le monde. A beau mentir qui vient de loin, dit un proverbe. Je crois, Monsieur, ne pas avoir besoin de vous garantir la parfaite véracité de ces communications, qui en elles-mêmes ne présentent rien d’extraordinaire, car à Paris même et dans toutes les grandes villes de France ou de l’étranger, on en peut voir tout autant.

C’est à Alexandrie que le fait se passe. Avec une excellente amie, nous sommes allées dans une maison discrète, comme ici il en est beaucoup. Là, on trouve ce que les touristes sont invités à venir contempler. D’abord, les ébats d’un homme du pays, bien choisi pour son physique avec une femme non moins belle. Tandis que le gaillard s’évertue, la femme qui reste impassible, (car ici une femme ne doit manifester aucune émotion) tend la main à l’assistance en répétant ce seul mot : « batchich », qui veut dire : pourboire.

Ensuite, on peut voir un joli adolescent, aux yeux d’almée aux prises avec un homme fait… Passons, quoique le spectacle en vaille la peine.

Puis, une femme avec un âne… Passons encore, voulez-vous ? Ce n’est pas pour vous conter ce à quoi tout le monde averti s’attend, en Égypte, que je vous écris ; non, c’est pour vous apporter ma modeste contribution à la monographie de la flagellation que vous avez entreprise en l’étudiant dans divers pays.

Or, voici ce qu’à ce sujet j’ai vu en Égypte :

Dans une maison analogue à celle dont je viens de vous parler, c’est encore avec mon amie que je suis. On nous a dit que, dans celle-là nous verrions des fessées et c’est pour cela que nous y avons couru.

Que voyons-nous d’abord ? Un monsieur d’âge moyen, un Européen, qui a demandé comme compagnon d’une heure un joli éphèbe du pays. On le lui a habillé en femme sur sa demande. Le jeune homme est tellement joli que tout d’abord nous l’avons pris pour une jeune fille de dix-huit ans. Son visage est de merveilleuse beauté et fardé dans la perfection. Les yeux ont un éclat qu’envieraient des femmes réputées à Paris pour ce charme tant apprécié.

Le monsieur l’a pris sur ses genoux. Le voilà qui le fouette…

Que n’ai-je pas votre talent de conteur ? La fessée est admirable à voir, tant les contorsions de la pseudo jolie fille sont expressives.

Dans l’assistance, outre nous deux, mon amie et moi, il y a un jeune couple d’amoureux, homme et femme deux jeunes mariés peut-être, des Italiens, je crois : il y a aussi deux dames venues ensemble, l’une est Anglaise, l’autre Russe.

Le spectacle inviteur inspire l’Anglaise : elle dispose sur ses genoux sa jolie Russe et la fesse. Elle est entraînée, la Russe et cela se voit. Son endurance n’a d’égale que l’ardeur de sa mimique mouvementée. Le jeune marié et sa gracieuse femme semblent se plaire à les regarder et la contagion les gagne. Voici sa tendre épouse en posture, la voici déculottée, elle est charmante ainsi…

Alors, moi aussi, je ne veux pas rester oisive… Qu’auriez-vous fait à ma place, je vous le demande, surtout étant accompagné ainsi que je l’étais, d’une chère amie dotée de belles fesses adorant être bien claquées ?

Les quatre fessées retentissent à la fois, c’est très amusant, vous n’en doutez pas. Mais si c’est fort bruyant c’est là une bien belle symphonie, délicieuse pour des oreilles de flagellantes.

Mais, on n’est pas pressé. On se repose et l’on cause. Et quand la fessée est reprise, on a fait comme au bal où l’on change de danseuse. On ne danse pas toujours avec la même, sans doute. Ce serait, non pas fastidieux, mais simplement de mauvais ton.

On change donc. Je fesse tour à tour la jeune mariée, le bel Égyptien, la jolie Russe. Celle-là, je me la réservais pour le bouquet. Quelles fesses, Monsieur Jacques d’Icy ! que votre Paulette s’affolerait de leur dureté, de leur bonheur à se trémousser !…

Mais j’abrège. On s’amuse tant qu’on convient de recommencer le lendemain… Et ce lendemain a surpassé la veille. Je renonce à vous en donner, même un simple aperçu. Tous et toutes, nous avons goûté et regoûté à la divine fessée, sans nous en rassasier.

