Biographie nationale de Belgique/Tome 3/BREYDEL, Jean

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BREYDEL (Jean), chef populaire flamand, au XIVe siècle. On ignore la date de sa naissance et celle de sa mort. Il appartenait à une ancienne famille bourgeoise dont l’influence sur les corps de métiers était considérable et qui figurait parmi les plus opulentes de Bruges. Jean Breydel était doyen de la corporation des bouchers. Son nom et celui du tisserand Pierre De Coninck figurent avec éclat dans l’histoire des grandes luttes que les communes eurent à soutenir contre la puissance du roi de France depuis 1297, sur le champ de bataille de Furnes, jusqu’en 1302, sur celui de Courtrai.

Philippe le Bel, prince astucieux et sans foi, n’avait pas oublié l’accueil glacial qu’il avait reçu à Bruges. Sur les instances de la reine, non moins irritée que lui contre ces fiers Flamands, le roi nomma Jacques de Chatillon, comte de Saint-Pol et oncle de la reine Jeanne de Navarre, gouverneur de la Flandre. Ce seigneur, d’une nullité absolue, aigrit tellement les Flamands par sa dureté, froissa si fort leur amour-propre par sa hauteur et ses dédains, qu’ils se révoltèrent pour conserver leur liberté et leurs richesses dont Chatillon voulait les dépouiller. « De vagues rumeurs, dit l’auteur de l’Histoire de Flandre, attribuaient à Jacques de Chatillon le projet d’anéantir toutes les libertés des Brugeois. La commune, inquiète et agitée, avait suspendu tous ses travaux. Dès qu’elle entendit retentir la cloche qui appelait les Français, elle prit les armes, s’élança sur les magistrats qui se préparaient à la livrer à ses ennemis, et les força à s’enfermer dans le Bourg. Là, ils résistèrent quelque temps; enfin la commune furieuse pénétra dans leur asile, massacra quelques-uns des traîtres et conduisit les autres dans la prison, d’où ses mains victorieuses avaient naguère retiré Pierre De Coning. »

Ce premier succès encouragea les défenseurs de la commune. Une nouvelle lutte plus acharnée et plus sanglante encore était sur le point d’éclater, lorsque des citoyens jouissant de la considération publique s’interposèrent en offrant leur médiation entre les deux partis; elle fut acceptée sous la condition que les insurgés quitteraient la ville. Aussitôt Pierre De Coninck se dirigea, suivi de ses adhérents, vers Ardenbourg. C’est à ce moment que Jean Breydel apparaît. Il s’était dirigé vers Damme et Sluys à la tête des bouchers et d’artisans appartenant à tous les métiers, au nombre de plus de cinq mille hommes. Ayant été informé que Chatillon avait envoyé à Male six chariots chargés de vins pour ses chevaliers et de cordes pour pendre les bourgeois récalcitrants, Breydel alla dévaster ce domaine, après avoir mis à mort tous ceux qui le défendaient. Un historien flamand, faisant allusion au nom de Breydel qui signifie bride, dit que Jean Breydel était vraiment le frein assez puissant pour arrêter la cupidité des Français. Écoutons le récit qu’un chroniqueur fait de cette expédition dans la Rymkronyk van Vlaenderen.

Hier naer gesciede curtelike,
Dat hute Brugge verwandelen ginc
Eenen vleeschouwer in ware dinc,
Die Jan Breidel was ghenant.
Met gheselsceppe, sy hu bekant,
Te Malen daer men vercochte wyn,
Int casteel, verstaet den fyn :
Ende Jan vornoemt wilde hebben wyn
Van den cnape, verstaet den fyn.
De cnape Janne qualike toe sprac,
Twelke Jan voernoemt haestelyke wrac :
Want hi stouch den cnape doot.
Ende Gobeert met haesten
Die casteleyn, wapen hem scier,
Ende quam neder als die fiere,
Om te wrekene harde saen :
Daer soc wart hi weder staen
Van Janne ende sine gesellen mede.
Dit gheruchte quam int stede
Van Brugghen, dat men te Male vacht.

