Biographie nationale de Belgique/Tome 3/BRIARD, Jean

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BRIARD (Jean) ou BRIARDUS, dont le nom vulgaire a quelquefois dans les sources la forme de Briaert, célèbre théologien du premier siècle de l’Université de Louvain, mort en 1520. Quoique né à Belœil, bourg du territoire d’Ath en Hainaut, il prit lui-même dans l’école le surnom d’Athensis ou Atensis, et c’est ainsi qu’il est appelé plus d’une fois dans les écrits du temps, sans mention de son nom de famille. On manque jusqu’ici de données sur sa première éducation et sur sa jeunesse; mais on le voit parmi les sujets brillants des Facultés de Louvain avant la fin du XVe siècle. Il fut désigné pour professer la philosophie au Collége du Faucon, et c’est comme représentant de la Faculté des arts qu’il entra, le 1er octobre 1492, dans le conseil de l’université. Les succès qu’il obtint dans la discussion publique des questions théologiques lui frayèrent le chemin du doctorat. On a placé jusqu’ici la date de sa promotion solennelle au grade de docteur en théologie au 21 juin 1491, le jour même où Adrien Boyens, qui devait être appelé plus tard au souverain pontificat, reçut le même grade à Louvain (Fasti acad., p. 97); cependant il y a des raisons de douter si cette promotion n’eut pas lieu après l’an 1497 (voir l’ouvrage cité ci-après de M. l’abbé Reusens, p. 164, note). En tout cas, nous voyons Briard dans des relations étroites avec son éminent condisciple tant que celui-ci résida en Belgique; il entra comme lui dans la Faculté de théologie et y enseigna; il traita des questions tout à fait semblables à celles qu’Adrien avait discutées publiquement et qu’il fit imprimer; c’est même à la suite des dissertations théologiques, philosophiques et morales du futur pape que l’on a conservé des dissertations de notre docteur. L’édition la plus ancienne du recueil où celles-ci ont trouvé place est celle de Louvain, 1518, in-folio, sortie comme la première (1515) des presses de Thierry Martens (voir la Biographie de cet imprimeur par le P. Van Iseghem, Malines, 1852, n° 85 et n° 126, pages 249-251, 284-285). Le titre du volume annonce le travail de Rriard, faisant suite à celui d’Adrien, de la manière suivante : Excellentissimi viri, artium itidem et sacræ Theologiæ professoris eruditissimi. M. Ioannis Briardi Athensis, ejusdem Academiæ vice-cancellarii quæstiones quodlibelicæ, cum aliis nonnullis ejusdem. Les mêmes pièces ont été réimprimées avec le principal ouvrage plus d’une fois dans le demi-siècle qui suivit l’édition de Th. Martens; Paris, 1522; ibid., 1527; Lyon, 1546 et 1547 (voir l’ouvrage de M. Reusens, cité ci-dessous, pp. xxv-xxviii). On attribue également à Briard une dissertation du même genre : Quodlibeticum de causâ indulgentiarum, imprimée à Leipzig l’an 1519, format in-4o. Comme théologien et comme professeur, Jean Briard avait acquis une haute estime dans l’ancienne Alma Mater et dans la ville universitaire; il fut appelé deux fois aux honneurs du rectorat (1505 et 1510), alors que cette charge était semestrielle, et il fut élu à la dignité de vice-chancelier, quand Adrien, qui en était revêtu depuis l’an 1497, abandonna toutes ses fonctions de Louvain pour se charger de l’éducation du jeune Charles-Quint. Briard vit son ami comblé d’honneurs en Espagne comme évêque de Tortose, et ensuite comme cardinal, jouissant d’une influence toujours plus grande dans les conseils du prince belge qui était destiné à l’empire. Mais il ne vécut pas assez longtemps pour assister à son élévation au trône pontifical, sous le nom d’Adrien VI. Le docte professeur de théologie mourut à Louvain, le 8 janvier 1520, après avoir fondé une bourse pour le collége du Saint-Esprit, et il fut inhumé à côté de ses parents dans l’enceinte de la Chartreuse. On lit dans un des vers de son épitaphe celui de ses noms qu’il préférait et qui avait passé en usage de son vivant :

Unus crat, solusque adeo venerandus Athensis.

