Biographies des principaux astronomes/Aboul-Wéfa

Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciencesGide3 (p. 164-166).
Ebn-Jounis  ►


ABOUL-WÉFÂ


Aboul-Wéfâ al Bouzdjani (Mohammed ben Mohammed ben Iahia ben Ismaël ben Alabbas) est né en l’année 989 de l’ère chrétienne, dans la ville de Bouzdjan, située à une journée de marche de Nischabour, capitale du Khorasan. À l’âge de vingt ans, il se rendit à Bagdad, où il demeura jusqu’à sa mort arrivée en 998. Doué des plus heureuses dispositions pour les sciences mathématiques, il reçut des leçons des hommes les plus habiles de son temps, et dépassa bientôt ses maîtres ; devenu professeur à son tour, il compta parmi ses élèves un grand nombre de savants distingués, et fit école. L’époque où il florissait était favorable pour les grands travaux ; les princes Bouides, après s’être emparés de la Perse, gouvernaient les États musulmans de l’Orient au nom des califes Abbassides, réduits à l’autorité spirituelle et revêtus de la dignité d’emir al omrah (émir des émirs), que l’on peut comparer à celle de maire du palais, ils maintenaient la paix dans l’empire et renouvelaient les prodiges du règne d’Al-Mamoun. L’un de ces princes, Adhad Eddaulah, qui avait appris l’astronomie d’Ebn al Aalam et étudié le ciel étoilé avec Abdurrahman-Suphi, devait, pendant un règne de trente-trois ans, se montrer le protecteur éclairé des lettres, et transmettre à ses successeurs le désir de favoriser le progrès des sciences. Aboul-Wéfâ trouva donc dans les chefs de l’État les encouragements nécessaires pour ses travaux, et tandis qu’il commentait Euclide et Diophante, qu’il écrivait un Traité d’arithmétique dont un volume se trouve à la Bibliothèque de Leyde, qu’il traduisait un Traité d’algèbre d’un certain Hipparque, surnommé le Rafanien, il se livrait aux observations astronomiques, corrigeait les tables de ses devanciers et rédigeait un almageste tout à fait original, qui révèle dans l’auteur un esprit aussi profond que lucide et un mérite d’exposition bien rare chez les écrivains Arabes. Les premiers chapitres de cet almageste contiennent les formules des tangentes et des sécantes, des tables de tangentes et de cotangentes pour tout le quart de cercle. Aboul-Wéfâ en fait le même usage qu’aujourd’hui dans les calculs trigonométriques ; il change les formules des triangles ; il en bannit ces expressions composées, si incommodes, où se trouvaient à la fois le sinus et le cosinus de l’inconnue. On en faisait sans aucun fondement honneur à Régiomontanus, et l’on n’en a joui en Europe que six cents ans après l’invention première par les Arabes, dont malheureusement les ouvrages n’ont pas été assez répandus.

Aboul-Wéfâ, en comparant ses propres observations à celles des astronomes qui s’étaient succédé depuis Al-Mamoun, et aux tables de Ptolémèe, avait été amené à signaler dans la théorie lunaire une correction importante : il avait clairement indiqué la troisième inégalité, appelée variation par Tycho-Brahé, et toutes les objections soulevées contre la découverte de l’auteur arabe n’ont pu détruire ce fait désormais acquis à la science, que tout homme ignorant l’existence de la variation et lisant le passage d’Aboul-Wéfâ aurait été conduit infailliblement à la détermination de la même inégalité que celle de Tycho[1].

Non-seulement Aboul-Wéfâ observait par lui-même, mais il prenait un intérêt extrême aux travaux de ses contemporains. Nous le voyons assister en 988 à deux observations de solstice et d’équinoxe, faites à Bagdad par l’astronome Alkuhi, et dont l’écrivain arabe Alsouzeni nous a conservé tous les détails. Aboul-Wéfâ entretenait en même temps avec ses amis une correspondance mathématique. À sa mort (998), l’école scientifique de Bagdad était à son déclin ; l’Asie était déjà bouleversée par les Ghasnévides et le Caire allait devenir le foyer d’un grand mouvement intellectuel qui devait rayonner sur toute l’Afrique occidentale et l’Espagne.



  1. Voyez L.-Am. Sédillot, Matériaux pour servir à l’histoire des sciences mathématiques chez les Grecs et les Orientaux, t. Ier.