N’avons-nous pas eu raison. Dites, cher Monsieur, nous ne faisons de mal à personne ?

On m’a raconté qu’à Paris on réalisait de telles scènes, et même de bien pires, dans le secret de la nuit estivale et en plein air, en certaines promenades parisiennes…

Est-ce vrai ? Que ne dit-on pas des nuits de certains squares, des nuits du Bois de Boulogne ? des nuits du bois de Vincennes ?

Je crois tout cela fort possible. Mais, tout le monde n’aimerait pas s’y risquer. Je préfère, en ce qui me concerne, la sécurité d’un entresol discret. Lorsqu’on voyage beaucoup comme moi, c’est dans ces endroits sûrs que l’on va. On n’a pas toujours le temps, ni la possibilité de se créer des amitiés avec les gens que l’on coudoie et l’on recourt aux professionnelles, chez qui, d’ailleurs, l’on rencontre d’aimables visiteuses, des curieuses en quête d’imprévu pimenté.

C’est ce que je fais ; car, étant toujours en camp volant je ne puis faire autrement, la plupart du temps. Ce qui me m’empêche pas de regretter de ne pas connaître les flagellantes qui ont signé quelques lettres que j’ai lues, longtemps après. Quel dommage de ne pas m’être trouvée là, quand Georgette V. V. clamait sa détresse ? En voilà une que j’aimerais approcher ! Avec quel empressement lui viendrais-je en aide ! avec quel zèle la tirerais-je de sa langueur ! Quelles fessées, telles qu’elle en réclame, saurais-je lui administrer, à cette sympathique créature d’élite dont je comprends trop le tourment pour n’y vouloir compatir !

J’en ai rencontré déjà de semblables, grâce au ciel, et elles se sont louées de mes efforts, je m’en vante. Que de fois, écoutant les doléances d’une jeune femme, que je tenais dans mes bras, lui ai-je dit, entre deux baisers, que je savais bien ce qui lui manquait, ce dont elle avait un criant besoin ! et l’ai-je invitée à venir me voir ! Seule à seule, je la sauverais, je lui rendrais la sérénité…

Quand elle venait, il ne se passait pas un long temps avant que j’eusse fait le nécessaire, selon le rite que vos héroïnes, pour la plupart, connaissent si bien…

Elle me remerciait ensuite. En effet, cher Monsieur, partageant nos idées sur le rôle de la fessée, j’ai fait quelques prosélytes et, grâce à moi, et j’en suis fière, il s’en administre, en ce moment, sous la calotte des cieux un certain nombre dont je suis l’instigatrice.

C’est ce dont, je le répète encore, j’ai raison de me vanter. Car, s’il est un cas où l’on ait le droit de s’enorgueillir, c’est bien d’avoir inculqué à des amies le goût d’une bonne chose et de leur avoir montré la manière de s’en servir. Des prosélytes, je certifie avoir, pour ma part, fait une vingtaine. J’entends, par là, vingt flagellantes réellement pratiquantes, convaincues, zélées. Je passe sous silence un nombre qu’il m’est vraiment impossible d’évaluer et qui doit s’élever au triple, peut-être, de simples « amateuses » qui ont pris, certes, du plaisir à être fessées par moi, mais que je ne pense pas être devenues, à leur tour, des initiatrices, des propagandistes.

Tandis que les vingt dont je parle, les vingt enthousiastes et ferventes, c’est dans ma profession que je les ai choisies. Comme j’ai occasion de les rencontrer souvent, je suis renseignée par elles-mêmes. Le bon grain que j’ai semé — dans un bon terrain, choisi par moi — a levé et, chaque année, j’apprends que la récolte est bonne, qu’elle est meilleure même, chaque fois. Les vingt missionnaires répandent avec fruit la bonne parole, le bon exemple, le tout puissant exemple.

N’ai-je pas le droit de m’en applaudir, dites-moi, cher Monsieur ? Dites-moi aussi comment je m’en applaudirais mieux, sinon par des claques crépitant sur des rondeurs fermes comme celles que vous nous décrivez.

signé : Myriam.