Éditions Édouard Garand (54p. 25-27).

XV

MES BONS AMIS


Je m’éveillai comme d’un cauchemar et je m’aperçus que j’étais couché dans mon lit et que Prospérine était debout près d’une table, dans ma chambre, en frais de verser un liquide jaunâtre dans un verre à vin.

— Prospérine ! appelai-je.

Elle se retourna vivement et elle eut une exclamation étonnée.

Mlle Marita ! s’écria-t-elle. Ô Mlle Marita !… Ainsi, vous vous sentez mieux maintenant ?

— Mais, oui !… Ai-je été malade, Prospérine ?

Soudain, la mémoire me revint et je fondis en sanglots.

— Allons ! Allons, Mlle Marita ! fit Prospérine. Je vous en prie, ne pleurez pas.

Mme Duverney ! pleurai-je. Elle est morte, n’est-ce pas, ma bonne vieille amie ?… Je ne l’ai pas rêvé ?

— Hélas ! oui, Mlle Marita. Ma pauvre bonne maîtresse n’est plus !

— Prospérine, criai-je, il faut que je me lève ! Il faut que je la revoie ! Je veux jeter un dernier regard sur son cher visage ! Aidez-moi à me lever !

— Mais… Mlle Marita !… Vous dites que… que vous… vous désirez revoir Mme Duverney ! s’exclama Prospérine en jetant sur moi un regard étrange. Ciel ! Ô ciel !

— Qu’est-ce qu’il y a, Prospérine ? demandai-je. N’est-ce pas bien naturel que je désire la revoir et dire une prière sur sa dépouille mortelle, quand elle a été une vraie mère pour moi ?… Aidez-moi à me lever et à m’habiller, je vous prie !

— Vraiment, Mme Marita, me répondit la servante, comme si elle venait de constater certain fait qui l’eut beaucoup surprise et embarrassée, vraiment, je ne saurais prendre la responsabilité de vous laisser quitter votre lit… Attendez, l’arrivée du médecin : s’il dit que vous êtes assez forte pour vous lever, je vous y aiderai de grand cœur.

— Le médecin ? demandai-je, étonnée. Le médecin a-t-il été appelé, pour un simple évanouissement ?

— Un simple évanouissement… murmura la servante. Bien, Mlle Marita, continua-t-elle, voulez-vous, s’il vous plaît, prendre ces remèdes ?… Aussitôt que le médecin sera arrivé…

J’ouvris la bouche pour demander si le médecin était déjà venu. Il avait dû venir, puisqu’il avait prescrit des remèdes pour moi… Mais j’étais si faible que je me contentai d’avaler la potion que m’offrait Prospérine, et presqu’aussitôt, je m’endormis.

Lorsque je m’éveillai, la lampe était allumée dans ma chambre et le docteur Foret était debout près de mon lit.

— Eh ! bien, ma chère enfant, me demanda-t-il, vous vous sentez mieux, n’est ce pas ?

— Oui, Docteur, je me sens mieux… et je désire me lever. Je veux tant revoir Mme Duverney ! sanglotai-je. Je vous en prie, laissez-moi me rendre au salon, où on a dû l’exposer !

— Pas ce soir, Mlle Marita, pas ce soir ! Soyez raisonnable et demain matin, si vous vous sentez plus forte, nous verrons ce que nous pourrons faire. En attendant, voici des remèdes que…

— Des remèdes ?… Je ne fais que cela prendre des remèdes ! dis-je d’un ton impatienté.

— Mais, Docteur, repris-je, sûrement, vous ne permettriez pas qu’on portât en terre ma chère bonne amie, la meilleure amie que j’aie eue en ce monde, sans que je puisse revoir son cher visage ! Il faut que je la voie, il le faut !… Philippe je désire lui parler sans retard !

— Philippe est sorti, pour le moment, Mlle Marita, répondit le médecin. Ne voulez-vous pas être raisonnable, pauvre enfant : c’est pour votre bien que je parle, croyez-moi… Vous êtes trop malade pour quitter votre lit ce soir ; si vous ne me croyez pas, essayez de vous lever et constatez par vous-même, votre grande faiblesse.

J’essayai de me lever. Oh ! comme j’essayai : mais j’avais la tête lourde comme du plomb, me semblait-il, et mes jambes ne pouvaient me supporter. Je retombai sur mes oreillers, à moitié évanouie.

Encore une fois, on m’administra des remèdes et je m’endormis, pour ne m’éveiller que le lendemain matin. En ouvrant les yeux, j’aperçus Mme Foret assise près du foyer de ma chambre, dans lequel brûlait un feu clair.

— Ma chérie, demanda Mme Foret en me donnant un baiser, comment vous portez-vous ce matin ?

— Mieux, beaucoup mieux, je vous remercie, Mme Foret, quoique je me sente encore très faible.

— Vous allez regagner vos forces promptement maintenant, me dit Mme Foret, avec un sourire encourageant.

— Oui, n’est-ce pas ? fis-je.

— J’en suis certaine ; mon mari m’assure que vous allez bien. Cependant, il faut être très obéissante et suivre fidèlement les conseils du médecin.

— Ô Mme Foret, m’écriai-je, vous me permettez de me lever, n’est-ce pas ; vous m’y aiderez surtout ?… Je veux me rendre au salon : il faut que je revoie une dernière foi ma bonne amie Mme Duverney !

