Brèves apologies de nos auteurs féminins/Mme Gérin-Lajoie

Mme  MARIE GÉRIN-LAJOIE



Évoquer ce nom, n’est-ce pas se souvenir de toute une longue série d’efforts, de dévouements, de sacrifices au bénéfice des classes féminines ? N’est-ce pas se convaincre de tout ce que peut faire une femme de bien pour le bonheur et l’avancement de son sexe ?

Personne, en effet, plus que Madame Gérin-Lajoie n’a apporté aux intérêts de la femme un concours aussi actif, aussi persévérant et aussi efficace. Il y a déjà plus de 25 ans qu’elle s’intéresse à cette cause, autant par l’action que par la parole et la plume, et l’on peut dire que dès le début de son utile et féconde carrière, l’idéal de sa vie fut le perfectionnement, le bien-être et le progrès de la femme spécialement occupée dans les entreprises commerciales et industrielles.

La Providence l’avait destinée à cette bienfaisante mission, en lui donnant des aptitudes peu communes chez les personnes de son sexe pour les sciences légales, économiques et sociales et un ardent désir d’être utile à celles qui peinent et ont besoin du secours et des sympathies de leurs congénères plus favorisées par le sort dans le monde. Au sortir du couvent elle se livre par un entraînement naturel à ces études, et acquiert en quelques années les connaissances requises pour commencer son apostolat.

Mme  Gérin-Lajoie se distingua d’abord par ses articles sociologiques publiés dans la revue de Mme  Dandurand le Coin du Feu, de 1893 à 1897, et elle en reçut de ses sœurs écrivains, Françoise et Madeleine, des compliments bien mérités.

« On a plaisir, écrivait Françoise dans le livre : Les femmes du Canada, qui fut distribué à l’Exposition Universelle de Paris, en 1900, à relever des qualités sérieuses et solides qui s’exercent avec une grande aisance dans des problèmes qui n’ont pas l’habitude de solliciter l’attention des femmes. »

« Tous ses écrits, écrivait à son tour Madeleine, dans la Patrie du 23 juin 1901, font preuve d’un jugement peu ordinaire et d’une étude approfondie de la question traitée d’ailleurs en un français très élégant et très soigné. »

On était alors à une époque où le travail de la femme commençait à être sollicité de plus en plus dans les administrations publiques et dans les entreprises commerciales et industrielles. L’occasion était bonne pour Mme  Gérin-Lajoie d’être utile à ces employées en mettant à leur portée ses connaissances de droit usuel. Elle en profita et publia en 1902 son Traité de droit usuel, ouvrage rempli de renseignements pratiques et qui serait un honneur même pour un disciple de Thémis. Elle organisa aussi en 1904 des conférences sur le même sujet, qui furent données et le sont encore à Montréal par elle et par des membres de la profession légale à l’Université Laval, à l’École d’enseignement ménager, à l’École Normale, et à l’École d’enseignement supérieur.

À ces employées de diverses catégories, il manquait un centre de ralliement, qui fut en même temps une école professionnelle où elles pourraient s’instruire de leurs devoirs et de leurs responsabilités. Mme  Gérin-Lajoie s’employa à le leur procurer en fondant à Montréal quatre associations : celles des employées de bureaux, de magasins, de manufactures et des femmes d’affaires.

Convaincue aussi de la nécessité de les grouper ensemble dans le but de les stimuler et de provoquer entre elles une forte émulation, elle constitua en 1905 la Fédération Nationale St-Jean-Baptiste.

Ce qu’il lui a fallu d’efforts et de sacrifices pour mettre en activité toutes ces organisations et pour las maintenir dans la voie du progrès, seules celles qui en ont été les témoins pourraient le dire. Elles sont nombreuses, car depuis leur fondation elle a su intéresser en leur faveur un groupe de femmes d’élite capables de l’aider dans sa tâche. Avec leur généreux concours, et dans le but de donner une vigoureuse impulsion à la Fédération Nationale St-Jean-Baptiste, elle organisa le premier Congrès féminin. Ce congrès fut tenu à Montréal, en mai 1907, et obtint un grand succès. Toutes les questions d’intérêt féminin y furent discutées, et les diverses associations féminines y reçurent une direction hautement inspirée et éminemment salutaire. Mme  Gérin-Lajoie y prit une part active, et dans une allocution démontra si bien l’importance de la fédération que son existence fut désormais assurée. Les associations qui la composent n’ont cessé de montrer une vitalité croissante, et le nombre des employées qui en ont bénéficié jusqu’à nos jours est considérable.

Dans ces associations Mme  Gérin-Lajoie s’est fait souvent entendre, et elle y a énoncé ses idées sur le vote des femmes locataires et communes en bien, sur l’admission des femmes au barreau, et sur l’instruction supérieure des jeunes filles. Elle s’est aussi distinguée comme conférencière à Montréal, dans plusieurs circonstances solennelles, entre autres :

Au Château Ramsay, devant la Société des Antiquaires, sur la Condition sociale de la femme au dix-septième siècle, en avril 1899. (Voir la Patrie, 22 avril.)

Au Monument National, dans une étude sur la condition légale de la femme dans la province de Québec, le 27 janvier 1906.

Au Congrès Eucharistique, en juin 1910, à la séance des dames.

Au Congrès de la Langue française, le 30 juin 1912, dans un travail sur la langue française. (Voir rapport de ce Congrès.)

À l’École d’Enseignement supérieur pour les jeunes filles, en 1912, sur l’Organisation sociale chez les femmes. (Voir la Bonne Parole, octobre 1913.)

Devant l’Association des femmes d’affaires, en mai 1914, sur les Devoirs et les Responsabilités qu’imposent à la femme le droit de vote.

Au Congrès de l’Association canadienne de la Santé publique, en septembre 1916. (Voir la Bonne Parole, octobre 1916.)

Au premier Congrès des Cercles de fermières de la province, en novembre 1919, où elle a obtenu l’affiliation de ces cercles à la Fédération Nationale.

Devant l’Association professionnelle des employés de manufactures, le 18 avril 1920, sur la part de l’ouvrière dans les questions sociales actuelles.

Au Congrès de la première Semaine sociale, en juin 1920, sur le travail des femmes et des enfants dans la province de Québec. (Voir la Bonne Parole, septembre 1920.)

Au Congrès de la Ligue des femmes catholiques du Canada, le 19 juin 1920.

Et à Québec, en deux circonstances : à l’Institut Canadien et à l’École Normale, sur des questions d’intérêt féminin.[1]

Le dévouement de Mme  Gérin-Lajoie pour les œuvres sociales est donc inépuisable, et quand l’on sait qu’elle appartient à l’une des plus grandes familles canadiennes-françaises de Montréal — elle est, en effet, la fille de Sir Alexandre Lacoste, naguère juge en chef de la Cour d’Appel, — on en éprouve la plus vive admiration.

Aussi, quand le gouvernement français lui décerna les palmes académiques, toute la population canadienne-française s’est associée à ce témoignage de respect.




  1. Il faut lire aussi ses excellents articles sur les questions sociales actuelles et sur les questions féminines dans le Journal de Françoise et dans la Bonne parole.