Biographie nationale de Belgique/Tome 2/BOENDALE, Jean
BOENDALE (Jean), dit Le Clerc, naquit au hameau de Boendale, sous Tervueren, vers l’an 1280 ; il vint habiter Anvers, au commencement du XIVe siècle, et y obtint la charge de secrétaire des échevins de la ville, fonctions qu’il remplit jusqu’à sa mort, pendant plus de quarante ans.
Ce ne fut qu’en 1845 que le nom de famille et le lieu de naissance de notre auteur furent connus ; le professeur R. Doxy[1] de Leide, faisant des recherches à la bibliothèque de l’Université d’Oxford, fixa son attention sur un manuscrit flamand, renfermant des poésies, qu’il fit connaître ainsi que ce passage remarquable, au commencement du poëme intitulé Jans testeye :
Alle die ghene die dit werc
Sien, lesen ende horen,
Die groetic Jan, gheheten Clerc,
Van der Vuren gheboren.
Boendaele heet men mi daer
Ende wone t’Antwerpen nu,
Daer ic gheschreven hebbe menich jaer
Der schepenen brieve, dat segghic u.
Comme secrétaire de la ville, Boendale était initié à toutes les affaires politiques de son temps et remplit un rôle actif dans celles qui intéressaient Anvers, ville déjà fort importante alors. Il accompagna les échevins à Tervueren, et assista à l’assemblée des états, qui y fut tenue en 1312. Il fut chargé de plusieurs missions près du comte de Flandre et les échevins de Bruges, entre autres en 1324, sans doute pour les affaires de commerce, entravées alors par la révolte de Bruges contre le comte. En 1332 il suivit l’armée du duc de Brabant et fut présent à la bataille de Hellechem[2].
Boendale vécut à une époque agitée, mais glorieuse ; il vit grandir les communes qui, sous la conduite de De Coninc et de Breydel, triomphèrent de la féodalité dans les plaines de Courtrai. Contemporain de Jacques van Artevelde, il avait les mêmes tendances : élargir les bases des franchises communales et fomenter l’union des provinces belgiques.
Aussi l’Histoire du Brabant de notre auteur forme-t-elle un précieux document, surtout pour la première moitié du XIVe siècle, quand Édouard III, roi d’Angleterre, vint à Anvers, pour faire valoir ses droits sur le trône de France, dont il était le plus proche héritier. Cette partie de l’ouvrage est traitée avec soin et plus longuement dans une chronique particulière, intitulée : Van den derden Eduwaert.
Ses poëmes didactiques offrent aussi de l’intérêt. À l’exemple de Van Maerlant, qui lui servit de modèle, il traita plusieurs questions fondamentales de philosophie dans la Testeye et le Miroir des Laïcs. Examinons rapidement ces différents écrits, en commençant par les Gestes brabançons : 1o Die Brabantsche Yeesten, composés à la demande de l’écoutête du pays de Ryen, Guillaume Borncolve. Cet ouvrage est écrit en vers et divisé en sept livres; les cinq premiers, qui finissent en 1350, sont dus à Jean Boendale, les deux autres sont d’un anonyme, et continuent l’histoire jusqu’en 1440. M. Willems publia pour la Commission royale d’histoire les sis premiers livres en deux tomes[3], et M. Bormans fut chargé de continuer la publication du septième livre; l’impression du texte, actuellement terminée, est à la veille de paraître.
Le premier livre de cet ouvrage contient l’histoire ancienne de l’Austrasie, dont le Brabant formait le centre, surtout depuis l’avénement des Carlovingiens, originaires de ce pays. Le second livre reproduit toute l’histoire de Charlemagne et de ses successeurs jusqu’à l’usurpation de Hugues Capet. Au troisième livre, l’auteur, en traitant du Brabant proprement dit, des comtés de Bruxelles et de Louvain, parle tout au long de la première croisade, pour s’arrêter à Godefroid le Barbu, duc de Lothier. Le quatrième contient les règnes des ducs de Brabant, jusqu’à la bataille de Woeringen, en 1288, sous Jean Ier. Le cinquième livre continue jusqu’à la mort de Jean III, et constitue la partie la plus importante de l’ouvrage; l’auteur y relate des événements contemporains alors que le Brabant et la Flandre faisaient alliance avec Édouard d’Angleterre pour affaiblir la prépondérance de la France. Le second tome, qui reproduit le sixième livre des Gestes, retrace le règne malheureux de Wenceslas et de Jeanne. Le troisième tome, qui n’a pas encore paru, contiendra le septième livre, qui finit en l’an 1440, il est consacré aux règnes d’Antoine et de Jean IV, ainsi qu’à la reconnaissance de Philippe le Bon comme duc de Brabant. — 2° De Lekenspieghel[4] ou Miroir des Laïcs terminé en 1330, est dédié à Roger de Leefdale. C’est un poëme didactique divisé en quatre livres, commençant par la création, la transmigration d’Abraham, le règne de Salomon et la fondation de Rome; dépeignant ensuite l’origine du christianisme, la conversion de Constantin et la théocratie du moyen âge[5]; et se terminant enfin par une poétique énumération des signes précurseurs de la destruction de la terre, de la venue de l’antechrist et du dernier jugement.
