Savine (p. 243-244).



XXVII


J’ai de la veine. On vient de rendre justice à mon mérite.

Le conducteur des mulets qui vont chercher de l’eau au puits ayant perdu l’estime des grosses légumes, a été destitué. C’est moi qu’on a choisi pour le remplacer.


— Chançard, est venu me dire Rabasse, le poète, qui prétend savoir mener les bourdons, lui aussi, et qui aurait bien voulu se voir promu au grade de porteur d’eau ; tu n’as plus qu’à te battre les flancs, à présent !

Pas tout à fait. Il faut que je fasse au puits six voyages par jour : trois le matin, trois le soir. Un homme de corvée doit m’accompagner pour remplir les tonneaux que nous plaçons sur les bâts. Ce n’est pas éreintant. Nous avons le temps de nous amuser en route.

Je n’en ai justement pas, d’homme de corvée. Il m’en faut un. Je n’aurai pas été préposé à la lavasse, comme dit Acajou, et investi d’une autorité ― limitée ― sur deux bêtes de somme et un subalterne, sans avoir usé des prérogatives que me confère ma charge. Il m’en faut un.

— Sergent, je n’ai pas d’homme de corvée.

— Je vais vous en désigner un. Le premier qui sortira de sa tente… Gabriel ! venez ici. Vous allez vous rendre au puits, avec Froissard ; jusqu’à nouvel ordre, vous continuerez.

— Oui, sergent.


Je reste cloué à ma place, stupide. Gabriel ! lui !elle !… Mais je n’en veux pas !… Je…

Et, tout d’un coup, je sens mes mains qui se glacent, tout mon sang qui me remonte au cœur. Il vient de me regarder en souriant…

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