Savine (p. 269-271).


XXXII


On nous a mis en subsistance, à Tunis, à la caserne des zouaves et ― naturellement ― on nous a fourrés en prison. Queslier, lui, avec les hommes en prévention, est détenu à la Kasbah.

Je m’y morfonds, dans cette prison, d’où je ne peux sortir qu’une heure et demie par jour, pour prendre l’air, et où je me trouve en tête-à-tête avec des hommes de différents corps qui passent leur temps à comparer les uns aux autres, partialement, les régiments auxquels ils appartiennent. Presque toujours ils se disputent. Quelquefois ils se battent. On dirait qu’il s’agit de choses sérieuses. Pauvres diables !


— L’affaire Queslier ne sera pas probablement appelée avant une quinzaine de jours, m’a dit un zouave, qui a un copain employé au tribunal, et qui vient d’entrer à la malle.

Il n’y est resté que deux jours. Malheureusement, car il était moins bête que les autres et, dans mon égoïsme de reclus, j’aurais préféré le garder plus longtemps ― pour pouvoir causer avec lui.

— Je te ferai passer des journaux, m’a-t-il dit en s’en allant. Ça te distraira.

Je l’ai remercié d’avance ― tout en ne comptant guère sur lui.


J’ai eu tort. Un des hommes de corvée qui nous apportent la soupe m’a remis ce soir, de sa part, un paquet de papiers. De vieux journaux de France, un roman-feuilleton et deux numéros d’un journal local, imprimé moitié en arabe, moitié en français.

Voyons le dernier numéro… Tiens : « Conseil de guerre de Tunis. » Ce doit être intéressant.


« Hier, le soldat Passaré, du 4e tirailleurs, ayant lancé son soulier à la tête du commissaire pendant que celui-ci lui lisait le jugement qui le condamnait aux travaux publics, a été, séance tenante, frappé d’une condamnation à mort. »


Quels singuliers magistrats, que ces membres d’un tribunal qui s’érige en juge et en partie, dans sa propre cause ! Quelle drôle de justice, tout de même, que cette justice qui n’a même pas la pudeur de se considérer comme au-dessus des offenses et qui inflige la monstrueuse peine de mort à un malheureux exaspéré !

Poursuivons.


« Avant-hier a eu lieu l’exécution d’un jeune soldat du 175e de ligne. Ce soldat s’était, à la suite d’une simple punition de deux jours de consigne, jeté sur son caporal et l’avait souffleté. Le coupable a été fusillé devant des détachements des divers corps de troupe de la garnison. Une foule énorme d’indigènes étaient accourus de la ville et des environs pour assister au spectacle. L’exécution d’un Français par des Français éveillait quelque peu la curiosité. Le condamné a fait preuve du plus grand courage et a conservé devant le peloton la plus ferme des attitudes. Au point de vue du prestige moral du nom français en Afrique, nous ne saurions que nous en féliciter… »


Quel est le plus misérable, le plus vil, du Code qui condamne à mort un homme qui en a giflé un autre, ou du journal qui déclare n’avoir qu’à se féliciter d’un semblable assassinat ?…