Paul Ollendorff (p. 14-17).
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X


Mars,
par la poste.


Si vos yeux noirs étaient plus doux,
Je tâcherais de vous connaître ;
J’ai des amis qui vont chez vous,
Et nous nous aimerions peut-être.

Car j’ai rêvé de vous donner
Cinq minutes supérieures…
Vous êtes seule vers dix heures,
Avant-hier j’ai failli sonner.


J’attends dehors depuis décembre.
Je veux entrer dans la maison ;
Je veux entrer dans votre chambre,
Avant la fin de la saison.

Orphelin de toutes les choses,
Perdu dans le vaste univers,
En vous faisant de tristes vers,
J’ai cru tromper les jours moroses.

Mais maintenant je ne peux plus
Chanter les peines que je porte,
J’ai trop souffert, et j’en conclus
Qu’il faut frapper à votre porte.

Venez, madame, à mon secours ;
Et, pris de rage pour l’étude,
J’ajouterai par gratitude
Un peu de gloire à nos amours.

Je vous promets qu’avec les vôtres
Je serai souple et très prudent ;
Je ne suis pas comme les autres :
Je serai calme en attendant.


Si vous laissez, à portes closes,
Tomber des mots encourageans,
Je n’aurai pas devant les gens
Des airs penchés et pleins de choses.

Accueillez-moi, madame, allons.
J’ai beau venir de la Bohème,
Je sais causer dans les salons ;
On se tient bien quand on vous aime.

Oh ! je néglige mon travail,
Chacun m’accable de reproches ;
Je pense trop aux chagrins proches,
Tandis qu’il neige à mon vitrail.

Il neige en mars et je m’irrite,
Car en avril vous serez loin…
Dans l’embrasure favorite
Je vous demande un petit coin ;

Un coin bien humble, ô ma voisine,
Près du piano que vous ouvrez,
Tout près des livres préférés,
Sous vos grands yeux de sarrasine…


Si ces yeux noirs étaient plus doux,
Je tâcherais de vous connaître ;
J’ai des amis qui vont chez vous,
Et nous nous aimerions peut-être.