Cet ouvrage est écrit avec soin, la versification bonne, le langage élégant et épuré; il fut si recherché et acquit tant de réputation qu’il fut traduit en allemand et imité en prose. — 3° Jans Testeye of dit is van Woutere ende van Janne (Sentiments de Jean ou dialogue de Gautier et de Jean). Cet ouvrage[6] également dédié à Roger, seigneur de Leefdale, contient les sentiments de l’auteur sur quelques questions controversées de philosophie et de jurisprudence. — 4° Van den derden Eduwaert, coninc van Ingelant, hoe hi van over die zee is comen in meininge Vrancryc te winnen, ende hoe hi Doornic belach. Ce poëme[7] ne contient que les événements des années 1338, 1339 et 1340, l’arrivée du roi d’Angleterre Édouard III en Belgique et le siége de Tournai. Cependant il est à supposer que cette chronique fut continuée jusqu’au siége de Calais en 1346; car, à l’occasion de la bataille de Crecy, que Boendale décrit brièvement dans les Gestes des ducs de Brabant, il renvoie à un autre ouvrage plus long, qu’il avait écrit sur cette matière, et déjà un fragment de la bataille de Crecy a été trouvé par M. Vander Meersch d’Audenarde et inséré dans le Belgisch Museum, IV, p. 254. — 5° Die dietsche doctrinale[8] ou le Doctrinaire flamand, poëme didactique en trois livres, achevé à Anvers au mois de juin de l’an 1345, et dédié au duc Jean III, est généralement attribué à Jean Boendale; il est conçu dans le même langage et la même versification que ses autres ouvrages.
On a aussi attribué à notre auteur le poëme d’Ogier le Danois, parce qu’il est nommé dans la traduction allemande Johan die Cleric; mais, à en juger par la langue et les idées, cette œuvre est antérieure au XIVe siècle; elle date de la période des poëmes de chevalerie, comme le démontrent les quelques fragments publiés par J.-F. Willems dans le Belgisch Museum, II, p. 334, sous le titre : Fragmenten van den ridder roman Ogier van Denemarken.
- ↑ Verslagen en berichten, uitgegeven door de vereeniging ter bevordering der oude Nederlandtsche letterkunde, 2e jaargang. Leiden, 1845.
- ↑ Taelverbond, Antw., 1853, l’article de P. Genard, à la page 152.
- ↑ De Brabantsche Yeesten of Rijm-kronijk van Braband, door Jan De Klerk van Antwerpen, uitgegeven door J.-F. Willems. Brussel, 1839, in-4o, t. I, p. LXX-904, t. II, 1843, p. XII-780.
- ↑ Publié par le professeur M. De Vries, sous le titre de : Die Lekenspieghel, leerdicht van den jare 1330, door Jan Boendale, gezegd Jan De Clerc, schepenklerk te Antwerpen. Leiden, 1844, 3 vol. in-8o.
- ↑ Dans ce livre sont cités l’Évangile de Nicodème, l’Évangile de la naissance de sainte Marie, et surtout la chronique des souverains pontifes et des empereurs, par Martin le Polonais, archevêque de Gnesen.
- ↑ Ce poëme didactique va bientôt voir le jour par les soins de la Commission pour la publication des monuments littéraires en langue flamande; M. Snellaert est chargé de l’éditer, ainsi que d’autres pièces contenues dans le manuscrit de la bibliothèque d’Oxford, parmi lesquelles le Melibœus et Het boec van der wraken qui sont, apparemment, du même auteur.
- ↑ Publié par J -F. Willems, sous le titre : Van den derden Eduwaert, coninc van Engelant. Rijm-kronijk geschreven omtrent het jaer 1347, door Jan de Clerc van Antwerpen. Gent, 1840, in-8o, p. 84.
- ↑ Publié par le Dr W.-J.-A. Jonckbloet sous le titre : Die dietsche doctrinale van den jare 1345, toegekend aen Jan Deckers, clerk der stad Antwerpen. ’s Gravenhage, 1842, in-8o, p. 375. — Le manuscrit portait en lettres gothiques Jan De Clerc, que l’éditeur prit par une lecture fautive pour Jan Deckers. Il existe une édition de cet ouvrage, datée de Delft, l’an 1489.