Boissons alcooliques et leurs falsifications/VI

Typographie de F. H. Proulx (p. 16-18).

VI

Voici le résultat d’une autre analyse de quelques nouveaux échantillons d’eau-de-vie. Je ne ferai aucun commentaire, mais je vous prie de vouloir bien comparer les quelques chiffres que m’a fournis cette seconde analyse avec les chiffres que donne la composition de ces différentes boissons alcooliques à l’état de pureté. Les tableaux suivants faciliteront cette comparaison. Le premier tableau donne la proportion dans laquelle doivent se trouver les substances qui composent ces boissons alcooliques ; le second tableau n’est que le résumé du travail que je viens de livrer à la publicité ; enfin le troisième tableau donne le résultat de cette seconde analyse dont je viens de faire mention.

1er tableau
Boissons alcooliques à l’état de pureté.
Alcool Matières solides Acides p. oz. Sucre
Gin 49.60 0.2 0.2 grain 1.0
Brandy 50.60 1.2 1.0 grin 0.0
Rhum 60.77 1.0 0.5 grin 0.0
Whisky 50.60 0.6 0.2 grin 0.0
2e tableau
Boissons alcooliques frelatées (1ère analyse).
Alcool Matières solides Acides p. oz. Sucre
Gin 65.8 0.05 0.0 Traces
Brandy 56.6 0.83 0.0 150 gr. p. chop.
Rhum 49.7 0.25 0.0 096 g. p. cop.
Whisky 38.5 0.86 0.0 042 g. p. cop.
3e tableau
Boissons alcooliques frelatées (2e analyse).
Alcool Matières solides Acides p. oz. Sucre
Gin 45.8 0.07 0.0 Traces
Brandy 44.5 1.00 0.0 050 gr. p. chop.
Rhum 41.3 0.83 0.0 166 g. p. cop.
Whisky 36.0 0.03 0.0 Traces

Je ne terminerai pas cet article sans livrer à la publicité un fait qui demande tout naturellement sa place dans cet écrit. Un élève de l’Université-Laval est allé chez un marchand épicier de cette ville acheter un baril vide de brandy ; c’est un étudiant en médecine et le baril en question était destiné à recevoir ce qu’en terme de médecine on est convenu d’appeler un sujet. Or le susdit élève en médecine a trouvé au fond du baril qu’il venait d’acheter quatre onces d’alun parfaitement bien conservé, et je vous assure que quatre onces d’alun représentent un volume assez respectable. Je tiens ce fait de l’élève lui-même qui a fait cette intéressante découverte, et il m’a été confirmé par d’autres élèves qui en ont été témoins et qui sont prêts à en constater l’authenticité. Voici les documents relatifs au fait en question.

« Université Laval, 29 mars 1867.
« Monsieur et cher confrère,

« J’ai su que vous faisiez l’analyse de plusieurs échantillons des différentes boissons que l’on vend à Québec. Cette analyse ou plutôt toutes ces différentes analyses demandent une étude spéciale sur la composition des boissons alcooliques et sur le rôle que doit y jouer la présence de ces nombreux ingrédients dont on se sert pour la falsification. Veuillez donc alors avoir la bonté de me dire dans quel but on ajoute de l’alun au brandy. J’ai toujours cru que le brandy n’était que le produit de la distillation du vin. Pourquoi alors l’alun ? Voici ce qui me détermine à vous faire cette question. Je suis allé chez Th… faire l’acquisition d’un baril qui m’a été donné comme un baril contenant autrefois du brandy. Or j’ai trouvé quatre onces d’alun au fond du baril : voilà ce qui m’intrigue. Inutile de vous répéter que je désire beaucoup savoir à quoi m’en tenir sur la présence de cet alun dans le brandy.

« Je demeure, etc., etc.,
« J. Guernon,
« Etd. en Médecine, U. L. »
Réponse
Mon cher confrère,

J’accuse réception de votre lettre d’hier, et voici la réponse que vous me demandez. Les sophistiqueurs ajoutent de l’eau à leurs spiritueux. Or l’addition de cette eau a pour effet d’occasionner l’apparition d’un précipité blanc, d’apparence laiteuse et qui trouble la limpidité de la liqueur. Pour cacher aux yeux des consommateurs cette preuve toujours manifeste de la falsification on a alors soin d’ajouter à la liqueur en question, une quantité plus ou moins considérable d’alun. L’alumine de cet alun gagne le fond du vase mais non sans entraîner avec elle les plus petites particules du susdit précipité blanc d’apparence laiteuse. C’est donc un rôle purement mécanique que joue ici la présence de l’alun. On ajoute souvent du sous-acétate de plomb pour hâter l’heureux résultat obtenu par l’emploi de l’alun, mais la présence d’un sel de plomb dans une liqueur est toujours de nature à causer les accidents les plus sérieux, et cependant c’est cette dernière méthode qui est la plus souvent employée.

Voilà, j’espère, la solution du problème que vous m’aviez posé.

Je demeure, etc., etc.,
Philippe Landry,
Prp. C. C.

Québec, 30 mars 1867.

Vous savez maintenant, ami lecteur, ce que dénote la présence de l’alun dans le brandy. Il faudrait être aveugle pour n’y pas voir une preuve irrécusable de falsification. Ah ! messieurs les falsificateurs, vous êtes bien toujours les mêmes. Courage ! vous deviendrez de grands hommes…… vous ne vous en doutez pas peut-être. Allons, pas d’humilité mal placée ! À revoir ; je vous retrouverai encore dans les articles suivants. Pas de rancune.