Biographie nationale de Belgique/Tome 2/BONAVENTURE, Nicolas-Melchiade

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BONAVENTURE, Nicolas-Melchiade



BONAVENTURE (Nicolas-Melchiade), homme de loi et magistrat, né à Thionville (France) le 10 février 1753[1], naturalisé Belge par Joseph II, le 20 novembre 1782, mort à Jette, près de Bruxelles, le 24 avril 1831. Ayant perdu son père, Bonaventure vint aux Pays-Bas; il fit ses études à l’Université de Louvain, y prit le degré de licence, et alla s’établir à Tournai, où il fut reçu avocat en 1775. La place de conseiller pensionnaire des échevinages ou de troisième pensionnaire de la ville étant devenue vacante, les consaux la lui conférèrent le 26 juin 1787. Pendant la révolution de 1790, les nouveaux magistrats que le peuple de Tournai avait choisis le députèrent plusieurs fois à Bruxelles, notamment pour assister au congrès extraordinaire convoqué le 24 septembre et qui devait délibérer sur une note des trois puissances médiatrices invitant les Belges à consentir à une suspension d’armes ; puis au congrès par renforcement qui se tint le 17 octobre, au sujet d’une nouvelle note de ces puissances, et enfin à l’assemblée des États généraux du 13 novembre, où il s’agissait de décider si les Belges accepteraient les conditions proposées par les médiateurs, ou s’ils pousseraient la résistance jusqu’au bout. On sait que les États généraux, espérant échapper par là à une restauration, nommèrent, le 21 novembre, souverain de la Belgique l’archiduc Charles, troisième fils de l’empereur Léopold. Bonaventure fut désigné, avec un autre membre des États, M. Durieux, pour aller communiquer cette résolution au maréchal Bender, commandant en chef des troupes impériales, et le prier de faire cesser les hostilités ; mais ils ne purent parvenir jusqu’à lui. Après la rentrée des Autrichiens dans Bruxelles, les magistrats de Tournai envoyèrent au maréchal une députation chargée de lui annoncer qu’ils reconnaissaient la souveraineté de l’empereur ; Bonaventure en faisait partie. Il reçut ensuite la mission de se rendre à la Haye, afin de solliciter du comte de Mercy-Argenteau, ministre plénipotentiaire de Léopold, le maintien de la Constitution qui avait été mise en vigueur à Tournai pendant la révolution : il n’y réussit pas et ne pouvait y réussir, d’après la déclaration de l’empereur que toutes les choses seraient remises sur le pied où elles étaient à la mort de Marie-Thérèse. En 1791 et 1792 il séjourna presque continuellement à Bruxelles pour les affaires de la ville. Ce fut à lui que les consaux commirent le soin de défendre les intérêts de leur administration dans les conférences de députés de toutes les provinces qui se tinrent pour la liquidation des dettes qu’elles avaient contractées en 1790.

La victoire remportée par Dumouriez, à Jemmapes, ayant fait tomber la Belgique au pouvoir des Français, les habitants de Tournai furent convoqués à la cathédrale, pour élire vingt administrateurs provisoires de cette ville et de ses banlieues (12 novembre 1792). Cette élection eut lieu par acclamation ; Bonaventure fut placé en tête de la liste. Dans ces moments difficiles, il montra beaucoup d’activité et de zèle : on lui dut, entre autres mesures, l’établissement d’une caisse d’escompte, le rejet des assignats, bons locaux ou billets de confiance qui auraient ruiné le commerce (16 novembre), et un règlement fort sage pour l’extinction de la mendicité et l’entretien des pauvres (18 décembre). Le 3 janvier 1793, il fit adopter par les administrateurs provisoires une représentation à la convention nationale contre le décret du 15 décembre qui prononçait la réunion de la Belgique à la France, ainsi que contre la conduite arbitraire des généraux et des agents français. Un acte de ses collègues, dont il eut à se plaindre, le détermina, quelque temps après (27 janvier), à leur envoyer sa démission ; mais, sur leurs instances, il consentit à la retirer. Le 6 février 1793, il fut procédé, par les assemblées primaires, à une nouvelle élection de vingt administrateurs provisoires ; Bonaventure se vit encore l’un des élus, et le troisième d’entre eux par le nombre de voix qu’il obtint. Cette seconde administration républicaine ne devait pas durer longtemps : la victoire de Neerwinden fit rentrer les Autrichiens en possession de la Belgique, et, le 31 mars 1793, tous ceux qui faisaient partie de la magistrature de Tournai avant le 12 novembre 1792, furent réinstallés dans leurs fonctions. Au mois de décembre, les consaux envoyèrent Bonaventure à Bruxelles, où il eut à s’occuper, pendant plusieurs mois, des intérêts de la ville ; il y était encore lorsque l’empereur François II y arriva. Le 8 juin, en compagnie du grand prévôt, Bonaert, il harangua ce monarque, auquel il dit qu’il était « le plus grand des princes et le plus tendre des pères. »