— Chère, chère Marita, répondit Mme Foret d’une voix qui tremblait légèrement, ne comprenez-vous pas que vous avez été très malade ?…

— Je sais ! Je sais ! J’ai perdu connaissance hier matin, quand M. Philippe m’a annoncé que Mme Duverney était morte… Mais un évanouissement n’est pas une grave maladie, ni une maladie éternelle… Je veux me lever ! Il faut que je la revoie encore une fois ! Oh ! aidez-moi, chère Mme Foret !

— Enfant, me répondit-elle d’un ton grave, il faut que je vous fasse comprendre… Attendez-vous d’être très surprise et peut-être aussi fort peinée…

— Qu’est-ce donc ? demandai-je, étonnée.

— Eh ! bien, Marita, vous avez été joliment malade, vous savez ! Vous avez eu une attaque, assez légère cependant, de congestion du cerveau…

— Une attaque… de quoi ?… De congestion du cerveau ? criai-je.

— Oui, Marita, et vous ne vous êtes pas levée de votre lit, où Philippe vous a transportée, après le décès de Mme Duverney, depuis dix jours.

— Dix jours, dites-vous ! Mais… alors… Mme Duverney…

— Elle a été portée en terre il y a huit jours, chère enfant.

J’eus une terrible crise de larmes ; mais Mme Foret fut la bonté et la patience même et elle parvint à me calmer enfin.

— Où est Philippe ? demandai-je soudain.

— Philippe est retourné à son ouvrage. Marita chérie, répondit Mme Foret. Mais il sera ici demain et il restera jusqu’à dimanche soir.

Cette nouvelle eut pour effet de me consoler un peu.

— Maintenant, il faut que je retourne chez moi, reprit Mme Foret ; mais quelqu’un viendra me remplacer auprès de vous, ma chérie… quelqu’un qu’il vous fera plaisir de voir, j’en suis sûre.

Il y avait à peu près cinq minutes que Mme Foret était partie, lorsque s’ouvrit ma porte de chambre et quelqu’un entra… quelqu’un que je ne m’étais certainement pas attendue à voir aux Pelouses-d’Émeraude.

Mlle Brasier ! m’écriai-je.

— Oui, c’est moi, Mlle Marita, dit la vieille demoiselle en souriant, et voilà plus d’une semaine que je suis ici.

— Je… je ne comprends pas, balbutiai-je ; mais je suis, oh ! si heureuse de vous revoir, chère Mlle Brasier !

— Je vais vous expliquer ma présence ici, Mlle Marita, fit Mlle Brasier, en s’essayant à la tête de mon lit. Lorsque vous êtes tombée malade, M. Duverney écrivit immédiatement à votre cousin Arthur, lui demandant d’envoyer Yvonne, sa femme, pour vous soigner… Or, vous savez qu’Yvonne a une petite fille de trois semaines ; elle ne pouvait, conséquemment, faire le voyage. Donc, M. Tudor vint chez moi et me demanda de partir immédiatement pour les Pelouses-d’Émeraude ; il me donna même l’argent nécessaire pour l’achat de mon billet, et alors, je m’en vins ici sans retard…

— Et… Mlle Agathe ?…

— Agathe, la pauvre enfant… elle est morte, Mlle Marita !

— Morte ?… Ah ! Pauvre, pauvre Mlle Agathe !… Dites-moi, Mlle Brasier, a-t-elle beaucoup souffert avant de mourir ?

— Non, chère enfant. Elle est morte doucement et paisiblement : elle s’est tout simplement endormie… pour ne plus s’éveiller ; voilà qui me console en quelque sorte de la perte de ma sœur, que j’aimais tant.

— Dieu merci, elle n’a pas souffert ! m’écriai-je.

— J’arrivais des funérailles de ma sœur, continua Mlle Brasier, lorsque votre cousin Arthur arriva chez moi… Je n’avais plus rien qui me retint à la maison ; je partis donc immédiatement, et j’ai été ici depuis lors.

— Je suis si heureuse que vous soyez avec moi ! fis-je.

— Merci de ces bonnes paroles, Mlle Marita ! répondit-elle.

— On vous a dit peut-être, quelle bonne amie j’ai perdue en la personne de Mme Duverney ? demandai-je.

— Oui ! Oui ! Bien sûr, on me l’a dit !

— Elle a été une vraie mère pour moi, ajoutai-je en pleurant.

— Allons ! Allons, Mlle Marita, vous ne devez pas penser à d’attristantes choses ; le médecin l’a expressément défendu, dit Mlle Brasier. Il vous faut guérir le plus tôt possible ; nous avons tous été si inquiets à votre sujet… M. Duverney… nous lui envoyons une dépêche chaque matin, lui donnant de vos nouvelles ; c’est lui qui l’exige.

Je me sentis fort touché de cette marque de considération de la part de M. Philippe.

— Je vous promets de guérir le plus tôt possible Mlle Brasier, répondis-je en souriant.

— Alors, je le prédis, ce soir peut-être, vous pourrez vous asseoir sur votre lit, pour quelques instants.

— Vous le croyez vraiment ? fis-je.

— Bien sûr que je le crois, Mlle Marita ! J’ose ajouter que, demain, probablement, nous pourrons vous installer dans un fauteuil.

La prédiction de Mlle Brasier s’accomplit ; ce soir-là, je pus rester assise dans mon lit pour un quart d’heure, et le lendemain, lorsque Philippe arriva, je pus le recevoir, installée dans un fauteuil. Puis, lorsqu’il revint aux Pelouses-d’Émeraude, deux semaines plus tard, j’étais devenue une « intéressante convalescente ».