Biographie nationale de Belgique/Tome 3/BRY, Théodore DE
BRY (Théodore DE), graveur et libraire, né à Liége, en 1528, mort à Francfort, le 27 mars 1598. Issu d’une famille riche et distinguée, cet artiste, dont le maître est inconnu, se vit, au milieu de sa carrière, entraîné dans les troubles religieux qui de son temps dominaient toutes autres préoccupations. Partisan des idées de la réforme introduites à Liége par quelques luthériens zélés, De Bry appuya vigoureusement leurs tendances et se compromit au point d’être livré, en 1570, à la justice et banni de la cité. Ses biens furent confisqués. Ainsi privé de toute fortune, il se rendit à Francfort et y recommença courageusement à se faire une carrière. Il y établit une librairie et y joignit un atelier de gravure qu’il alimenta jusqu’à la fin de ses jours, malgré la goutte qui, dans ses dernières années, rendit ses doigts crochus et noueux ; enfin il fit de nombreux voyages, surtout en Angleterre, et parvint à une position de fortune qui lui permit d’oublier ce que ses malheurs lui avaient fait perdre à Liége.
Toute la vie de De Bry, à part l’épisode de 1570, fut consacrée au travail. On peut s’en assurer en parcourant la nomenclature considérable de ses travaux insérée dans la Biographie liégeoise de M. Becdelièvre ; nous n’en mentionnerons ici que les principaux, en faisant remarquer que les cinq gravures suivantes attribuées au père sont du fils Jean-Théodore, savoir : L’âge d’or, d’après Abr. Bloemaert ; — L’Assemblée vénitienne, d’après Paul Véronèse, qui lui fait pendant ; — La petite fête de village, d’après H. de Sebald ; — La Fontaine de Jouvence, d’après le même ; — La Bacchanale, d’après Jules Romain ; — Diane et Actéon.
Théodore a illustré de figures le Proscenium sive emblemata vitæ humanæ ; avec Jean Prael, il a gravé les figures de l’Alphabeta et caracteres jam inde a creato mundo ad nostra, etc. Francfort, 1596. Toutes les estampes des ouvrages de Boissard sont de lui, mais ici il peut être intéressant d’entrer dans quelques développements. Au premier tome des Icones quinquaginta virorum illustrium doctrinâ et eruditione, etc. (Francfort, 1597- 1632), Théodore de Bry, dans une préface écrite par lui, détermine exactement sa part dans cet ouvrage, c’est-à-dire qu’il s’est réservé la gloire de l’avoir publié et d’en avoir gravé les portraits. Il dit ensuite que le but qu’il a voulu atteindre en publiant ces Icones, est de donner aux jeunes gens des modèles de conduite qui les excitent à s’appliquer de bonne heure à la vertu, etc. Il exhorte les parents à bien élever leurs enfants et finit par rappeler sa propre histoire et ce qu’il doit à son art. Le tome III de cette collection n’est pas de Boissard, mais des deux fils de Théodore de Bry, Jean-Théodore et Jean-Israël, ainsi qu’ils nous l’apprennent eux-mêmes dans la préface. — Les autres ouvrages de Boissard illustrés par De Bry sont : Vitæ et Icones Sultanorum, etc., Francfort, 1596 ; Historia chronologica Panoniæ, etc., Francfort, 1608 ; Theatrum vitæ humanæ, Francfort, sans date ; Romanæ urbis topographia, etc., 1597-1602 ; Parnassus, etc., Francfort, 1601 ; — Onuphrii Panvinii, etc., cum imaginibus antiquœ, etc., Francfort, 1627.
L’ouvrage qui a principalement illustré le nom de De Bry est cette publication, nommée les Grands et petits voyages, dont l’importance exige un rapide examen. En 1587, un savant anglais, le voyageur Richard Hackluyt, conseilla à De Bry d’entreprendre ce livre pour lequel il lui procura des dessins ayant pour sujet l’Amérique et ses habitants. Si l’on veut bien se rappeler l’époque à laquelle De Bry mit cette proposition immédiatement en œuvre, on comprendra l’énorme succès de son entreprise. Il fit cette collection simultanément en français, en latin et en allemand. Les six premières parties parurent de 1590 à 1596. Les sept autres parties furent achevées par ses fils et par Mathieu Mérian, gendre de Jean Théodore de Bry.
On trouvera dans Becdelièvre, une appréciation très-bien faite et très-détaillée de ce vaste et précieux ouvrage dont voici le titre : Collectiones peregrinationum in Indiam Orientalem et Indiam Occidentalem XXV partibus comprehensæ ; opus illustratum figuris Ænœis fratrum De Bry et Meriani. Francofurti ad Mænum, 1590 et ann. seqq. ad annum 1634 ; 7 vol. in-folio. Le nom de Grands et petits voyages a été donné à cette collection, à cause de la différence du format des volumes qui la composent.
L’abbé de Fontenay (1776), le premier qui ait imprimé sur cet artiste une notice d’une certaine valeur, dit : « Quoiqu’on mette Théodore de Bry au rang des petits maîtres, il a cependant gravé plusieurs morceaux d’histoire et d’ornements que les amateurs recherchent avec raison. » Mariette qui a écrit, mais non imprimé avant l’abbé de Fontenay, donne sur les De Bry des indications précieuses d’où il résulte, comme complément à ce qui précède, que Théodore est mentionné par lui comme ayant été orfèvre et contrefaisant admirablement les médailles antiques. « M. Hardion, dit Mariette, m’en a fait voir quelques-unes à Versailles, dans le cabinet du roi. » Théodore avait pour marque une fourmilière avec cette devise : Nul sans soucy, de Bry. On la trouve autour du portrait de De Bry placé en tête des antiquités de Boissard, avec ces mots : Ætat. LXIX, a° 1597, et une pièce de vers à sa louange. Il signait quelquefois, dit Brulliot, ses gravures de l’anagramme (?) Torcumas Brianceus.
Le Blanc donne deux cent douze numéros au catalogue de l’œuvre de Théodore de Bry. Ce chiffre doit être très-considérablement augmenté. Faisons toutefois observer que les biographes et les catalogueurs ont souvent confondu les œuvres du père avec celles du fils ; tous deux ont du reste maintes fois travaillé ensemble. Enfin, terminons ce que nous avons à dire de cet artiste célèbre et fécond, en faisant remarquer que sa fécondité même nuisit à son burin qui est généralement un peu sec.