Biographies de l’honorable Barthélemi Joliette et de M le Grand vicaire A Manseau/Chapitre XVIII

XVIII.

Chantiers.


Pendant que le marteau retentissait sur le pont sonore, deux cents bûcherons échelonnés sur un espace de six à sept milles, s’attaquaient aux pins séculaires qui, débarrassés de leurs branches, coupés en billots, étaient traînés sur les bords de la rivière. C’est de là, qu’à la débâcle du printemps, les draveurs secondés par les courants, devaient les diriger jusqu’au boom, situé un peu en amont de la chaussée du moulin à scie.

Devant nécessairement parler du commerce de bois, branche d’industrie qui, habilement exploitée, devint pendant vingt-cinq ans, la source où M. Joliette puisa abondamment de quoi subvenir aux frais de ses grandes entreprises, nous arrivons tout naturellement à quelques détails sur l’organisation d’un chantier.

Lorsqu’un exploitateur a résolu de faire chantier, il commence par réunir le nombre d’hommes voulu, pour conduire à bon terme son entreprise. Les uns sont engagés comme bûcherons, d’autres sont loués avec leurs voitures comme charretiers.

Au jour indiqué, la caravane, composée de cent à deux cents hommes ou plus encore, s’embarque sur les sleighs surchargés de toute une cargaison de piques, de haches, de scies, de raquettes, de pelles, de quarts de fleur, de lard, de couvertures, et aussi, n’allons pas l’oublier, d’une batterie de cuisine ; le tout en rapport avec les besoins et les exigences indispensables des lieux.

Soudain la voix redoutée du foreman se fait entendre.

« Vite, vite Pierrot ! dépêche-toi Baptiste ! » Il faut partir malgré les attraits de Bacchus ; il faut dire adieu à l’auberge, et se jeter ou être jeté sur les traîneaux qu’entraînent avec vitesse, les chevaux aiguillonnés par le fouet dont leurs flancs sont labourés. Tous les charretiers en effet, ne sont pas en état de mesurer leurs coups. Nonobstant les précautions et les défenses sévères des conducteurs, les têtes sont échauffées sur plusieurs points. De tous côtés, s’échappent les éclats de rire qu’accompagnent les joyeux refrains de la chanson des voyageurs :

« Dans les chantiers nous hivernerons,
« Dans les chantiers nous hivernerons.
« À Bytown, c’est une jolie place,
« Mais il y a beaucoup de crasse, etc.