Après la seconde occupation de la Belgique par les Français, Bonaventure fut appelé à faire partie de l’administration centrale et supérieure (26 brumaire an III) et du conseil du gouvernement (2e jour complémentaire de l’an III) que les représentants du peuple en mission établirent à Bruxelles. Il alla siéger, en l’an V, au conseil des Cinq-Cents comme mandataire des électeurs du département de la Dyle : dans cette assemblée, il réclama, pour les départements réunis, le droit de nommer un tribunal de cassation ; il fit entendre des plaintes sur ce que l’on voulait y exécuter la loi qui exigeait des ecclésiastiques une déclaration de fidélité ; il proposa des moyens de parer à la stagnation des affaires judiciaires; il combattit le projet relatif à la vente des biens nationaux de la Belgique et à la liquidation de ses dettes, et enfin il présenta un rapport, qui fut remarqué, sur l’époque à laquelle les lois envoyées dans les départements réunis et non publiées étaient devenues obligatoires. En 1800, le premier Consul le nomma juge au tribunal d’appel de la Dyle et président du tribunal criminel du même département; en 1806, l’empereur le fit membre du conseil de discipline et d’enseignement de l’école de droit à Bruxelles. Tout en reconnaissant que, dans la présidence du tribunal criminel, Bonaventure montra des connaissances étendues comme criminaliste et une extrême sagacité, on lui a reproché d’avoir eu la principale part aux arrestations arbitraires qui, en 1804, 1805 et 1806, remplirent les prisons de Bruxelles de plusieurs centaines de citoyens sous l’odieuse et vague inculpation de garrottage; il en a même été accusé hautement dans un factum que, trois années après le renversement du gouvernement impérial, l’avocat Devos livra à la publicité[2] : nous ne connaissons pas assez les faits de cette époque pour nous prononcer sur le mérite d’une aussi grave accusation. Le 20 mai 1811 fut installée la Cour impériale de Bruxelles, et ce jour-là, conformément à la loi du 20 avril de l’année précédente, la Cour de justice criminelle cessa ses fonctions : Bonaventure rentra alors dans la vie privée. Il avait été fait chevalier de la légion d’honneur en 1804; il obtint, après sa retraite, le titre de baron de l’Empire, par application du décret du 1er mars 1808. En 1813, il fut nommé maire de la commune de Jette, où il possédait de grandes propriétés; il était encore bourgmestre de cette commune au moment de sa mort.

Gachard.

Archives de la ville de Tournai. — Archives du royaume. — Moniteur universel. — Almanach du département de la Dyle. — Simon, Armorial général de l’empire français, 1812. — F. Devos, Histoire et justification de quatre cent quatre-vingts personnes arrêtées et emprisonnées arbitrairement à Bruxelles pendant l’espace de seize mois, en 1804, 1805 et 1806. Bruxelles, 1816. — Galerie historique des contemporains, t. II. Bruxelles, 1818. — Documents politiques et diplomatiques sur la révolution belge de 1790. — Biographie universelle, par une société de gens de lettres. Bruxelles, 1843. — Henne et Wauters, Histoire de Bruxelles, t. II. — Wauters, Histoire des environs de Bruxelles, t. II.


  1. Dans la Biographie universelle publiée à Bruxelles, en 1843, on fait naître Bonaventure le 7 octobre 1751. La date que nous donnons est celle qui est consignée dans l’Almanach du département de la Dyle de 1811, p. 123, à côté du nom de Bonaventure, comme membre du collége électoral de ce département. Elle est d’accord, d’ailleurs, avec l’épitaphe placée au cimetière de Jette et d’après laquelle Bonaventure est mort à l’âge de soixante-dix-sept ans.
  2. L’épithète de vieux. tigre et d’autres, non moins flétrissantes, lui sont données dans ce factum.