Biographie nationale de Belgique/Tome 1/ARSCHOT, Arnulf comte D’
ARSCHOT (Arnulf comte D’), homme de guerre, vivait au xiie siècle. Dans la grande épopée des croisades, il se présente une foule d’épisodes dont plusieurs constituent des faits d’armes éclatants, mais dont la plupart ont été presque entièrement laissés dans l’ombre, l’attention des contemporains s’étant plus particulièrement fixée sur les lignes principales de ce vaste poëme. De ce nombre est la croisade de Portugal, qui eut lieu en 1147, et à laquelle les Belges prirent une part si considérable.
Trois années auparavant, le deuxième comte de Portugal, Alphonse-Enriquez, dont le père, Henri de Bourgogne, avait été investi de ce fief par le roi de Castille, Alphonse le Brave, s’était déclaré indépendant de son suzerain et avait pris publiquement le titre de roi. Fier de la célèbre victoire d’Ourique, remportée par lui, en 1139, sur les rois maures de l’Αlentéjo, de Sylvès, de Mérida et de Badajoz, il continuait avec des chances diverses la lutte qu’il avait engagée avec les infidèles. Maître du cours du Douro, il cherchait à s’étendre du côté du sud et à s’emparer de la ligne du Tage. Déjà il avait enlevé Santarem et songeait à mettre le siége devant Lisbonne. Mais les forces dont il disposait ne suffisaient pas pour assurer le succès d’une si grande entreprise.
En ce moment même une flotte de croisés allemands, partie de Cologne et des ports du Weser, ralliait, à Darmouth, sur la côte d’Angleterre, une autre flotte composée de bâtiments flamands et anglais qui se disposait à contourner la péninsule ibérique pour entrer dans la Méditerranée et se diriger vers l’Orient : c’était le 17 mai 1147. Cette armée navale réunie se composait d’environ deux cents voiles et avait pour connétable Arnulf d’Arschot.
Ayant repris la mer, elle essuie, après quelques jours de navigation, une violente tempête qui la disperse dans tous les sens. Une cinquantaine de navires seulement atteignent le port de Corim en Gallice, d’où ils s’acheminent vers l’embouchure du Tambre. Là ils jettent l’ancre, et les croisés, ne se trouvant qu’à six milles de Compostelle, entreprennent un pèlerinage au tombeau si fameux alors de saint Jacques, où ils célèbrent la Pentecôte. Puis ils remettent à la voile et relâchent, à l’entrée du Douro, décidés à y attendre l’arrivée du connétable, qui les rejoint le onzième jour avec le reste des bâtiments.
Dans ces entrefaites, le roi Alphonse entame des négociations avec l’armée chrétienne et la décide à entreprendre le siége de Lisbonne. Aussi bien combattre les infidèles en Europe ou les combattre en Asie, n’est-ce pas accomplir le même vœu ? D’ailleurs, le pillage de cette riche cité musulmane n’est pas à dédaigner.
La flotte tout entière ayant remis à la voile, gagne l’embouchure du Tage, et, le 28 juin, elle prend position devant la future capitale du Portugal, les Anglais en aval, les Flamands en amont du fleuve. Aussitôt Arnulf et le roi Alphonse prennent les dispositions nécessaires pour l’investissement, immédiat de la place. Une partie des pèlerins sont débarqués et, unis aux Portugais, ils cernent la ville du côté de la terre, tandis que les navires la menacent du côté du Tage. Dès le surlendemain une vive attaque est ordonnée, et les croisés s’emparent des faubourgs. Mais ils se trouvent tout à coup arrêtés devant le corps même de la forteresse, reconnaissant l’impossibilité de l’enlever à moins de recourir à un siége en règle.
On se met donc à creuser les acheminements et à construire les tours et les machines destinées à battre les murailles, Ces travaux occupent les assaillants durant tout un mois, dont chaque jour est marqué par un combat plus ou moins sanglant ; car les assiégés ne restent pas inactifs, et leur nombre, s’il faut en croire un témoin des événements, s’élève à plus de deux cent mille combattants, tandis que l’armée chrétienne en compte à peine treize mille. Cette considérable disproportion de forces suffit pour faire comprendre combien, d’une part, la résistance dut être terrible, et combien, de l’autre part, il fallut de prodiges de courage et d’énergie pour venir à bout de l’entreprise où l’on s’était engagé.