C’est sous ce nom qu’Érasme l’a cité dans ses lettres où il a rendu justice au savoir et à la modération du maître qu’il avait connu personnellement : Theologos Lovanienses candidos et humanos experior, atque in his præcipuè Joannem Athesem, hujus Academiæ cancllarium, virum incomparabili doctrina, raraque præditum humanitate. (Epist. ad Cuthbertum Tunstallum. — Opera éd. fol., tom. III, p. 288.) Ailleurs encore Érasme a déclaré soumettre volontiers au jugement d’Athensis, ainsi que de Dorpius et d’autres théologiens de Louvain, ses annotations sur le texte grec du Nouveau Testament, et en 1519 il s’adressait plus spécialement à Briard quand il publiait son Apologia pro declamatione matrimonii, dédiée aux étudiants de Louvain (Opp. t. IX, p. 105-111). Dans une autre lettre (1617, ibid., p. 1610-11) il se félicite d’avoir encore Athensis de son côté, tandis qu’il a à se plaindre de la mobilité d’autres hommes de la même école qu’il estime beaucoup. C’était une assez grande preuve de l’estime d’Érasme pour Briard que de dire de lui qu’il était loué au plus haut point par tout le monde, et que cependant il ne l’était jamais assez : Omnibus laudatissimus et tamen nunquam satis laudatus (Epist. ad Mart. Dorpium, Antverp.,1517, ibid., col. 1808). De tels éloges ne sont pas en contradiction avec quelques passages où le spirituel humaniste accuse Briard de s’être emporté naguère contre lui devant un nombreux auditoire (Brugis, 1521, Epist. ad P. Barbirium, p. 655). Le théologien avait quelquefois occasion de protester contre les témérités de langage que l’on recueillait dans les écrits d’Érasme et dont on faisait probablement abus contre lui. On croirait que notre docteur n’était point hostile aux études sur l’antiquité classique qui venaient de jeter leurs racines dans les écoles de l’Europe, mais qu’il faisait ses réserves sur le parti qu’on en tirait pour attaquer l’Église et ses institutions. Un pamphlet latin anonyme de l’époque (v. Schelhorn, Amœnitates literariæ, tome I, p. 248-261) se venge contre lui de l’influence qu’il avait exercée sur ses collègues pour obtenir, en 1519, la condamnation des premiers écrits de Luther; mais, après les grossières injures qu’il lui adresse, jusqu’à l’appeler homo vix bipedalis, il reconnaît en lui une grande variété de connaissances. C’est que la renommée de Briard était trop bien établie pour qu’on pût, même au loin, l’assimiler aux controversistes qui déclamaient avec passion, mais laissaient percer à chaque instant leur ignorance : on l’accusait gratuitement de colère et d’emportement pour nier la valeur de son argumentation en matière religieuse. Quoique mort avant les plus célèbres théologiens de la même université, Briard, qu’Érasme appelait caput academiæ, en fut une des sommités à l’époque qui vit éclater les luttes religieuses et politiques de la réforme. On ne saurait oublier non plus que Jean Briard fut honoré de la confiance d’une princesse instruite et pieuse qui conserva grande autorité dans les provinces belges, Marguerite d’York, veuve du duc de Bourgogne, Charles le Téméraire, et sœur d’Édouard IV, roi d’Angleterre, et qu’il eut même le rang de conseiller parmi les personnes attachées à sa maison. Marguerite avait assuré sa protection à tous les émules de Briard dans les hautes études de droit et de théologie.

Félix Nève.

Valère André, Fasti acad., p. 57 et 97 ; id. Bibl. Belg., éd. 1623, p. 459. — Foppens, Bibl. Belg., t. I, pp. 59 à 91. — Sweetius, Athenæ Belg., p. 400. — De Ram, Disquisitio hist. de iis quæ egerunt contra Lutherum theologi Lovanienses, Bruxelles, 1843. pp. 19-20. — Edm. Reusens, Syntagma doctrinæ theologicæ Adriani sexti, etc. Lovanii, 1862, in-8o. — Molanus, Rer. Lovan. lib. XIV, l. IX, c. 9 ; t. I, éd. De Ram, 476 et 510.