Cependant Jacques de Chatillon arriva le 18 mai 1302 à Bruges, non avec une faible escorte et sans armes comme il l’avait promis, mais accompagné de dix-sept cents chevaliers bardés de fer et d’un grand nombre de fantassins, sergents d’armes et archers. « A cet aspect, dit l’auteur de l’Histoire de Flandre, les bourgeois se souvinrent que non-seulement Jacques de Chatillon n’avait cessé de persécuter les familles des chevaliers prisonniers en France, ou des bourgeois morts dans des luttes contre Philippe le Bel, mais que ses efforts avaient tendu constamment à réduire toute la Flandre à la servitude et à détruire ses libertés. Leur inquiétude s’accrut lorsqu’il refusa d’écouter leurs représentations : il déclara toutefois qu’il ne voulait châtier que ceux qui avaient pris part au sac du château de Male; mais son regard était terrible, et l’on racontait que déjà on l’avait entendu s’écrier que la plupart des Brugeois ne tarderaient pas à être attachés au gibet. Ceci se passa vers l’heure des Vêpres. Si Bruges n’eut pas ses vêpres siciliennes, un avenir prochain lui promettait des matines non moins sanglantes; car, le même soir, des messagers coururent rapidement prévenir les bannis que s’ils voulaient sauver leurs concitoyens, leurs amis, leurs femmes et leurs enfants, ils devaient se trouver aux portes de Bruges avant le lever du jour.

L’aurore n’avait point paru (vendredi 19 mai 1302) lorsqu’un chevalier français se disposa à sortir de la maison où il avait passé la nuit, et comme son hôtesse l’interrogeait avec étonnement, il avoua qu’il voulait s’éloigner de la ville pour ne pas assister à la trahison qui la menaçait; il ajouta que pas un des chevaliers français ne s’était désarmé depuis la veille et que tous les bourgeois de Bruges devaient périr. Ce bruit se répand bientôt de demeure en demeure, de rue en rue, et les bourgeois s’arment en silence : ils attendent que les bannis viennent les rejoindre et fassent entendre le signal de l’insurrection. » Leur attente n’est pas trompée, Pierre De Coninck, à la tête des siens, entre en ville par la porte de Sainte-Croix, tandis que Jean Breydel y pénètre par celle dite des Écluses. A peine celui-ci a-t-il franchi les murs de la ville qu’il s’écrie : « Brugeois, aux armes! Montrez votre courage pour reconquérir vos droits et vos libertés! » Aucun Français ne trouve grâce devant les vengeurs de la commune. Tous tombent sous leurs coups et pour les reconnaître on leur fait prononcer ces mots : Schilt ende vriendt! wat walsch es, valsch es, slaet al doot! « Devise protectrice pour la patrie, dit l’auteur de l’Histoire de Flandre, mais impitoyable pour l’étranger dont les lèvres ne savent pas répéter la rude consonnance. Vingt-quatre bannerets, quinze cents chevaliers et deux mille hommes d’armes avaient péri : toute une armée était venue s’engloutir dans ces murailles dont elle rêvait la ruine. » Le massacre des Français à Bruges devait être le signal d’une guerre terrible avec la France. A peine Philippe le Bel fut-il informé de ce grave événement, qu’il fit publier dans toute l’étendue de son royaume un appel aux armes pour venger l’affront qu’il avait reçu à Bruges. Une armée formidable, composée en grande partie de la fleur de la chevalerie française, courut se ranger sur les frontières de la Flandre. Le 11 juillet 1302, elle livra bataille aux Flamands dans les plaines de Courtrai et l’histoire a conservé le souvenir de sa défaite, C’est dans cette mémorable journée, connue sous le nom de bataille des Éperons d’or, que Jean Breydel et Pierre De Coninck après avoir été armés chevaliers par le jeune comte Guy de Namur, se couvrirent d’une gloire immortelle en combattant pour leur patrie qu’ils sauvèrent de la domination étrangère.

Kervyn de Volkaersbeke.

A. Voisin, Notice sur la bataille de Courtrai, p. 22 et suiv. — Mazas, Vie des grands capitaines français du moyen âge, t. I, p 215. — Baron Kervyn de Lettenhove, Histoire de Flandre, t. II, p. 435 et suiv. — J.-J. De Smet, Corpus chronicorum Flandriæ, t. IV, p. 794. — Vlaemsche bibliophilen, Rymkronyk van Vlaenderen. Blommaert et Serrure, Kronyk van Vlaenderen, t. I, p. 152 et suiv. — Gaillard, Kronyk der stad Brugge, p. 83 et suiv. — Biographie des hommes remarquables de la Flandre occidentale, t. I. p. 42. — Chronyke van Vlaenderen, 621 à 1725, p. 419. — N. Despars, Chronijke van den lande ende graefscape van Vlaenderen, p. 70 et suiv.