Le 1er août fut désigné pour un assaut général. Deux tours mouvantes, l’une construite par les Flamands, l’autre par les Anglais, s’avancèrent vers les murs, et les navires s’approchèrent des remparts pour y abattre leurs ponts volants. Mais, en ce moment, les Sarrasins opérèrent une vigoureuse sortie, refoulèrent les chrétiens et détruisirent au moyen du feu grégeois la tour des Anglais, ainsi qu’une grande galerie de sape établie par les Flamands pour pratiquer une brèche dans l’enceinte de la place.
Ce désastre anéantissait les travaux d’un mois entier. Cependant, grâce à l’héroïque sang-froid d’Arnulf et du roi Alphonse, les assiégeants ne se découragèrent point. Ils parvinrent à rétablir leur galerie de sape et à miner une partie des remparts, malgré les efforts que la garnison mit en œuvre pour détruire ce travail, et les fréquentes sorties qu’elle ne cessait d’opérer.
Dans ces entrefaites, la famine commença à sévir parmi les assiégés, qui, cernés de toutes parts, se virent bientôt réduits à se nourrir de la chair de cheval et même de chien. Toutefois l’acharnement qu’ils mettaient à se défendre n’en fut pas diminué. En effet, lorsque, dans la journée du 15 octobre, les croisés essayèrent de s’emparer de la ville par une brèche de deux cents pieds de large que la mine avait ouverte durant la nuit précédente, ils se virent inopinément arrêtés par un nouveau retranchement formé à la hâte et garni d’archers et d’une multitude de machines de trait. Repoussés avec une perte considérable, malgré la vigueur de l’attaque, ils étaient près de se livrer au découragement. Mais, quelques jours plus tard, ils se trouvèrent en mesure de tenter un nouvel assaut, un habile architecte pisan ayant achevé de construire une tour mouvante plus haute et plus solide que celle que les Sarrasins avaient brûlée. Le 21 octobre, cette formidable machine, protégée par des peaux de bœufs contre les atteintes du feu grégeois, s’approche lentement de la brèche dont tous les défenseurs tombent sous la grêle épaisse de traits et de flèches que les archers et les arbalétriers flamands et allemands ne cessent de leur lancer. De partielle qu’elle a été pendant quelque temps, l’attaque ne tarde pas à devenir générale. Elle est si furieuse et si bien conduite que les assiégés cèdent de toute part. Reconnaissant bientôt l’impossibilité de continuer la résistance, ils demandent enfin à capituler, et les croisés leur accordent la vie sauve et la liberté de sortir de la place, mais sans pouvoir emporter une arme ni rien de ce qui leur appartient. S’il faut en croire une ancienne légende castillane, le commandant musulman de Lisbonne, appelé Banalmasar, confessa, dans cette circonstance, la supériorité du Dieu des croisés et embrassa le christianisme. Quoi qu’il en soit, ceux-ci trouvèrent dans la ville un butin si considérable que beaucoup d’entre eux se fixèrent en Portugal : fait qui nous explique l’existence dans cette contrée, d’un grand nombre de noms de famille dont l’origine est évidemment flamande ou allemande. Un de nos historiens les plus compétents, M. le baron Kervyn de Lettenhove, s’en autorise même pour voir dans le nom du bourg de Villaverde un souvenir des croix vertes que portaient les croisés belges.
L’année de la naissance et celle de la mort d’Arnulf d’Arschot nous sont inconnues. L’histoire ne nous fournit sur la biographie de ce personnage aucun autre détail que la brillante expédition dont il fut le connétable et qui assura au nouveau royaume de Portugal la possession de sa capitale Lisbonne.
Epistola Arnulfi ad Milonem, epicopum Morinorum, ap. Martène et Durand, Amplissima Collect. t. I, p. 800. — Epistola Dodecheni abbatis, ap. Pistorium, Rerum germanic scriptor., t. I, p. 676. — Helmondi Chronic. Slavor., lib. I, cap. 61, ap. Leibnitz, Scriptor. Brunsv., t. II, p. 588. — Henric Huntingdon, Histor., lib. VIII, ap. Savil, Rerum anglicar. scriptor., p. 169-228. — Romancero castellano, edit. de Depping, t. I, n. 201, comp. n. 202 et 203.